Les poteaux carrés hantent-ils vos nuits ? Vous réveillez-vous parfois en sursaut à 3h00 du mat' en criant "moins fort la tête Jacquot, moins foooooooooort !!!"
(Rires) Bon, ce n’est pas tout à fait ça mais il m’arrive de repenser à ce match et aux poteaux carrés. Le métier d’entraîneur n’est jamais trop facile et parfois je repense avec nostalgie à la finale perdue à Glasgow. Je me remémore de temps à autres les moments forts de ma carrière et c’est vrai que j’ai ce flash qui me revient, ce centre pour Jacques Santini après mon débordement côté gauche. C’est presque l’aboutissement d’un joueur professionnel que de pouvoir jouer une finale de coupe d’Europe des clubs champions. On est passé à côté de quelque chose car ce jour là je pense qu’on a été vraiment à la hauteur de l’événement. Quelque part on se dit et on se dira qu’il ne nous a pas manqué grand-chose. Une arête. Sur la tête de Jacques Santini, à mon sens, le ballon serait rentré avec des poteaux ronds. Par contre, je ne pense pas que le tir de Dominique Bathenay serait rentré. Je ne me souviens pas que de ces deux poteaux. J’ai retenu d’autres moments forts de ce match, notamment mon occasion en début de deuxième mi-temps. J’ai une opportunité, une tête que je croise trop : je passe devant Schwarzenegger, heu non je confonds avec l’acteur là (rires) ! Je passe devant Schwarzenbeck mais ma tête passe à côté. C’est une opportunité qui se présente très rarement, même sur un match de haut niveau. Je m’en veux, j’aurais pu être plus lucide, plus efficace.
Selon vous, quel titre de chanson de Brassens illustre le mieux la finale des Verts à Glasgow ? "Les Trompettes de la renommée", "Les illusions perdues", "Si le Bon Dieu l'avait voulu" ou "Les Copains d'abord" ?
« Les copains d’abord » mais quelque part aussi « Les illusions perdues ». « Les trompettes », non je ne pense pas, parce qu’un club comme ça ne va jamais mourir. C’est une identité tellement forte à travers les générations que ça restera toujours un club excessivement mythique. « Les copains d’abord » me paraît être la formule qui illustre le mieux le phénomène vert à travers cette épopée et cette finale à Glasgow. « Les copains d’abord », parce que ça a été la force de cette équipe, de ce groupe : un lien extrêmement fort et poussé dans l’amitié. Nos ressources incroyables nous ont permis de relever les nombreux défis qui nous étaient proposés.
Six ans avant la finale perdue à Glasgow, vous remportiez la finale de la coupe Gambardella contre l’OL. Avez-vous gardé des images de ce match ?
Oui bien sûr, car c’est le point de départ de notre épopée, de notre aventure. Quand on parle d’épopée, on se souvient quand même de ce groupe de jeunes joueurs qui ont commencé à évoluer, à grandir ensemble pour atteindre l’élite du football professionnel dans un club qui faisait déjà parler de lui. L’ASSE venait de remporter quatre titres de champions de France d’affilée, de 1967 à 1970. La chance que l’on a eue à cette époque là , c’est de pouvoir baigner dans la cellule professionnelle tout de suite. En fait, ça a été un grand bonheur et à mon avis, c’est ce qui nous a permis très vite de grandir et de progresser. Autour de nous, il y avait de grands professionnels, ils le prouvaient sur le terrain. Pour revenir à cette finale de Gambardella, c’est sûrement le premier grand rendez-vous, réussi, de tout ce groupe, de toute cette équipe. Et en plus contre l’Olympique Lyonnais … Il y avait Raymond Domenech et Bernard Lacombe dans l'équipe lyonnaise. Bien sûr que je me souviens de ce match. A dix minutes de la fin on menait 3 buts à 1 mais en quelques minutes les Lyonnais ont marqué deux buts. A la séance de tirs au but, on a fait preuve d’une totale sérénité. On a mis les cinq, et je me souviens encore du dernier. C’est Jacques Santini qui le frappe, le gardien détourne le ballon sur le poteau mais le ballon rentre dans le but.
Je parie que les poteaux n’étaient pas carrés… Pour les plus jeunes, pouvez-vous nous rappeler quels vainqueurs de cette finale ont participé à vos côtés à l’épopée européenne quelques années plus tard ?
Bien sûr ! A la base de cette équipe qui a gagné la Gambardella en 1970, il y avait déjà Christian Lopez derrière, Alain Merchadier, Jacques Santini, Patrick Revelli, Christian Synaeghel et moi-même. Voilà , c’était le noyau dur. Ensuite, ont intégré ce groupe des garçons comme Dominique Bathenay, Dominique Rocheteau et Gérard Janvion. Il y avait aussi des garçons un peu plus matures comme Pierre Repellini.
Vous souvenez-vous de votre premier but sous le maillot vert ?
Ah, ça reste vraiment un des grands souvenirs de ma carrière de joueur. Forcément ! Déjà parce que c’était un match à hauts risques, les deux équipes étaient à la lutte pour le titre. C’était un vrai match au sommet entre deux gros clubs, et je me souviens que cette rencontre avait suscité un engouement très particulier. Les médias avaient beaucoup parlé de ce match, il y a avait une forte pression. L’environnement du match m’a marqué, mais également le match en lui-même. Les deux équipes se valaient, il y avait un gros potentiel de part et d’autre, de belles individualités dans chaque camp. Le match était assez fermé avant de se décanter sur une frappe du gauche de Robert Herbin, pourtant un pur droitier. Josip Skoblar égalise pour l’OM. Et j’arrive à marquer le but victorieux sur un centre du pauvre Durkovic. Un but du droit figurez-vous, alors que je suis un pur gaucher. On nous rabâchait toujours « à l’approche du but, faites preuve de spontanéité » et c’est ce que j’ai fait : j’ai frappé le ballon comme il vient.
Est-ce votre meilleur souvenir de footballeur ?
Disons que ce but fait partie des moments forts de ma carrière car ça a été mon premier coup d’éclat chez les pros. J’ai connu bien sûr d’autres grands moments dans ma carrière. J’ai marqué quelques buts, mais je n’étais pas un grand buteur. J’étais plutôt un passeur et plutôt axé sur le rôle spécifique de l’ailier. J’avais un modèle : Spasoje Samardzic. C’est lui qui m’a appris à centrer avant de déborder. Il avait un centre excessivement lifté, j’ai travaillé énormément ce geste à l’entraînement. Samardzic était un peu mon maître, mon idole. Je trouvais ça incroyable de le voir travailler le ballon de la sorte. J’ai répété et répété ce geste pour créer le danger. Cette arme m’a permis de contribuer aux buts de mes coéquipiers, Hervé Revelli notamment qui était toujours à l’affût.
Quel est votre pire souvenir de joueur ?
Ce n’est pas un match en particulier mais une année : 1978. J’arrivais au terme de mon contrat avec l’ASSE. J’étais international et quasiment titulaire en équipe de France, en alternance avec Didier Six. En février 1978, malheureusement, j’ai eu un accident : j’ai subi un tacle excessivement sévère d’un joueur de Rouen. Une véritable agression intervenue alors que la mi-temps aurait déjà due être sifflé depuis quatre minutes … A cette époque, j’étais en contact avec pas mal de clubs de première division dont Monaco. J’étais prédestiné à faire la coupe du Monde mais ma blessure (fracture ouverte de la jambe) a tout remis en question. Cette année 1978 a été lourde de conséquences pour la suite de ma carrière au plus haut niveau. J’ai loupé la coupe du Monde à cause de cette blessure. Dans ma carrière de joueur professionnel c’est ce qui m’a manqué, c’est ce qui me manquera toute ma carrière et toute ma vie hélas. Le fait de subir une telle agression a été très dur à vivre pour moi. Cette impression que tout était terminé, c’était vraiment pénible. Très rapidement, le chirurgien (le professeur Imbert) avait dit qu’il y avait encore un petit espoir mais il ne pouvait pas se prononcer. J’avais l’impression que tout se terminait. Disons que ça a été une période très noire car j’aurais pu signer dans un des clubs de première division qui me courtisaient ou continuer ma carrière à l’ASSE. Dans mon malheur, j’ai quand même eu la chance de tomber sur un grand président : alors que j’étais blessé et en fin de contrat, Roger Rocher m’a prolongé d’une année. Un geste très touchant, qui prouve que les Verts formaient une grande famille.
Vous étiez un pur gaucher plein de technicité et de finesse. Auriez-vous votre place dans le football moderne ? Dans quel type d'organisation tactique ?
Très honnêtement, je pense que j’aurais encore ma place dans le football moderne. J’avais une dominante technique assez élevée… Ce n’est pas présomptueux ce que je dis, c’était reconnu. J’avais beaucoup de facilités avec mon pied gauche. Je pense qu’il y a des critères, des qualités, des facteurs qui sont prédominants aujourd’hui. Le physique est un de ceux-là mais à mon sens la qualité technique reste fondamentale. Je pense sincèrement que je n’aurais pas trop de problèmes à trouver ma place aujourd’hui, en affinant ma technique et en améliorant mes qualités physiques et athlétiques. Les structures, les schémas de jeu ont évolué, on joue souvent avec deux joueurs de couloir excentrés. Je pense que je pourrais aujourd’hui m’intégrer dans un tel système sans trop de difficultés.
Un de vos anciens coéquipiers stéphanois a comme vous des attaches au Pays basque : Jean-Michel Larqué. Ses qualités de joueur forçaient l’admiration, mais son expérience de manager a laissé de mauvais souvenirs à de très nombreux supporters stéphanois. Sans langue de bois, que pensez-vous de lui ?
Incontestablement, Jean-Michel était un excellent joueur : un numéro 10 à la fois créateur et finisseur, un très bon tireur de coups francs. Il avait une très belle patte droite, un bon sens du jeu. Ce n’est pas pour rien qu’il a été international et a réalisé une belle carrière. Pour ce qui est de l’homme, c’est vrai que Jean-Michel a une forte personnalité. C’est un garçon qui était difficile à cerner. On sentait qu’il était plus distant que certains autres joueurs. Il n’était pas facile à aborder, par contre il répondait toujours présent quand on le sollicitait. Jean-Michel a toujours eu une forte personnalité. Nous les jeunes, on avait certaines difficultés dans cette première approche pour aller vers lui. Mais à côté de ça, je me suis toujours bien entendu avec lui. Sur le terrain, Jean-Michel montrait également que c’était la forte personnalité du groupe. Ce n’était pas toujours facile. Concernant son expérience de manager à l’ASSE, très honnêtement, je serais très mal placé pour pouvoir juger car j’étais très loin de tout ça et je n’ai jamais su véritablement ce qui s’était passé.
Quel entraîneur a eu le plus d'influence sur vous ? Avez-vous essayé de vous en inspirer ?
J’ai toujours essayé de retirer tous les bienfaits que m’ont apportés l’ensemble des entraîneurs que j’ai côtoyés. Il y a toujours eu du bon et du mauvais, c’est le propre de tout entraîneur, de toute personnalité. Le premier entraîneur qui m’ait vraiment marqué était Albert Batteux. Qu’on le veuille ou non, sur le plan football, c’était une référence. C’est lui qui nous a permis de baigner dans la cellule professionnelle, qui nous a parlé du football professionnel et de ses exigences. L’entraîneur qui nous a véritablement lancés, c’est Robert Herbin. Il a eu une totale confiance en nous. Robert Herbin a toujours cru en nous, il a toujours pensé qu’on avait un potentiel à exploiter. C’est lui qui nous a apporté ce capital confiance qui est indispensable pour réussir au plus haut niveau. Robert Herbin a été l’homme qui nous a permis de décoller, de mettre en éveil tout ce qu’on possédait. Encore aujourd’hui, je pense qu’on lui doit énormément. C’est grâce à lui qu’on a pu exprimer et exploiter au mieux nos qualités, au sein de cet effectif, dans ce contexte assez familial.
Dans « Le Football mot à maux » (entretien avec Paul Bonnetain et Claude Chevally publié aux éditions De Borée en octobre 2004), Robert Herbin dit qu’il vous a choisi comme adjoint car Gérard Farison, son premier choix, n’était pas disponible. Le Sphinx enchaîne par un tacle à la Trochkine en rajoutant : « Je faisais confiance… L’ennui c’est que cela ne m’a pas servi. Disons que le vizir a voulu prendre la place du calife. Mais je continue de penser que l’adjoint est une nécessité. La difficulté, c’est de trouver le bon adjoint. » Que pensez-vous des déclarations de Robby ?
Ce n’est pas tout à fait comme ça que ça s’est produit. Il a oublié de parler d’une tierce personne dans cette affaire. Je pense que cette tierce personne a eu un rôle déterminant dans la décision du président André Laurent. Je ne pense pas que c’est comme ça qu’il faut le voir. En aucun cas ça s’est passé comme Robert Herbin semble le dire. J’ai toujours su tenir et garder le poste qui était le mien mais à un moment donné André Laurent est venu me parler. Il m’a expliqué les raisons qui l’ont poussé à me faire confiance en tant qu’entraîneur général. Mais ce n’est aucun cas par rapport à ce que l’adjoint Christian Sarramagna aurait pu faire à l’égard de l’entraîneur Robert Herbin.
Quelle est la tierce personne à laquelle vous faites allusion ?
Non, désolé, je ne tiens pas à dire quelle est cette tierce personne. Tout ce que je peux dire, c’est qu’elle a eu un rôle déterminant dans le changement d’entraîneur.
Les relations entre un entraîneur et un adjoint sont-elles nécessairement compliquées et potentiellement conflictuelles (exemple : Santini/Baup) ?
En effet, c’est très souvent compliqué car l’entraîneur adjoint est toujours entre deux eaux. L’entraîneur général est le décisionnaire. L’adjoint essaie d’être le tampon entre l’entraîneur et les joueurs qui sont blessés ou ont des états d’âme par rapport à des choix. L’adjoint a un rôle très ingrat. Ce n’est pas facile tous les jours. L’entraîneur principal se retranche souvent derrière l’adjoint pour essayer de justifier les choix qui génèrent le mécontentement de certains joueurs. L‘adjoint est parfois en porte-à -faux à ce moment là . L’adjoint n’a pas forcément le meilleuer rôle, car l’entraîneur général est en droit de faire ses choix mais il ne les justifie pas toujours. L’adjoint est là pour tenter d’expliquer aux joueurs le pourquoi et le comment des décisions de l’entraîneur. Vous avez des entraîneurs qui sont très proches de leurs joueurs, d’autres qui le sont moins, comme Robby par exemple. C’est comme ça, il faut accepter la personnalité de chacun. Cette situation n’est pas évidente à gérer pour un adjoint, elle se retourne parfois contre lui. Parfois, il y a des choses qui reviennent qui ne coïncident pas avec le rôle et le discours qu’on peut tenir aux joueurs. Un adjoint est presque pris en otage.
Avec le recul, quel bilan tirez-vous de vos deux années d’entraîneur de l’ASSE ?
Je trouve que le bilan est globalement positif. Quand André Laurent m’a annoncé que j’allais prendre la direction de l’équipe, j’ai été très surpris. Sincèrement, je ne m’y attendais pas du tout. J’étais à mon domicile, le président m’a témoigné de sa confiance par téléphone. Il voulait absolument me rencontrer au plus vite. L’équipe sortait d’une saison assez éprouvante, elle avait terminé à la quinzième place du classement et son parcours en coupe de France avait pris fin en demi-finale face à Montpellier. Ma première saison en tant qu’entraîneur, le recrutement a été plus que sage et on a terminé treizièmes. La saison suivante, on a terminé à la dizième place du classement. Le bilan est correct, car ça faisait quelques saisons que l’ASSE n’avait pas réussi à accrocher la première moitié de tableau. L’ossature défensive de l’équipe était une des meilleures du championnat de première division. La saison suivante, je crois que Saint-Etienne a eu la meilleure défense du championnat. [ndlr : avec 26 buts concédés, l’ASSE a eu en fait la deuxième meilleure défense du championnat, Bordeaux ayant pris un but de moins]. C’est moi qui ai mis en place Joseph-Antoine Bell dans les buts, Christophe Deguerville et Philippe Cuervo sur les côtés, Sylvain Kastendeuch et Jean-Pierre Cyprien en charnière centrale.
Lorsque vous repensez à cette période, avez-vous des regrets ?
Oui, forcément. Même si le bilan de ces deux années reste correct, je pense qu’on aurait pu avoir de meilleurs résultats. On a manqué des rendez-vous importants. Dans une saison, vous avez souvent des matches-clés, des matches ciblés qui permettent de décanter une saison et de propulser l’équipe vers le haut. Malheureusement, sur certains matches, on n’a pas toujours su répondre présent. On n’a pas réussi à basculer dans le premier tiers du championnat. Mais dans l’ensemble, je retiens toutefois la progression globale de l’équipe d’une saison sur l’autre. Après mon départ, elle a continué sa progression une saison de plus.
Etes-vous d’accord avec les critiques qui ont été émises à l’époque par certains observateurs sur votre inexpérience au plus haut niveau et votre manque d’autorité sur les joueurs ?
Je ne suis pas vraiment d’accord. J’étais sûrement beaucoup plus proche des joueurs que Robert Herbin. Mais il est évident qu’en tant qu’entraîneur général, je savais prendre aussi des décisions. Je vais prendre un exemple : lors d’un match au Parc contre le PSG, j’ai sorti Philippe Tibeuf à la mi-temps alors qu’il était international et capitaine de l’ASSE à l’époque. Je suis quelqu’un de simple, toujours disponible, près des gens. Mais le football de haut niveau reste un sport professionnel avec ses exigences. Et de ce côté-là , même si par ailleurs j’ai un côté assez chaleureux, je pense avoir toujours été assez dur à l’égard des joueurs, compte tenu de ce qu’ils étaient, du statut qu’ils avaient et de ce que représentait l’ASSE.
Quels souvenirs gardez-vous de Lubomir Moravcik ?
Je tiens à rappeler que c’est Bernard Bosquier et moi-même qui sommes allés le récupérer. Titi Camara aussi d’ailleurs. Lubo était un joueur doué naturellement, mais pas très facile dans la gestion. Il a mis un certain temps avant de s’adapter à l’ASSE. C’était un joueur difficile. Même à l’entraînement, par moments, ça devenait un peu compliqué avec lui. Et ça se retrouvait un petit peu en compétition, même si je reconnais que c’était un des principaux atouts de l’équipe. Lubo aimait se mettre en évidence, il avait parfois tendance à oublier l’essentiel : le collectif. Parfois, il a négligé de mettre au service de l’équipe ses grandes qualités individuelles. Mais au bout du compte, Moravcik est devenu un des meilleurs joueurs du championnat de France, une valeur sûre sollicitée à l’époque par plusieurs grands clubs européens.
Après avoir quitté Saint-Etienne, vous avez entraîné Martigues, Sedan et Mulhouse. Vous avez également été le sélectionneur du Mali pendant deux années (1998-2000). Quel bilan tirez-vous de cette expérience africaine ?
Le bilan est assez mitigé. A l’époque, quand j’ai pris les rênes de la sélection malienne, il n’y avait pas un joueur qui évoluait en première division en Europe. Ma mission était de construire une équipe. J’étais présent lors du championnat du Monde des moins de 20 ans : il y avait Mamadou Diarra, Seydou Keita, Dramane Coulibaly, etc. En équipe nationale, je n’avais aucun joueur confirmé. Le seul qui était un peu plus chevronné que les autres était Soumaïla Coulibaly, qui évoluait en Egypte et joue désormais à Fribourg, en Allemagne. J’ai également permis de faire sortir un garçon comme Adama Coulibaly. Ce joueur avait été abusé par des agents italiens qui voulaient se faire de l’argent sur lui. Je suis allé voir le ministre des sports et le président de la fédération malienne pour lui permettre d’aller en France et de jouer à Lens. C’est devenu un pion important dans la structure lensoise. Tout ça pour dire que mon expérience au Mali était très compliquée. J’étais parti là -bas surtout pour mettre en place une structure compétitive pour ne faire une Coupe d’Afrique des Nations qu’avec des jeunes. Aucun rapport avec la situation d’aujourd’hui. Actuellement, je considère que le Mali possède l’un des plus gros potentiels en Afrique mais malheureusement il n’en tire pas profit. Il ne s’en donne pas les moyens, c’est un petit peu dommage.
L’ASSE compte un Malien dans son effectif : Fouss Diawara. Que pensez-vous de ce joueur ?
Je ne pense pas que Fousseni ait les qualités suffisantes pour s’imposer comme latéral. La qualité première qu’il faut avoir pour ce poste est la vitesse, la puissance, la vélocité, la vivacité. Fousseni est peu juste dans ce domaine. C’est toutefois un joueur intelligent, qui s’est toujours bien adapté. Il a toujours su répondre présent lorsqu’Elie Baup l’a utilisé à ce poste de latéral droit. Il s’est efforcé de bien tenir sa place. Mais je pense malgré tout qu’il a des manques à ce poste là . J’apprécie Diawara, c’est un bon garçon, de bonne éducation. Mais je pense que son manque de compétition risque de lui poser problème. Il devrait peut-être penser à bouger, d’autant plus que Lamine Diatta s'est apparemment imposé au poste de latéral droit.
A Saint-Etienne, vous avez joué avec un autre joueur malien, une véritable légende du foot africain : Salif Keita. Vous aviez marqué le jour de son incroyable sextuplé face à Sedan (victoire 8-0). Est-ce le coéquipier le plus talentueux que vous ayez connu à Sainté ?
Oui, sans hésiter ! Il fait partie selon moi des plus grands footballeurs au monde, au même titre que des Cruyff, Beckenbauer, etc. Salif était un surdoué, il savait tout faire avec un ballon. Il avait une félinité qu’on n’a pas retrouvée dans le jeu. Il avait des dribbles incroyables, des feintes de corps sans toucher le ballon vraiment extraordinaires. J’ai vu des choses invraisemblables de la part de Salif, je l’ai vu marquer du talon, je l’ai vu faire la même feinte que Pelé lors de la coupe du Monde 1970. Je l’ai vu marquer six buts lors du même match, comme vous le rappeliez à l’instant. Pour résumer, je l’ai vu faire des choses que très peu d’autres joueurs ont réussi à faire sur un terrain de football. Pour moi, ça reste un des plus grands joueurs. Et dire que j’ai eu la chance de le côtoyer !
Il y a quelques mois, Salif Keita (président de la fédération malienne de football) souhaitait que vous redeveniez le sélectionneur des Aigles, or ça n’a pas pu se faire. Pour quelles raisons ?
J’avais signé un contrat avec la fédération malienne, avec Salif, car ça faisait très longtemps qu’il pensait à moi. Il voulait que je prenne en charge la sélection malienne, d’autant plus que j’avais déjà une expérience de ce poste. J’avais préparé un programme que j’avais remis en mains propres à Salif. Ca lui convenait tout à fait, je prévoyais une préparation en Europe. Je lui avais expliqué quels étaient les manques que j’avais ressenti à l’époque et lui ai proposé un plan d’actions pour y remédier. L’idée était de rattraper le retard qu’on avait pris en termes de structure et d’organisation par rapport à des pays comme le Cameroun et le Sénégal. Salif était sur la même longueur d’onde que moi. Malheureusement, une tierce personne s’est greffée et n’a pas permis que mon plan se fasse. Il s’agit de l’homme d’affaires malien Malamine Koné, le patron d’Airness. Il a jugé que c’était à lui seul de prendre en charge la désignation du sélectionneur. Dans la mesure où c’est lui qui prenait en charge financièrement la sélection, il a été suivi par le ministère des sports malien et j’ai du me retirer.
Christian, on vous croyait définitivement ancré au Pays basque, et on se disait que seule l'ASSE pourrait vous le faire quitter. Or vous avez rejoint le FC Sète. Quelles sont les raisons de votre choix ?
J’avais choisi d’aller à Bayonne car c’est ma ville natale, c’est ma région et c’était un challenge intéressant de faire progresser le football dans cette contrée où l’Ovalie est prédominante. J’ai pris un groupe qui sortait de la DHR, et j’ai réussi à faire monter le club jusqu’en National. Tout le monde aurait pu penser que j’allais rester là -bas, mais certaines choses m’ont énormément déçu. Surtout des hommes d’ailleurs. Ceux avec qui je m’étais engagé. On est arrivé à un niveau où ce n’était hélas plus possible de pouvoir professionnaliser le football. Il faut dire les choses comme elles sont : le message politique n’allait pas dans le sens de la professionnalisation du club. Et puis je ne m’entendais plus avec mon Président, c’est clair. Vivre et toujours baigner dans un milieu amateur, ça ne m’intéressait plus. A partir du moment où le club parvient à l’échelon du National, il faut être un petit peu sérieux et mettre en œuvre des moyens et des structures en adéquation avec le niveau sportif.
On vous propose demain de diriger le Centre de Formation de l’ASSE. Etes-vous prêt à laisser votre poste pour revenir dans le Forez ?
A laisser mon poste, non, car je suis quelqu’un qui respecte ses engagements. Actuellement je suis à Sète et je m’investis pleinement dans les missions qui m’ont été confiées pour essayer de donner une nouvelle dynamique à ce club qui vient de redescendre en National. Mais si je suis libre et qu’on me propose de diriger le centre de formation de l’ASSE, je dirais oui, ça s’est clair ! C’est peut-être un message que je peux faire passer : c’est quelque chose qui m’enchanterait. Aujourd’hui, je ne vous cache pas que je suis un peu déçu par le milieu professionnel, je suis déçu des hommes. Aujourd’hui, le milieu professionnel n’est plus conforme à ce que j’ai connu, à ce que j’ai envie de vivre. Prenons un exemple : que représente un contrat aujourd’hui ? Quasiment plus rien ! A partir de là , il n'y’a plus rien de crédible. Et que dire du métier d’entraîneur ? Aujourd’hui il est lié à un ou deux résultats, tout est remis en question. Avant, on donnait plus facilement la possibilité à un entraîneur de travailler sur la durée, et on avait forcément des résultats. Aujourd’hui la durée c’est quoi ? Deux mois, trois mois, six mois ?
Avez-vous vu le futur Ribéry ou le futur Faubert en National ? Plus sérieusement, si vous détectiez un bon jeune ou un très bon joueur de National, avertiriez vous l'ASSE ? Un autre club ? Ou pire que ça, l'OL ?
Ah non, pas l’Olympique Lyonnais ! Très honnêtement, si j’ai un club à avertir, c’est l’ASSE, bien sûr ! J’ai toujours eu d’excellentes relations avec ce club, avec tous les entraîneurs qui y sont passés. J’ai toujours des contacts avec les gens qui travaillent pour la détection au niveau des jeunes. La priorité resterait l’ASSE, aucun souci de ce côté-là ! Mais je suis au regret de vous informer que je n’ai pas encore repéré le futur Ribéry ou le futur Faubert.
Quelles sont les caractéristiques de ce championnat National ?
C’est un championnat compliqué …On est aux portes du professionnalisme mais il n’y a rien de professionnel. Déjà l’affiche : Sète/Romorantin, Sète/Raon l’Etape, Sète/Croix de Savoie …Disons que vous ne faites pas bouger le monde ! On vivote entre l’amateurisme et le professionnalisme. Dans beaucoup de clubs, comme à Sète, il y a des joueurs amateurs, des joueurs qui travaillent. Vous récupérez des joueurs en fin de journée pour vous entraîner. C’est pas l’idéal ! Ensuite, vous n’avez pas les budgets qui vous permettent de vous préparer dans des conditions favorables. Les qualités des équipes de National se résument en deux facteurs : le physique, l’engagement. La qualité footballistique et technique vient après.
Que pensez-vous d’Idriss Ech Ergui ? Pensez-vous qu’il a le potentiel pour jouer en Ligue 2 voire en Ligue 1 ? Dans quel domaine est-il le plus perfectible ?
Je connais très bien Idriss, c’est un gosse qui est doué naturellement. Là , actuellement, il en est à 5 buts quand même, sans avoir été toujours titulaire ! Je pense que ça prouve bien sa valeur, sa qualité de finisseur. Idriss est un garçon très adroit, il sent bien le jeu mais je pense qu’il faut qu’il mûrisse un petit peu dans sa tête. Il faut qu’il sache mieux gérer les temps forts et les temps faibles dans un match. Il faut qu’il maîtrise encore un peu mieux tout son football. Mais bon, il est à Sète justement pour ça. Si je l’ai pris, c’est pour lui permettre de continuer son apprentissage. Dans sa carrière, Idriss a eu un frein à cause d’une blessure assez sérieuse. Mais j’en ai encore parlé dernièrement avec Elie Baup, qui a toujours cru en lui. Moi aussi j’ai toujours dru en lui, c’est pour ça que je l’ai pris avec moi. Très honnêtement, je pense que c’est un garçon qui peut espérer aller au-delà , il a les qualités pour réussir à l’échelon supérieur.
Indépendamment du match de coupe de la Ligue, suivez-vous toujours les résultats des Verts ?
Sincèrement, j’ai toujours été le premier supporter de l’ASSE. Toujours. Chaque fois que je prends un journal, que j’écoute la radio ou que je regarde la télévision, ma priorité est de savoir ce qu’a fait l’ASSE. Au-delà du club, c’est une partie de ma vie. Automatiquement, c’est quelque chose qui est bien ancré en moi et que je n’oublierai jamais. Je sais pertinemment ce que ce club m’a apporté, donc je reste marqué à vie par les Verts.
Quand êtes-vous venu pour la dernière fois dans le Chaudron ?
J’y suis allé la saison dernière. En fait, j’essaye de m’y rendre deux ou trois fois par an. Figurez-vous que chaque fois que je rentre dans cette enceinte, il y a toujours une émotion forte, qui se lit en moi sûrement, beaucoup de gens me le disent. Geoffroy-Guichard est un stade dans lequel il se passe toujours quelque chose. L’ASSE est un club mythique, et forcément il y a quelque qui se passe et qui se passera toujours dans le Chaudron.
Comment jugez-vous l’évolution de l’ASSE depuis son retour en Ligue 1 ?
On dit souvent que l’histoire a du mal à se répéter. Il y a un temps pour tout. Il y a eu une période de vie, de sport, qui était la nôtre. Tout ça a changé. Aujourd’hui, si vous n’avez pas les moyens, vous avez du mal à monter une équipe très performante. Les moyens, c’est bien sûr les budgets. Si vous n’avez pas de gros budgets, vous n’avez pas les joueurs. Forcément. En plus, nos meilleurs joueurs s’expatrient, et ça devient beaucoup plus compliqué. Maintenant, je pense très honnêtement que le recrutement de l’intersaison, malgré le départ de Zokora, a été très astucieux et intelligent. Je pense que l’ASSE a ainsi les moyens de continuer sa progression pour atteindre peut-être le haut du tableau.
Pensez-vous qu’une épopée des Verts est encore possible ... en championnat pour commencer ?
Même si je suis toujours de nature optimiste, ça me semble difficile. Pour revenir au plus haut niveau, dans le football d’aujourd’hui, il faut forcément aller chercher les meilleurs joueurs. Ces joueurs seront forcément attirés par des clubs plus huppés que l’ASSE. Mais honnêtement, compte tenu de ce que représentent les Verts, je pense que Saint-Etienne aura toujours l’opportunité de récupérer des bons joueurs à défaut de pouvoir récupérer les meilleurs. C’est pour ça qu’à mon sens, l’ASSE peut avoir l’ambition de s’installer dans le premier tiers du championnat. Ce que j’espère de tout cœur dans les deux ou trois années qui viennent, c’est que les Verts puissent jouer une coupe d’Europe. Je pense qu’ils sont très proches de ça, c’est l’aboutissement qu’ils pourraient se fixer. J’espère pour eux que ça arrivera dès cette année.
Mercredi, votre équipe reçoit l'ASSE en Coupe de la Ligue. Est-ce pour Sète le match du siècle ?
Le match du siècle peut-être pas (rires), mais je pense que c’est le match de l’année, oui. C’est un grand évènement, tout simplement ! Rencontrer Saint-Etienne, c’est énorme pour un club comme Sète. C’est un bon tirage. Rencontrer un club mythique comme l’ASSE, ça crée forcément un engouement très particulier. Maintenant, pour tout vous dire, ça reste un match de football. Avec tout le respect qu’on peut avoir pour Saint-Etienne, on se dit qu’on a une petite chance. Même si elle est minime, on va la jouer à fond. On va essayer d’être au niveau de ce que représente ce match.
Le dernier match de coupe entre le FC Sète et l’ASSE, en décembre 1962, a été fatal au Président du club sétois, victime d’une crise cardiaque au moment où les Héraultais ont égalisé par l’intermédiaire de Maurice Ferrara. Pour éviter que l’histoire ne se répète, demanderez-vous à vos joueurs de lever pied face à Saint-Etienne ?
Comme quoi l’histoire parle. C’est vrai qu’il y a eu cet évènement incroyable qui s’est produit ce jour-là . C’est sûr qu’on aura une pensée pour Monsieur Louis Michel. Mais je ne vais quand même pas demander à mes joueurs de lever le pied en sa mémoire ! On va essayer de faire un grand match face à l’ASSE, dans un stade plein. Les gens viendront voir un spectacle, il faudra donc donner le meilleurs spectacle possible pour que les gens repartent du stade satisfaits.
Christian, je vous propose de clore notre entretien par un petit « foot-questionnaire » : votre équipe préférée ?
L’ASSE bien sûr.
L'équipe que vous détestez ?
Je n’en ai pas vraiment mais il y avait à l’époque des équipes que je n'aimais pas rencontrer comme Bastia, Nîmes, Marseille. Mais je ne les déteste pas, j’aime le football, le sport
Votre geste technique favori ?
Le centre lifté.
Le son, le bruit du stade que vous aimez ?
L’ambiance de Geoffroy-Guichard, incontestablement. Je sui allé au Stade Vélodrome, il y a un son, mais celui du Chaudron est au-delà de ce qu’on peut imaginer.
Le son, le bruit du stade que vous détestez ?
Je n’aime pas les sons ouverts, quand il n’y a pas de résonance. Je n’ai pas de club qui me vienne spontanément à l’esprit … Je dirais, à l’époque, Chaban-Delmas.
Votre juron, gros mot ou blasphème favori lors d'un match ?
Je n’ai pas eu de mots grossiers à l’égard de mes partenaires déjà . Très honnêtement, je ne vois pas. J’ai peut-être lâché quelques jurons traditionnels du genre « merde », « fais chier ».
Un footballeur pour illustrer un nouveau billet de banque ?
Forcément, on va tous dire le même : Zinédine Zidane. Il aura marqué sa génération en tant que joueur et en tant qu’homme. On ne va pas éternellement ressasser son coup de tête !
Le métier du foot que vous n’auriez pas aimé faire ?
Agent de joueur.
Le joueur, l'entraîneur ou l'arbitre dans lequel vous aimeriez être réincarné ?
Et bien je vais choisir un arbitre qui considérait le football comme un jeu. Il donnait du plaisir à tout le monde car c’était un grand spectacle à lui tout seul : Robert Wurtz, le Nijinski du sifflet.
Si le Dieu du football existe (on aurait entraperçu sa main lors d'un Angleterre-Argentine resté célèbre), qu'aimeriez-vous, après votre mort, l'entendre vous dire ?
Pas facile de répondre, d’autant plus que je suis croyant ... J’aimerais qu’il me dise que j’ai toujours eu une conscience professionnelle. Je pense que c’est le cas.
Interview de Christian Sarramagna
A quelques jours de ses retouvailles avec l'ASSE, l'entraîneur du FC Sète Christian Sarramagna revient sur ses vertes années et nous parle notamment du prochain match de coupe de la Ligue.
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