La CAN est au menu du sixième et avant-dernier volet du long entretien que Robert Nouzaret nous a accordé.
On se souvient que lors de la saison 1999-2000, l’équipe avait eu un coup de mou pendant la CAN avec les absences de Lucien Mettomo et Pape Sarr. Malgré les absences de Faouzi Ghoulam et de Max Gradel, Saint Etienne a fait un super mois de janvier, comment analyses-tu cela ?
Il y avait Guel en plus de Mettomo et Sarr... Je pense qu’a l’époque ces trois joueurs avaient beaucoup plus d’importance que les Verts qui sont partis à la dernière CAN. Nous n’avions pas les doublures que Galtier a eues. Il y a eu un recrutement de fait et ils ne se sont pas gourés.
N’est-ce pas un point de différence entre ton époque et aujourd’hui ? Quand on regarde le banc stéphanois aujourd’hui, on se dit qu’il y a pléthore de joueurs de qualité. N’avais-tu pas un effectif plus limité lorsque certains cadres étaient absents ?
Peut-être à certains postes mais moins à d’autres puisqu'on avait gardé l’équipe qui était montée. Il est vrai que si cette CAN n’est pas prévue dans le recrutement par les clubs lorsqu’elle a lieu, les clubs sont en danger. Ce qui est surprenant, c’est que des clubs continuent a ne pas prévoir ça.
On sait que tu as eu sous ta direction plusieurs sélections nationales : la Cote d’Ivoire, la Guinée et la République Démocratique du Congo. Quelques mots sur les Ivoiriens, une génération exceptionnelle qui au final n’aura pas réussi à remporter le titre. Qu'en penses-tu ?
Le fait d’avoir presque les meilleurs joueurs africains a des postes importants, qui jouent dans des grands clubs européens, ne permet pas toujours d’avoir la meilleure équipe. Il a dû certainement y avoir un manque quelque part. J’ai mis en place la plupart de cette équipe, après il y a eu Henri Michel, ensuite il y a eu Gérard Gili, et après Lamouchi, et le résultat est toujours le même donc il a dû y avoir quelque chose qui leur a empêché de gagner un titre parce que ça paraît impensable que cette équipe n’ait jamais gagne une CAN. Ils sont qualifiés à toutes les CAN, ils sont toujours arrivés dans le dernier carré , ils se sont toujours qualifiés a la Coupe du Monde, alors que d’autres équipes comme le Ghana ont touché les demi-finales, alors c’est très frustrant. Est-ce qu’il y a un esprit d’équipe qui ne s’est pas dégagé ? Est ce qu’il y a des problèmes internes ? Je ne sais pas, il faudrait être dedans pour le savoir.
Quelques mots sur l’équipe de la République Démocratique du Congo que tu as eue sous ta direction....Quel regard portes-tu sur sa performance lors de la dernière CAN ?
Pour le match contre le Ghana, j’ai d’abord vu une équipe composée à 95% de joueurs que j’ai utilisés. Ils m’ont fait une très bonne impression pour leur match et après ils se sont effrités. C’est dommage parce qu’ils auraient pu faire quelque chose. Je connais bien la RDC, c’est un pays qui a un devenir incroyable au niveau footballistique mais qui n’a pas une fédération au niveau, et qui n’a pas une politique sportive adaptée à la puissance footballistique de ce pays. C’est malheureusement le problème de beaucoup de pays en Afrique, ils ne basent pas assez leur travail sur la formation, ils sont trop pressés.
Est-ce le même constat que tu avais fait quand tu étais sélectionneur de la Guinée ?
J’avais fait ce premier constat....enfin, je n’ai pas vraiment eu le temps. Quand je suis arrivé en Côte d’Ivoire en 1996, Jean-Marc Guillou venait de mettre en place sa fameuse Académie depuis deux ans et j’ai suivi ça pendant tout le temps où j’y étais, et ça a donné des résultats extraordinaires. Ça paraît incroyable que tous les pays d’Afrique n'aient pas tout basé là -dessus. Il y a des pays qui font un peu mieux que d’autres comme le Ghana, le Sénégal, le Cameroun, mais ça n’a pas la qualité de ce qu’a fait Jean-Marc Guillou. Il a monté une académie de haut niveau avec une pédagogie adaptée à l’africaine. Il suffisait de regarder pour comprendre que c’est ce dont les Africains ont besoin parce que quand vous êtes dans les rues de n’importe quelle ville africaine, vous voyez des diamants. Malheureusement, les sélections africaines utilisent beaucoup plus, à juste titre, tous les Africains qui sortent de clubs européens parce qu’ils ont dans ces clubs une formation, leurs parents leur ayant permis d’arriver tôt en Europe. C’est extrêmement rare que le football local donne une équipe de grande dimension même si le Nigeria qui a gagné cette année est composée de beaucoup plus de joueurs locaux que de joueurs évoluant à l'extérieur. Le Nigeria a toujours fourni des supers joueurs.
Quelques mots sur l’Algérie. Tu n’as pas été sélectionneur des Fennecs mais tu as entraîné le Mouloudia d’Alger. On ne savait pas trop quoi penser de cette équipe dont on parle beaucoup mais qui finalement a du mal a obtenir des résultats au niveau international. Que penses-tu de la performance des Algériens ?
Je pense qu’ils ont atteint leur Graal lors de la qualif à la Coupe du Monde. L'avant-dernière CAN, ils avaient battu la Côte d’Ivoire. Depuis ce temps, ils sont retombés. Et l’arrivé d’Halilhodzic me permettait de croire qu’avec des nouveaux joueurs, et son ambition, son expérience et surtout son esprit de revanche, il allait pouvoir avoir une équipe plus compétitive. Ça ne s’est pas trop bien passé parce qu’ils étaient quand même dans le groupe le plus dur, mais je pense que c’est une équipe d’avenir. Et ils ont eu l’intelligence de garder le sélectionneur pour préparer les qualifs à la Coupe du Monde. C’était, comme pour la Côte d’Ivoire, la meilleure solution.
C’est une sélection qui a eu recours aux binationaux comme Faouzi Ghoulam. On sait que cela fait souvent débat, que ce soit en France ou de l’autre côté de la Méditerranée. Qu’est-ce que tu penses de ces joueurs qu’on sent parfois hésitants ?
Je pense que c’est l’utilisation de ce que les règlements peuvent permettre. Le recrutement de tous ces jeunes Africains du Nord ou Africains Noirs fait qu’une grande majorité de ces joueurs est choisie par les clubs pros, sont formés, deviennent compétitifs pour les équipes de jeunes, sont internationaux en France dans les moins de 15, 16 et 17. Arrivés en Espoirs, la concurrence aidant, ils voient que l’équipe de France A, ou d’Angleterre A, ou du Portugal A, est inaccessible, pourquoi n’iraient-ils pas dans les pays d’origine pour améliorer le rendement de ces pays d’origine ? J’en reviens à ce que l’on disait tout à l’heure, s’il y avait une qualité de formation et une qualité de championnat professionnel dans tous ces pays africains, peut-être que ces joueurs n’auraient pas la chance de venir jouer dans des sélections parce que les sélections nationales africaines seraient composées en plus grande partie de joueurs locaux, qui ont été bien formés, et qui jouent dans des championnats nationaux de haut niveau. Ça n’est pas le cas à l’heure actuelle alors je trouve normal, pour que les sélections africaines atteignent un niveau équivalent à toutes les autres équipes du monde, que les meilleurs joueurs du monde, si le règlement le permet, viennent.
Est-ce que ça t’es arrivé de tomber sur des politiques ou des dirigeants de Fédération qui voulaient t’imposer des joueurs locaux ?
En Côte d’Ivoire, aucun problème avec le Ministère et la Fédération, on ne m’a jamais obligé à prendre un joueur. En Guinée Conakry, idem. Mais en RDC j’ai connu le pompon. Je me disais qu’il fallait que je connaisse ça parce que quand je suis parti en 96 en Afrique, j’avais discuté avec certains sélectionneurs français qui avaient déjà été en Afrique qui m’avaient presque donné envie de repartir. J’ai eu la chance de ne jamais connaître ça. En RDC, je suis tombé sur un président de Fédération fantasque, omniprésent, et qui avait tout faux dans sa politique, mais qui était plus intéressé par l’argent et la reconnaissance que par l’avenir du football dans son pays. J’avais signé un contrat de trois ans, qui m’a obligé de partir au bout d' un an par ma propre volonté parce que je n’en pouvais plus...C’était des combats perpétuels, du racket pour prendre des joueurs locaux, pour gagner de l’argent sur des primes, des trucs incroyables...
Un dernier mot sur la CAN concernant le Mali, qu’on a suivi avec attention parce qu’il y a deux anciens Stéphanois là -bas, Patrice Carteron, dont c’était la première expérience de Sélectionneur, et Fousseni Diawara qui est un joueur très apprécié à Sainté. Qu'as-tu as pensé du parcours du Mali et de Patrice Carteron ?
Pour un essai, c’est un succès. Il n’a pas gagné mais troisième, il a fait comme Alain Giresse qui avait une plus grande expérience que lui au niveau africain. J’ai vu tous ses matchs et il s’en est bien sorti.
Il avait déclaré dans des interviews qu’avant de s’engager en Afrique, il avait consulté beaucoup de monde, notamment toi, pour avoir un retour d’expérience.
Oui parce qu’on peut comparer un peu le parcours du Mali à celui des différentes sélections ivoiriennes. Il y avait de sacrés joueurs, et eux aussi n’arrivaient pas à aller au bout. Ils ne sont pas allés au bout, ils ont fini troisième mais c’est quand même une performance, surtout avec un sélectionneur inexpérimenté du football africain. Lors de cette CAN, il a disparu un peu de folie africaine mais j'ai vu des équipes ayant un comportement rigoureux, organisé, supérieur. Il y a eu moins de buts, il y a eu moins de matchs à suspens, il y a eu beaucoup de matchs nuls....C’était équilibré, même à différence de valeur parce que les équipes sont bien organisées. Elles ne jouent pas vers l’avant n’importe comment si elles n’en sont pas capables parce qu’elles sont poussées par le public. Ça n’était pas une CAN spectaculaire mais une CAN professionnelle.
Merci à Gillesr1 pour la retranscription de ce 6ème volet