Formé à l'ASSE, l'actuel attaquant de l'Omonia Nicosie Eric Bauthéac connaît très bien le nouvel entraîneur stéphanois Claude Puel pour avoir travaillé trois saisons sous ses ordres à l'OGC Nice (de 2012 à 2015).


Quels souvenirs gardes-tu des trois saisons que tu as jouées sous la houlette de Claude Puel ?

Claude Puel, déjà, c’est un passionné. Il fait tout pour aider les joueurs, pour les faire progresser, surtout les jeunes. Les jeunes prennent une ascension avec lui, c’est assez exceptionnel. Claude Puel est un entraîneur très rigoureux. C’est aussi pour ça que ça marche. Quand on travaille sous la direction de quelqu’un de très droit, de très rigoureux, parfois très froid, c’est bien pour une équipe car ça permet de garder une ligne de conduite et de tous tirer dans le même sens. Avec Claude Puel, ça ne part pas dans tous les sens. Il fixe une ligne de conduite, il s’y tient, et on se doit tous de la respecter. Et ça marche ! En tout cas à Nice ça a marché, le club a progressé grâce à lui. On a pu voir que certains joueurs pas très connus ont beaucoup progressé et ça nous a permis de faire de belles saisons.

Tu penses à des joueurs en particulier ?

Je pense à moi déjà ! (rires) J’ai beaucoup progressé avec lui sur les appels de balle. Quand j’étais plus jeune, j’étais un peu foufou, je courais un peu partout, je m’épuisais souvent pour rien. Je me dispersais. Lui m’a appris à me canaliser, à faire les bons appels. On a beaucoup travaillé sur ça, sur mon positionnement aussi. On a beaucoup travaillé aussi sur l’aspect défensif. Un joueur offensif a envie d’attaquer, de marquer des buts ou de donner des passes décisives. Il n’a pas forcément envie de défendre. Mais avec Claude Puel, un attaquant est obligé de faire des efforts défensifs. Il m’a appris ça, il m’a permis à devenir mort de faim défensivement aussi.

Ça m’a beaucoup aidé dans ma carrière. Tous les clubs où je suis passé ensuite ont beaucoup apprécié ça. Je faisais beaucoup d’efforts offensifs et défensifs, ce qui n’est pas le cas de tous les ailiers. Pour Claude Puel, on attaque à onze et on défend à onze. Il a raison, c’est comme ça que ça se passe le football. Il faut compter sur tout le monde. Je ne suis pas le seul à avoir progressé grâce à Claude Puel. Valentin Eysseric, qui était parfois nonchalant avant son arrivée, a franchi des paliers avec lui, il a aussi gagné en confiance. Jérémy Pied aussi a énormément progressé à son contact. Même les moins jeunes ont franchi un cap avec lui. Je pense notamment à Dario Cvitanitch, qui avait déjà 28 ans quand il est arrivé chez nous. Vraiment, Claude Puel est un super coach !

Quelle est la marque de fabrique d’une équipe dirigée par Claude Puel ?

Des guerriers sur le terrain. Vraiment ! Claude Puel veut une équipe de lâche-rien. Il veut des mecs qui se battent sur le terrain, qui mouillent le maillot, qui ne renoncent jamais au combat. Si les joueurs comprennent ça, ça va super bien se passer. Les supporters vont adhérer à son discours car ils aiment ça, des joueurs qui ne lâchent rien, qui sont prêts à se mettre le cul par terre pendant quatre-vingt-dix minutes. C’est ce que prône Claude Puel. Les supporters stéphanois vont adorer ça. C’est aux joueurs de le comprendre, c’est ce qui manquait un peu lors des premiers matches de la saison. S’ils adhérent au discours de Claude Puel, vous allez passer une saison exceptionnelle, vous allez vous régaler !

Claude Puel a l’image d’un entraîneur plutôt axé sur la solidité défensive, c’est réducteur ?

C’est vrai que sa première idée, c’est de ne pas prendre de but, mais ça ne veut pas dire pour autant que c’est un entraîneur défensif. A Nice on avait une équipe avec des joueurs rapides sur les côtés et Dario devant marquait beaucoup de buts. On contrait pas mal les équipes. Claude Puel considérait que la base, c’était d’avoir déjà un bon bloc défensif. Et après, quand on récupérait le ballon, l’idée c’était de partir à deux mille devant. Si tu récupérais haut le ballon, l’idée c’était de partir rapidement en contre-attaque. Et si tu récupérais le ballon bas et que l’équipe en face était bien en place, l’idée c’était de conserver le ballon. Il fallait qu’on souffle aussi car on avait quand même une sacrée débauche d’énergie. Tu ne peux pas courir sans arrêt pendant quatre-vingt-dix minutes.

Peux-tu nous parler de son style de management ? On lui colle parfois l’étiquette d’un technicien austère et froid…

Il peut paraître froid de l’extérieur, c’est sûr. Avant qu’il vienne à Nice, c’est comme ça qu’il était qualifié. Mais pour avoir travaillé trois saisons sous ses ordres, j’ai pu me rendre compte qu’il était très protecteur avec ses joueurs. Pour lui, ses joueurs sont un peu ses enfants. Cette froideur apparente, j’ai l’impression que c’est un peu une carapace, pour mettre de la distance entre le coach et les joueurs. Mais Claude Puel a quand même un grand cœur, il est très protecteur de ses poulains. Parfois il va prendre des coups à la place des joueurs. C’est son rôle aussi.

Claude Puel est-il comparable à Patrice Carteron, que tu as connu à Dijon, et à Frédéric Antonetti, que tu as côtoyé à Lille ?

Non, Claude Puel est différent des autres entraîneurs. En fait, il ressent bien le football. Il est très pointilleux aussi. Il travaille beaucoup sur les petits détails. Dans le football de haut niveau, les petits détails font des grandes différences. Il travaille énormément là-dessus. Avec lui on faisait beaucoup de travail tactique à l’entraînement. On bossait pas mal sans ballon, juste sur des déplacements, pour que l’équipe coulisse ensemble et travaille ensemble. On a bouffé beaucoup de tactique à l’entraînement. Parfois c’était un peu « boring" ! (rires) Quand tu t’entraînes, t’as envie de toucher le ballon, de faire des jeux, des matches… Quand t’es footballeur et que tu fais beaucoup de séances tactiques, tu peux trouver ça parfois ennuyeux. Tous les mardis on se tapait une bonne heure de tactique. Mais le fait est que ça nous a beaucoup servis. Sur le moment c’est « relou », mais ce travail a été hyper bénéfique. En match, on coulissait les yeux fermés, on savait exactement comment se placer, où aller. On était bien en place.

Claude Puel a –t-il un schéma tactique et des principes de jeu bien arrêtés ? Est-il dogmatique ou pragmatique ?

C’est un entraîneur qui a des convictions mais qui sait s’adapter, comme le haut niveau l’exige. Claude Puel s’adapte avec les joueurs qu’il a à sa disposition. Quand t’as des blessés, t’es obligé de mettre d’autres joueurs et d’autres tactiques de jeu, on l’a vu hier soir lors du derby. Claude Puel est également un entraîneur qui prête particulièrement attention aux forces et aux faiblesses de l’adversaire. Claude Puel est très pointilleux, c’est un énorme bosseur. Il ne s’arrête jamais de travailler, c’est impressionnant ! Il s’adapte à tous les schémas de jeu. Il peut te sortir un 4-3-3, une défense à cinq, un 4-4-2… Il n’est pas dogmatique. C’est aussi pour ça qu’il fait l’unanimité et qu’il est très respecté par ses joueurs. Et avec son côté froid, t’as pas trop envie de l’emmerder ! (rires) Avec d’autres entraîneurs, si t’as envie de lâcher un peu, tu peux te le permettre. Mais avec lui, t’as pas intérêt parce que lui il ne va pas te lâcher ! (rires)

Claude Puel est-il le meilleur entraîneur que tu aies eu dans ta carrière ?

Je pense que oui. C’est en tout cas l’entraîneur qui m’a fait le plus progresser. Je lui dois beaucoup, j’ai appris énormément de choses avec lui. Je l’en remercie encore. Si j’en suis là, c’est en partie grâce à lui et je lui en suis vraiment reconnaissant. Quand je suis arrivé à Nice, je n’étais pas le joueur que je suis devenu. Patrice Carteron est aussi un entraîneur qui a compté pour moi car c’est lui qui m’a lancé dans le monde professionnel. Je suis encore en contacts avec lui. J’ai également apprécié Hervé Renard, avec qui j’ai travaillé à Lille. On n’a pas bossé assez ensemble. Pour moi c’est un super mec et un super coach. On ne lui a pas laissé assez de temps au LOSC pour s’imposer et mettre ses idées en place, c’est un peu dommage !

T’as des dossiers ou à défaut quelques anecdotes sur Claude Puel ?

C’est un très mauvais perdant. Je l’ai constaté à l’entraînement. Claude Puel déteste perdre ! Je ne sais pas s’il le fait encore car maintenant il ne doit plus être très loin de la soixantaine [ndp2 : Claude Puel a 58 ans], mais à l’époque il s’entraînait régulièrement avec nous à Nice. Il faisait par exemple des tennis-ballons. Quand il perdait, il pétait un plomb ! Et nous forcément on le chambrait, on savait que c’était un peu le moment de détente deux jours avant le match. On savait qu’on pouvait le charrier sur ça. C’était le seul moment de la semaine où on pouvait le faire donc on ne s’en privait pas ! (rires) Lui il était vraiment énervé quand il perdait mais malgré tout il rigolait à nos blagues, il savait qu’on avait besoin de décompresser un peu. C’est un gros compétiteur mais il acceptait de se faire taquiner. Enfin bon, pas tout le temps ! (rires)

Autre anecdote, Claude Puel courait avec nous et pas mal de joueurs n’arrivaient pas à suivre son rythme car il avait une sacrée condition physique. Quand il jouait avec nous, c’était un peu compliqué car il n’est plus tout jeune. Mais sur les entraînements physiques, quand on courait, il n’était pas mauvais ! Il voulait finir premier. Bon, ce n’était pas évident car on avait quand même deux ou trois marathoniens dans l’équipe. Mais il finissait toujours dans les cinq ou six premiers. Ça veut dire que t’en avais quand même vingt derrière lui ! Ce n’est pas normal qu’un quinqua mette la misère à des petits jeunes de vingt ans ! (rires) En pré-saison on courait beaucoup en forêt et il se mettait toujours dans le premier groupe, le groupe de ceux qui courent le plus longtemps et le plus vite. Il était avec nous et il ne lâchait pas. Les entraînements étaient durs physiquement avec Claude Puel… Mais du coup on était prêt pour les matches.

Hormis son côté mauvais perdant, Claude Puel a-t-il des défauts ?

Forcément, on a tous des défauts. Si j’en avais un à souligner, je dirais que parfois il pourrait lâcher un peu prise. C’est difficile d’être tout le temps à 100% tous les jours de la semaine. Parfois on a envie de se reposer un peu, de donner un tout petit moins à l’entraînement. Mais lui il est toujours derrière, quand il voit qu’on est un peu moins bien ou quoi… vlan, il nous le fait savoir ! (rires) Après, je ne sais pas si c’est vraiment un défaut. C’est un entraîneur exigeant, qui nous pousse à nous dépasser.

Son style tranche manifestement avec celui de son prédécesseur sur le banc stéphanois. Penses-tu qu’il est l’homme de la situation à l’ASSE ?

Ah oui, carrément ! S’il fallait prendre un mec pour Sainté, c’est bien lui ! Il a vraiment le profil pour s’imposer à Sainté. Je pense qu’il va faire progresser tout le club et qu’il va donner sa chance aux jeunes. Il n’a pas peur de les lancer. On l’a vu d’ailleurs dès hier soir en titularisant Charles Abi lors du derby. Quand il a un titulaire un peu moins bien et qu’un jeune commence à pousser derrière, Claude Puel ne se pose pas de question. Certains coaches sont un peu frileux à l’idée de faire jouer des jeunes, mais lui, il n’a pas peur. Avec lui, chaque joueur qui le mérite peut avoir sa chance. C’est très ben car ça permet aux jeunes de ne pas lâcher.

Les jeunes, quand ils voient une équipe en place qui ne bouge pas, ça peut les démotiver à terme. Ils peuvent se dire : « A quoi bon m'entraîner comme un chien cette semaine, je sais déjà que je ne vais pas jouer. » Avec Claude Puel, ce n’est pas le cas. Un jeune qui s’entraîne bien, qui est bon et qui se montre, le coach va le faire jouer ou il le mettra au moins sur le banc. C’est une très bonne chose car ça permet aussi aux cadres de ne pas lâcher, de ne pas se reposer sur leurs lauriers. Quand t’es sûr d’être dans le onze, consciemment ou pas, t'as tendance à lâcher un peu, à te la couler un peu plus douce, à rester à l’infirmerie… Avec Claude Puel t’as pas trop intérêt à faire ça. Et je trouve ça très bien car ça permet de tirer le groupe vers le haut. Quel que soit ton statut dans l'équipe, t’es obligé de te remettre en question.

Que penses-tu de la première réussie de Claude Puel sur le banc stéphanois ?

Je suis content pour lui et pour les Verts. J’ai beaucoup aimé la communion entre les joueurs et le public à la fin de la rencontre. C’était magnifique ! Gagner un derby dès ton premier match, surtout quand on connaît le passé lyonnais de Claude Puel, c’est particulièrement savoureux ! Je suis vraiment heureux pour lui. Après, au niveau du jeu, il y a pas mal de choses à revoir. Ce n’était pas un grand derby, j’ai trouvé que c’était assez brouillon, surtout du côté lyonnais en fait. C’est un petit Lyon, ce n’était pas le Lyon que j’ai connu avant. La victoire de Sainté est méritée, je pense même que les Verts auraient pu marquer un ou deux buts de plus.

J’ai apprécié l’interview d’après-match de Claude Puel, il a bien insisté sur le fait qu’il y avait beaucoup de travail à accomplir. Il va avoir du boulot et il en a conscience. Dans un premier temps, il va s’efforcer de faire remonter petit à petit son équipe au classement. On verra à la trêve hivernale où sera le club. En tout cas pour moi Claude Puel est la recrue idéale pour les Verts. A part le PSG qui est hors concours, peu d’équipes se détachent. Lille carbure moins que la saison dernière, Lyon c’est vraiment pas terrible, Marseille n’en parlons pas. Monaco, mouais… Il y a des places à prendre en haut du classement mais il faut déjà que les Verts arrivent à se sortir définitivement de cette merde du bas de tableau avant de nourrir des ambitions pour la seconde partie de saison.

 

Merci à Eric pour sa disponibilité

 

Crédit photo : Sakis Savvides / AFP