Ca y est, on y était. Revenus.
Revenus dans les années soixante-dix. Debout, hurlant ma joie, criant ma rage, j’ai immédiatement pensé à Sainté-Kiev.
Ce troisième but de Rocheteau, et dans le foulée les photographes qui envahissent le terrain, courant à la fois après les joueurs et le cliché idéal.
Là ce furent ces supporters qui franchissent les barrières et viennent célébrer le buteur sur la pelouse alors que le match n’est pas fini. Et puis quelques secondes plus tard cet envahissement de terrain. J’ai passé l’âge ? Sans doute, mais mon fils non, alors allons-y (Jérôme) Alonzo. Ouvrons les portes à la folie, la perte de contrôle, la joyeuse démesure, le n’importe quoi jouissif, le bonheur et l’hystérie conjugués à la première personne du pluriel : nous sommes en finale ! Et Perrin que c’est bon !
Perrin que ce fut bon, cette manifestation débordante de plaisir, comme un triple clin d’œil magnifique.
Un clin d’œil d’abord à tout ce qui fait qu’on est Sainté : cette histoire unique, faite d’emportements incomparables, de triomphes renversants, d’impossible n’est pas stéphanois, de chaudron dopant. C’est Split, c’est Kiev évidemment. C’est Anderlecht aussi. C’est le 100ème et la lunette de Payet. C’est Ryad et Robert cette année. Ce sont toutes ces tables renversées, ces destins retournés. Ces pieds de nez à la morosité. Cette force décuplée des perdants. C’est le fil conducteur, le trait commun, l’adn de ce club. La passion comme un volcan en sommeil, dont les réveils sont systématiquement spectaculaires, invariablement mémorables.
Un clin d’œil ensuite à tout ce qui a précédé : toutes ces souffrances de ces trop longs mois, cette campagne européenne indigne, ces non-matchs en championnat, ces innombrables blessures, cette médiocrité qui semble avoir métastasé tout le club. C’est ce derby perdu quatre jours plus tôt… Cette saison foireuse où les illusions se font la malle chaque week-end, ce regard de plus en plus rivé dans le rétro à compter les moribonds qui ont encore, mais pour combien de temps, la bienveillance de rester à distance. Cette conviction forgée en plein cœur de l’hiver, que nous sommes abonnés pour la saison au club des maudits. Et puis ce bonheur comme un miracle de voir des joueurs à genoux, allongés, dépités, hébétés, anéantis … mais dans le camp d’en face.
Un clin d’œil enfin à tout ce qui allait suivre, comme un baisser de rideau fourcadien, une ultime allégresse avant le huis-clos, avant le silence, avant le confinement qui n’empêche pas les cons finis et leurs calculs honteux. Les masques ne peuvent rien contre le virus de la connerie.
On a peut-être refermé le couvercle du grand barnum pour de longues semaines. Mais on s’engouffre dans le long tunnel escorté du plus beau souvenir qui soit. On n’a rien gagné non, ce fameux jeudi contre Rennes. Rien. Rien d’autre que ce plaisir infini de ré-entendre enfin cette musique douce, cet air réconfortant qui nous dit que les grands clubs ne meurent jamais, qu’il ne faut jamais totalement désespérer des Verts.
Qui aurait parié que Boudebouz, malmené, outragé, brisé, martyrisé car si transparent tout au long de la saison, serait libéré et libérateur pour tout un peuple ? Boudebouz à la baguette sur nos deux seuls plaisirs de l’année…
Qui peut après ça affirmer que rien ne bon ne nous arrivera plus ?