Au bout du bout de la résignation de ce jeudi soir contre Anderlecht, à la fin de l’ennui, au moment de la délivrance, j’ai pensé à Destroy.


Jadis, en visionnant les matchs il n’hésitait pas à hurler un tonitruant : « Non non, non non, St Etienne n’est pas mort, il bande encore ! »
Il hurlait, oui. D’une voix qui lui valut un soir son surnom, comme issue d’un improbable mélange entre borhinger et arno, l’œil aussi fixe que vide, en indéboulonnable pilier du bar du rond point, avec son éternelle veste en jeans et son écharpe verte, il sonnait la révolte chaque samedi soir. A ces instants où la bière faisait pression, et les verts dépression, dans ce cadre-là, oui, décidément, Paris était magique.
Pourtant en ce temps de 20ème siècle à peine révolu, le 21ème du foot, trop jeune pour avoir bon goût, s’était jeté dans les bras de la première catin de banlieue venue.


Dans la tourmente, mastres pas encore grisonnants, vent de face dans cette brasserie mitoyenne du cimetière du père lachaise (cruel clin d'œil...), nous entretenions notre passion en levant nos coudes et serrant nos verres et réciproquement.
Enragés. Comme la vache qu’on était forcés de bouffer. Kuzba, Moulonguet, Esposito, Pierre Brisson, l’exotisme hésitait entre la Pologne, la Picardie et la Suisse, mais la déprime avait une couleur, le vert.
Un supporter c’est comme la mauvaise herbe. Ca résiste à tout, repousse, et ne s’avoue jamais vaincu. Il puise sa force dans son inextinguible foi en l’unicité de sa passion, en la supériorité éternelle de son club, en l’exemplarité de sa dévotion pour ce dernier. Bref il s’auto-alimente. A l’époque, snobant les saucisses frites de cette brasserie aux penchants stéphanois mais aux tarifs parisiens, l’auto alimentation se résumait à la doublette pression et passion. Notre foie fera peut-être notre malheur, mais notre foi faisait notre honneur. Notre fierté.

 

Et puis (re)vint la Ligue 1, puis arriva la Divette. Une double éclaircie salutaire. La Ligue 1 retrouvait les Verts pendant que je trouvais un bar populaire, mais sans Destroy.
Triompher à Gerland, regarder les Vilains droit dans les yeux du classement, lever une coupe dans une ivresse commune inoubliable, jouer l’Inter, parcourir l’Europe. Oublier la douleur du soubresaut, la cruauté de la douche écossaise. Ne plus connaître l’âcre goût des effectifs à l’état d’esprit dévoyé.
Trois lignes ne suffisent pas à décrire ces étoiles qu’on croyait inaccessibles à l’époque de Kachloul et Olesen.
Ces victoires accumulées, ces fatalités renversées, cette épatante régularité nous ont insidieusement transformé. Anesthésiés aujourd’hui. Là où, morts de faim, nous étions hier capables des emballements les plus fous.
Perdu dans un entre-deux. Plus portés par la force décuplée des perdants que chantait si bien Bashung, pas non plus animés par l’espoir de nouvelles conquêtes. Repus, bêtement repus. Au point de n’être plus que 22 000 pour souffrir au spectacle de ce onze ultra remanié, laborieux, courageux, mais si limité.

Et puis cette décharge d’adrénaline. Ce but, qui d’un plat du pied dans le but vide chasse certes ponctuellement, mais si fortement les doutes. Quelque chose comme une foi qui renverse les montagnes. Bob, Romain, Nolan, ces buts de l’extrême, ces points arrachés à la morosité, c’est une saveur oubliée. Saveur d’antan. Des triomphes au forceps qui ont fait notre légende. Quand tu ne crois plus, que tout est perdu, quand trompé, déçu meurtri écrivait Barbara...
On a si souvent déploré notre incapacité à retourner une situation, à botter le cul à la fatalité qu’on ne peut pas ne pas savourer à sa juste valeur cette saveur d’automne. Bordel, les Verts font honneur à leurs couleurs. Et nous rendent fiers.


Destroy n’est plus qu’un souvenir, celui d’un sphinx abimé. Mais qui avait du nez.

Non, non, non, non, Saint-Etienne n’est pas mort. Je bande encore.