J’avais prévu la douleur. Forcément. Crozes Hermitage et Champagne auraient fait leur magnifique œuvre.
L’ivresse décime, alors mal de tête ou mal -yohan- au cœur, je n’avais pas choisi mais je m’en délectais d’avance. Je savourais déjà la barre au front du lundi matin en filant au turbin. Je comptais avec jubilation les rares heures de sommeil qui me sépareraient du réveil. J’entendais déjà les flashs de France Info répéter jusqu’à satiété que le lion est mort hier soir. J’imaginais déjà la première paupière qui se soulève à l’instant où le cerveau rebranche les fils de la mémoire et envoie la décharge de bonheur : Oui on l’a fait.
La douleur est bien là , pas de doute. Mal à l’âme plus qu’à la tête. Que faire de ce champagne resté connement au fond du frigo, voila la pathétique interrogation qui me vient à l’instant d’ouvrir un premier oeil.
La nuit fut courte pas de doute non plus, forcément deux cent cinquante-huit ralentis de l’action fatidique et autant de variantes pour éviter le pire, ça occupe. Landrin aurait pu faire faute au milieu. Varrault aurait pu dégager de la tête au lieu de contrôler de la poitrine. Et puis s’il n’avait pas fait faute mais s’était simplement collé à Benzema l’obligeant à se débarrasser du ballon. Et si on avait discuté, tenté de déstabiliser le tireur ? Et si le mur s’était rapproché, Gomis aurait alors sauté suffisamment haut pour dévier le ballon qui aurait fini sa course en corner. Et Viviani, n’aurait-il pas pu plonger ? Et Landrin une minute plus tard, n’aurait-il pas pu, façon Sall contre Strasbourg partir en dribbles jusque dans la surface avant de se faire faucher par ce crétin de Squilacci. Pénal, Ilan dans le petit filet. Fin de match de légende. Smoking, No smoking ?
A force d’accumuler les « et si… » comme d’autres comptent les moutons, Morphée a eu pitié de moi. Le réveil et le flash de France Info à 7h, nettement moins à l’heure d’évoquer le nul arraché par nos ennemis.
Les yeux dans le vague et la tête à l’envers, je titube vers la salle de bains, croise mon fils aussi malheureux que moi. Sa mère lui aura donc annoncé la triste nouvelle. Il me vient à l’esprit l’idée ridicule de le consoler en lui expliquant que lui au moins, couché à la mi-temps, s’est endormi sur un score de rêve. Pas encore 6 ans et déjà incurablement atteint…
J’avale mon petit déj en devisant sur la cruauté de cette double peine qui m’est désormais infligée à chaque défaite…
Défaite ? Mais où une défaite ? Fierté plutôt à la vue d’un groupe ayant produit ce qu’on attend d’un onze vert lors d’un derby : de l’audace, du cran, de l’énergie à revendre. Fierté, et espoir car au-delà du classement du moment, ce groupe a un potentiel évident. Et le match d’hier justifie qu’on lui donne le temps de le démontrer. Gratitude enfin à l’égard de Roussey, ça le changera un peu, mais c’est mérité car ca faisait trois ans qu’on n’avait pas eu l’occasion de ressortir la tête haute des deux derbies d’une même saison.
Allez, je vais garder mon champ’ au frais. Je devrais vite avoir l’occasion de le -julien- sabler.