Vous avez aimé les conversations d'Helder Postiga avec son médecin ? Vous allez adorer les confessions de Bilos à son maître Diego. Merci à Rising 42 pour ce nouveau feuilleton !

Sr. Diego Armando Maradona
Estadio Alberto Armando
Buenos Aires
Argentina


Saint Etienne, le 04 août 2006.

Cher Diego,
Mon Cher Maître.

Je vous écris bien tardivement et vous devez vous demander où j’ai bien pu atterrir depuis mon départ de cette bonne ville de Buenos Aires que j’ai quittée dans les larmes... Les vôtres… Les miennes... De ce club de Boca Juniors que j’ai laissé contraint et forcé pour rejoindre l‘Espagne, afin de renflouer les caisses vides, et par là même éviter une banqueroute. Je vous revois encore, Cher Diego, sur la terrasse principale de l’aéroport agitant votre main divine, sans fatiguer pendant les deux heures nécessaires à assécher l’avion qui ne pouvait pas décoller, alourdi qu’il était du poids de mes larmes et de mon chagrin. Je dois rendre ici hommage au gens des Aerolinas Argentinas qui, malgré mes pleurs incessants, persistaient à pomper sans relâche, pour les uns, et à me consoler, pour les autres. Le niveau de l’eau montait. Nous étions perdus. Jusqu’à ce qu’un personnage amphibie, équipé de palmes vertes et d’une écharpe verte, réussisse à rejoindre à la nage la place voisine de la mienne. Il enleva alors son masque Adidas vert, cracha son tuba vert Vocalcom, me serra la main, m’appela immédiatement par mon prénom, comme s’il me connaissait très bien, puis, pour me calmer, me donna à renifler une poudre blanche, comme celle que vous aimez tant, mon Cher Maître, et que vous m’aviez déjà donnée à sentir l’an dernier au retour de l’un de vos séjours paradisiaques à Cuba. Je reniflais donc, et aussitôt la douleur et mon chagrin se dissipèrent. Les passagers, à qui l’on avait donné des sèche-cheveux pour aider le personnel, réussirent enfin à rendre l’avion dans un état de légèreté acceptable pour le décollage, et je quittais ainsi Buenos Aires dans un état proche de l’extase, comme à chaque fois que je marquais un but à la Bombonera, que vous avez vous aussi fait vibrer, et qui me manque tant aujourd’hui.

Adios Argentina ! Buenos Aires, Rio de la Plata, Porteños, gauchos, empanadas, parillas et bife de chorizo ! Adios !… Vaya con Dios !...

Bientôt ce ne fut que l’océan… Vert… Avec des baleines roses et plein de dauphins en pyjamas rayés. Je me sentais tout à coup léger, léger, léger… Et le batracien vert assis à mes côtés, enroulé dans son écharpe verte, me regardait d’un sourire satisfait de grenouille persillée. Il me montra soudainement l’écran à l’avant de l’avion sur lequel on passait un dessin animé de Speedy Gonzales, puis me redonna une petite dose de cette poudre blanche apaisante. Après être parti dans une crise d’hilarité entrecoupée de « Andale ! Andale ! Arriba ! Arriba ! » , je sombrais dans un sommeil fécond en rêves de gloire.

Ensuite, mon cher Diego, les évènements sont inexplicables. Je me réveillais dans un état d’hébétude, comme dans un brouillard. J’entendais la voix du pilote de ligne dans les haut-parleurs qui annonçait l’atterrissage imminent à Valencia, où mon agent parti la veille m’attendait, lorsque je vis dans le couloir deux personnages douteux qui se dirigeaient vers la cabine de pilotage, tout enturbannés d'écharpes vertes, les mêmes que celle que portait mon voisin, sans doute des membres d’une même organisation secrète. Des claquements secs résonnèrent, comme des gifles bien appliquées, puis l’on entendit une voix différente qui annonçait dans un espagnol hésitant qu’en raison du mauvais temps l’avion ne pourrait pas atterrir à Valencia et était détourné sur l’aéroport intercontinental de San Esteban-Bouthéon. Je sais bien que l’on ne peut rien faire d’autre que se plier aux caprices du ciel, mais ce que je ne comprenais pas c’est que depuis le hublot on ne voyait que du soleil et du ciel bleu, sans aucun nuage. Je fis part de mon constat à mon voisin qui, profitant de mon état flasque, sut se montrer persuasif en répliquant à mes remarques météorologiques par un violent coup de parapluie sur ma tête, m’intimant de fermer mon clapet et de dormir. Ainsi, après une descente en piqué et un passage en rase motte sur Valencia, l’avion reprit de l’altitude et se dirigea vers sa nouvelle destination.Et je m’endormais contraint de mon plein gré.

Mon Cher Maître, vous parlez d’un aéroport intercontinental !... Lorsqu’il a fallu atterrir à San Esteban, nous avons dû nous y reprendre à plusieurs reprises, car des abrutis étaient en train de goudronner la piste, au demeurant bien trop courte. Le pilote argentin, un ancien de la Luftwaffe, a néanmoins réussi à slalomer entre les engins de travaux publics et à arrêter l’avion sans trop d’encombre dans un champ de maïs. Je vous passe les détails de l’évacuation de l’appareil au milieu du pop corn, des sirènes, des ambulances et des lances à incendie qui inondaient tout le paysage.

Sitôt expulsé de l’avion, je me retrouvais propulsé à l’arrière d’une voiture, transi mais vivant. Très petites ces voitures européennes… J’avais la tête qui sortait par le toit ouvrant… J’étais accompagné par deux individus qui m’encadraient et par un autre assis à l‘avant à côté du chauffeur coiffé d‘une perruque verte : mon voisin dans l’avion que je dus appeler Président, un autre personnage rigolard que je dus également appeler Président, et enfin le dernier occupant qu’il me fallut aussitôt appeler Coach . Un Tchèque à ce que l’on m’a expliqué. Je n’en avais jamais vu de près. Son visage sympathique et souriant m‘apaisa, et la fatigue du voyage et de ses péripéties me faisaient fermer les paupières, que j‘ouvrais aussitôt d‘effroi car son regard me faisait clairement comprendre que ce n‘était pas le moment ni le lieu pour entamer un sieste. Il parlait une drôle de langue. On aurait dit du français, mais avec un accent, comme celui qu’on entend dans les films d’espionnage avec les agents du KGB. Mais vous savez, cher Diego, pour ce que je connais du français, je ne pouvais encore rien affirmer… Déjà que je n’arrive pas à parler l’espagnol sans écorcher des mots, comme tout Argentin respectable, il ne me manquerait plus que de me retrouver avec un coach tchèque – dur à dire ça – qui parle français comme une vache espagnole.

Nous arrivâmes enfin devant un très beau stade, que je n’eu presque pas le temps d’admirer, car je fus aussitôt emmené par mon escorte dans un bureau où l’on m’expliqua que par esprit d’humanité on m’avait évité in extremis de signer à Valencia, où j’étais promis à cirer le banc de touche avant d’être transféré en décembre pour le Paris-Saint-Germain, où j’aurais dû cirer encore le banc de touche avec un type muet qui roule en Buick – mais je n’ai peut-être pas bien compris – , avant d’être prêté à un club de la Tierra del Fuego... Ce qui aurait fait, vous en conviendrez, mon Cher Maître, des frais inutiles pour un retour plus au sud de la case départ, à se les geler avec les pingouins. Je me retrouvais ainsi en France, à Saint Etienne, où il était de mon intérêt de signer un contrat. À force de discours et de poudre blanche, je finis par être convaincu, surtout lorsque j’appris que dans ce club il y avait une pléthore d’Argentins. On me les amena tous dans le bureau, et un photographe immortalisa notre rencontre. On aurait dit les frères Dalton. Le petit ouvrait la pente, et je la terminais à l’autre bout. Je compris alors que mon destin était scellé. Je signais donc un contrat dans la satisfaction générale, et depuis je dois dire que je ne suis pas déçu.

Mon Cher Diego, ici, tout le monde se promène avec une écharpe verte, un maillot vert… Enfin avec quelque chose de vert. Car le vert est la couleur du club. Ce qui explique la couleur du commando aéroporté. Dans la ville pleine de tranchées, tout respire le football… Enfin quand l‘arrêt des bombardements du centre-ville nous permet de respirer... Le stade est magnifique. Très certainement en meilleur état que notre Bombonera, mais plus petit. Je m’y plais beaucoup. Maintenant, mon Cher Maître, que vous connaissez les péripéties qui m’ont conduit ici, je vais vous raconter mes premiers pas sur le sol français et dans le club vert.

lLors des premiers entraînements, je me croyais dans un hall d’aéroport, avec pas mal de joueurs en transit. Les uns en partance, puis ne partant plus. Les autres ne partant pas pour finir par partir. D’autres voulant partir mais n‘y arrivant pas. Un vrai tango. Je ne sais pas trop si ici ils savent ce que c’est que Boca Juniors. J’ai eu l’impression qu’ils pensaient que c’était un club de vacances, genre Club Med. Toujours est-il que j’ai dû faire mes preuves et montrer toutes les facettes de ma fougue argentine. Ridicule. Surtout quand on voit certains joueurs ici qui chez nous seraient tout juste bon à vendre les billets. Le coachtchèque est très exigeant. Ce qui plaît à certains qui sont rouillés car ils ont passé l’an dernier en hibernation, paraît-il, et ce qui ne plaît pas à d’autres qui préfèrent danser. J’ai très peu joué lors des matches de préparation car j’ai pris le pied d’un adversaire dans la figure et j’ai eu un petit claquage derrière une cuisse. Donc pendant que mes camarades s’entraînaient, moi je tournais autour du terrain d’entraînement pour me refaire une santé et j’observais. Le public, toujours très nombreux, qui paraît passionné, agglutiné derrière les barrières ou les grillages. Le coachtchèque qui pose des quilles, qui plante des mannequins, qui prend des notes et hurle sans arrêt les mêmes phrases pour réveiller ceux qui somnolent ou ceux qui préparent la soirée à venir, soirée qu’ils vont passer au lit, morts de fatigue, ou en réanimation à l’hôpital tout proche, qui a sans doute été construit ici à cet effet.

Les horaires sont totalement imprévus ou imprévisibles. Tantôt à 9H30, tantôt à 6H30. Plusieurs séances par jour. Parfois la nuit avec des lampes de poche. C’est difficile de tenir le rythme d’autant que nous sommes très mal nourris avec des steaks minuscules qui rétrécissent à la cuisson. Quand le coachtchèque n’est pas content du travail réalisé, il invente des punitions terribles, qui passent par des pompes, avec l’entraîneur adjoint assis sur le dos, ou toutes sortes d’exercices abdominaux, jusqu’à des courses de vitesse encouragées par un doberman lancé au trousse des joueurs sanctionnés. Vous pouvez imaginer, Cher Diego, que le chien, au même régime que nous avec l'infime quantité de viande qu’il ingurgite, est poussé à s’intéresser de très près à nos postérieurs. Il y a aussi les courses de fond de plusieurs kilomètres avec un sac de patates de 50 kilos sur les épaules. Et aussi les menaces. Le coachtchèque nous a dit que si certains persistaient dans le dilettantisme, il les enverrait en stage en Tchéquie, où là-bas, non seulement il faut courir avec un sac de 50 kilos de patates sur les épaules, mais avant, il faut aller d’une porte à l’autre, retourner la terre à droite à gauche ou faire la queue des heures et des heures durant pour remplir le sac. Ce qui nous fait apprécier la douceur des sanctions comme une flagellation en play-back. À mon avis, si certains ne cèdent pas à l’alcool ou à l‘exil, nous aurons un bon groupe aguerri pour réaliser un excellente saison. Le problème, à ce qu'on m'a dit c’est qu’il y a des camarades qui ont déjà succombé à l’alcool lors de la dernière saison avec un coach tendre. Alors, aujourd’hui, il ne faudrait pas que ce soit ceux qui n’étaient pas là qui paient la tournée.

Mon Cher Diego, je vais devoir terminer ici ma lettre, car j’entends les pas du gardien dans le couloir. Il vient vérifier si toutes les cellules sont bien fermées avant l’extinction des feux. Car, nous devons être frais et dispos pour le premier match de l’année demain contre Sochaux. Et le coachtchèque a une méthode bien à lui pour cela… Il ne met pas ses joueurs au vert… Il les met à l’ombre.

Vous voilà à présent rassuré sur mon sort. Je vous écrirai très bientôt pour vous donner des nouvelles de ma carrière en Europe..

Veuillez croire, mon Cher Maître, à l’assurance de mon affection profonde et de mon grand respect.

Votre dévoué, Daniel Ruben Bilos.

Auteur : Rising42