Vendredi matin, comme souvent, je refaisais le match avec l'ami potonaute Moufles, compagnon de nombreuses fortunes et infortunes vertes.
Y a ceux qui vivent le match depuis le Chaudron, et il y a les éternels exilés, condamnés au streaming. Malgré l'éloignement, Moufles a vibré. Et quand Moufles vibre, il prend la prose, pour notre plus grand plaisir.
Ces derniers temps, sous les coups de boutoir de la médiocrité affligée sur le pré, GG, je me suis souvent posé cette vague question philosophique et existentielle, que tout un chacun, où qu'il se trouve géographiquement dans cette merveilleuse humanité, est en droit de se poser : pourquoi, en 2016, supporterais-je les Verts ? Dans ce monde sans cul ni tête transpercé de toute part de beaux et nobles sentiments d'esthétismes académiques, dans nos sociétés de toutes les antinomies baignées tout à la fois par la pauvreté intellectuelle du quidam footeux moyen peroxydé, et tatoué, mais aussi par notre facilité à apprécier le beau jeu, exposées comme rarement par une vacuité savamment et méthodologiquement entretenue par la sphère footballistique et médiatique, je repose la question : pourquoi supporterais-je les Verts ?
A cette question, un seul et unique débat n'y suffirait pas. La réponse est protéiforme. Elle transpire néanmoins depuis la trêve estivale des grandes compétitions de coupes de cheveux. Elle se poursuit pendant la préparation a posteriori cataclysmique, mais néanmoins physique, de nos futurs héros de la prochaine saison car, comme tout un chacun le sait, la vie du supporter des Verts ne se compte pas en années civiles, mais en saisons, et s'achève, après 800 à 1000 pages de mercato pour dire souvent, mais n'y voyez pas malice car j'adore les lire, "rien dire du tout", et finalement recruter des seconds rôles et des laissés-pour-compte du bigger championship of the universe, enfin... C'est comme cela que cela nous a été vendu.
La trêve estivale ne nous aura donc pas permis de nous départir de notre allégresse dans le vilain jeu. Depuis la fin de l'Euro, même la pelouse a décidé d'épouser en secondes noces ses, ou ces, c'est selon, mauvaises herbes vertes. Nous vivons depuis juillet, date du premier match des préliminaires de l'EL, dans une sorte d'apnée xérophile, une atmosphère absolument novatrice en termes d'émotions puisque chaque jour qui passe nous fait ressasser comme des vieux la seule et unique question qui vaille dans ce bas monde : allons-nous mieux jouer ?
C'est vrai qu'il y en a tellement de plus beaux, de plus novateurs, de plus artistiques, de plus chatoyants, de jeux. C'est vrai que souvent, on s'agace. Avouons-le. Depuis Paris jusqu'à Nice, en passant par Lyon et Monaco, que du beau jeu. Que des beaux gars tatoués jouant aux mauvais garçons mais néanmoins sympathiques. Que des footeux à l'aisance technique digne des plus belles pirouettes cacahuètes de la GRS. Que des publics amateurs finalement de beaux jeux, où les people hommes le disputent aux tops femmes des footeux, vous savez ces gars qui jouent au ballon en bas, sur la belle pelouse, la vraie, pas celle qu'on voit parfois sur des écrans en noir et blanc, au raz du forez.
A tous les amoureux du soi-disant beau jeu, à tous les censeurs professionnels de Sainté, hâbleurs à vos heures perdues, hurleurs avec les loups, et vous êtes nombreux, j'ai envie de vous dire que nous n'avons pas été élevés dans le même esprit de liberté, d'égalité et de fraternité. J'aime Sainté parce que depuis mes premiers pas à GG en 87, j'ai ressenti une ville, une région, un pays, entièrement tournés vers des valeurs de travail, d'honneur, de probité et d'abnégation. J'ai à chaque fois respiré l'odeur du labeur qui accable souvent, de la charge du fardeau du passé, des équipes passables et des joueurs limités mais jamais, jamais, la flamme ne s'est éteinte, et Perrin sait qu'il en fallait du courage pour s'extraire des guêpiers nombreux qui jalonnèrent ces trois dernières décennies. J'aime Sainté.
L'équipe de cette saison pue la sueur et le casse-croûte de 6 heures, après le marché de Rungis, à la lueur des lampes à incandescence. Elle respire les mains sales des travailleurs, l'envie d'aller au-delà de ce qui est raisonnable pour obtenir la récompense au bout du bout, quand il ne reste plus rien que l'espoir d'une improbable histoire belge lorsque tu as bien fait le boulot pendant 94 minutes. L'égalisation d'hier, c'est notre salaire à la fin du mois. C'est l'aboutissement d'un truc tellement plus profond qu'un simple match de foot. Les mecs qui commentent notre performance dans les médias ne peuvent pas comprendre. Ne peuvent pas nous comprendre. Ils vivent dans un monde parallèle, chez Oui-Oui, là où tout est beau, tout est gentil. C'est pour ça que notre monde, et pas que footballistique, s'écroule. Il y a une telle dichotomie, une telle érosion des valeurs qui, justement, n'en sont plus. Tu joues / bosses plus pour ta valeur. Tu joues / bosses pour de l’esbroufe. Tu joues plus sur le pré, mais sur une vague idée des qualités intrinsèques des uns et des autres, comme sur Play-Station. Et si ça ne suffit pas, l'arbitre décide in fine qui gagne, qui perd. Moi je ne comprends pas les Verts. Ils ont décidé cette saison -semble-t-il- de refuser toute cette belle prose écrite à l'avance. Ils refusent de bosser pour les clopinettes du top 6 alors qu'ils pourraient viser le top 3. Alors quoi ? Même les blessés semblent habiter de leur talent les valides.
Je ne sais pas où va nous mener cette saison, mais rien que de voir Moulin récupérer des ballons du torse lorsque d'autres gardiens s'autoriseraient à poser les mains, rien que d'imaginer notre paquet de monnaie pistonner vers l'arrière pour mieux balancer la balle en avant, rien que d'imaginer une nouvelle histoire belge chez inter POL dimanche soir, je me dis qu'il n'y a définitivement que les Verts pour nous faire vivre de tels beaux moments, qui ne doivent jamais être confondus avec le beau jeu.
Moufles