Ancien milieu de terrain des Sang et Or et des Verts, Jean-Marie Elie s'est confié à Poteaux Carrés avant le match qui opposera les deux clubs ce mercredi à Geoffroy-Guichard.
Que deviens-tu Jean-Marie ?
Depuis 1990, je suis à Cherbourg. J’ai entraîné pendant 18 ans le Football Club d'Equeurdreville-Hainneville, près de Cherbourg. Depuis 4 ans, j’entraîne l’AS Cherbourg en National 3. Enfin, j’entraîne, façon de parler… Depuis le mois d’octobre et l’arrêt des compétitions, c’est plus que compliqué ! On essaye de s’entraîner une fois par semaine le samedi matin. Avec le couvre-feu à 18h00, tu ne peux pas faire grand-chose. On est un club amateur, il y en a beaucoup qui travaillent. Ça va être une saison blanche. Les instances ont donné le feu vert pour la reprise du National 2 car à ce niveau il y a beaucoup de contrats fédéraux. Mais le National 3 est toujours à l'arrêt...
Tu es le seul joueur à n’avoir connu que le RC Lens et l’ASSE. Ce mercredi tu auras le cœur vert ou sang et or ?
Tu me poses une question très délicate. Je suis arrivé à Lens à 15 ans, j’en suis reparti à 28 ans. Je suis arrivé à Saint-Etienne en 1978, j’y ai joué les trois dernières saisons de ma carrière de footballeur. Je suis resté ensuite au centre de formation de l’ASSE pendant deux ans et j’ai occupé une saison le poste de directeur sportif. Je serai donc resté près de six ans à Saint-Etienne.
Mon club de cœur, c’est Lens, bien sûr. Mais j’ai passé de très belles années à l’ASSE. Je suis fier d’avoir fait toute ma carrière dans ces deux clubs. Dans le foot d’aujourd’hui, beaucoup de joueurs changent souvent de club. Mais à l’époque, c’était l’amour du maillot, du club. C’était la continuité qui primait. Il n’y avait pas les transferts qu’il y a maintenant.
À Lens, on était une bande de copains, on était professionnel sans l’être. C’était à la bonne franquette. Quand je suis arrivé à Saint-Etienne, j’ai trouvé un club hyper organisé, auréolé de ses belles années précédentes en Coupe d’Europe.
Comment t’es-tu retrouvé à Lens, toi qui vivais dans l’Aube ?
Je jouais dans un club de DH basé entre Troyes et Chaumont. Je n’avais que 15 ans mais j’étais surclassé au point de jouer en équipe première. J’ai été repéré lors d’un match de Coupe de France à Cambrai, qui gazait à l’époque dans le championnat de France amateur. Quand je suis arrivé à Lens, j’étais logé chez l’habitant. Je m’entraînais avec les pros le matin et avec la réserve le soir.
J’ai fait mon premier match avec les pros contre Bordeaux en Coupe de France. J’avais 16 ans et demi. J’ai fait mes débuts en D1 à 17 ans contre Nantes. C’était l’époque des frères Lech, il y avait une grosse équipe mais on est descendu en D2. Les Houillères ont arrêté de soutenir le club donc on a perdu le statut professionnel. On est reparti en amateurs, on y est resté deux ans avant de retrouver la D2.
Quels ont été les moments les plus marquants de ta longue expérience lensoise ?
Je retiens déjà qu’on était une bande de copains et qu’on avait des dirigeants vraiment humains. D’un point de vue sportif, je retiens surtout deux matches. Notre finale de Coupe de France perdue contre la grande équipe de Saint-Etienne et notre fameux 6-0 après prolongation en Coupe d’Europe contre la Lazio.
Les matches contre les Verts étaient très difficiles. À cette époque Saint-Etienne dominait le football français. Je me souviens d’un match à Bollaert, j’avais ouvert le score et on avait fait le break mais les Verts avaient gagné 3-2.
Grâce à Pierre Repellini et un doublé de Patrick Revelli. C’est le père de l’actuel analyste vidéo de l’ASSE qui avait inscrit le second but lensois.
Romain Arghirudis était un très bon joueur, son fils César officie effectivement depuis quelques années à l’ASSE. Quand Romain est arrivé chez nous, il nous a apporté beaucoup. Il venait de l’Olympiakos. Son professionnalisme et sa présence physique nous ont été très bénéfiques. C’était un attaquant sur lequel on pouvait s’appuyer, qui avait le sens du collectif et marquait des buts.
La finale de Coupe de France entre Sainté et Lens est restée dans les mémoires.
C’est vrai. On avait réussi un beau parcours, en éliminant notamment le PSG en demi-finale à Reims. Cette finale contre Saint-Etienne nous a laissé quelques regrets. On a failli marquer en première mi-temps mais Christian Lopez a sauvé d’un retourné une balle qui était presque rentrée dans le but. Les Verts ont fait la différence dans les 25 dernières minutes. Je me souviens que c’est Osvado qui a ouvert le score. Et bien sûr personne n’a oublié ce deuxième but venu d’ailleurs inscrit par Jean-Michel. Sa reprise de volée est extraordinaire. À l’enterrement de Daniel Leclercq, on en a rediscuté avec Romain et Jean-Michel. Ce but a vraiment marqué les esprits.
À Lens, tu as joué avec un certain Pierre Mankowski passé depuis par l’ASSE.
Exact. Je garde le souvenir d’un garçon charmant. Il ne parlait pas beaucoup mais était toujours présent, il jouait sur le côté droit chez nous. Il avait beaucoup de qualités, peut-être pas suffisamment pour aller au-dessus mais on sentait qu’il avait déjà la fibre d’un entraîneur, il préparait déjà sa reconversion.
Quelles sont les hommes du RC Lens qui t’ont le plus marqué lors de ton long séjour dans l’Artois ?
Le regretté Daniel Leclercq, forcément. Il n’y a pas photo. Romain Arghirudis, qui est venu nous renforcer. Roger Lemerre a fini sa carrière de joueur chez nous et nous a mis dans le bon chemin. Il avait déjà plus de 400 matches en pro quand il est arrivé et son expérience a été très profitable au groupe. L’attaquant polonais Eugeniusz Faber nous a fait aussi énormément de bien.
Peux-tu nous rappeler le contexte de ton départ de Lens pour Sainté ?
Dans mon for intérieur, je pense que serais toujours resté à Lens. Mais en 1978 on est redescendu et j’ai été mis sur la liste des transferts avec Farès Bousdira.
L’occasion de rappeler que vous aviez marqué tous les deux lors de ton unique succès avec Lens contre Sainté.
Merci de le rappeler ! (rires) J’avais évoqué le premier tout à l'heure mais j'ai en effet marqué un second but à Ivan Curkovic lors de ma dernière saison chez les Sang et Or, quelques mois avant de signer à Sainté. Pierre Garonnaire m’a sollicité. Je le connaissais lui comme beaucoup de joueurs stéphanois car j’ai été international junior, militaire, espoir. Je côtoyais donc les jeunes Stéphanois comme Pierre Repellini et Jacques Santini.
Que retiens-tu des trois saisons passées sous le maillot vert ?
Ce que je retiens, avant tout, c’est la fierté d’avoir porté ce mythique maillot vert. Jouer dans le club phare du football français, c’est très gratifiant ! Quand je suis arrivé à l’ASSE, j’ai été impressionné par le professionnalisme de ce club. C’était une vraie entreprise, extrêmement bien huilée. On était mis dans les meilleurs conditions pour se focaliser sur le football. On ne s’occupait de rien d’autre, le club se chargeait du reste.
Sportivement, bien sûr, ça a été une période faste pour moi. Je suis arrivé à Saint-Etienne à l’âge de 28 ans. J’ai rejoint un groupe de très haut niveau avec des joueurs au-dessus du lot. Je ne pouvais que progresser à leur contact. Il y avait un collectif fort avec des garçons comme Ivan Curkovic et des Osvaldo, des leaders à la fois dans le vestiaire et sur le terrain. Dominique Rocheteau n’était pas un leader de vestiaire mais c’était un leader technique. Ma deuxième saison à l’ASSE, Michel Platini et Johnny Rep sont arrivés. J’ai eu la chance d’évoluer avec des grands joueurs, d’un niveau au-dessus.
Malgré les buts de ces deux stars et ta passe décisive pour Dominique Rocheteau qui avait permis aux Verts de mener 3-1 à Bollaert, les Sang et Or avaient gagné 4-3 ta deuxième saison à l'ASSE.
Ah oui. Quel match fou ! Mais c'est avec eux qu’on a été sacré en 1981 lors de ma dernière saison. C’était le 10e titre de champion de France remporté par le club et ça reste hélas à ce jour le dernier.
Ce que je retiens aussi, c’est la ferveur autour du club. À Geoffroy-Guichard bien sûr mais aussi à l’extérieur. Quand on se déplaçait, j’étais impressionné de voir qu’on voyait des drapeaux verts partout dans les stades. Saint-Etienne était le club phare, on était attendu de partout. L’engouement des supporters stéphanois est extraordinaire et je l’ai particulièrement ressenti lors des matches de Coupe d’Europe. J’ai notamment joué le fameux 6-0 contre Eindhoven. On avait perdu 2-0 là-bas et les mecs nous avaient chambré. Les Hollandais, ils sont comme ça, ils chambrent. Ils pensaient se qualifier facilement mais ils n’ont pas compris ce qui s’est passé au retour ! (rires) Après cinq minutes de jeu, on menait déjà 3-0. Ce match a marqué les esprits, ça reste un grand moment de ma carrière. J'avais fait une passe décisive à Jean-François Larios sur l'ouverture du score.
En trois saison sous le maillot vert, tu auras marqué 10 buts en 114 matches dont 106 en tant que titulaire. Tu t’en souviens ?
Je ne me souviens pas de tous mes buts. Je me remémore un doublé contre Laval, les buts que j’ai marqués au Parc aussi bien contre le Paris FC que contre le Paris Saint-Germain. Je me souviens surtout du but que j’ai mis à Geoffroy-Guichard en 1979 contre Strasbourg, qui a fini champion de France quelques semaines plus tard. L’action démarre de notre propre surface de réparation, Jacques Zimako part très vite. Je l’ai suivi. Il ne centrait pas toujours car il aimait tenter sa chance mais ce jour-là il centre au premier poteau. Moi j’arrive comme un malade, je reprends le ballon de l’extérieur du pied et glisse le ballon dans le but de Dominique Dropsy.
C’est à l’ASSE que tu as débuté ta reconversion.
Tout à fait. Ma dernière saison de joueur, Robert Herbin m’avait proposé de m’occuper du centre de formation. A 31 ans, je me suis dit que c’était une bonne opportunité. Je me dirigeais vers une carrière d’entraîneur donc ça m’intéressait. Le mercredi, j’allais entraîner les jeunes de l’Olympique de Saint-Etienne et j’ai passé mes diplômes. Je suis resté deux ans au centre de formation avec Guy Briet. Ensuite, je ne vais pas trop m’étendre là-dessus, il y a une crise au sein du club, l’affaire de la caisse noire… C’était un peu le bordel de partout ! J’ai été un an directeur sportif dans des conditions très difficiles. Quand le club n’existe plus vraiment, que tu n’as plus de président, plus d’entraîneur, c’est le flou artistique. Je suis resté un an au chômage, en 1984-1985. J’ai ensuite été à Villefranche-sur-Saône, où je suis resté quatre ans.
Quelle image garderas-tu de Roby ?
En avril 2020, j’ai perdu coup sur coup mes deux entraîneurs. Arnold Sowinski, décédé du Covid, et Robert Herbin. Quand je suis arrivé à Saint-Etienne, les joueurs m’avaient prévenu : « tu vas voir, les entraînements là-bas, c’est très, très dur. » Ils ne m’avaient pas menti. C’était très dur et Roby était très rigoureux, à cheval sur la tactique et les principes. Ça m’a plu. Robert Herbin n’était pas un orateur, ce n’était pas un mec qui parlait beaucoup mais il en imposait. Tout le monde le respectait. C’était vraiment l’homme fort de Saint-Etienne.
Tu as eu la chance de jour dans les deux clubs comptant les meilleurs supporters de France.
C’est vrai que j’ai évolué devant des publics formidables. J’ai retrouvé à Saint-Etienne ce que j’ai connu à Lens. Ces deux clubs et ces deux villes ont des similitudes. Ce sont deux villes de foot, travailleuses, avec un passé minier. J’ai pris autant de plaisir à évoluer à Geoffroy-Guichard qu’à Bollaert. Comme je le dis souvent à mes enfants et à mes petits-enfants, quand tu rentres sur le terrain devant 40 000 spectateurs, tu as les poils sur les bras qui se hissent. C’est terrible ! Les supporters des Sang et Or et des Verts sont extraordinaires. Quand à Lens tu entends le chant des Corons, ça te donne des frissons.
Ces deux clubs restent chers à ton cœur ? Tu continues de les suivre aujourd’hui ?
Bien sûr. Le Racing Club de Lens et l’ASSE sont dans mon cœur. Quand je ne peux pas suivre leurs matches, les deux premiers résultats que je regarde, c’est Lens et Saint-Etienne. J’étais triste quand Lens était en Ligue 2 mais je me réjouis de revoir les Sang et Or dans l’élite. Ils sont bien classés, ils jouent bien, ça fait vraiment plaisir. Saint-Etienne, on voit que c’est plus compliqué. J’espère que les Verts vont remonter un peu. Pour moi ces deux clubs méritent d’être dans le top 7 ou le top 8 de notre championnat.
Le RC Lens est dans le top 6 actuellement alors que l’ASSE pointe à une désolante 16e place.
C’est vrai que Lens fait vraiment une belle saison. C’est un promu qui a su surfer sur la dynamique de la montée et qui pratique en plus un jeu attrayant. J’espère que le club arrivera à se maintenir à ce niveau-là, c’est ça le plus dur ! Lens a marqué plus de points à l’extérieur qu’à domicile cette saison. En déplacement, les Lensois ont gagné 6 fois et fait 4 nuls. S’ils étaient aussi performants à la maison, ils pourraient être encore mieux classés !
Saint-Etienne connaît une nouvelle saison laborieuse mais le club est en train de se réorganiser. Avec Claude Puel, ils sont partis sur un projet avec des jeunes. Forcément, c’est un peu plus long à se mettre en place. Je ne connais pas personnellement Claude Puel mais j’ai joué contre lui, c’était déjà un teigneux. Je pense qu’il a toujours été un formateur. Avec les jeunes, il a fait du bon boulot partout où il est passé. Il essaye d’en faire de même à Saint-Etienne.
Il faut quand même que l’ASSE fasse attention, le maintien n’est pas encore acquis. Leur défaite à Lorient fait qu’ils n’ont plus une grosse marge sur leurs poursuivants. À part Dijon qui est décroché et quasiment condamné, tout le monde se bat pour sauver sa peau. Des équipes comme Lorient et Nîmes, mal barrées en début d’année, ont repris du poil de la bête. Nantes est dans une situation difficile mais il peut se passer encore beaucoup de choses d’ici la fin de saison.
Ton prono pour le Sainté-Lens de ce mercredi ?
Lens fait une bien meilleure saison, est très à l’aise à l’extérieur alors que Saint-Etienne a beaucoup de mal à la maison. Il me semble que les Verts n’ont gagné que trois matches à Geoffroy-Guichard cette saison. Je vois donc une petite victoire des Lensois.
Merci à Jean-Marie pour sa disponibilité