Tu avais l’habitude de monter haut dans le ciel de Geoffroy. Cette fois-ci, tu as décidé de ne plus en descendre.


Depuis l’annonce de ton départ, je tourne et retourne l’affaire dans tous les sens. Il faut toujours prendre des précautions avant l’emphase, réfléchir à deux fois avant le superlatif. Mais là, je m’incline et vite.
Sainté c’est toi. Seul l’homme à la pipe peut décemment prétendre rivaliser, mais ton image est plus immaculée que la sienne. Nous te devons 90% de nos titres de Champion de France et 100% de nos Coupes de France.
Nous te devons le mythe, la légende, l’épopée, l’éternel statut de club à part.
On a souvent dit et écrit qu’au sein d’un club, les hommes passaient. C’est vrai. Tu es l’exceptionnelle exception. Toi tu es resté. Ancré à jamais dans le cœur des vieux et dans l’esprit des jeunes. Partout.
Chacun d’entre nous, quel que soit son âge, a un chapitre plus ou moins riche de sa relation intime à l’ASSE qui t’est concerné. Chacun d’entre nous sait ce qu’il te doit. Chacun, dans la sidération et le vertige de ton décès, s’est même sans doute demandé s’il serait devenu ce supporter totalement fou des Verts, si tu n’avais pas débarqué à Sainté en 1957.

La cinquantaine me guette et je m’aperçois que tu as tour à tour été ce grand frère que j’admire, ce père qui me guide, ce grand-père que j’écoute. Toujours là, dans ma vie verte, au carrefour de nos succès, de nos drames, de nos soubresauts. Toujours.
Là en 1980, quand j’ouvrais dans la cour de récré ces enveloppes panini et découvrais ton visage si particulier. Instant d’extase, bien sûr, car une image d’un Vert était un trésor pour nous tous. Moment de fascination aussi du fait de ce physique à part, de cette gueule étonnante. Grandissant je réalisais au gré de discussions avec des double-non (non stéphanois - non footeux) que ce physique avait marqué tout un pays pour qui Saint-Etienne, les Verts, c’était ce type, là avec sa tignasse rousse.
Là en 1987, quand déjà fou des Verts et marqué à vie par ces trois années (83-86) où déchéance puis renaissance s’enchaînèrent comme dans un grand huit, je sautais de joie à l’annonce de ton retour. L’homme du succès revenait. Et l’emballement fut à la hauteur des promesses. Cette quatrième place en 1988, ce football champagne, ces scores improbables, cette façon, marque de fabrique indélébile, de démarrer tambour battant le premier quart d’heure des matchs dans le chaudron, cette confiance folle et couronnée de succès aux jeunes. Le spectacle et les résultats étaient là. Moi qui n’avais pas connu la grande époque, je comprenais enfin.
Là depuis le début de ce siècle, à lire tes chroniques, mi-supporter, mi-tacticien, de chacun de nos matchs. Ton faible assumé pour Perrin, ta manière attendrissante de radoter un peu étaient touchants. Agaçants parfois, car on trouve toujours agaçant l’ancien qui donne son avis. Le soupçon d’aigreur n’est jamais loin. Mais tu étais là, fidèle. Fidèle et de plus en plus discret. Classe. Toujours classe. Y compris dans ta façon de te retirer progressivement de ce barnum qu’est devenu le foot. Même quand tu te mettais en marge, ce geste te plaçait au-dessus. Toujours au dessus.

Depuis lundi une envie me prend aux tripes, décuplée par cette sale période. L’envie de venir tout de suite, je n’en peux plus d’attendre, dans un chaudron plein, beau, fier, triste, vibrant d’éternelle reconnaissance, te saluer comme il se doit, et d’enfin laisser s’échapper toutes ses larmes qui s’accumulent.
Toi qui avais en 1983 lâché à Paris Match ce magnifique : « le football est une expression comme peut l’être l’écriture, la peinture, ou la danse. On peut l’apprécier comme un art ou comme on allait voir les chrétiens se faire massacrer dans les arènes », tu constateras alors dans le ciel de Geoffroy qu’il est aussi une messe.

Et tu entendras peut-être Blondin te dire : Le Roux est mort, vive le Roux !