Buteur lors de la dernière victoire des Verts à Gerland, le designer annécien Gérald Passi nous confie ses impressions avant le derby.


La dernière victoire des Verts à Gerland remonte au 26 février 1993. Quels souvenirs gardes-tu de ce derby ?

J’en garde un souvenir partagé. Bien sûr, j’étais très content d’avoir battu Lyon. L’avant-match avait été très tendu, il y avait pas mal de pression. Gagner dans un tel contexte, c’était vachement bien. Mais autour du terrain, l’ambiance était très particulière. J’ai le souvenir d’une grande tension dans les tribunes et autour du stade. La rivalité entre supporters adverses n’était pas très saine, c’est le moins qu’on puisse dire. L’après-match a été assez mouvementé. Il y a eu de gros problèmes en fait. En sortant, on est tombé sur deux personnes qui ne pouvaient plus rentrer à Sainté ! L’un avait retrouvé sa voiture incendiée, l’autre avait retrouvé la sienne complètement retournée. Notre car s’est dérouté pour leur porter secours. On les a sauvés, un peu comme le font les navigateurs dans le Vendée Globe. J’avais déjà joué quelques derbys auparavant dans ma carrière mais je n’avais jamais assisté à de telles scènes. Ce derby là a vraiment dégénéré, l’environnement était malsain, délétère. J’ai trouvé ça d’autant plus étonnant que d’habitude il n’y avait pas de problèmes en déplacement avec nos supporters. D’habitude c’était plutôt cool mais ce soir là il y avait vraiment une tension énorme. En rentrant à Saint-Etienne après le match, j’ai été vraiment marqué par la joie incroyable qu’il y avait dans la ville. Ça prouve à quel point les Stéphanois attachent de l’importance au derby.

Après le match, l’entraîneur stéphanois Jacques Santini a déclaré : "Je suis content, non pas pour moi, mais parce que si nous avions perdu, les Lyonnais auraient été heureux". T’en penses quoi ?

Sa déclaration illustre bien le fait que je trouve cette confrontation relativement malsaine. Dans mon esprit, tu gagnes avant tout pour toi, et non d'abord pour te réjouir que l’autre ait perdu ! Comment le malheur de tes ennemis peut primer sur ton bonheur ? Y’a un truc qui m’échappe dans ce raisonnement ! En tout cas, ce n'est pas ma façon de voir les choses.

Le match en lui-même, tu t’en souviens ou pas ?

Je ne me rappelle pas dans le détail le déroulement du match. Je sais que j’ai ouvert le score en deuxième mi-temps mais je ne me rappelle plus trop l’action en fait. Autant j’ai encore en mémoire le but que j’ai marqué contre l’OM en coupe, autant je dois avouer que j’ai oublié celui que j’ai mis à Gerland.

T’avais trompé Gilles Rousset d’une frappe des 20 mètres suite à une belle passe transversale de Patrick Moreau.

Bon ben si tu le dis ça doit être ça ! (rires) Et Sylvain Kastendeuch avait mis le deuxième sur pénalty, c’est ça ?

Exact, il avait transformé le péno concédé par Flachez, qui avait fait faute sur Etienne Mendy !

Ouf, ça me rassure, je n’ai pas tout oublié ! rires) Même si je n’ai pas gardé en mémoire toutes les actions du match, il me semble que la rencontre s’était déroulée dans un bon état d’esprit entre joueurs. C’est stimulant de jouer un derby, tu sens que ce n’est pas un match tout à fait comme les autres car la suprématie régionale est en jeu. Ce soir là il y avait eu des débordements entre supporters des deux camps mais sur la pelouse, je n’ai pas le souvenir d’un match particulièrement violent. En tout cas, ce derby reste pour moi le plus fort, le plus marquant que j’ai connu dans ma carrière. Tu éprouves un sentiment de fierté quand tu gagnes un derby, surtout à l’extérieur, dans un contexte hostile. Franchement, c’était bon de battre Lyon. Bien sûr, ce n’était pas le Lyon d’aujourd’hui mais c’était pas évident de gagner à Gerland. Le retour en car vers Sainté a été festif, comme tu peux l’imaginer…

Vaut mieux mettre le feu dans le car que de mettre le feu aux voitures ?

Oui, c’est d’ailleurs le principal enseignement de ce derby, la morale de cette histoire ! (rires)

Le derby, ça représente quoi pour toi ?

J’ai un souci depuis toujours avec le derby. A cette occasion, les supporters deviennent contre nature. On connaît la nature des supporters de chaque équipe. En temps normal, ce ne sont pas des violents, ils ne sont pas impliqués dans des débordements comme peuvent l’être de temps à autres des supporters de l’OM, du PSG ou de Nice. Mais lors du derby, j’ai le sentiment que de nombreux fans de l’ASSE et de l’OL ne se maîtrisent plus, ne sont plus eux-mêmes. Il y a quelque chose de limite, de borderline. Et parfois les limites sont franchies, ça va trop loin et les choses dégénèrent entre supporters. C'est ce qui s'est passé en 1993. Tout ça me met mal à l’aise car ce n’est pas ma conception du foot. En tant que joueur, le derby est un match excitant à disputer mais ça reste bon esprit sur le terrain. Sur le terrain, je n’ai pas le souvenir que les Stéphanois et les Lyonnais se soient frités. Y’a parfois plus d’intensité physique, plus d’engagement dans les duels que dans les autres matches mais ça reste correct.

Les deux clubs ayant de gros matches européens à jouer, le derby suscite-t-il toujours la même ferveur aujourd’hui qu’hier ?

Je pense que le derby déchaînera toujours les passions. Quand je suis arrivé à Saint-Etienne, j’ai vite compris qu’il y avait deux matches plus importants que les autres aux yeux des supporters : Lyon et Marseille. Quel que soit le contexte sportif, quel que soit le classement, quelle que soit la saison, ces deux matches sortent de l’ordinaire pour les supporters stéphanois. Surtout les matches contre Lyon en fait. Le derby reste LE match le plus important pour les fans. Le fait que Saint-Etienne ait retrouvé la coupe d’Europe cette année après une longue absence ne change rien. La rivalité entre les deux clubs est toujours aussi forte, aussi palpable. Quand tu joues à Sainté, tu n’as pas le droit de décevoir contre Lyon. Ça a toujours été comme ça , ce sera toujours comme ça !

Les Verts n’ont plus gagné le derby depuis 1994 et restent sur 18 tentatives infructueuses. Comment expliques-tu cette malédiction ?

14 ans, c’est vrai que ça fait un sacré bail… Il est temps que les Stéphanois renouent avec la victoire ! Franchement, je n’ai pas d’explication à cette mauvaise série. A mon époque, le rapport de force était encore favorable aux Verts, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il faut dire que l’OL domine non seulement Saint-Etienne mais aussi tous les autres clubs français depuis les années 2000. Il ne faut pas oublier non plus qu’au cours de ces quatorze dernières années, Saint-Etienne a joué cinq ou six saisons en deuxième division ! Mais bon, 18 matches sans victoire, ça fait beaucoup…

… beaucoup trop, on est d’accord ! Bon, rassure-nous, la 19ème tentative sera la bonne ?

L’OL reste une grosse équipe mais il n’est pas au mieux cette saison. Comme Saint-Etienne aime les grands matches, je me dis que les Verts ont un bon coup à jouer. Je sens que Sainté peut faire un truc contre Lyon cette année. Les Stéphanois aborderont ce derby comme un match de coupe. Si les Verts s’inspirent de l’état d’esprit qui les anime lorsqu’ils jouent en coupe UEFA, alors tout est possible ! L’ASSE a des arguments à faire valoir. Elle devra cependant monter un autre visage que ce qu’on jusqu’à présent. J’ai vu quasiment tous les matches des Verts à l’extérieur cette saison. Saint-Etienne a fait des matches convaincants à Nancy et à Bordeaux, mais pour le reste ce n’était pas fameux. En fin d’année 2008, les Verts m’avaient un peu rassuré dans le jeu et les résultats s’étaient améliorés. Mais leur situation au classement est redevenue critique. Les Verts manquent de constance. L’équipe a de bons joueurs, on sent qu’il y a du potentiel mais ça ne suffit pas. Les matches basculent souvent en leur défaveur, soit en raison d’erreurs individuelles soit parce que le collectif change complètement de physionomie pendant le match. Il arrive que les Stéphanois déjouent une mi-temps et soient convaincants l’autre mi-temps. Cette inconstance n’est pas rassurante mais je reste malgré tout convaincu qu’ils ont leurs chances à Gerland.

Quelle sera la clé du match ?

On sait que Lyon se repose beaucoup sur Benzema. Les Lyonnais ont tendance à trop jouer sur lui car ils savent que ce joueur peut faire la différence à lui tout seul. Si t’arrives à le juguler, une partie de l’équation lyonnaise est résolue. Bien sûr, il faut également se méfier de Juninho, souvent performant et très motivé dans ce genre de gros matches.

Lors du derby gagné à Gerland 1993, Luhovy et Cuervo ( !) étaient titulaires. Ça laisse de l’espoir pour le derby de dimanche, non ? Des joueurs comme Gomis et Ilan semblent mieux armés pour prendre le dessus sur la défense lyonnaise…

La défense lyonnaise n’est pas imperméable mais il y a quand même du lourd ! Cris, Boumsong, Grosso, c’est quand même pas mal ! Et Fabio Santos se débrouille bien à un poste inhabituel pour lui.

A ton époque aussi y’avait aussi du lourd en face : "Nounours" N’Gotty !

A mon époque il y avait surtout une super défense à Sainté. Deguerville, Kastendeuch, Cyprien, Moreau, c’était du solide ! La défense actuelle de l’ASSE offre moins de garanties mais quand elle déterminée et concentrée, elle est capable de sortir de gros matches. Saint-Etienne a sa chance contre Lyon mais les Verts devront faire un match plein et éviter de retomber dans leurs périodes creuses qui ont plombé certains de leurs matches, notamment en début de saison. Au début du championnat, les Stéphanois donnaient souvent l’impression d’avoir la maîtrise du jeu avant de baisser de pied et de perdre leur concentration d’un seul coup. Suite au changement d’entraîneur, les Verts semblaient avoir progressé sur ce point là. Ils sont repartis sur de meilleures bases, ont obtenu quelques résultats rassurants mais on se rend compte depuis deux ou trois matches que le problème n’est pas complètement réglé. Sainté a du mal à se mettre à l’abri dans ses temps forts et concède souvent des buts dans ses temps faibles. Cette équipe est capable d’élever son niveau de jeu, elle l’a notamment démontré en coupe UEFA. C’est pour ça que j’estime qu’elle a ses chances à Lyon. Y'a un truc à faire à Gerland. Mais en championnat l'ASSE n’a pas beaucoup de marge sur les relégables.

Penses-tu malgré tout que Sainté devrait se maintenir sans trop de problèmes ?

Je suis encore inquiet. Je pense que les Verts vont galérer. Il y a du matériel, des bons joueurs, du potentiel. Mais ce serait dangereux de se rassurer avec ça en minimisant les risques de relégation. Je fais partie de ceux qui préfèrent tirer la sonnette d’alarme maintenant sans attendre qu’elle se déclenche. La fin de saison va être compliquée, au fil des journées elle pourrait même devenir de plus en plus stressante. Saint-Etienne doit lutter pour le maintien alors que les Verts avaient de tout autres objectifs en début de saison. C’est plus dur pour Sainté de réagir mentalement que pour des équipes comme Valenciennes, Sochaux ou Nantes. Ces équipes sont dans l’état d’esprit du maintien depuis le début de saison.

A l’issue de la dernière victoire des Verts à Gerland, l’entraîneur lyonnais Raymond Domenech a déclaré : "Ce match, Saint-Etienne l’a joué avec un esprit de coupe d’Europe, et nous comme un match de gala". Penses-tu que dimanche soir Claude Puel fera le même constat dépité ?

J’aime beaucoup Claude, je le connais bien, mais ça ne me déplairait pas qu’il fasse un tel constat à l’issue du derby. J’espère que Saint-Etienne endossera son costume européen et reviendra de Gerland avec un résultat positif.