Il a caressé la balle à Bâle. Exter d’enfer pour entrer au paradis, au panthéon, dans la légende. A sa manière. Avec force, avec rage, mais aussi avec nettement plus de talent que ne lui prêtent les décérébrés du micro. Cette rage, il l’a probablement toujours eue, car il a résisté à tout, notre fluctuat nec mergitur Sénégalais.


Lorsqu’un défenseur central s’impose régulièrement dans la surface adverse, ce n’est jamais le fruit du hasard. C’est le fruit de la rage.

Et quand les victimes s’appellent Lazio, Lyon, Inter, Monaco ou Bâle, c’est la signature d’un grand. D’un joueur qui sait se sublimer lorsque l’affiche l’exige. Qui met son habit de lumière pour éteindre l’adversaire. Qui répond présent dans ces instants d’adrénaline. Il signe de ses coups de tête offensifs et de ses coups d’épaule défensifs sa présence aux grandes heures du club.

 

Souvenons-nous. Mai 2009, les Verts tanguent et flirtent avec la zone rouge. A l’aube de la 35ème journée, ils sont 19èmes avant de débarquer en Normandie. Et déjà, à ces heures tragiques, Mouss, qui pourtant n’est personne dans le groupe, et surtout pas un taulier, mettra au Havre (2-4) et contre Toulouse la journée suivante (2-2) deux coups de boule si précieux pour le club.

Mais revenons 7 ans plus tard. Mouss, au retour donc (mais déjà à l’aller, ne l’oublions pas) a été le, héros de cette divine qualif au bout du bout d’un long et irrespirable combat à Bâle. Qu’elle est belle l’histoire. Le pestiféré devenu héros. Le bronze est prêt à être coulé. Il a le profil pour être statufié, notre Mouss. Ce sera son coup de tête rageur du derby magique ou sa joie extatique qui s’en est suivie qu’on immortalisera. Je lance illico la souscription, car je l’aime Mouss. Pour l’emplacement, rien que pour moi, pour que je le croise ad vitam à l’instant de goûter à la fameuse première gorgée de bière, ce sera à l’angle Snella et Henri Point, à la place de feu le terrain annexe.

 

Et puis soudain le drame. Bordel. Qui a un jour décrété que nos épopées devaient fatalement se finir comme les histoires d’amour des Rita Mitsouko ?

Qui prend ce malin plaisir de nous faire monter si haut pour nous plonger si bas quelques secondes plus tard ? Quelques secondes comme un raccourci de 10 ans de Mouss en Vert. 10 ans à naviguer entre triomphe et mise au ban, entre statue et rebut, entre pilier et boulet. 10 ans à te faire envoyer comme une balle de flipper du bumper admiration vers le bumper incompréhension. 10 ans résumés en 3 balles :

 

On te donne 3 balles, la première t’es un roc.

La première image qui me revient, le premier souvenir, immédiat, c’est celui d’un slalom au sein de la défense strasbourgeoise. De ton poste de milieu (!) tu viens arracher un pénal. Cette carrure, ce culot ! Tu bouscules, tu en imposes. Nous sommes en août 2007. Tu as su plus facilement percer la défense alsacienne que le monde du foot business. Ce foot moderne et ses dérives, tu pourrais en conter les sombres dessous, en faire même un spectacle. Tu ferais Sall comble.

D’abord le plaisir du jeu puis les premiers succès chez toi, à l’US Gorée. Ensuite le coup du pseudo agent qui va flairer le bon coup et chercher à faire de l’oseille sur ton dos. Te v’la donc parti au printemps 2006 à l’autre bout du monde, en Norvège, à signer un papelard foireux pour un club obscur, l’IK Start. Drôle de nom pour un club qui portera le premier coup d’arrêt à ta carrière. Quelques mois plus tard, délaissant le printemps norvégien tu succombes à l’été forézien et signes en août 2006 à Sainté. Ainsi démarre, il y a 10 ans ton histoire en Vert. Peu utilisé la première saison avec Hasek, tu exploses sous les ordres de Roussey, qui malgré le coup d’éclat alsacien te fait rapidement reculer aux côtés du poète Tavla avec lequel tu contribueras très largement (31 matchs, 4ème défense du championnat) à la qualif européenne de 2008.

 

On te donne 3 balles, la deuxième t’es un branque.

 

Mais Start te stoppe dans ton élan. Tes succès en Vert ont agacé le club norvégien, et te voilà suspendu par la FIFA quatre mois, jusqu’au 31 octobre 2008. Sall coup. Cette première placardisation, loin d’être anecdotique, ruine durablement ta carrière stéphanoise. Ce n’est pas une simple blessure qui t’éloigne des terrains. Mais une bourde que l’observateur indélicat aura vite fait de mettre sur le compte de ta bêtise / vénalité / naïveté, ne rayez aucune mention.

 

Suspendu quatre mois, tu es en fait condamné trois ans. Car si tu retrouves naturellement ta place pour contribuer à sauver le club en mai 2009, tu traverses la seconde annus horribilis consécutive des Verts (re-17èmes en mai 2010)  comme un fantôme (9 matchs joués seulement, Diakhate et Benalouane t’étant le plus souvent préférés). La saison suivante permet à Galette de façonner pour la première fois son effectif comme il l’entend. Les Verts retrouvent des couleurs avec des joueurs de devoir dont les MM’S en défense (Monsoreau et Marchal). Tu ronges encore ton frein même si les blessures de l’un ou de l’autre te permettent de ne pas disparaître totalement des radars. Mais Galette ne te fait pas confiance et va au bout de son projet de resserrer l’effectif. Une troisième année noire, la pire, s’annonce en juin 2011. Cette fois ci tu perds ton statut de remplaçant de luxe, persona non gros tas diront les gens bien intentionnés qui s’amusent de te voir écarté du groupe. Trop cher, sportivement pas essentiel au club, tu incarnes avec Monsoreau et Sanogo, un bouc émissaire à trois têtes condamné au loft avec piscine, mais sans Loana.

 

Ce rôle de paria restera comme une tache dans le presque parfait bilan de Galette. Car en 2016 comme en 2011, je ne comprends toujours pas quelle amnésie collective a frappé le club pour qu’aucune voix ne se fasse entendre pour rappeler que la seule fois que le club t’a fait confiance, Sainté finissait 5ème du championnat. Personne non plus pour rappeler tes coups de boule salvateurs de 2009, personne enfin pour souligner ta volonté de jouer, jouer avant tout, lorsque tu as accepté ce prêt à Nancy (quand Lorraine rime avec Cayenne…) alors que tes compagnons d’infortune, Monsoreau et Sanogo préféraient refuser de bouger. Cette rage, toujours cette rage de tenir, de résister, de chercher à te relever malgré les vents contraires.

 

On te donne 3 balles, la troisième t’es un Dieu.

 

Et puis, enfin l’éclaircie. La parenthèse nancéenne, inutile, se referme. Le club, croyant seulement préserver ses intérêts économiques, va en fait te relancer sportivement. Le deal est rare, humiliant, mais tu l’acceptes à l’été 2012 : gagner en 3 ans les 120 000€ que tu devais gagner sur l’année de contrat qui te restait.

 

Dès lors tu vas inexorablement écraser la concurrence : Mignot est plus lent, Zouma - pourtant très largement mis en vitrine par Galette - tactiquement moins rodé, Pogba est moins fiable. Bref tu es LE complément idéal à Dieu et tu alignes en 4 saisons 106 matchs de Ligue 1. Seul le pire des aveugles (celui qui ne veut pas voir) s’étonnera donc de constater que tes cinq saisons pleines en Vert (celles où tu as disputé 2/3  ou plus des journées de L1) coïncident parfaitement avec les 5 meilleurs classements en L1 de Sainté depuis 10 ans : 5è en 2008, 5è en 2013, 4è en 2014, 5è en 2015 et 6è en 2016. Cinq saisons lors desquelles Sainté a présenté respectivement la 4è, 2è, 4è, 2è et 3è défense de France. CQFD.

 

C’est cette froide et implacable réalité des chiffres qui doit faire taire les éternels sceptiques, les imbéciles qui ne changent jamais d’avis, les rois de l’analyse à l’emporte-pièce et de l’a-priori définitif. Et au-delà de cette discrète efficacité, sous l’écorce, passées les épreuves, la confiance venant, ce qui ressort c’est cette fameuse rage donc, mais aussi ce supplément d’âme, cet amour pour le club que tu as progressivement manifesté.

En janvier dernier, quelques jours avant un derby retour ta déclaration était à cet égard éloquente : « J’ai regardé le match aller à la télé et j’ai vu les comportements des Lyonnais. Chez eux, ils font toujours des trucs inadmissibles. Ils sont méchants, agressifs et vulgaires. Le match retour va être très compliqué pour eux. On va se faire respecter, grave ! »

 

Je repense à Bâle. J’y repense et c’est un supplice. T’aurais tant mérité ne pas passer à deux doigts et deux minutes de la légende, mais d’y rentrer avec fracas. J’aurais tellement apprécié que cette putain d’ombre d’incompréhension au-dessus de ta carrière verte se dissipe. Qu’un exploit Vert porte ta signature. Que l’idylle ne soit pas seulement naissante mais accomplie. Que la statue ne soit pas virtuelle. Que l’histoire ne se termine pas ou au moins qu’elle finisse mieux.

Qu’importe le malaise actuel. Au-delà de cette fin en queue de poisson, Mouss, t’as juste été immense, et tu mérites notre respect, grave !