Préparateur physique des professionnels de l'ASSE, Thierry Cotte a accepté de répondre aux questions des potonautes. Un entretien en quatre volets, voici le premier !
C'est ta sixième saison à l'ASSE. Peux-tu nous rappeler quel a été ton parcours avant de rejoindre Saint-Etienne ? (Aloisio)
J'ai travaillé deux saisons en Angleterre dans le club d'Everton avant d'arriver en France. Avant ça, j'étais chez l'ennemi, j'étais à Lyon. Je travaillais dans un centre de médecine du sport dont le patron était Jean-Marcel Ferret, le médecin de l'Olympique lyonnais et de l'équipe de France. J'ai travaillé huit ans chez lui. C'est justement avec cette société que j'ai pu connaître l'Angleterre. Il est clair que j'ai eu beaucoup de footballeurs à traiter à son contact puisque les joueurs arrivaient d'une manière générale blessés dans ce centre de médecine et ils en sortaient opérationnels. Entretemps ils étaient passés entre les mains des médecin, des kinés en rééducation et puis moi en bout de chaîne, en préparation physique après blessure. Par ailleurs, je faisais aussi de la préparation physique sur des sportifs sains. Cette expérience de huit ans m'a permis de m'occuper d'un grand panel de sportifs, sur lesquels les objectifs étaient différents. J'ai suivi bien sûr énormément de footballeurs mais aussi des athlètes de fond, des nageurs, des cyclistes, des rugbymen. C'est intéressant, ça enrichit la connaissance de la physiologie humaine, l'entraînement… Mais quand même, là où je suis le plus performant, c'est le football. C'est le sport que je pratique depuis mon plus jeune âge. C'est celui dans lequel je me suis spécialisé au travers de mes diplômes.
Comment s'est présentée l'opportunité de rejoindre l'ASSE ? (José)
Elle s'est faite par deux vecteurs : mes deux présidents. Bernard Caïazzo a une fille [ndp2 : Marina] qui était tenniswoman professionnelle à l'époque, formée aux Etats-Unis, à l'école de Nick Bolletieri. J'ai eu l'occasion de l'entraîner cinq ans en préparation physique. Par ce biais-là , j'ai pu connaître son père. En même temps, j'ai rencontré Rolan Romeyer par l'intermédiaire de mon président de la section féminine à Lyon, Monsieur Piémontèse, quelqu'un d'admirable. Comme il n'arrivait pas à me proposer un emploi à temps plein chez lui avec les féminines, il m'a donc proposé à ce moment à Roland Romeyer, lequel m'a accepté sans jamais m'avoir vu travailler. Il a fait confiance à son ami. On a commencé à travailler ensemble à l'époque avec Ivan Hasek. J'étais surtout chargé du centre de formation et je travaillais un petit peu avec les pros sur les joueurs blessés. De fil en aiguille, j'ai fait mon trou et ça s'est bien passé avec les différents coaches. Les présidents étaient satisfaits donc je suis encore en poste aujourd'hui.
Quels sont les diplômes requis pour être préparateur physique ? (Poteau droit)
Il y a plusieurs possibilités pour être préparateur physique. La voie la plus classique est celle de la fédération française de football, qui donne un diplôme de préparateur physique après les diplômes d'entraîneurs. Moi je n'ai pas rempli complètement cette filière. Par contre j'ai poussé à fond une autre filière, l'universitaire. A Grenoble, j'ai fait un DEUG, une licence, une maîtrise. A Saint-Etienne, j'ai fait un DEA et à l'heure actuelle j'essaye de finir un doctorat sur la physiologie du sportif appliqué à l'entraînement de footballeurs. Je reste centré sur l'amélioration de tout ce qui est en lien avec mon travail.
Qu'est-ce qui t'a attiré dans ce métier ? (Poteau gauche)
J'ai toujours aimé entraîner. Assez tôt, je me blesse. A 16 ans je me blesse sérieusement, à 18 ans je me reblesse sérieusement. Même si au départ j'avais l'ambition d'aller le plus loin possible et d'être footballeur professionnel, je me suis rendu compte que mon corps n'était pas capable d'aller jusque là . Je me suis donc orienté sur mes études et tout naturellement, plutôt le métier de professeur d'EPS. Je me disais que n'ayant pas été footballeur professionnel, ça allait être compliqué d'être entraîneur professionnel. Je me suis dit que j'aurai peut-être la chance d'avoir une double casquette : être prof d'EPS d'une part et le soir aller entraîner. C'est ce que j'ai commencé à faire mais je me suis rendu compte que je n'étais vraiment pas fait pour être professeur d'EPS. Ça je l'ai su très vite, pendant ma quatrième année d'étude. C'est à partir de là que je me suis lancé à fond dans la préparation physique. J'a commencé à entraîner à l'âge de 18 ans. Et j'ai commencé vraiment la préparation physique à l'âge de 20 ans. Maintenant j'en ai 38, ça fait donc 18 ans que je fais de la préparation physique. J'en fais tous les jours. Franchement, entraîner le corps, le façonner, le comprendre pour mieux l'entraîner, c'est passionnant ! Et puis c'est sans fin, car on est loin de maîtriser les limites du corps humain.
Comment définirais-tu le rôle d'un préparateur physique dans un club comme l'ASSE ? (Barre transversale)
Il convient de bien distinguer le rôle du préparateur physique chargé du centre de formation et le rôle du préparateur physique des pros. Ce sont deux métiers différents. En ce qui concerne le métier du préparateur au sein d'une équipe professionnelle, ma principale tâche est de gérer la charge de travail pour que l'entraîneur ait en permanence le plus grand nombre de joueurs opérationnels. C'est surtout ça mon boulot, gérer la charge de travail. C'est donc orienter des volumes et des intensités de travail y compris avec le ballon pour qu'une séance collective permette au plus grand nombre de joueurs d'être opérationnels et compétitifs le samedi, et/ou de dire à un entraîneur : "attention, ce joueur je trouve qu'il est un petit peu dans le rouge ces temps ci, eu égard à ses temps de jeu, à ses tests de fatigue, à différents indicateurs permettant d'objectiver la fatigue.
En ce qui concerne le centre de formation, on a un peu moins le souci de la performance du samedi. On fait du développement, ça n'a rien à voir. On va donner la possibilité au corps d'exploiter tout ce qui est en lui, pour que le 100 mètres qui est aujourd'hui couru en 12 secondes soit couru à la fin de l'année en 11 secondes 5. Avec un footballeur professionnel, on n'en est plus là . S'il fait le 100 mètres en 12 secondes, je n'ai pas du tout l'ambition de le faire courir en 11 secondes 5 à la fin de l'année. Peut-être qu'on y arrivera mais ce n'est pas l'enjeu. C'est lui donner la possibilité de faire 38 fois 12 secondes pendant la saison. Le préparateur physique du centre de formation va au contraire tout faire pour le faire courir en 11 secondes 5 à la fin de l'année, quitte à ce qu'il soit fatigué le week-end. Ce qui compte chez ces jeunes là , c'est qu'ils soient bons à 21, 22 ou 23 ans, quand ils vont intégrer l'équipe professionnelle. Les moyens ne sont pas les mêmes, les risques et els prises de risque non plus. Pour autant, ce sont deux facettes du métier de préparateur physique.
Il arrive que des joueurs intègrent l'équipe pro bien avant d'avoir 21 ans. Un garçon comme Kurt Zouma, qui a à peine 17 ans, fait-il l'objet d'une préparation physique spécifique ? (José)
Tout à fait. Il y a plusieurs vitesses dans le travail que je propose selon les âges des joueurs concernés. Il y a des joueurs avec lesquels je suis dans l'entretien en permanence, je pense à des gars qui ont 26 ou 27 ans. A l'inverse, un joueur comme Kurt a rejoint notre groupe à 16 ans et demi. Il a 17 ans maintenant mais il reste dans une phase de développement. Lui, je lui rajoute un petit peu de travail par rapport aux autres car il a encore cette capacité de progresser. Ce serait dommage de ne pas exploiter tout ce qu'il a dans le moteur. Mais en même temps, il n'a pas la même charge que s'il était au centre de formation. Au centre de formation, il aurait par exemple doublé le mardi et le mercredi. Nous on va le faire doubler qu'une seule fois, le mardi. Il faut à tout prix qu'il soit au mieux de sa forme le samedi, pour la compétition. On essaye de tout ménager avec quand même comme seule priorité la performance du samedi. On est payés pour gagner le samedi.
Quels sont les différents cycles de préparation physique sur une saison ? (guinnesstime)
Il y a un premier cycle de six semaines qui correspond à la période de préparation estivale de début de saison. On n'a pas de match de compétition donc là on fait du développement. On a des joueurs qui arrivent à 92% de leurs possibilités, on fait en sorte de les monter progressivement jusqu'à 100%. Il y a des matches amicaux qui s'intègrent là -dedans, mais le souci du préparateur physique à ce moment là , c'est vraiment de développer le potentiel athlétique des joueurs, le potentiel physique. Ensuite, jusqu'à la trêve, il y a une longue période de compétition pendant laquelle – il faut être très honnête – on fait souvent du match par match. Ce qui prime, c'est la performance du samedi.
Si on s'aperçoit qu'on vient de jouer sur un terrain hyper boueux comme à Brest et que ça a lourdement impacté l'organisme des joueurs, du coup on va être obligé d'être beaucoup plus léger les jours qui suivent sur la charge de travail. C'est ce qu'on a fait la semaine qui a suivi notre déplacement à Brest, alors que peut-être on avait prévu de faire une semaine difficile au départ. On est obligé de faire du cas par cas. On s'adapte en permanence. Inversement, si comme contre Nice, le sort a fait qu'on s'est rapidement retrouvé à 11 contre 9, ça veut dire qu'on a peu forcé. Du coup, on peut forcer davantage la semaine d'après à l'entraînement, pour maintenir un certain niveau d'exigence sur les organismes. On est obligés de s'adapter aux aléas de la compétition. Et puis il y a une autre réalité, c'est qu'aucun des joueurs ne fait la même chose sur toute la saison. Ils ont tous un petit bobo chaque semaine, qui les amène à manquer une, deux ou trois séances. Les joueurs n'ont pas les mêmes temps de jeu. Ils ont des programmes supplémentaires car ils ont des fragilités, certains surs les ischios, d'autres sur les chevilles, etc. On fait donc du sur mesure en permanence.
Pendant cette longue période de compétition, on fait un programme commun pour l'équipe, il y a un travail collectif. Dans ce travail là , je m'immisce dans la gestion du volume et de l'intensité pour qu'on ait toujours cet objectif d'être bien le samedi. Ensuite, il y a une part individuelle pour chacun des joueurs, et c'est à moi de la façonner en fonction de la période dans la période dans laquelle se trouve le joueur. S'il est plutôt bien, je vais le faire travailler. S'il est moins bien, j'ai plutôt tendance pour qu'il ait cette possibilité de récupérer.
Il y a la trêve hivernale, qui est très bien pour les organismes et très importante pour la tête. Ça permet de refaire le stock de fraîcheur mentale, ça c'est majeur. Moi je propose quatre ou cinq séances de footing pendant ce temps là car ce n'est pas bon d'arrêter complètement l'organisme. Les joueurs ont des moteurs qui sont habitués à travailler en permanence. Dès qu'ils s'arrêtent, c'est un petit peu long à remettre en route. Ils auront donc des footings très simples avec un petit peu d'abdominaux aussi car c'est important d'entretenir la sangle. Après on va réattaquer avec une mini-préparation parce que le premier match arrive très vite, la coupe de France a lieu dès le premier week-end de janvier. On va effectuer une mini préparation qu'on va étaler sur une dizaine de jours. Il faut être très honnête, quand on s'arrête dix jours, on ne pas espérer être de nouveau à 100% au bout de cinq ou six jours de reprise. Il faut au minimum dix jours. Mais comme tout le monde est dans le même cas, le premier match de Coupe de France se fait avec des joueurs à 98%. C'est valable ici, c'est valable à Paris ou ailleurs.