Voilà, Monsieur le Juge, je me présente. Je m’appelle Laurent Roussey. Lolo de Montreynaud pour les intimes.
Ce surnom vient du fait que j’ai souvent le regard pointé sur la tour de Montreynaud et son cône àl’envers, comme un demi sablier en équilibre précaire. Ce cône m’inspire, m’hypnotise. Je me sers souvent de son image pour expliquer àmes esclaves que l’homme est comme le sable, il faut l’affiner, le filtrer pour qu’il passe dans le tout petit trou par lequel on veut qu’il passe, pour le rendre meilleur, après lui avoir enlevé tous ses défauts et ses impuretés.
Cette tour, c’est un symbole. Mon symbole. Elle domine le stade Geoffroy Guichard dans lequel évolue mon équipe de jeunes cons en cours de formatage. Cette équipe évolue mal d’ailleurs, ou plutôt très lentement, à cause de certains éléments nonchalants et résistants à ma psychologie. Et puis, il faut dire que les toits de tribunes ne permettent pas à mes cobayes de voir le cône pendant les matches. Ils ne profitent pas ainsi de son influence métaphysique, transcendantale et de mes idées qui s‘y accumulent à chaque fois que je le regarde. Alors il va falloir virer le toit du Kop Nord et la moitié de la tribune qui en cache la vue. J’en ai causé au Demi Président Virgule Cinq , qui demi préside le club que ma Sérénité a bien voulu entraîner, coacher, manager et guider vers le renouveau. Comme il est subjugué par les radiations de mes réflexions, il en a touché un mot au Maire, un homme d’une logique électorale implacable, qui va toujours dans le sens inverse de celui de la population. De toute manière, Monsieur le Juge, le peuple ne comprends jamais rien. Donc, il faut imposer. Taxer le cas échéant. Puis sévir, battre, torturer psychiquement d’abord, physiquement ensuite, pour finir par éliminer. Merde alors, il faut quand même savoir qui est le chef !
Le Maire étudie mon idée de destruction avec intérêt. Il a créé une Commission, et embauché un spécialiste international en relations humaines et perspectives coniques, payé grassement pour dégraisser. Un antidote en quelque sorte. Quel homme, ce Maire ! Avant lui, le chaos. Depuis lui, Saint Etienne c’est :
- des transports en commun hyper améliorés, avec obligation de passer par la gare pour admirer l‘architecture du siège social de Casino;
- la fluidité de la circulation en ville, digne de Naples un jour d’éruption du Vésuve;
- un plan de circulation tellement inextricable, que même les GPS les plus perfectionnés y perdent le latin qu’ils n’ont jamais eu. Même les Stéphanois de naissance, qui ont arpenté la ville en long, en large et en traviole, ne s'y trouvent plus avec leur voiture;
- une police municipale élégante, aux membres souriants, polis, graciles, des gens très bien... Bêtes, méchants et verbalisateurs comme je les aime. L’ordre, il n y a que ça. Et la discipline aussi, bordel ! Oh, pardon, Monsieur le Juge. Ne croyez surtout pas que je sois autoritaire. Je suis juste perfectionniste. Je n'aime que la musique militaire, j'aime que mes hommes marchent au pas sans qu'aucun ne dépasse. Si ce n'est pas le cas, je sanctionne, je taille à la serpe. J’ai d’ailleurs nommé mes chiens : Adolf, Benito et Jean-Marie, en hommage à ces grands hommes qui ont marqué leur temps pour avoir voulu atteindre à la perfection absolue. C’est vous dire.
Donc, j’en reviens au Maire. Avec lui, tout va bien. Sauf le club de football qui merdouille. Et tout le monde ici s’est prosterné devant ma Grandeur pour que j’accepte de redorer le lustre d’antan. C’est donc pour cela, Monsieur le Juge, que je suis ici devant vous pour expliquer, et justifier mon geste d’énervement lorsque j’ai tenté d’étrangler David Gigliotti, qui a loupé les cages quasiment vides, lorsque que je l’ai fait entrer en jeu, généreusement pour les 6 minutes et 30 secondes qui restaient à jouer contre les Marseillais. S’il avait seulement raté les cages, par bêtise, je l’aurais simplement fouetté. Mais, là , Monsieur le Juge, je suis sûr qu’il l’a fait exprès pour m’embêter. Ca se voyait à son regard narquois. La discipline, merde ! Alors je lui ai sauté au cou, et s’il n’y avait eu ce con d’arbitre pour me l’enlever des mains, il serait aujourd’hui à sucer les barabans par les racines. Moi qui dis toujours à mes gladiateurs qu’il ne faut jamais vendre la peau de l’arbitre avant de l’avoir tué, je me suis fait avoir comme un bleu. Donc, Monsieur le Juge, je ne me sens coupable que d’une seule chose : avoir failli à mon devoir en n’éliminant pas ce traîne savate plus tôt. Si vous décidez de me sanctionner sur cette erreur, la seule que je reconnaisse, je l’accepterai sans sourciller.
En fait, Monsieur le Juge, Lolo de Montreynaud n’a pas d’intimes. Lolo de Montreynaud est le chef. Le seul chef. Et pas un Demi Chef Virgule Cinq. Non, Monsieur le Juge, Lolo est un dur, un vrai. Même le futur Ministre des Sports c’est de la guimauve à côté de lui. Néanmoins la même école. La même psychologie. La philosophie du turn over. Et quand ça ne marche pas, on tourne au rouge. On verbalise. On sanctionne. On décapite. On tranche. On sulfate. On disperse. On pulvérise. Tenez, Monsieur le Juge ! Le mot "pulvériser" est assurément le plus beau mot de la langue française. Avec martyriser, aussi. Ou torturiser. Ou sodomiser, pour les Lyonnais.
Donc, Monsieur le Juge, comme vous avez sans doute pu le comprendre, ou alors c’est grave, je suis entraîneur de Ligue I, donc pas la moitié d’un con. Les demi cons sont en Ligue 2, et les cons tout court en National.
J’ai connu tous les niveaux de la connerie. J’ai gravi tous les échelons. Je suis passé par tous les clubs de France qui ont viré leur entraîneur pour faillite, banqueroute, rétrogradation financière, conflits internes et d’autres choses encore plus sombres. Le club de Rouen, la capitale de l’allumette. Celui de Créteil Lusitanos, capitale de la morue. Celui de Sion en Suisse, capitale de rien du tout. Puis j’ai atterri à Lille, où j’ai appris le métier et toute la panoplie des outils psychologiques, qu’il faut savoir maîtriser pour réussir, avec le grand Claude Puel, qui m’a irradié de ses colères, de ses encycliques et de ses silences. Il m’a fait potasser le Code Civil du parfait footballeur écrit par Napoléon, comme vous le savez. Et nous avons expérimenté les sanctions. Un large panel. Sur un Grec, Tavlaridis, que j’ai amené ici à Saint Etienne dans mes bagages. Un homme discipliné, qui aime la rigueur, et se fait respecter en sortant sa boîte à gifles, ou en chassant les mouches à merde avec les coudes. Le seul problème, Monsieur le Juge, c’est que les arbitres n’ont pas le sens de la mesure, et n’ont pas étudié le bon texte. Eux, ils lisent le Code Civil du parfait arbitre rédigé par Jean-Michel Aulas. D’où le conflit qui règne entre eux et Tavlaridis, qui collectionne ses cartons rouges et jaunes dans un album philatélique. Il attaque d'ailleurs le troisième volume.
Enfin, après Lille, j’ai débarqué ici à Saint Etienne où j’ai d’ailleurs commencé une brillante carrière, il y a bien longtemps.
En effet, Monsieur le Juge, je suis né à Nîmes, une bourgade à côté de Montpellier, ou l’inverse, je ne sais plus qui est qui. Ensuite j’ai commencé ma formation à Mazargues, là où ça pue le poisson pourri et les magouilles non moins pourries. Comme je ne pouvais plus y respirer, mes parents m’ont envoyé à Saint Etienne, pour le bon air, et pour me caser en se mettant à l’abri du besoin. Donc, comme vous pouvez le comprendre, Monsieur le Juge, j’ai été ballotté de familles d’accueil en centres de formation, et ma formation en a été perturbée. J’ai ainsi été très mal fini. J’ai commencé à jouer en Ligue I lorsque j’avais à peine 16 ans, sous la houlette du grand Merlin, lui aussi un homme d’ordre, qui sortait d’une période faste avec le club, et qui entrait dans une période éthylique, accentuée par une sombre affaire de cul et de caisse noire. Puis j’ai sombré. Sans doute parce qu’on m’a fait jouer trop jeune à ce niveau. Comme Mozart au Rapid de Vienne.
Et puis me voilà , Monsieur le Juge, devant vous. Parce que à la fin du match contre Marseille, j’ai tenté d’étrangler Bafétimbi Gomis… Parce qu’il a loupé une tête évidemment facile, et qu’il n’a pas ainsi respecté les consignes de discipline et de rigueur que je lui inculque depuis des semaines… Parce qu’il n’a pas respecté non plus son compatriote, Tvalaridis, qui, lui, aurait mis le but et envoyé deux défenseurs phocéens à l’hôpital. Je vous le dis, Monsieur le Juge, de la discipline, bordel ! Il a encore fallu cet arbitre, au demeurant aveugle durant le match, pour m’enlever Gomis des mains, sinon à l’heure qu’il est il mangerait sa Féta Salakis avec Mélina Mercouri sur son nuage.
Vous savez, Monsieur le Juge, le métier d’entraîneur est un dur travail de psychologie. Dans ce domaine, je suis imbattable. Il y a plein de psychologues dans ma famille. Pas un Autrichien. Rien que des Marseillais. Autant vous dire des Maîtres. Mais malgré tout mon immense talent qui obligera la science à étudier mon cerveau lorsque je serai mort, il y a un élément frondeur qui m’horripile : un Suédois, Nilsson. Je ne sais quelle idée m’a traversé la tête en recrutant ce Viking, mais il passe son temps à se vautrer sur les bancs de touche, et à me regarder avec un sourire en coin, l’air de se foutre de ma sale gueule. Alors, Monsieur le Juge, si je suis à présent devant vous, vous pourrez le comprendre, c’est parce que lors du match contre les Olympiens, ce club à l’étoile illégale, il s’est tellement marré que ça m’a court-circuité le système nerveux, et mes mains ne m’ont plus obéi pour se précipiter sur son cou et tenter de l’étrangler. S’il n’y avait pas eu cet arbitre de malheur, le Suédois serait à cette heure-ci en train de grignoter ses Krisspols en enfer. Et nous aurions mis hors de nuire trois éléments destructeurs. Et fini le turn over. Plus de remplaçants. Une seule équipe de commandos. Je n'aurais plus qu'à me les rouler. Fini le mauvais sang, la râpée survitaminée. J'irai à la pêche au thon à Andrézieux. Seulement voilà , l'arbitre en a décidé autrement. Ce qui est ni plus ni moins un délit d'ingérence dans les affaires d'un club. Aussi, je vous prie, Monsieur le Juge, de discerner le bien du mal et de condamner aux fers cet arbitre autoritaire.
Par contre, Monsieur le juge, pour étayer ma défense, je souhaiterais que vous entendiez mon témoin de moralité, Geoffrey Dernis, un Grec qui respecte les règles que j‘instaure, lui. Il vous expliquera comment il s’était égaré depuis plusieurs semaines, et comment à coups de nuit blanches à lire le Code Civil du parfait footballeur, à coups de décharges électriques envoyées sur son siège du vestiaire, spécialement aménagé pour lui faire entendre raison, et à coups de voyages répétés à Lourdes, pieds nus et une couronne d’épine sur la tête, comment donc il a tiré comme une mule samedi soir, et envoyé la balle dans la lucarne marseillaise. Ce qui prouve que mes mesures mènent à un résultat brillant. Que ma psychologuie est avant-gardiste.
Voilà , Monsieur le Juge, je n’ai plus rien à ajouter pour ma défense. Mais j’ai confiance. Nul ne doute ici que vous saurez comprendre mes différents gestes qui, même s’ils sont toujours identiques, ne sont pas dû à un vice, à une manie, mais à une forte envie, à un sens de la psychologie qui me poussent à mener mon groupe d’esclaves vers le rachat de leur liberté, en atteignant à la perfection par la rigueur et la discipline.
Et puis, Lolo de Montreynaud sait se faire respecter. Bordel ! Comme tous les grands entraîneurs à qui je sers de modèle.
N’est-ce pas Raymond !
N'est-ce pas Guy !
N'est-ce pas Vahid !
Laurent Roussey devant le Juge !
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