Si l'on se concentre sur l'allure collective de l'équipe, la grande évolution de ce premier semestre n'aura échappé à personne : le glissement du 4-3-3 vers le 4-2-3-1, plus utilisé et obtenant de meilleurs résultats.


Le débat avait disparu avant l'été, tant les résultats étaient bons. Il était clair pour presque tout le monde que Sainté devait jouer en 4-3-3, et s'appuyer sur sa principale force, ses trois-mousquetaires-du-milieu-qui-en-fait-sont-quatre. Six mois plus tard, les termes du débat ont changé : Guilavogui parti, Clément en demi-teinte, Diomandé encore léger, Cohade sur courant alternatif, Lemoine boulimique de biscottes...l'entrejeu, c'est plus que c'était. Ajoutez à cela un Corgnet auteur de quelques matches de haute volée, buteur cinq fois déjà, et des résultats incontestablement plus probants dans un autre système : le 4-2-3-1 a la cote.


La tentation est grande (comme toujours...) de décréter que le 4-3-3 c'est blanc, et le 4-2-3-1 c'est noir ; qu'entre blanc et noir, il faut choisir et laisser l'autre aux oubliettes. Essayons de montrer que l'opposition frontale est une erreur, tant d'un point de vue théorico-tactique qu'historique.


1- Ce que nous apprend le tableau noir

Quoiqu'il arrive, le bloc stéphanois s'organise autour de deux lignes de 4 hérissées vers l'avant d'un homme dans l'axe, auxquels s'ajoute un électron libre. Dans le 4-3-3, l'électron libre est une sentinelle navigant entre les deux lignes. Elle doit toujours anticiper l'apparition des espaces : en défense pour boucher les trous, et pour faciliter la relance à la récupération. Le 4-2-3-1 voit passer l'élément mobile devant les lignes - d'où les similitudes frappantes entre 4-2-3-1 et 4-4-2. Si l'électron s'attache également à chercher les espaces, c'est pour cette fois créer des brèches rapides dans la défense adverse.
De cette différence fondamentale découlent toutes les autres distinctions entre les deux configurations - mais ces distinctions sont finalement simples à concevoir et à anticiper. Dans le 4-2-3-1, les ailiers ont à peu près le même rôle que dans le 4-3-3, mais avec un appui mobile supplémentaire ; la pointe peut partager la fonction de pivot et se plus consacrer à un rôle de buteur ; les six "défensifs" doivent être plus attentifs, plus mobiles et plus disponibles pour compenser la perte d'un élément.

Dit autrement : conceptuellement parlant, 4-3-3 et 4-2-3-1 tels qu'on les joue dans le Forez sont loin d'être antinomiques. Les fondations sont les mêmes (contrairement à un système à trois défenseurs, par exemple, qui nécessite des adaptations plus profondes). Il s'agit essentiellement d'apporter le surnombre dans l'une ou l'autre des zones de jeu. Cela semble d'autant moins difficile à concilier, que Galette dispose de joueurs expérimentés et intelligents, notamment en défense et au milieu.



2- Ce que nous rappelle la frise chronologique

Tic-tac, tic-tac : le balancier n'a pas terminé sa course. Schématisons : en 2010, les Verts réalisent un début de saison tonitruant en 4-3-3 avant de finir dans le ventre mou. La saison suivante, le 4-2-3-1 a la vie belle (et encore, si Batlles eût été plus jeune...), les stéphanois échouent à accrocher l'Europe lors de la dernière journée. Lors de la faste saison passée, le 4-3-3 est redevenu le paradigme dominant, et ajoute à son actif une coupe et des espoirs crédibles de Ligue des Champions. On le voit bien : si on envisage le mandat Galette dans son ensemble, les deux systèmes se succèdent, sans que la progression globale de l'équipe et de ses résultats ne s'en ressentent. Mieux même : l'amélioration suit, entre 2010 et 2013, un cours linéaire pas si souvent observé que cela en football - et encore moins à Sainté depuis quelques décennies, malgré cette apparente instabilité tactique. Premier constat.

Regardons maintenant les raisons de l'alternance. En 2010, Galette a sans doute choisi le 4-3-3 pour assurer ses arrières : ne pas jouer la relégation une troisième année de suite était un objectif suffisant. En 2011, c'est les grandes manœuvres : l'équipe est bouleversée, et l'entraîneur stéphanois, qui prend petit à petit de l'envergure, veut avoir deux joueurs devant dans l'axe, parce que c'est sa conception du foot. En cours de saison, les limites du système apparaissent : c'est le trauma de la deuxième mi-temps la plus soporifique de l'histoire à Auxerre, ou la défaite surprise à domicile contre l'ETG de Correa.

Le retour au 4-3-3, testé au printemps 2012, apparait comme le meilleur recours à ces limites après la prestation calamiteuse des stéphanois en 4-2-3-1 à Toulouse lors de la deuxième journée de la saison 2012-13. L'équipe atteint alors rapidement son rythme de croisière : elle semble tellement solide au fil du temps qu'on observe de plus en plus fréquemment, en fonction des circonstances du match, le milieu faire une rotation, et l'équipe passer du 4-3-3 au 4-2-3-1 en cours de match sans obérer la qualité de la prestation collective. La longue blessure de Clément et le flop relatif de Bodmer empêchent de consolider cette arme en construction.

On le voit : la stabilité paye en ce sens que, depuis 2011 où il a pu solder l'héritage de la période précédente, Galette a choisi une base, qu'il travaille continuellement, et que 4-2-3-1 et 4-3-3 s'accommodent très bien à cette base.


Conclusion : nouvelle alternance, ou conciliation inédite ?

Depuis le début de saison, on peut grosso modo observer que Saint-Etienne a joué 10 fois en 4-3-3 et 12 fois en 4-2-3-1. On remarquera aussi que le 4-3-3, utilisé lors des 7 premières rencontres de la saison, n'a été revu depuis que lors des absences de Corgnet, ou presque. Devons-nous conclure à une nouvelle alternance ? Ce serait oublier que l'affaiblissement du milieu de terrain et les blessures parfois simultanées des avants-centre n'ont guère laissé le choix du système à Christophe Galtier. Avec la fin des blessures, et un éventuel renfort au milieu, le choix redeviendra possible dès la reprise.

Les matheux remarqueront qu'il manque un match. Il s'agit de celui à Monaco, symbolique de toute cette première moitié de saison. Sainté commence le match en 4-3-3 : dominés et menés, les Verts sont peu dangereux - il faut dire qu'ils sont privés et de sentinelle performante, et de pivot. Pour autant, l'assise est solide : Monaco a fait preuve de beaucoup de réalisme ; le 0-0 ne serait pas volé. Repositionnés dès le retour des vestiaires en 4-2-3-1 avec les mêmes joueurs, l'entame "à l'anglaise" (impact physique, recherche de duels, jeu direct) des Verts permet d'égaliser. La furia initiale se tasse ; le jeu se rééquilibre. Corgnet, entré à l'heure de jeu, alterne le bon et le mauvais. A chaque duel gagné, Monaco met le feu. Sainté a l'occasion de gagner, bouffe la feuille, puis se fait crucifier en toute fin de match.

Avec un peu de recul, cette défaite est un révélateur précieux des vertus et des limites des deux systèmes, qui apparaissent complémentaires. En résumé : l'un apporte de la maîtrise et de la solidité, mais réduit les possibilités offensives ; l'autre permet de créer beaucoup d'occasions et de la folie, mais fragilise l'assise globale. Au lieu des les opposer, apprenons à les combiner, selon les adversaires, les circonstances du match, la forme des uns et des autres. Des Verts divers seront d'autant plus forts et difficiles à contrer.