Les chemins qui mènent un footballeur argentin en Europe sont parfois tortueux, et son transfert peut inclure d'étonnantes transactions....

Enquête, première partie : Augusto Fernandez, de River Plate à Saint-Étienne.

Un article des potonautes osvaldopiazzolla, gusztav et thomas99 présenté en collaboration avec les Cahiers du Foot, "magazine de foot et d'eau fraîche".


Il est un gaucho, et son nom est Augusto. Geoffroy-Guichard n’a pas encore pris le temps d’élaborer un hymne pour son nouveau meneur de jeu mais, de son côté, le jeune Argentin se déclare heureux dans le Forez et "espère rester longtemps ici". Mais qu’en sera-t-il ? La réponse tient à son contrat. Ou plutôt à qui appartient ce contrat. Mais à qui appartient son contrat ?

Un prêt ou presque

Le ballon virevolte jusqu’au second poteau. Une tête brune surgit. Le ballon est au fond et Geoffroy-Guichard explose. Après à peine sept minutes de jeu, en ce samedi 3 octobre, les Verts marchent vers la victoire et précipitent la fin de l'invincibilité bordelaise. La tête qui vient d’ouvrir le score appartient à l’homme du match. Non pas l’attendu buteur Gonzalo Bergessio, mais l’autre Argentin recruté fin août par l’AS Saint-Étienne: Augusto Fernandez. Et les supporters de se demander si ce milieu créatif de vingt-trois ans, arrivé de River Plate et qui commence à mettre en lumière ses qualités, pourra rester dans le Forez...

Dans un premier temps, la presse française annonce un prêt avec option d'achat, mais Damien Comolli, le directeur sportif, déclare rapidement sur le site officiel de l'ASSE que le prêt est sans option d'achat "parce que River Plate ne voulait pas qu'il y en ait" malgré la demande des négociateurs stéphanois. Mais lorsque l’on fouille un peu, on se rend compte que la situation d'Augusto est un peu plus compliquée que ça, que la situation de River et du football argentin est un peu plus compliquée que ça... et que les transferts internationaux sont devenus... bien plus compliqués que ça.

À qui appartient le contrat d’Augusto ?

José Maria Aguilar est le président du Club Atletico River Plate. Le club des "Milionarios" est une institution en Argentine. Un club majeur en termes de fans, de palmarès et de renommée internationale. De très nombreuses stars argentines ont porté (Higuain, Mascherano, Lucho, Cavenaghi, Demichelis, Cambiasso, Sorin (Juan Pablo, pas Olivier)...) ou portent (Gallardo, Ortega, Almeyda...) le maillot blanc barré de rouge. De fait, River vend de nombreux joueurs dans les plus grands clubs d'Europe et cela rapporte beaucoup d'argent. Mais depuis quelques années, River va mal. Les résultats ne sont pas à la hauteur et surtout, River peine financièrement dans un pays se relevant à peine d’une banqueroute nationale. Chaque année, fin août, José Maria Aguilar boucle difficilement le budget du club.

En août 2006, Aguilar se rend à Londres pour conclure un marché, deux jours avant la clôture des comptes annuels du club. Son but: vendre des pourcentages des contrats de certains joueurs, tout en conservant ceux-ci à River. Ainsi, une rentrée d'argent est assurée à court terme, et les joueurs ne sont pas perdus... dans l'immédiat. Mais quel club peut se satisfaire d'un tel marché ? Le FC Locarno, club tessinois de deuxième division suisse, va pourtant l'accepter.

Jackpot pour le FC Locarno All stars

Depuis plusieurs mois, les gazettes annoncent l’arrivée imminente de Gonzalo Higuain au Real Madrid. Pourtant, lors de ce rendez-vous londonien d’août 2006, Aguilar vend 50% du contrat de "Pipita" pour 6 millions de dollars (4 millions d’euros). Mais pas au Real Madrid, car c’est le FC Locarno qui achète ces parts! Et comme cela ne suffit pas pour équilibrer les comptes de River, il vend aussi 40% de celui de Belluschi (qui partira en décembre 2007 à l'Olympiakos), plus 30% de ceux de trois jeunes espoirs du club: Juan Antonio, Mateo Mussachio... et Augusto Fernandez. Le tout au FC Locarno et pour la somme de 13 millions de dollars. Aguilar peut présenter un bilan (tout juste) positif grâce à cette rentrée d'argent inopinée.

Mais pourquoi un joueur de renommée mondiale comme Higuain accepte-il cet accord avec un club luttant pour le maintien en deuxième division suisse? D'abord parce que River est chargé, comme le stipule l'arrangement, d'obtenir l'agrément des joueurs "à tout prix". En décembre 2006, Higuain est transféré au Real Madrid, pour plus de 12 millions d'euros (20 millions de dollars). Jackpot pour le FC Locarno: le contrat d’achat des 50% des parts du jeune attaquant stipule qu’en cas de transfert, les six premiers millions de dollars ("nets", est-il précisé) de la transaction lui sont dus, et que le reste est partagé en parts égales entre les deux propriétaires du contrat. La moitié de la valeur du contrat, cédée 6 millions de dollars quelques semaines auparavant, s'est transformée en une somme de 13 millions de dollars. Un rendement stupéfiant dépassant les 100% en à peine cinq mois.

Millionnaires fauchés

S'appuyant sur la grogne des supporters, l'opposition à Aguilar au sein du conseil d'administration de River obtient la présentation du fameux contrat signé avec le FC Locarno, et y découvre des clauses surprenantes. Ce contrat léonin, très en défaveur du club argentin, stipule par exemple que Locarno peut céder ses pourcentages de joueurs à n'importe quel tiers, alors qu'une telle action est interdite à River. Surtout, le partage des gains lors de transferts futurs est largement à l'avantage du club suisse (1).

Le FC Locarno est évidemment, avec sa moyenne de huit cents spectateurs par match, un club modeste incapable d'investir les montants en jeu. Mais le règlement de la FIFA est formel: les transferts de contrats des joueurs de football ne peuvent se faire qu’entre clubs. En réalité, Locarno sert de prête-nom à des agents puissants, qui acquièrent ainsi les "droits économiques" des joueurs. Dans le cas du FC Locarno, il s'agit du groupe financier HAZ Sport Agency, acronyme des initiales de Fernando Hidalgo, Gustavo Arribas et Pinhas Zahavi. Pinhas "Pini" Zahavi: un nom qui revient souvent dans les gros transferts du championnat anglais (2).

C'est ainsi que du côté argentin, pour parer au plus pressé, José Maria Aguilar a livré une demi-douzaine de joueurs du club et se retrouve sans aucun pouvoir de décision sur le futur de ceux-ci, quand bien même ils continuent de jouer pour des "Milionarios" bien démunis.

Que devient Augusto ?

Higuain a été transféré au Real et Belluschi à l'Olympiakos. En janvier 2008, Augusto est toujours à River. Des rumeurs l'envoient à la Lazio ou au Panathinaikos. Problème: son passeport communautaire tarde à être délivré, ce qui le rend moins attractif sur le marché européen. Finalement, il reste à River Plate pour la saison 2008/09. Mais le club cède les 70% du contrat d’Augusto qu'il détenait encore. Évidemment, comme les clauses du contrat l’y obligent, cette vente se fait à Zahavi. La cession est estimée à 5,5 millions de dollars. Plusieurs sources précisent que cette transaction solde la part que le club n’avait alors pu reverser à l'agent lors du transfert d’Higuain. Effaçant ainsi la dette et équilibrant les comptes du club.

Augusto continue de jouer au stade Monumental, mais son contrat n'appartient donc plus du tout au CA River Plate. En août 2009, aucune offre de transfert permettant de réaliser une plus-value suffisante n'est parvenue à Zahavi. Un club s’intéresse touefois au joueur, mais sans avoir le budget pour acheter son contrat. L’idée germe de le prêter à l’AS Saint-Étienne sans option d’achat. Le milieu offensif pourra ainsi se montrer sur la scène européenne et peut-être se valoriser. Quoi qu’il en soit, le "prêt" coûte un million de dollars aux Verts, somme dont River Plate ne touche pas un peso. De toute façon, lorsque le transfert définitif d’Augusto Fernandez interviendra, River ne touchera rien non plus... et n'aura pas son mot à dire quant à son avenir, en vert ou ailleurs.

À suivre...

(1) Le contrat établit aussi que tous les impôts, charges et assurances résultant des transferts des joueurs concernés sont à la charge de River Plate. Les pénalités prévues en cas de non-respect du contrat sont bien plus importantes pour River que pour Locarno. Cerise sur le gâteau, Locarno se réserve la possibilité de remplacer un joueur concerné par le contrat par un autre si un espoir du club argentin apparaît plus prometteur.

(2) Nous y reviendrons dans la deuxième partie.