Trente-trois secondes de la vie d’un match, ou l'occasion de voir la partie immergée de l'iceberg.
Avant d’entamer une deuxième partie de saison qui s’annonce passionnante, l’Autre Résumé sort de ses vacances forcées pour essayer une nouvelle méthode : tirer la substantifique moelle d’une action précise. En effet, un seul mouvement peut parfois en dire autant sur une équipe que dix résumés de matches…
Pour ce faire, nous avons choisi une tentative stéphanoise face à Rosenborg fin novembre. Pourquoi cette action précise ? Nous sommes au lendemain de Noël. Noël est censée être la naissance de Jésus. Or Jésus est mort à 33 ans ; il est donc logique de se consacrer à une action qui dure 33 secondes. De plus, le Père Noël vient du nord : rien de plus normal que de lorgner du côté de la Norvège. Enfin, c’est suite à ce match que la qualif’ a été acquise, joli cadeau de Noël s’il en est.
Trêve de balivernes.
Rappelons rapidement la composition : Ruffier dans les buts ; Polomat et Perrin en défense centrale ; Assou-Ekotto et Clerc à gauche et à droite de la défense ; Pajot et Clément à l’entrejeu et enfin une ligne KMP-Cohade-Hamouma pur soutenir Roux, seul en pointe. En face, Rosenborg joue en 4141.
PHASE 1 : INCUBATION – 5''
Au commencement était une faute. BAE joue le coup-franc vers l’arrière, direction Polomat, qui transmet à Perrin dans la foulée.
Perrin est très souvent le premier relanceur de l’équipe. Dans les temps morts, quand les blocs sont bien en place, ou quand ils ont décidé de casser le rythme, les stéphanois confient en général à Dieu la prime initiative.
PHASE 2 : PREPARATION – 19''
La balle arrive à Loïc Perrin. C’est là que les choses sérieuses commencent.
Tout Dieu qu’il est, le capitaine ne peut ouvrir les verrous norvégiens aussi facilement que les flots de la mer Rouge. Les deux défenseurs centraux observent le jeu, s’échangent la balle deux ou trois fois, mais aucune solution satisfaisante n’apparaît dans l’axe. On le voit mieux sur l’image suivante, mais les deux milieux Clément et Pajot, qui pourraient faire le relais, sont suivis de près.
11’' s’écoulent ainsi, dans l’immobilisme et le jaugeage de situation. Oui, le tiers du temps total de l’action.
Enfin Perrin donne une impulsion, et écarte sur François Clerc à 13’27. Ce dernier porte la balle, fait mine de déclencher une passe longue dans le couloir, pour se retourner finalement.
L’ailier gauche norvégien met à Clerc une grosse pression - la situation se complique grandement. La solution la plus facile, c’est Perrin mais Soderlund se dirige logiquement vers lui pour le bloquer. Si Clerc n’agit pas vite, Dieu sera bloqué ; il ne restera plus alors qu’à faire une passe hasardeuse vers Ruffier, ou tenter d’obtenir une touche – situation qu’on observe très régulièrement, et dont le résultat est souvent décevant.
Clerc choisit Perrin. Soderlund, quant à lui, a anticipé une possible passe vers Ruffier : Perrin aurait donc pu avoir du temps. Mais il a pris sa décision avant de recevoir la balle, et joue sans contrôle.
Moralité de la phase de préparation : c’est l’une des grandes différences entre 4231 et 433/4141. Si Sainté avait évolué comme en 2013 en 4141, un joueur supplémentaire aurait été disponible pour cette phase – Clément, par exemple. Il aurait été alors plus facile de s’extraire du marquage norvégien, et probablement la balle aurait passé la ligne médiane bien plus tôt. Mais un homme en moins quelque part = un homme en plus ailleurs. Cet homme en plus ailleurs, on le retrouve dans 10''...
PHASE 3 : DECALAGE – 4''
Revenons à la passe immédiate de Perrin. Quel est son choix ? L’entrejeu n’étant pas disponible, il ne peut que sauter une ligne – au moins. On aurait pu observer une longue praline sans avenir autre que les bras du gardien ou les limbes footballistiques. Heureusement cette fois, les attaquants Verts ont bien coulissé : Nolan Roux et Hamouma ont permuté ; Roux décroche et se retrouve dos au but, en position de pivot excentré.
Après 24'' de possession, la balle sort enfin de la zone de défense. Il en reste 9 avant la conclusion.
En attendant, Roux à fort à faire parce que sa situation n’est clairement pas simple. Il réussit alors l’action parfaite : il conserve suffisamment longtemps pour permettre à ses partenaires de se mettre en place, et trouve en plus le moyen de se retourner et de se mettre en position de lancer pour de bon l’attaque.
4'' de conservation de balle, c’est énorme dans cette situation : il n’en faudra plus que 5 pour aller à la frappe ! Les choses sont en place : en décrochant, Roux a attiré le latéral gauche adverse. Hamouma plonge intelligemment dans l’espace : le défenseur central gauche doit le suivre pour compenser, ce qui oblige la sentinelle à descendre d’un cran pour compenser cette compensation. Quant au rôle d’avant-centre stéphanois, c’est Pajot qui va l’occuper (et monopoliser la ligne défensive adverse) en poussant sa course jusqu’au bout.
Moralité : vous avez besoin d’une preuve supplémentaire de l’importance de disposer d’un pivot de qualité ? C’est clairement cette réussite de Roux qui fait basculer l’action vers la possibilité du but.
On pourrait cependant élargir en remarquant que dans un autre système que celui adopté par Rosenborg, il est plus aisé de squatter entre la défense et le milieu (puisqu’il n’y a pas de sentinelle) et que par conséquent on peut plus facilement s’en tirer sans un pivot. Par exemple, avec un numéro 10 qui navigue - le boulot habituel d'Eysseric, en somme.
PHASE 4 : CONCLUSION – 5''
Roux s’appuie sur Clerc pour lancer Hamouma dans les meilleures conditions possibles. Rosenborg est déséquilibré ; le décalage est créé ; les Verts ont l’avantage de l’initiative : il n’y a plus qu’à conclure !
Arrivé ici, la clé, c’est l’utilisation des espaces créés par le déséquilibre adverse. Par le jeu des compensations, c’est donc l’espace laissé par la sentinelle qui est disponible.
Cohade et Roux s’y précipitent logiquement, et Hamouma n’a pas de problème à transmettre proprement.
En fin de compte, on arrive à une situation idéale : Cohade est en possession du ballon, plein axe, avec du temps pour décider quoi faire. Vous l'aurez noté, Cohade est exactement "l'homme en plus ailleurs" évoqué pendant la phase de préparation. Tout a fonctionné comme sur des roulettes.
A partir de là on peut faire la fine bouche : Pajot fait certes son boulot, qui est de retenir au moins un défenseur adverse, et l’on imagine que Clément reste en retrait pour couvrir une éventuelle contre-attaque. Mais Roux est trop proche de Cohade (partant, inutile) et surtout le côté gauche manque à l’appel : pour des raisons inexplicables à partir des images, ni KMP ni BAE n’ont fait l’effort.
Cohade n’a donc qu’une solution : frapper. Elle n’est pas si mauvaise, et la probabilité de but est loin d’être négligeable. Las : la tentative de l’ancien valenciennois est certes cadrée, mais trop molle pour être dangereuse.
Moralité : comme trop souvent, alors que le plus dur est fait, l’opportunité est gâchée par des carences dans la zone de vérité. Ici, on a un mix geste individuel insuffisant (la frappe de Cohade) et intelligence collective lacunaire (déplacement de Roux et absence de l’aile gauche). Mais dans d’autres cas, on verra une tentative de combinaison mal assurée techniquement, un dribble superfétatoire ou simplement une mauvaise décision.
Voilà un bel axe de progression pour 2016.