En 1974, avec Roger Gicquel, la France a eu peur. En 1976, avec Dominique Rocheteau, elle a pleuré. Comme souvent, le mérite en revient aux Allemands. Le 12 mai 1976, alors que depuis quelques mois la France verdissait à vue d’œil, tout là -haut dans l’hémisphère nord, à Glasgow, une bande de onze salopards bavarois a fait chialer dans l’Hexagone des millions de gosses qui depuis des semaines et des semaines s’endormaient sous le poster d’un Rocheteau flamboyant, cheveux aux vents, short blanc, maillot vert flanqué de son numéro 7.
Et comme la France demeure à jamais une grande terre de sport, le lendemain, pour fêter cette défaite mémorable, nos Verts défilaient sur les Champs à bord de Renault 5 décapotables avant d’aller serrer la papatte à VGE et de claquer la bise à Anémone. Depuis, trente-cinq années ont passé soient autant qu’entre le début de la seconde guerre mondiale et la défaite de Glasgow… (Ça fout les jetons hein ?) Un gouffre spatio-temporel. Abyssal. Et pourtant.
Et pourtant. Rien qu’à regarder les archives conservées par l’INA de ce match rentré dans la légende non pas du foot français, non pas du sport français, mais de l’Histoire de France au même titre que Waterloo, Verdun ou encore Poitiers, des envies de suicide collectif nous reviennent. Des larmes de rage et de frustration. Des avalanches de regrets. Des sanglots dans le cœur. De l’eczéma dans la bouche.
On rembobine: 34e minute, Bathenay Dominique, le Hollandais volant, s’avance balle au pied, remise sa chevelure, jette un coup d’œil vers les cages de Sepp Maier, un goal fait clown, un clown fait goal, et se dit : «Tiens et si je lui décrochais une frappe bien sentie dont j’ai le secret». Et pan. Trajectoire parfaite, rectiligne, ascendante, Maier parti à la recherche d’un quatre feuilles, ô temps suspends ton vol, la vraie vie est ailleurs, Liliane fais péter le champagne, cette fois les Boches sont cuits, mais non, pan, en plein sur la transversale dure comme du bois islandais, une vraie tête de mule, tronche carrée, pieds carrés, poteaux carrés, ping pong avec la tête trop molle de Revelli, les sanglots longs des violons de Glasgow, Liliane défais donc les valises...
Quelques minutes plus tard, Sarramagna enrhume son défenseur en lui chantonnant la ballade des gens heureux, centre au cordeau, Santini (oui Santini) passe par là , met sa tête, cette fois c’est bon, Maier peut aller jouer à la marelle avec Beckenbauer, Liliane va-t’en redéboucher le champagne, cette fois les Boches sont archi cuits, qui c’est les plus forts évidemment c’est les Verts, mais non, la foutue transversale butée comme un Lino Ventura patibulaire se réveillant de mauvaise humeur un matin de pluie, cette garce de transversale après avoir longtemps tergiversé, renvoie le cuir à son expéditeur, Liliane, va planquer les valises.
La suite, on la connait, un coup franc imaginaire concédé par Piazza, l’Argentin de la pampa, les Allemands qui nous embrouillent comme en 40, la ligne Maginot n’a même pas le temps de se former que Roth, non pas Joseph, non pas Philip, mais Franz, pas Franz Kafka non plus, Franz Roth donc, gougnafier comme une tenancière de bordel dans les bas-fonds de Berlin, envoie une frappe sèche comme un coup de trique qui surprend Curkovic, ô rage ô désespoir, quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle , Liliane, sors moi le fouet.
A dix minutes de la fin, Rocheteau, blessée à la patte, est convoqué au champ d’horreur. Mon gaillard, la patrie est en danger, l’ennemi est à nos portes, entends-tu dans nos campagnes mugir ces féroces soldats. A le voir fouler la pelouse, les Allemands ont des envies de désertion. L’ange vert sème la panique dans la défense de nos cousins germains, dribble, s’infiltre, chaloupe, affole, déboule, ratisse, feinte, virevolte, enchaine petit pont sur grand pont. En vain. Ce jour-là , Dieu n’était pas mort, il était Allemand.
La France ne s’en est pas remise. Six ans plus tard, c’était Séville et Battiston a vu trente-six chandelles.
L’amitié Franco-Allemande, quelle arnaque tout de même je te jure.
Laurent Sagalovistch*
Romancier, chroniqueur sur Slate.fr... et potonaute à ses heures perdues !