Notre reporter, ayant réussi à introduire un micro dans le cabinet de l’éminent psychanalyste autrichien, le Docteur Sigmund Fred, transféré à Saint Etienne lors du dernier Mercato d’hiver, après avoir décimé toute l’équipe de l’Austria de Vienne, notre reporter, donc, nous retranscrit ici les termes de la consultation de l’avant-centre félon Bafétimbi Gomis.

Alors, Docteur, ça a commencé ainsi...

Figurez-vous, Docteur, que Coachlolo passe son temps à hurler dans mes écouteurs à l’entraînement, ce qui crée une interférence, et perturbe la bonne synchronisation entre la partie gauche de mon cerveau et sa partie droite, ajoutant à cela une rotation accélérée et incontrôlée des deux yeux, surtout le gauche, le plus sensible, parce que, je ne cesserai de le crier, je suis un homme de gauche. Ce qui fait que ma démarche passe allègrement de la cadence militaire au rap et au tango corse. Coachlolo entre alors à chaque fois dans une rage folle, m’arrachant mes écouteurs, les piétinant frénétiquement, et me répétant que je bouge comme un Pinocchio désarticulé. C’est là, Docteur, où cela devient inadmissible. Qu’il ne me laisse pas écouter Chantal Goya, passe encore, mais me comparer à Pinocchio, jugez vous-même, Docteur, je n’ai pas un long nez moi… Même si je ressemble à Cléopâtre… Même si Jérémie m’a dit que j’ai la même coiffure que Mireille Matthieu, notre muse nationale… Je n’ai pas un long nez… Enfin, voilà, je ne sais plus qui je suis avec toutes ses âneries et ses persécutions..

Pour couronner le tout, Docteur, Coachlolo me dit un beau soir:

Bafé, c’est dommage, si tu mettais un peu du tiens, tu serais plus que parfait, mais tout cela reste très subjonctif .

Là, je dois dire, Docteur, que je n’ai pas tout compris. Dès l’entraînement terminé, j’ai foncé dans ma Q7, repeinte en vert pomme pour passer inaperçu et équipée d’une antenne satellite reliée à la Nasa, et je suis entré en contact avec le premier naze venu, pour qu’il m’explique que signifiaient ces mots bizarres venus, on aurait cru, d’une autre planète. C’est alors que, stupéfait, perplexe même, j’ai appris que le plus-que-parfait du subjonctif était un langage réservé à une élite en voie de disparition. Je décidais aussitôt d’acheter une méthode expresse pour apprendre ce supposé langage, et je m’enfermais dans mon douze pièces, pendant trois jours et trois nuits, à travailler à cet apprentissage et à bouffer du pop corn, comme le Christ, dont je suis l’héritier, s’était enfermé avec le diable dans le désert, pendant quarante jours et quarante nuits, en jeûnant et en crevant la dalle. Même si je suis le nouveau Messie, j’ai réduit le temps de mon supplice à trois jours, parce que si on ne m’avait pas vu pas à l’entraînement durant trop longtemps, les deux Picsou qui me payent mal m’auraient envoyé un huissier. Alors, j’ai travaillé comme une bête, j’ai l’habitude, et j’ai bouffé, comme je suis un Messie débutant, manquant donc d’expérience, j’ai bouffé énormément, contrairement au Christ, parce que j’ai lu, dans mon Télérama pour débutant niveau 1, avec explication en braille,que si on ne mangeait pas on avait faim, et que si on avait faim trop longtemps on pouvait en mourir. Il ne faut pas déconner. Moi je croyais jusqu’alors que si on mangeait, c’était uniquement pour enrichir le Géant Casino. Eh bien, non ! C’était pour ne pas crever de faim. C’est dingue, non, Docteur ?

Docteur, je vous conseille Télérama… C’est un excellent journal… Il y a d’excellents articles sur le foot. Et si vous aimez le cinéma, je vous conseille France Football, avec les rubriques sur les gesticulations du Président lyonnais, les frasques de ses joueurs, ou les scènes de cascade de Malouda dans les surfaces, superbes lorsqu’il mime la douleur, ou encore Barros qui chasse les moustiques et qui se pince le nez pour ne pas éternuer et ne pas être obligé de retourner la scène. Quels acteurs !... Vous me direz pourquoi Télérama en braille ? Très simple, Docteur… Comme je suis harcelé en permanence par mes admirateurs qui veulent me faire une grosse tête depuis que j’ai voulu aller jouer sous d’autres cieux étoilés, comme toute star qui se respecte, je portais des lunettes de soleil très sombres pour rester incognito. Mais je passais mon temps à me foutre la gueule en l’air, et sentant l’accident qui pendait sur ma tête comme une épée de Damoclès, un compatriote à moi, j’ai donné les lunettes à Emmaüs, parce que je le rappelle, je suis un homme de gauche et j’ai bon cœur, et j’ai acheté des lentilles de contact teintées. Depuis, il me semble que je passe moins inaperçu, puisque dans la rue les mots doux d’amour vache de mes admirateurs tintent de nouveau à mes oreilles… Par contre je me déplace sans trop d’encombre, au ralenti, distinguant ça et là des ombres. Mais un confort ne pouvant durer dans cette vie cruelle dans laquelle nous évoluons tous, surtout moi, je suis obligé d’acheter toutes mes lectures en braille.

Donc j’ai bossé, et j’ai bouffé. Au bout du délai que je m’étais accordé, je suis sorti de chez moi en parlant le plus-que-parfait du subjonctif sur le bout des doigts et de la langue aussi. L’intérêt avec ce langage élitiste, c’est que personne ne vous comprend, et que vous seul pouvez vous comprendre. Et encore, pas toujours. Vous prenez ainsi subitement de l’importance, et tout le monde, sauf vous, c’est-à-dire les cons, tout le monde donc vous regarde avec des yeux écarquillés et un air qui ressemble très vite à de la vénération. L’eussiez-vous cru, Docteur, avant que je ne vous l’apprisse ? Fier de moi, alourdi de plusieurs kilos qui m’interdisent de courir sans souffler comme une forge, je regagnais l’Etrat, et rencontrant aussitôt Coachlolo ébahi devant ma masse graisseuse, je lui tins à peu près ce langage :

Coach, dès que nous nous vîmes, nous nous plûmes. Vous me plûtes. Je vous plusse. Et quand vous me parlâtes, vous m'épatâtes. Quelle joie lorsque vous m'offrîtes des frites et des gâteaux le premier soir de notre stage, et que je vous apprisse qu’à trop manger des pâtisseries il serait dommage que nous en pâtissions. Quelle fête, avant que vous ne sussiez, que nous ne sussions, et que les autres ne sachiassent, que mon souhait le plus pur fût que vous m’entraînassiez et que vous fissiez de moi un buteur.

C’est alors que Coachlolo devint tout violet, m’assena un violent coup sur la tête avec un drapeau de touche, puis il me chargea dans le camion des éboueurs qui traînait par là et me transporta jusqu'au service vétérinaire de la SPA, où on lui indiqua qu’il serait plus approprié qu’il me présentât à vous, Docteur, vous qui êtes, à leurs dires, le psychanalyste des cas difficiles, gloutons et détraqués en tous genres. Et ainsi me voilà.

Bon alors, Docteur, je veux bien m’allonger sur votre divan, mais n’en profitez pas pour me sauter dessus, ou pour me tripoter. Ce n’est pas parce que je suis grec qu’il faut que vous croyiez pouvoir abuser de moi. D’abord mes origines grecques remontent à Mathusalem ou Nabuchodonosor, je ne sais plus… Alors depuis le temps, j’ai évolué. J’avais découvert la fourchette, alors que vous n’étiez toujours pas descendu des arbres. Et puis arrêtez de tourner en rond avec moi, bras dessus bras dessous, autour de la table basse de votre cabinet. Si quelqu’un rentre, il va nous prendre pour deux pédales… Enfin, vous voyez ce que je veux dire… Deux Grecs, quoi… Ou pire, deux Lyonnais… Et là je ne réponds plus de rien… Bon, moi je vous dis ça, parce que j’ai lu dans mon Journal de Mickey en braille que les psychanalystes avaient presque toujours une aventure avec leurs clientes, ou sinon qu'ils étaient homosexuels. Bon d’accord, je ne suis pas une cliente, mais avec mes frisettes et mon accent d’Athènes, le Rubicon est vite franchi… Comment ? Non, Docteur, je ne vous traite pas de con… Je vous parle du Rubicon… Que vous êtes con, ce n’est pas Dieu possible… Ben quoi, Docteur, le Rubicon, le fleuve qui sépare la Loire du Rhône, le Paradis de l’Enfer, l’Abondance du Néant, le 10 du 6, la Finale du Quart… Bon bref…

Bon alors d’accord, Docteur, je m’allonge, mais vous vous tenez à dix mètres de moi, et vous posez vos mains bien à plat sur votre bureau. Voilà. Comme ça.

Bien, je vais vous raconter tout ce qui me passe par la tête. Si vous en déduisez quelque chose, vous aurez de la chance parce que moi-même je ne me comprends plus.

En premier, Docteur, il y a une chanson qui m’obsède, qui trotte dans mon esprit en permanence. La chanson de David Gigliotti, le nouvel attaquant venu pour me remplacer les soirs de match où j’ai trop bouffé. Je vous en chante le début, vous allez voir, Docteur, c’est à devenir dingue :

L’oragé a fè tomber sour nous touté la plouie dou ciel…
L’oragééé...


Etc… Ca n’arrête pas. Et quand il ne chante pas, il siffle.

Ta gueuuuule !... Que je lui dis sans cesse…

Vous comprenez, Docteur, Gigliotti descend en ligne directe de Gigliola Cinquetti, dont il est légataire universel. Alors, pour bien nous rappeler ses origines, et les droits d’auteurs qui tombent tous les matins dans son escarcelle, il chante en boucle ces paroles débiles. Paroles démentes et même démoralisantes à quelques jours du derby. Vous imaginez Coachlolo nous dit sans arrêt que dimanche soir à 23 heures il fera soleil en pleine nuit rien que pour nous, et l’autre abruti nous annonce le déluge, si ce n’est un déluge de buts dans nos cages… Sans parler que le temps depuis une semaine ici est aux trombes d’eau et que cette chanson n’y est sans doute pas pour rien. Ici, David, tout le monde l’appelle Gigi. Moi je l’appelle Ouessant… A cause de son regard éteint, masqué par la brume, tout pareil au phare qui signale l’île aux marins en détresse… Quand on connaît le nombre de naufragés là-bas depuis des siècles, on comprend mieux qu’il ne touche aucune une balle puisque personne ne le voit.

Et puis ensuite, Docteur, il y a plus grave. Comme tout le monde j’ai des modèles. Je m’identifie à eux. Je rêve d’atteindre à leur aura. Alors je fais tout comme eux. Comme Fred Piquionne à Monaco qui a envoyé paître son entraîneur parce que ce dernier ne comprenait pas l’excellence dont il se privait en le sortant en cours de match. Moi je vous le dis, Docteur, si Coachlolo ne me fait pas jouer à Lyon ou s’il me sort du terrain en cours de match, je vais arrêter de respirer et comme ça quand il voudra transférer mon pauvre corps dégonflé à Lens, il ne tirera pas un kopek, et ce n’est pas un charter qu’il lui faudra mais les Pompes Funèbres Générales. Je serai peut-être mort, mais ça sera bien fait pour sa gueule. De toute manière, je m’en fiche, puisque je vais ressusciter dans les trois jours, comme le Patron, et après j’irai à Lens sans rien demander à personne. D’ailleurs, je l’ai dit hier au téléphone à Papaguy. Il n’a rien répondu. Il a eu comme un doute. Je l’ai trouvé bizarre. Comment, Docteur, vous le savez ? Aaaah, il vous a téléphoné ? Ciel ! C’est une coalition. Je suis cerné. Père, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? Meeeerde !

Comment, Docteur, c’est déjà terminé. Vous me libérez ? Vous me faites une ordonnance au moins, que je n’aie pas l’air de revenir les mains vides à l’Etrat. Merci, Docteur. Alors, voyons voir cette ordonnance. Du collyre vert fluo pour mes lentilles, OK… Un parapluie de golf, un radeau gonflable, une combinaison de survie, et des rations de guerre pour le derby… Un ordre d’expulsion du territoire français vers Monaco pour David Gigliotti… OK Docteur, c’est parfait… On sera paré pour le derby avec tout ça.

D’accord, Docteur, si j’ai encore des obsessions, je reviens vous voir. Entendu.

En attendant, portez-vous bien, Docteur Fred. Et n’oubliez pas, dimanche soir devant votre télévision, si je joue je vous ferai un petit coucou.