Auteur d'un doublé contre les Canaris en 1970 lors de la troisième finale de Coupe de France remportée par l'ASSE, Hervé Revelli nous livre ses impressions à six jours de la septième (on y croit !).


Quels souvenirs gardes-tu de cette finale de Coupe de France 1970 contre le FC Nantes ?

Je garde bien sûr de grands souvenirs, cette finale a marqué les esprits à plusieurs titres. C’est la dernière qui s’est disputée à Colombes. Cette finale a opposé deux grandes équipes, les deux meilleures de cette époque-là. Évidemment on s’en souvient aussi pour ce score de 5-0. C’est toujours bien de marquer plusieurs buts dans une finale, mais le plus important, c’est de la gagner.



Plusieurs joueurs se sont particulièrement illustrés lors de cette finale. Notamment Georges Bereta, passeur décisif sur les premier et troisième but et auteur du deuxième.

Non seulement il a marqué mais en effet c’est lui aussi qui a centré sur l’ouverture du score de Patrick Parizon et la magnifique tête lobée de Robert Herbin. Je me souviens qu’à l’époque où j’étais en équipe de France militaires, l’entraîneur Joseph Mercier a dit à tout le monde qu’il cherchait un gaucher. Je lui ai dit : "J’en connais un vraiment très fort, il s’appelle Georges Bereta." Il me répond "C’est qui celui-là ? Il n’a jamais joué ?" A l’époque j’étais déjà professionnel mais Georges ne jouait qu’en équipe 3, en promotion d’honneur. Je lui ai dit que Georges était mon pote, que je le trouvais vraiment bon et qu’on ne risquait rien à le faire monter du 38e régiment à Saint-Etienne au Bataillon de Joinville. Georges est venu et il a commencé à flamber.

Un jour en professionnel, Jean Snella me dit "N’Doumbé est blessé. Georges, ça donne quoi en équipe de France militaires ?" Je lui réponds que je le trouve très bon. Jean Snella poursuit : "Tu crois que je peux le faire jouer ?" Je lui dis : "essayez-le, vous ne serez pas déçu !" L’histoire a commencé comme ça. J’ai eu l’œil de suite. Monsieur Snella ne le connaissait pas, il ne l’avait pas vu car Georges s’entraînait deux fois par semaine le soir avec la troisième équipe. Georges n’est plus sorti de l’équipe première dès qu’il est monté avec nous. Il s’est imposé à gauche. J’ai de la peine car j’ai appris qu’il est très mal, il ne va vraiment pas bien. Ça me fait mal au cœur, je suis vraiment triste car on a un vécu commun très fort. On s’est marié ensemble, on a eu une vie pratiquement parallèle. Georges, c’est plus qu’un ami. Je pense à lui.

C’est sur un de ses centres que Robert Herbin a tué le match lors de cette finale de 1970. Que représente Roby pour toi ?

Roby représente beaucoup. J’ai d’abord été joueur avec lui, j’ai gagné des titres avec lui, j’ai fait chambre commune avec lui. Il a ensuite été mon entraîneur. Et quel entraîneur ! Je mesure la chance que j’ai d’avoir eu dans ma carrière d’excellents entraîneurs. Jean Snella, beau jeu, Albert Batteux, très beau jeu aussi. Roby a dit : "le très beau jeu, c’est bien, mais si on veut jouer les premiers rôles en Coupe d’Europe, il faut de la rigueur anglaise. Je suis sûr qu’on peut y arriver." C’est ce qui s’est passé.

Sur un plan plus personnel, je n’oublie pas que c’est lui m’a fait revenir de Nice, où j’ai joué de 1971 à 1973. Il me restait deux ans de contrat avec les Aiglons. Un soir Roby m’appelle vers minuit, il était en réunion avec Roger Rocher et Pierre Garonnaire. Il me dit : "Je sais que je t’appelle tard mais je veux que tu reviennes." Je lui dis : "Mais Roby, pour quoi faire ? On a une très belle équipe à Nice". On était premiers à l’époque. Roby m’a dit : "voilà ce que je veux faire". Jusqu’à une heure du matin, il m’a expliqué dans le détail son projet avec l’équipe qu’il avait. Je lui ai dit : "tu crois qu’avec cette équipe-là, on va jouer l’Europe ?" Il m’a répondu : "Ecoute Hervé, je suis sûr qu’avec trois ou quatre cadres comme toi, on va y arriver. On a de jeunes joueurs prometteurs que tu connais par cœur, on va le faire !"

J’ai tenté le coup de poker, aussi parce que c’était Saint-Etienne, c’était l’ASSE. J’ai dit à Roby : "C’est d’accord, je remonte à Sainté !" Deux jours après, j’avais rendez-vous avec Rocher à Antibes. On n’avait pas de papier, rien. Rocher m’a dit : "Je me suis entendu avec ton président Roger Loeuillet. Nous on veut que tu reviennes, dis-nous ce que tu nous proposes". Je lui ai dit : "je veux ça, ça et ça." On n’avait pas de papier mais on est des hommes de parole et moi j’aime ça ! On s’est tapé dans la main simplement et j’ai signé mon contrat seulement trois semaines après. Entretemps, l’Inter de Milan a essayé de me faire venir. Ils me proposaient quatre fois ce que me donnait Saint-Etienne. Monaco et Reims ont également tenté de m’enrôler, eux me proposaient le double ou le triple. Mais je n’ai pas bougé d’un iota. J’ai dit à ces clubs que j’avais donné ma parole à Roby et à Rocher.

Pour en revenir à Roby, je le voyais souvent avant que sa santé ne décline. On allait au même supermarché à Ratarieux, on faisait souvent les courses le même jour là-bas. On discutait une vingtaine de minutes de football bien sûr. Quand j’ai appris qu’il est décédé, ça m’a fait beaucoup de peine. Certains disaient qu’il était froid et arrogant, je leur rétorquais que c’était complètement faux. Je leur disais : "Moi, je le connais très bien. C’est un timide. Parce qu’il ne veut pas discuter, vous en déduisez qu’il a la grosse tête mais pas du tout !" Nos femmes s’entendaient bien avec Roby, on sortait parfois ensemble. Et il était rigolo, il plaisantait. Roby était respectueux quand on faisait chambre commune. Roby fumait beaucoup, je le savais. Je lui disais "aucun souci." Il écoutait sa grande musique avec des casques. Je lui ai dit : "tu fais ce que tu veux avant, mais quand j’arrive dans la chambre à 22h00, tu éteins et tu ne fumes plus." Quand j’arrivais, c’était fini, il dormait et on n’en parlait plus.

Salif Keita s’est aussi illustré lors de cette finale de Coupe de France 1970. Il a en effet délivré trois passes décisives : une pour Georges Bereta et deux pour toi.

Salif a eu la chance et l’intelligence de se mouler dans le collectif. Il avait d’énormes qualités individuelles et savait très bien que les joueurs à ses côtés, tous internationaux, n’avaient pas besoin d’être dictés et savaient ce qu’ils avaient à faire. Moi aussi je lui en ai fait marquer, il a d’ailleurs dit "heureusement que j’avais Hervé à côté de moi." C’est le collectif qui primait. Que ce soit lui qui marque ou moi, peu importait, l’essentiel était que l’on gagne les matches. Quand je pouvais marquer, je marquais mais quand Salif ou un autre étaient mieux placé, il n’y avait aucun souci à faire la passe. Marquer n’était pas une obsession individuelle mais une volonté collective. Mais une saison on a marqué quasiment tous les buts à nous deux, c’était affreux.

Salif est-il le meilleur joueur qui ait évolué à tes côtés à l‘ASSE ?

Dans toutes les époques les grands joueurs apportent quelque chose. Rachid Mekhloufi m’a apporté beaucoup. Moi je reste sur cette image-là. Personnellement, parce que j’ai débuté avec lui, c’est Rachid qui m’a appris le football. Après, l’autre est venu en complément. Rachid est parti, Salif est venu et ça m’a obligé à m’adapter à son jeu. Ce n’était pas facile. Quand il n’avait pas envie de revenir, c’est moi qui revenait. Si je suis parti à Nice, c’est un peu dû à ça. A un moment donné, les gens disaient : "Mais attendez, Hervé ne marque plus, c’est Salif." Il fallait que je parte car je savais qu’il y allait avoir un problème.

Cette équipe stéphanoise de la saison 1969-1970 est-elle à tes yeux la plus talentueuse, la plus brillante de l’histoire du club.

Oui, même les journalistes qui ont couvert l’épopée de 1976 l’ont dit. Ils ont dit que l’équipe de 1976 était jolie, appliquée, généreuse, physique. Mais la plus jolie à voir jouer, la plus spectaculaire c’était celle de 1969-1970. Dans toutes les lignes on avait des joueurs talentueux. Il nous manquait ce que Roby a apporté après. Pour s’imposer en Coupe d’Europe, il fallait de la rigueur, du physique.

Lors de cette délicieuse saison 1969-1970, vous avez écrasé les vilains à l’aller à Gerland (7-1) comme au retour à Geoffroy (6-0)…

Ah ça je m’en souviens bien ! Quatre jours avant le derby à Lyon, on avait joué un match difficile contre le Bayern. Alors qu’on avait perdu 2-0 à Munich, on a réussi à se qualifier en gagnant 3-0. D’ailleurs j’avais marqué deux buts ce soir-là et c’est Salif qui avait mis le troisième. Les Lyonnais étaient dans les tribunes. Ils avaient dit dans la presse : "Ils vont être tellement cuits qu’on va leur filer une casquette à Gerland." En lisant ça, ça nous avait vexés. On s’est dit : "On va leur montrer que non seulement on n’est pas cuit mais on va aller les battre à Lyon." J’ai mis le premier et le dernier de nos sept buts là-bas. En sortant du terrain, j’ai croisé Di Nallo. Je lui ai dit : "si tu veux, on peut rejouer dans trois jours, on n’est pas fatigué du tout !" Il m’a dit "arrête de me charrier comme ça !" (rires)

A ce jour, la finale de 1970 a donné lieu au score le plus lourd de toute l’histoire de la Coupe de France. Les plus pessimistes des supporters stéphanois ont peur que Paris batte ce record le 24 juillet à nos dépens. Partages-tu leur crainte ?

Non. Certes, on va jouer contre le Paris-Saint-Germain qui a une très grosse équipe. Mais j’ai envie de dire aux joueurs : "Une finale de Coupe de France, c’est extraordinaire. Quand on arrive en finale, on risque quoi ? On ne risque plus rien du tout ! Il faut tout faire pour la gagner. Et pour la gagner, il faut jouer sans complexe." Après tout, les Verts n’ont jamais pris de grosse claque contre le PSG.

Tu as raison, on l'a encore vu cette saison, ça ne s’est pas joué à grand-chose finalement : on a perdu de justesse 4-0 dans le Chaudron en championnat et on s’est incliné sur le fil 6-1 au Parc en quart de finale de Coupe de la Ligue.

(Rires) Bon, OK, c’est vrai qu’on a pris dix buts en cumulant les deux dernières confrontations mais ce n’était pas le même contexte. Une finale, c’est un match à part ! On ne sait jamais ce qui peut se passer, a fortiori cette année très particulière marquée par le confinement. Le PSG a filé 9 buts aux Havre mais ça ne veut rien dire. On va mettre beaucoup plus d’impact et d’intensité que les Havrais car en finale de Coupe de France tu te donnes à fond, tu n’as pas le droit de calculer. On va rentrer sur le terrain, regarder le maillot qu’on porte. Ça, c’est très important, on représente quand même un club très réputé en France et en Europe. On doit mouiller le maillot et se battre. Si on gagne, ce sera formidable. Si on perd, que ce soit avec les honneurs. C’est vrai qu’en face il y aura le PSG, on aurait peut-être préféré que ce soit une autre équipe. Mais cette finale, il faut la jouer sans crainte.

On va le faire Hervé, on va ramener une septième Coupe de France à la maison ?

Si on joue ce match à fond, avec détermination, on a nos chances. On a une petite chance. Mais ça m’énerve que cette finale se joue devant seulement 5000 personnes, surtout dans un stade qui peut en contenir 80000. C’est honteux, on n’a pas le droit de faire des trucs comme ça ! Moi j’ai joué quatre finales de Coupe de France, je les ai toutes gagnées avec le maillot vert, le stade était à chaque fois plein à craquer, il y avait du monde partout. Je me souviens de ce public très nombreux et joyeux. Pour moi c’est très important, ça fait partie intégrante d’une finale. Jouer sans la présence des supporters ou devant une toute petite chambrée, c’est quand même triste pour un évènement de cette importance. Une finale de Coupe de France, c’est censé être la grande fête du football. Moi j’aurais repoussé la date de la finale de deux mois, j’aurais aimé qu’on la joue devant un public digne de ce nom. C’est regrettable qu’on n’ait pas pu trouver une solution au niveau européen pour organiser la prochaine Europa League en conséquence. On se retrouve à devoir jouer la finale dans une semaine, on n’a pas d’autre choix que de la jouer. Vu la capacité du stade de France, je pense que c’était jouable d’autoriser 25 000 spectateurs.

Cette finale reste malgré tout le grand rayon de soleil d'une saison stéphanoise plutôt grise...

C’est une saison tronquée et ratée, en tout cas en ce qui concerne le championnat et la décevante campagne européenne. Pourtant le club n’avait jamais eu un budget aussi élevé que cette année, on a dit qu’il dépassait les cent millions d’euros. Je pense qu’il y a eu beaucoup de problèmes mais ça ne sert à rien de dramatiser. Quand rien ne va dans une saison, il faut tout oublier.

C’est ton côté (green) Angèle !

Je ne sais pas. Mais je sais qu'on a vécu une année noire. On tire un trait. Il faut en tirer les conséquences, examiner ce qui a été, ce qui n’a pas été et rectifier le tir afin de repartir sur de nouvelles bases la saison prochaine. Il fait arrêter de se faire du cinéma en disant qu’une saison comme celle qu’on vient de vivre ne doit pas arriver. Ça peut arriver à n’importer qui ! Cette année c’est nous, des années c’était Marseille. Il n’y a pas si longtemps l’OM a connu une saison très médiocre mais la saison prochaine ils vont jouer la Ligue des Champions. On a vécu une mauvaise saison, on tire un trait dessus. Il ne faut pas recommencer les erreurs, c’est tout ! Mais il y a assez d’hommes intelligents dans ce club pour ne pas les commettre une deuxième année.

Claude Puel a fait du très bon boulot partout où il est passé. On sait que son dada, c’est de lancer des jeunes et de les faire progresser. Si on le laisse travailler sur du long terme, il peut faire du très bon travail. Si on veut des résultats à court terme, je ne sais pas car on n’a pas les finances pour faire venir des joueurs susceptibles de nous faire grandir de suite. Laissons le temps de bâtir sereinement et méthodiquement sans lui demander d’un seul coup d’avoir des résultats. Faisons les comptes dans deux ou trois ans, pas avant.

Revenons à la finale du 24 juillet pour clore cet entretien. Quel est ton prono ?

Moi je suis pro-Saint-Etienne, je suis pro-Verts, je reste supporter donc je vais te dire qu’on a des chances. Maintenant si tu poses la question à Hervé Revelli footballeur international, le joueur le plus titré de Saint-Etienne, je vais te dire que c’est le Paris-Saint-Germain. Mais au fond de moi, j’ai trop cet amour du maillot vert pour te dire qu’on n’a pas de chance. On a une chance, il faut la saisir et jouer libéré. On n’aura pas un marteau sur la tête ou une enclume. Tout le monde dit que le PSG va gagner. A partir ce moment-là, jouez ! On va leur montrer qu’on n’est pas des cloches ! J’ai envie de dire, "faites-nous plaisir !"

 

Merci à Hervé pour sa disponibilité