Elément d’animation majeur des tribunes ces vingt dernières années, les fumigènes sont devenus emblématiques de la fracture chaque jour grandissante entre les instances du foot et les groupes de supporters, à Sainté comme ailleurs. Leur utilisation, quoique de plus en plus rare est toujours plus sanctionnée. Et la menace de huis clos qui pèse de plus en plus lourdement sur GG alimente les divisions entre supporters. Alors, comme dirait le petit Franck R, de Munich, « quand penser » ? 

Nous avons confiance en l’Injustice de ce pays

S’il est un point qui fera l’unanimité parmi les 22 000 sups ayant en moyenne fréquenté GG l’an dernier, c’est que la saison a été paisible et saine en tribune. L’ambiance générale fut sans conteste la plus agréable depuis la saison 2008 en particulier grâce à l’état d’esprit et aux résultats des hommes de Galette, qui a réussi dans son entreprise de bâtir un groupe auquel le public s’identifie. En dehors des deux derbies (et sans pour autant qu’il n’y ait eu d’incident majeur), l’atmosphère fut aussi douce qu’une caresse de Payet sur le cuir dans Gerland médusé en septembre 2010. Pourtant, pour la première fois dans l’histoire du club, une tribune fut fermée contre Dijon et quelques semaines plus tard, histoire d’en rajouter une couche (qu’elle tient bien épaisse) la grosse commission de discipline nous faisait le coup de la vraie-fausse clémence en nous laissant terminer la saison sans nouvelle sanction, mais en nous collant cette terrible épée de Damoclès des deux matches à huis clos avec sursis.

De quoi alimenter la paranoïa du peuple vert, jamais totalement disparue depuis l’affaire des faux passeports (faut-il remuer le fernando couteau dans la plaie en rappelant que ce fut l’occasion pour la ligue d’innover en faisant de Sainté le seul club en Europe sanctionné d’un retrait de points pour ce motif ?). Car en fait de quoi s’agissait-il ? De sanctionner un club, au hasard Sainté, non pas pour des incidents réels et constatés, mais pour l’usage de fumigènes, sans tenir compte une seconde que ceux-ci furent surtout déployés un soir d’anniversaire (et donc sans incident, contre Rennes), ni que ces mêmes fumis ont été craqués cette saison dans de nombreux stades de Ligue 1 sans que des sanctions autres que des amendes soient prononcées.

L’équation ambiance assainie dans le Chaudron + fumis allumés un peu partout = sanctions contre Sainté uniquement, outre qu’elle interpelle sur le (fa/fu)meux rôle de Caïazzo dans les instances, entretient donc ce terrible sentiment d’injustice ressenti par les sups Verts. 


L’auto-supportage

Les sups Verts. Tous les sups Verts, qu’ils aient l’habitude de pogoter en Kop ou de siffler à la moindre passe en retrait en Henri Point, considèrent qu’ils sont les dindons d’une vilaine farce orchestrée par la Ligue. Mais tous ne réagissent pas de la même façon. Pour la plupart d’entre nous, un fumi est l’équivalent d’un ticket de métro pour Edouard Balladur. Un truc dont on sait qu’il existe, mais qu’on a toujours vu de loin, ne sachant où l’acheter, combien il coûte et comment s’en servir. Pour les autres, les groupes de sups, le fumi semble être un élément de leur identité, du spectacle qu’ils orchestrent, du « feu » qu’ils mettent au Chaudron. Et leur identité revendiquée, c’est leur liberté d’animer à leur guise la tribune. Une identité et une liberté qui paraît à les entendre, plus importantes que le destin sportif du club. Partant du postulat que les joueurs partent et que seuls les supporters restent, les groupes de supporters semblent en effet être arrivés à la conclusion non dénuée de sens que le club, c’est eux. Sur le fond, difficile de leur donner tort, en dehors de la couleur du maillot, du stade, la seule chose immuable au club, ce sont les supporters. Une idée très largement répandue depuis que certains ont franchi la ligne blanche (Mouhamadou, Bafé, si vous me lisez…) en ne trouvant rien de mieux que d’aller parader là où on nous traite de batards (sans que, la ligue si prompte à sanctionner le PSG pour une banderole anti-ch’tis déployée par de simples sups n’ait cru bon de s’émouvoir d’une insulte nettement plus grave car émanant de membres d’un club, tout lien avec la paranoïa évoquée plus haut est totalement pas fortuit).

Puisque dirigeants et joueurs ne défendent plus l’institution Sainté, les groupes de supporters pensent être les gardiens du temple. Mais cette idée que le club c’est les sups est dangereuse dès lors qu’elle dérive vers le principe selon lequel le club appartient aux sups. Les sups prenant le pouvoir ont ainsi pu considérer à une époque heureusement lointaine qu’ils devaient donc mettre la pression sur les joueurs quand celle mise par le staff était insuffisante : pression prenant la forme de cartons à pizza tristement célèbres, de grèves de chants ou de menaces plus inquiétantes quand au retour d’une défaite à Gueugnon le bus des joueurs dut prendre à contresens une bretelle d’autoroute pour échapper à la confrontation.

A une époque où les résultats du club n’incitaient guère à l’euphorie, considérant sans doute que leur seule fierté résidait dans leur fidélité aux couleurs et dans le prestige dont ils bénéficiaient (fruit rappelons le d’un héritage, il est vrai bien entretenu), les groupes de supporters donnent parfois l’impression que leur propre destin est plus important que celui du club, que leur prestige passe avant celui de l’ équipe, et qu’au fond, ils se supportent parfois plus eux-mêmes qu’ils ne supportent le club.


L’auto-goal

D’où parfois une attitude qui sert d’abord leurs intérêts, tout au moins leur « combat » quitte à desservir le club. Et de là naît une division entre les supporters. Les ultras jusqu’au-boutistes, restent accrochés à leurs droits (et avant tout à celui de vivre leur passion sans contraintes), les autres, pragmatiques, constatent qu’ils sont pris en otage et ne souhaitent pas à la fois que l’équipe soit sportivement sanctionnée, ni être privé du plaisir sans égal de se rendre dans le Chaudron. Dans quelque sens qu’on tourne le problème, on en revient fatalement à la conclusion que les groupes de supporters, en continuant à laisser certains membres introduire et craquer quelques fumis, aussi rares soient-ils nuisent au club (sportivement et financièrement) et à la grande majorité (non encartée mais pas moins fidèle) des supporters.

C’est une sorte de double auto-goal qu’ils marquent ainsi. Car si les fumis nuisent au club et aux autres supporters, ils finiront aussi par nuire à ceux qui les allument. Car Magic Fans et Green Angels semblent dans le collimateur, et l’arme de la dissolution des groupes, souvent brandie par la justice a en d’autres lieux déjà été utilisée.


Les (autres) enfants de Don Quichotte

Ce serait injuste. Totalement. Et terriblement. Car, et il faut le marteler encore et encore, les ultras ne sont pas les dangereux décérébrés que nous décrit la Ligue, sans que les médias officiels n’y trouvent à redire. Au contraire, il faut admettre qu’il y a de moins en moins d’incidents dans les stades. Il faut souligner qu’à Sainté, les héritiers du fameux « fan club » qui animait ce qu’on appelait les gradins debout au début des années 80 n’ont pas leur pareil pour magnifiquement faire vivre le stade et suivre le club partout, toujours, tout en faisant preuve à l’occasion d’un esprit citoyen (engagement contre le cancer…) qui mériterait tant de bénéficier d’un large écho. Ce serait injuste car leur combat pour un football populaire, quoique sans doute perdu d’avance, est sain. Ils sont contre les matchs le vendredi, contre la Coupe de la Ligue, contre le PLM de Moustache, contre le foot business, contre les télés qui font du foot une marchandise que la Ligue cherche à vendre par tous les moyens. Qui est pour ? 


Ils sont contre tout ce qui chaque jour un peu plus fragilise la sacro-sainte glorieuse incertitude du sport. Ils sont comme entrés en résistance. Que cette résistance soit si frontale est le seul reproche qu’on peut leur faire. Car si pour ces Don Quichotte de Geoffroy, les fumis sont un symbole qu’ils n’entendent pas lâcher aussi facilement, on sait tous que les moulins à vent en dissiperont la fumée. Mais on aimerait qu’ils ne fassent pas en même temps s’envoler les pages du joli chapitre qu’est sur le point d’écrire notre équipe.

Parasar