Révélé à Guingamp et retourné vivre à Sainté, l'ancien attaquant des Verts Philippe Tibeuf revient longuement sur sa carrière avant d'évoquer le choc qui opposera samedi soir ses deux clubs préférés.


Philippe, tu es né à Dinan comme Jean Rochefort. L’année de ton arrivée à Sainté, il était à l’affiche d’un sympathique nanar, « Le Moustachu ». Penses-tu que ton ancien coéquipier Dominique Corroyer aurait mérité d’avoir le rôle ?

Je ne connais pas ce film, je suis désolé ! (rires) C’est vrai que Corroyer avait une belle moustache, mais bon… Rochefort est un grand acteur que j’apprécie énormément, je ne suis pas sûr que Dominique aurait pu tenir le rôle à sa place !

Théodore Botrel, l’auteur de la célèbre chanson « La Paimpolaise », est également natif de Dinan. Aimes-tu Paimpol et sa falaise, son église et son grand pardon, aimes-tu surtout la Paimpolaise qui t'attend au pays breton ?

J'aime bien Paimpol mais je n’ai malheureusement pas de Paimpolaise, c’est la raison pour laquelle je ne suis pas retourné en Bretagne. J’ai quitté la Bretagne à 22 ans et je suis parti célibataire. 

As-tu gardé des attaches en Bretagne même si aucune Paimpolaise ne t’attend ?

Bien sûr, j’ai toute ma famille là-bas ! Mes parents ne sont plus de ce monde mais mes frère et sœur sont restés en Bretagne. J’ai également tous mes amis d’enfance dans la région. Et ma culture de football, je l’ai acquise en Bretagne. J’ai connu beaucoup d’amis à travers le foot et je ne peux pas passer une année sans retourner en Bretagne.

Quels endroits apprécies-tu particulièrement en Bretagne ?

J’aime beaucoup la ville de Rennes, que j’ai découverte lorsque j’ai fait mes études. Bien évidemment, j’apprécie aussi la région où j’ai vécu : Saint-Malo, Dinard. J’ai habité à Saint-Jacut de la mer. Et ma sœur habite à Dinan, il m’arrive donc de retourner dans ma ville natale. 

C’est à Plancoët (entre Dinan et Saint-Jacut de la mer) que tu as commencé a joué sérieusement au football.

Absolument, Plancoët a été une étape très importante pour moi. J’ai fait trois saisons là-bas : Cadet 1, Cadet 2 et Junior 1. J’ai connu dans ce club un entraîneur exceptionnel, qui me considérait un peu comme son fils et qui s’est occupé de moi avec attention. Il m’a permis de franchir les étapes consistant à passer du football en équipe de jeunes au football adulte. Très tôt, il m’a permis de jouer en équipe première, qui pratiquait un beau football et jouait à un bon niveau : à l’époque c’était la DSR, la Division Supérieure Régionale. J’ai pu jouer en équipe première dès que j’ai eu mon « double surclassement ». Grâce à cet entraîneur, j’ai pu m’aguerrir et progresser très rapidement. 

Avais-tu à l’époque l’intention de devenir joueur professionnel ?

Non, je n’ai jamais eu l’idée de devenir footballeur professionnel. J’aimais le foot pour le foot. J’étais un passionné de football, j’essayais de concilier le foot et les études. Comme je n’étais pas trop doué en études, il fallait que je bosse : j’ai donc passé beaucoup de temps à travailler, mais j’avais besoin du foot pour mon équilibre. Et jouer à Plancoët, c’était très sympa, il y a une source…

Exact, l’eau minérale naturelle de Plancoët est d’ailleurs très réputée dans la région. Mais tous les joueurs de Plancoët carburaient-ils à l’eau claire ?

On tournait tous à l’eau de Plancoët, je t’assure !

Dans ses « Mémoires d’Outre-Tombe », Chateaubriand nous apprend qu’il a connu le bonheur à Plancoët. Toi aussi ?

Oui, comme Chateaubriand, j’ai connu le bonheur à Plancoët ! (rires) J’y ai passé trois années excellentes, de 1976 à 1979. Je suis attaché à cette ville, j’ai conservé des amis là-bas et je n’oublie pas que je dois beaucoup à mon entraîneur de l’époque. 

A quel poste jouais-tu à Plancoët ? 

Depuis que je joue au football, j’ai toujours joué en attaque, je ne saurai pas dire pourquoi, ça s’est fait spontanément.

Avais-tu un modèle dans le football, un joueur auquel tu essayais de t’identifier ? 

Je vais peut-être te décevoir mais je n’ai jamais eu de modèle ! Je me souviens cependant qu’à Plancoët on se prenait un peu pour Rocheteau, car on était en pleine épopée des Verts. Mais c’était surtout lié au côté médiatique du truc. En fait, j’étais un peu loin de tout ça : je jouais pour le plaisir sans éprouver le besoin de m’identifier à une vedette. 

Dans quelles circonstances as-tu rejoint le club de Guingamp, après avoir connu le bonheur à Plancoët ?

Sur le plan régional, j’ai été assez vite remarqué. A 16 ans, je jouais en division supérieure : c’était déjà une performance. Les journalistes de la presse locale ont parlé un peu de moi. Guingamp, qui venait de monter en D2 et s’était fait auparavant remarquer par quelques exploits en coupe de France, a fait une première approche. Mais en accord avec mon entraîneur, j’ai décliné l’invitation et j’ai décidé de faire une année supplémentaire à Plancoët pour prendre plus de bouteille [ndlr : de Plancoët ou de chouchen ?].
L’année d’après, Guingamp est revenu à la charge. Monsieur Le Graët et l’entraîneur de l’EAG sont venus chez moi voir mon père pour me faire signer à Guingamp. J’avais 17 ans, je pense que c’était le bon moment de partir. 

As-tu été titularisé dès ton arrivée à Guingamp ? 

J’ai eu un parcours un peu bizarre à Guingamp. Je m’entraînais avec l’équipe une mais je jouais en équipe réserve, en tout cas les premières années. A l’époque, l’entraîneur René Cédolin avait son équipe-type, il comptait sur des joueurs confirmés, dotés d’une certaine réputation et d’un certain niveau comme Hervé Le Goff. J’ai fait mes premières apparitions en équipe première en 1982, quand Raymond Kéruzoré était l’entraîneur du club. Je n’ai fait alors que quelques bouts de match. Mais il faut savoir que mes premières années à Guingamp, j’étais étudiant. Le championnat de deuxième division commençait l’été assez tôt, comme maintenant, et le club démarrait la saison avec un stage d’entraînement. Les joueurs partaient 10-15 jours quelque part pour préparer le championnat. Moi, je n’allais jamais à ce stage ! L’été, je travaillais, je faisais ma saison au bar, à Saint-Jacut de la mer (mon père, à l’origine marin-pêcheur, avait vendu son bateau et investi dans ce bar). L’été, je bossais donc pour donner un coup de main à mon frère qui tenait ce bar, je m’entraînais très peu. Mais bon, c’était sympa, j’étais au bord de la mer, il y avait les petites Parisiennes et les petites Rennaises qui venaient, c’était mieux de rester là ! Et en même temps, ça me permettait de me faire un peu d’argent et de payer mes études. J’ai passé mon bac à 20 ans, ça a été long car je n’étais pas très doué et j’ai redoublé ma première. Après, j’étais à l’UREPS de Rennes. [ndlr : Unité de Recherche d'Education Physique et Sportive, l’UREPS est l’ancien nom des actuelles STAPS), j’ai suivi un DEUG pour être prof de gym. 

Quels souvenirs gardes-tu de tes premiers matches en D2 ? 

Je garde de bons souvenirs de mes premières apparitions car je découvrais le haut niveau. En plus, Guingamp développait du beau jeu sous la direction de Keruzoré. Avec son prédécesseur, Cédolin, c’était différent : le jeu était plus défensif, les joueurs s’amusaient moins, les attaquants ne s’éclataient pas tout le temps.

Ta dernière saison à Guingamp (1983-1984) a été remarquée car tu as fini troisième buteur du groupe B de D2 avec 18 buts.

Ah oui, je confirme et je vais te raconter une petite anecdote. A la fin de la saison 1982- 1983, je voulais partir de Guingamp. J’avais des clubs régionaux qui me proposaient un peu plus d’argent que Guingamp, car il faut reconnaître que l’En-Avant ne me donnait pas grand-chose : c’était le système de primes à l’époque, il fallait jouer pour gagner de l’argent et je jouais peu. Guingamp était alors un club amateur, qui je crois avait droit d’avoir trois pros dans son effectif. Pour payer mes études et être plus à l’aise, j’étais prêt à quitter Guingamp. Finalement, Jean Prouff, qui s’occupait depuis plusieurs années de la réserve de Guingamp, et son enfant prodige « Kéru » m’ont persuadé de rester. Prouff a su me convaincre, c’est un grand personnage du football breton qui a été international et a permis à Rennes de remporter deux coupes de France. Prouff et Kéru ont insisté pour que je vienne au stage de préparation de la nouvelle saison fin juin. J’ai fait de bons matches amicaux ; en début de saison, le titulaire était à l’armée puis suspendu, j’ai donc été titularisé et après avoir marqué deux buts contre Valenciennes, je n’ai plus quitté l’équipe type.

On imagine que tes talents de buteur ont suscité la convoitise de plusieurs clubs de l’élite… 

Je me souviens très bien d’un match au mois de décembre 1983 où on reçoit Mulhouse qui avait à l’époque une grosse équipe : Didier Six, le Hollandais Kees Kist, Gérard Bernardet, le gardien nantais Jean-Marc Desrousseaux, etc. Ce soir-là, j’ai fait un super match en marquant 2 buts. Cette performance m’a valu d’être élu meilleur joueur de deuxième division. Je me souviendrai toujours, je te raconte cette anecdote parce que c’est vraiment extraordinaire. J’étais allé rejoindre un copain au ski à Val d’Isère lors des vacances de Noël 1983. J’achète « L’Equipe » dans la station et qu’est-ce que je vois, en grand : ma tronche avec la légende « Philippe Tibeuf élu meilleur joueur de la deuxième division ». Ah, ça je m’en rappellerai toujours, j’étais scotché ! Je suis sûr qu’il y a des gens qui ne me connaissaient même pas, et c’est vrai que ce prix a sans doute attiré l’attention de quelques clubs…

Comme Monaco par exemple. Dans quelles circonstances as-tu rejoint le club de la Principauté ?

Monaco m’a suivi la deuxième partie de la saison 1983/1984. Jean Petit est venu souvent me voir jouer. D’autres clubs m’ont contacté : Laval, Nantes, Rennes. Mais Monaco me voulait vraiment et l’affaire s’est conclue assez rapidement. 

Quel bilan dresses-tu de tes trois saisons monégasques ? 

La première année était excellente, pourtant ce n’était pas évident : c’était ma première saison en D1, je venais de Guingamp. J’arrivais à Monaco en 1984 dans une équipe dont plusieurs joueurs venaient de gagner le championnat d’Europe des Nations : Daniel Bravo, Bruno Bellone, Bernard Genghini, Yvon Le Roux et Manuel Amoros. Il y avait également Jean-Luc Ettori dans les buts, et Dominique Bijotat qui venait d’être champion olympique à Los Angeles. Bref, une bien belle équipe ! Je dois t’avouer que ça m’a fait drôle de rejoindre tous ces internationaux. 
Mais petit à petit, je me suis imposé et j’ai fini par être titulaire en deuxième partie de championnat. D’ailleurs, ça a été une bonne saison pour Monaco car on a fini 3ème du championnat et on a gagné la coupe de France en battant le PSG 1-0 en finale.

Pour ta première saison en D1, tu as fait fort en claquant dix buts !

C’est vrai que c’était pas mal, d’autant plus qu’initialement, je n’étais que remplaçant. Au départ, Philippe Anziani était titulaire, il était quand même international lui aussi. J’ai fini par lui prendre sa place. Mais les deux saisons suivantes n’ont pas été excellentes, elles me laissent quelques regrets. J’ai eu de gros problèmes relationnels avec Bravo, Bellone et Amoros qui étaient des joueurs très difficiles, vraiment. 

Quelles étaient tes relations avec l’entraîneur monégasque de l’époque ? 

Je m’entendais bien avec Lucien Muller. Je dirais même qu’il m’a imposé. Il m’a confié un jour qu’il voulait me faire jouer mais qu’il avait un problème avec le Président Campora : ce dernier venait d’acheter Anziani, un joueur qui coûtait cher au club car il était international et s’était révélé à Sochaux. Anziani était en outre une recrue monégasque médiatisée. 

Les chiffres prouvent que tes deux dernières saisons ont été très moyennes : tu as marqué trois buts en 26 matches la saison 1985-86, puis deux buts en 11 matches la saison 1986-87.

C’est vrai, pas terrible la fin de ma période monégasque !

T’as quand même connu la coupe d’Europe avec ce club !

Absolument, j’ai même marqué un but en coupe de l’UEFA contre le CSKA Sofia lors du match retour. Mais bon but n’a pas suffi, on a perdu 2-1 en Bulgarie alors qu’on avait fait 2-2 à Monaco.

Tu sais que Saint-Etienne avait éliminé Sofia quelques années plus tôt avant de se faire éliminer par Liverpool en quart de finale de la Coupe d’Europe des clubs champions au terme d'une double confrontation restée dans les mémoires? Tiens, venons-en à Sainté justement… Peux-tu nous rappeler le contexte de ton transfert à l’ASSE ?

Pierre Garonnaire m’avait déjà contacté en 1986 pour me recruter, j’étais presque prêt de partir à Saint-Etienne, qui venait juste de remonter en première division. Mais le Président monégasque a refusé au dernier moment de me laisser partir. Stefan Kovacs, qui venait d’arriver pour entraîner l’équipe, souhaitait me garder après m’avoir vu jouer un ou deux matches. 
L’année d’après, comme je ne jouais plus, Garonnaire est revenu à la charge. Pour moi c’était un grand plaisir de rejoindre Saint-Etienne, j’ai décliné les propositions d’autres clubs comme Auxerre. J’ai choisi de jouer à l’ASSE car la notoriété du club m’attirait et je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire avec les Verts. 

Quels sont les meilleurs souvenirs de ton expérience stéphanoise ? 

J’ai joué quatre ans à Sainté, et mes meilleurs souvenirs remontent à ma première saison, en 1987-1988. Mon entente avec Patrice Garande, un super groupe, une bonne équipe… on avait vraiment un bon groupe, on se voyait souvent en dehors des entraînements et l’ambiance était excellente avec notamment Jean Castaneda, Pascal Françoise, Mustapha El Haddaoui, John Sivebaek. 

Sur un plan personnel, tu as grandement contribué aux bons résultats de l’équipe, qui a fini quatrième du championnat: tu as délivré de nombreuses passes décisives et avec douze buts, tu as fini huitième meilleur buteur du championnat, ex aequo avec un certain Roger Milla. Curieusement, tu as inscrit ton premier but la 18ème journée du championnat ! 

C’est vrai, j’ai mis du temps avant te trouver les chemins des filets : j’ai marqué mon premier but à Lille, on a gagné le match 2-1. Comme Patrice Garande qui restait sur une saison difficile à Nantes, je suis arrivé de Monaco avec un esprit revanchard et l’envie de prouver mes qualités. J’ai eu un début de saison un peu difficile, marqué par deux ou trois blessures sans gravité mais perturbantes. Je me souviens qu’au tout début du championnat, l’équipe se cherchait. J’ai encore en mémoire mon premier match en vert, on avait perdu 4-0 à Laval : dur ! J’ai vraiment eu du mal en début de saison. Ensuite, c’est venu progressivement, et j’ai fait comme toute l’équipe une très belle saison. 

Tes buts ont notamment permis aux Verts de s’imposer sur le terrain de deux bêtes noires de l’ASSE : Nantes et Auxerre. 

Ah, tu me parles de Nantes, c’est comme si c’était hier ! C’est un souvenir extraordinaire parce qu’il y avait ce côté historique : je crois que Saint-Etienne n’avait jamais gagné à Nantes [ndlr : en fait, Saint-Etienne avait déjà gagné à Nantes lors de la saison 1963/64]. On a gagné trois buts à deux au terme d’un match très spectaculaire : j’avais ouvert la marque en début de match, les Canaris avaient égalisé puis pris l’avantage, on revient ensuite à 2-2 et en fin de rencontre je marque le but de la victoire. Je me souviens que j’avais fait un super match, j’avais été un peu la « vedette » du match : c’est la première fois que ça m’arrivait. Ce match m’a vraiment marqué, c’est un excellent souvenir. 
Quant à notre victoire à Auxerre, je me rappelle que c’était le premier match après la trêve hivernale. Auxerre n’avait pas pris de but depuis très longtemps, d’ailleurs, tu sais que Martini s’en rappelle ? Lors de l’Euro 2004, je suis allé au Portugal, j’étais à l’hôtel où étaient les joueurs et j’ai parlé un bon moment avec Bruno Martini, l’entraîneur des gardiens de l’équipe de France. Il m’a dit qu’il se souvenait du but que je lui ai mis, car il avait mis fin à son invincibilité. 

La saison 1987-1988 a surtout été marquée par le formidable duo que tu formais avec Patrice Garande : en inscrivant 17 buts, ce dernier a d’ailleurs fini deuxième buteur du championnat derrière JPP. Tu te souviens du reportage de Téléfoot sur votre duo ? 

Oui, Patrice et moi étions déguisés en Dupont et Dupond, sur une idée de Jean-Michel Larqué. 

Pourtant vous n’avez pas de moustache. Je dirais même plus : vous ne ressemblez pas à Dominique Corroyer. 

En effet ! (rires)

Quitte à vous comparer à un duo célèbre, j’aurais plutôt choisi Véronique et Davina, pour le côté tonique et années 80. Voire Bonnie and Clyde, pour le côté « tueurs ». Ah, Patrice Garande ! Qu'est ce qu'on n’a pas écrit sur lui et toi ! On prétend que vous marquiez de sang froid. C'est pas drôle mais vous étiez bien obligés de faire taire l’adversaire qui s’mettait à gueuler. Chaque fois qu'un défenseur se faisait dribbler, que le goal ou les filets s’mettaient à trembler, pour le public ça ne faisait pas de mystère, c’étaient Tibeuf/Garande les buteurs verts ! Lorsque tu as connu Patrice autrefois, était-ce un gars loyal, honnête et droit ?

Oui, absolument, en tout cas c’est l’impression que j’avais de lui. 

Comment expliques-tu votre complicité et votre redoutable efficacité devant le but (48 buts à vous deux en deux saisons) ?

Nous étions très complémentaires : Patrice était beaucoup plus un joueur axial, qui traînait dans la surface. Il fixait les défenseurs adverses et était toujours présent et bien placé. Moi, je tournais autour de lui, j’avais un jeu davantage basé sur l’accélération, le dribble, le centre. De tous les coéquipiers que j’ai eus à Saint-Etienne, c’est le joueur avec lequel j’avais le plus de complicité sur le terrain. 

Cette complicité existait-elle en dehors du terrain? Dans son bouquin « Ils ont tué les Verts » (Ed. Solar), le journaliste Benjamin Danet explique qu’il y avait des tensions entre vous. 

C’est faux, c’est complètement faux. Je n’ai jamais réagi par rapport à ce bouquin. Je me souviens de Benjamin, ce petit Parisien, je l’ai croisé, je l’ai connu bien sûr. C’est même lui qui avait créé un fan club Philippe Tibeuf. Il est bien gentil, mais il a voulu se servir un peu du club pour faire un bouquin, et peut-être pour se faire connaître. Je n’ai pas acheté son bouquin, je ne l’ai pas lu car ça ne m’intéresse pas du tout, la polémique ne m’attire pas. On m’a en effet rapporté qu’il y avait des propos incroyables dans ce livre, et notamment un paragraphe entier qui écornait mon image. A mon avis, Benjamin est un garçon qui a voulu créer des choses qui n’ont pas existé pour remplir des feuilles blanches et faire un bouquin. 

La saison 1987-88 laissait augurer un avenir souriant pour les Verts. Comment expliques-tu les difficultés de l’équipe l’année suivante, marquée notamment par un début de championnat catastrophique ? 

On a commencé la saison avec beaucoup de joueurs transférés et blessés. On n’a pas trop compris le départ d’un joueur comme El Haddaoui, qui a énormément compté, il ne faut pas l’oublier. Mustapha était un excellent joueur, un super milieu offensif. Il était blessé puis il a été transféré très tôt en début de saison. Il n’a pas été remplacé au milieu de terrain. C’est là où je regrette vraiment qu’à ce moment là, l’entraîneur Robert Herbin ait voulu faire confiance à des jeunes joueurs qui venaient du centre de formation. Il a un peu fait le ménage pour leur laisser la place, pour qu’ils puissent s’exprimer et s’imposer. A mon avis, ça a été une erreur monumentale, il y a un tas de joueur qui sont partis : je pense par exemple à Pascal Françoise, un joueur peu spectaculaire mais qui avait assurément sa place dans l’équipe. J’en ai souvent reparlé avec Gilles Peycelon qui a également quitté le club à ce moment : il m’a fait remarquer que plusieurs joueurs importants étaient partis en début de saison alors même qu’on restait sur une belle quatrième place. Au milieu de terrain, il y avait certes de jeunes joueurs prometteurs, je pense notamment à Pierre Haon, mais ils n’ont pas confirmé.

Il a eu néanmoins quelques arrivées à l’intersaison : Laurent Fournier, Mohamed Chaouch, Alain Geiger… 

Oui, il y a eu Laurent quand même. Mais l’arrivée du Suisse Alain Geiger m’a beaucoup déçu. A l’époque, je pense qu’on n’avait pas vraiment besoin d’un libéro. On manquait plutôt de bons milieux de terrain. Bref, tout en respectant les joueurs, je pense que des erreurs de recrutement ont été commises à l’époque. C’est un constat et d’ailleurs les résultats le prouvent : on n’a pas confirmé [ndlr : l’ASSE a fini le championnat à la 14ème place]. 

Cette saison 1988-89 a également été marqué par un conflit entre Garande et Herbin, qui a abouti au départ de ton ancien compère de l’attaque en fin de saison. 

J’ai mal vécu le départ de Patrice car on s’entendait bien, on s’appréciait. C’était un joueur efficace, il avait son rôle dans l’équipe. Je me souviens que je suis allé voir Robert Herbin pour savoir ce qui se passait et tenter de comprendre la mise à l’écart de Garande. Je pense qu’il y avait un problème relationnel entre eux deux, qui s’est soldé par le transfert de Patrice à Lens.

Une autre figure charismatique a quitté le club à l’issue de la saison : Jean Castaneda, qui a dû céder sa place à Jean-Pascal Beaufreton. Penses-tu que le départ de figures marquantes du club comme Casta et Garande a fragilisé le groupe et explique en partie les piètres résultats des Verts ?

Bien sûr. Pour moi, Jean Castaneda incarnait les valeurs sûres du club. Pour les joueurs qui arrivaient, il était garant de l’image du club. Je pense que ça a été une erreur de se séparer de lui, alors qu’il s’était beaucoup impliqué dans le club et au sein du groupe.

Le groupe semblait fragilisé, et le club aurait même fait appel à un psychologue. Tu confirmes ?

Oui. Le président André Laurent a fait venir un gars, un psychologue. Les dirigeants cherchaient à savoir ce qui se passait dans le groupe. On a été jusqu’à faire de la sophrologie avant les matches, après les matches. Le psychologue est venu un peu s’intercaler entre les joueurs. C’est hallucinant parce que finalement on savait pas bien où était sa place, c’est vrai que ça a mis un peu de pagaille dans le groupe.

A titre personnel, ta deuxième saison a quand même été satisfaisante : tu as en effet fini meilleur buteur (dix buts) et meilleur passeur du club.

Oui, et pourtant j’ai été blessé deux mois en début de saison. Je me souviendrai toujours : quand j’ai réintégré l’équipe, on était classés derniers ! Mon retour a fait du bien au groupe, ça a redonné un flux à certains joueurs, le moral de l’équipe s’est amélioré. Mais bon, ça n’a pas suffi. 

La saison suivante a été également décevante : huitièmes à la fin des matches aller, les Verts ont connu une fin de championnat pénible, en finissant à la quinzième place du classement. En coupe de France, les Verts ont fait un beau parcours avant de se faire éliminer à domicile en demi-finale.

Ah, cette élimination face à Montpellier, c’est un regret énorme! On savait qu’en cas de qualification, on avait de fortes chances d’être européens: si ma mémoire est bonne, l’autre demi-finale opposait l’OM au Racing Club Paris et comme Marseille était champion, on s’était dit que l’OM allait gagner et du coup on ferait la coupe d’Europe. Quel cauchemar ce match : on joue à domicile, il y avait 45.000 spectateurs, le stade était chaud, chaud, chaud malgré la pluie battante. Et le grand regret, c’est que certains joueurs ont vraiment perdu leurs moyens. Je me souviens qu’à l’époque j’étais remonté comme un lion, je disais à mes coéquipiers : « on va les manger, il faut qu’on les mange ». Et c’est l’inverse qui s’est passé en fait ! Je me souviens de ce match comme si c’était hier : la rencontre a mal démarré pour moi malheureusement. Je n’étais pas à 100% car au bout de dix minutes de jeu, Carlos Valderrama m’a agressé en me donnant un coup violent sur le genou : j’ai boité pendant tout le match, j’étais vraiment très diminué et je crois d’ailleurs que je n’ai pas terminé la rencontre. Pendant le match, je n’arrêtais pas de remonter les gars car ça m’énervait de voir Montpellier faire le jeu dans le chaudron ! Cantona a marqué l’unique but du match, il s’était d’ailleurs procuré auparavant deux occasions nettes. Il était tout seul, il n’y avait pas de marquage. Sur certaines actions, les Montpelliérains jouaient parfois comme si c’était un entraînement ! Ca m’a choqué de nous voir déjouer, alors que le stade était plein et qu’il y avait un enjeu énorme : une finale, et peut-être derrière une qualification en Coupe d’Europe ! 

Lors de ta dernière saison en vert, tu as connu un nouvel entraîneur, Robert Herbin ayant été viré par André Laurent. Que penses-tu de Robert Herbin et de son successeur Christian Sarramagna ? Ce dernier avait-il la carrure pour entraîner le club dans un tel contexte ?

Je respecte énormément Robert Herbin par rapport à ce qu’il a fait évidemment, ses résultats notamment que beaucoup d’entraîneurs souhaiteraient avoir. J’appréciais beaucoup son intégrité. La seule chose que je peux lui reprocher, c’est de ne pas avoir évolué. Il aurait pu évoluer dans ses conceptions, ses entraînements. Je pense qu’il ne l’a pas fait. Christian était l’entraîneur adjoint de Robert Herbin depuis rois ans, et dans l’esprit des joueurs il l’est resté. Il est clair que ça n’a pas été facile pour lui, d’autant plus qu’il y avait de fortes personnalités dans l’équipe. Je ne remets pas en cause les compétences de Christian, c’est un entraîneur qui avait d’excellentes idées, qui aimait le jeu. Il se remettait en cause en permanence, il n’hésitait pas à changer ses méthodes d’entraînement. Il prônait le beau jeu et responsabilisait les joueurs. Le problème, c’est qu’il était trop gentil pour diriger l’équipe. A ce niveau-là, même si les entraînements sont intéressants, c’est en définitive la personnalité de l’entraîneur qui fait la différence. 

Ta dernière saison à Sainté a coïncidé avec la première année d’un joueur qui a laissé de grands souvenirs aux supporters stéphanois : Lubomir Moravcik. Est-ce un joueur qui t’a impressionné ? 

Lubomir était incontestablement un grand joueur. Doué des deux pieds, il avait des qualités individuelles exceptionnelles. Seul petit bémol : il n’a pas été le grand stratège qu’on attendait, capable de faire jouer ses coéquipiers. Il n’avait peut-être pas suffisamment de joueurs talentueux autour de lui pour devenir un tel stratège. Il était capable de tout faire, mais je n’ai hélas pas pu jouer longtemps avec lui. Je pense que Lubo aurait pu donner davantage, il aurait pu étoffer son jeu en étant un peu plus altruiste. 

Lors de ta dernière saison stéphanoise, tu as joué deux fois en équipe de France. Quels souvenirs gardes-tu de ton expérience internationale ?

Je me souviens très bien des deux matches que j’ai joués avec l’équipe de France. J’ai vécu ces sélections comme une sorte de récompense. En outre, le sélectionneur de l’époque était Platini, c’était valorisant d’être sélectionné par une telle personnalité ! J’ai honoré ma première sélection lors d’un match amical en Hongrie. Lors de ce match, remporté trois buts à un grâce à un doublé de Cantona et un but de Sauzée, je n’ai pas eu de chance car j’ai tiré sur la barre ! J’ai été également malchanceux lors de mon deuxième match en bleu, en Albanie. Je me souviens que c’était un match difficile : Basile Boli avait marqué un but en début de rencontre mais ensuite on avait eu du mal. En deuxième mi-temps, je marque un but suite à un beau centre de l’ailier gauche Christian Perez : le but était valable, il a été hélas refusé pour un hors jeu imaginaire. C’est dommage car ça aurait conforté ma place dans le groupe. Je sais que j’ai joué ces deux matches car Papin était blessé, et j’avais un profil un peu similaire. Sans ma blessure, je pense que j’aurais eu une chance, sinon de détrôner Papin, au moins de faire d’autres apparitions en équipe de France.

Au cours de ta 4ème saison sous le maillot vert, tu as été victime d’une terrible blessure qui t’a contraint à mettre un terme à ta carrière de joueur. Peux-tu nous rappeler les circonstances de ce choc ?

C’était un dimanche après-midi, le 21 février 1991, lors d’un match contre Nantes, après un quart d’heure de jeu. Sur une balle en profondeur, je n’ai pas vu le gardien David Marraud arriver. Quand le ballon est arrivé, il y a eu un premier rebond au niveau des 18 mètres puis j’ai voulu frapper mais je n’ai pas vu le goal. Je tiens à préciser qu’il n’y a pas eu d’agression de la part de Marraud, il est sorti comme sort tout gardien de but dans ses 18 mètres. C’est moi qui ne l’ai pas vu, il est arrivé au moment où je voulais tirer. Je me suis cogné contre lui en fait. Mes yeux étaient rivés sur le ballon. En fait tout s’est joué en quelques centièmes de secondes, Marraud est arrivé juste avant. Le fait qu’il vienne contre ma jambe a créé un point d’appui et ma jambe est partie dans une sorte d’hyper extension. Sur le coup, ça a été une douleur terrible.

En quoi consistait ta blessure exactement ?

J’ai eu tous les ligaments croisés, latéraux, et même l’insertion du biceps (c'est-à-dire un muscle derrière la cuisse qui vient s’insérer au niveau de la tête du péroné) arrachés. Il faut imaginer qu’on ait pris ma jambe et qu’on lui ait mis un coup de hache. C’est comme si on m’avait coupé tout ce qui pouvait au niveau ligamentaire tenir le genou. Ce qui était très grave dans ma blessure, c’est que le nerf a été sectionné.

Tu as été opéré peu de temps après ta blessure ?

J’ai été hospitalisé le lendemain du match, et j’ai été opéré le surlendemain par le docteur Imbert, un grand spécialiste du genou. Il s’est rendu compte de la gravité du choc et de la blessure quand il a ouvert. Le docteur a fait ce qu’il pouvait. J’ai été hospitalisé quatre semaines. Au bout d’un à deux mois, je ne sentais plus ma jambe. 

As-tu senti très rapidement que cette blessure mettait un terme à ta carrière de footballeur ? 

Au départ, on me m’a absolument rien dit. Après l’opération, j’ai fait ma rééducation normalement. J’ai commencé à me poser beaucoup de questions au fur et à mesure que le temps passait car je ne sentais plus ma jambe. J’avais un plâtre qu’on pouvait enlever dans le cadre de ma rééducation, mais je n’avais plus de sensation, je ne pouvais plus bouger mes doigts de pied. Le docteur Imbert n’osait pas trop me dire la gravité de ma blessure, il espérait peut-être que ça refonctionne rapidement. Un moment donné on pensait que c’était le plâtre qui me comprimait trop, faisait un point sur le nerf, ce qui peut arriver. En fait, le problème ne venait pas de là. Le jour où j’ai fait ce qu’on appelle un électromyogramme (test de l’influx nerveux de manière électrique), rien ne se passait dans ma jambe. Là c’était sérieux… Je ne pensais même plus à ma carrière, j’en n’étais pas à ce stade : j’avais peur de ne pas retrouver l’usage normal de ma jambe.

As-tu gardé des séquelles ? 

Bien sûr, j’ai des séquelles. Le docteur Imbert m’a fait rencontrer un grand professeur à Lyon, à l’hôpital Edouard Herriot. On m’a greffé une gaine de nerf au mois de juin 2001 car dans le choc, le nerf a été distendu et la miélyne (la substance qui est dans le nerf) a été coupée. La nature est bien faite car ça repousse, mais seulement d’un millimètre par mois, à condition que la gaine soit en bon état. Le problème c’est que la mienne était très abîmée : il a fallu la nettoyer et la reconstituer. J’ai commencé à bouger mon orteil en décembre, soit près de 8 mois après ma blessure. Et quand je dis bouger, c’était infime, quasiment pas perceptible. 

Comment as-tu vécu cette période ? As-tu été soutenu par le club, les joueurs, la famille, les amis ?

Je ne te cache pas que ça a été très dur. Mes coéquipiers m’ont très peu soutenu, le club encore moins. J’ai bien eu quelques visites de joueurs à l’hôpital mais ils avaient des soucis sur le terrain, l’équipe ne marchait pas. Il n’y avait pas de résultat donc chaque joueur essayait de sauver sa peau. Moi dans tout ça, c’était secondaire. 

As-tu été déçu par le manque de soutien des dirigeants stéphanois, alors que tu traversais une épreuve douloureuse ? 

Je n’ai pas été déçu car, très honnêtement, je ne me faisais pas d’illusion sur ce milieu. Si j’attendais quelque chose d’eux, j’aurais été déçu. Mais ce n’était pas le cas, je sentais bien qu’il fallait que je me débrouille tout seul, que je me reconstruise tout seul.

Quand as-tu été en mesure de remarcher normalement ? 

Jusqu’en décembre, il fallait que je marche avec une attelle en plastique pour tenir le pied. Etant paralysé, j’avais le pied qui fonctionnait peu. L’attelle servait à tenir ma cheville à 45 degrés dans ma chaussure, autant dire que ce n’était pas évident de marcher… j’ai mis beaucoup de temps avant de retrouver des sensations. J’ai commencé à remarcher normalement en avril 1992. 

Es-tu resté à Sainté pendant ta rééducation ?

Je n’ai pas bougé de Saint-Etienne. C’est lors de cette période que j’ai connu ma deuxième femme, une Stéphanoise. 

Comment as-tu encaissé l’arrête brutal de ta carrière, alors que tu n’avais que 28 ans au moment de ta blessure ? 

Oui, ça a été très dur à accepter car j’étais en équipe de France. Peu de temps avant ce match contre Nantes, j’avais été sélectionné deux fois. C’était méritoire d’avoir ces sélections, car à l’époque le club n’avait pas de bons résultats. Pour moi c’était une bouffée d’oxygène d’être appelé en équipe de France, et en même temps une consécration, car c’est le rêve de tout joueur. Je vis avec beaucoup de regrets car à l’époque, j’étais capitaine de l’ASSE. Finalement, avec le recul, quand je vois la manière dont se sont comportés les dirigeants et notamment le président, je me dis que j’aurais dû d’avantage penser à moi et moins au club. Je me souviens qu’à l’époque, en tant que capitaine, j’étais sollicité par le président. Toutes les semaines, j’allais même manger chez lui. En permanence, il me sollicitait : il fallait que je remonte le moral des troupes, il fallait que je m’occupe d’un tel parce qu’il avait des problèmes psychiques, d’un autre parce qu’il avait d’autres problèmes, bref il fallait que je m’occupe de tout le monde. Je me suis investi énormément dans ce club, pour essayer de le sauver. J’ai un peu revendiqué le capitanat, car je trouvais que j’étais un des rares à rester au club. Mais je regrette bien de l’avoir pris, car j’aurais pu penser plus à moi, et à mon avenir, plutôt que de me soucier de celui du club, quand on voit le résultat. C’est con de dire ça, car j’ai tellement aimé ce club à l’époque. J’avais crié haut et fort mon attachement à l’ASSE, alors même qu’à l’époque des tas de clubs ambitieux me contactaient comme Paris et Marseille (l’OM voulait m’engager comme doublure de Papin, mais ça ne m’intéressait pas). Monaco surtout voulait me faire signer six mois avant la fin de la saison car il savait que j’allais être très sollicité en fin de saison. Mais j’ai refusé de signer. Et pourtant j’étais en fin de contrat. 

Si tu ne t’étais pas blessé, serais-tu resté à Saint-Etienne ? 

Je ne sais pas car là c’est vrai, j’avais des conflits avec certains joueurs, notamment Cyprien qui était arrivé du Havre. C’est quelqu’un qui a créé vraiment beaucoup de soucis au groupe, je le dis d’autant plus ouvertement que partout où il est allé, il a eu des problèmes. Les problèmes relationnels que j’ai eus avec ce joueur m’ont fait beaucoup de mal : pendant que je considérais l’intérêt de l’équipe, lui ne voyait que son intérêt personnel. C’est là que je regrette de me pas m’être assez occupé de moi, ainsi je ne me serais pas blessé, j’aurais bien calculé mon coup, j’aurais fini tranquillement ma saison. A l’époque, je n’avais plus rien à prouver, j’étais en équipe de France, j’avais une certaine valeur sur le marché, on savait très bien qui j’étais et ce que j’étais capable de faire. Je n’avais plus rien à prouver à Saint-Etienne, tout ce que j’ai fait, c’est par rapport au club parce que j’aimais ce club. Je l’ai clairement dit : si le club avait les ambitions de créer une grosse équipe, j’aurais vraiment souhaité rester à l’ASSE. 

Penses-tu vraiment que tu ne te serais pas blessé si tu avais davantage à toi à cette époque ? Ta blessure reste un fait de match, même si en l’occurrence il a eu des conséquences dramatiques. Le contact aurait eu lieu quel que soit ton état d’esprit, tu ne crois pas?

Non, il n’aurait pas eu lieu. Chaque match était difficile, à chaque fois les résultats étaient acquis dans la douleur, et je pense que si j’avais été animé d’un autre état d’esprit, je n’aurais pas été au bout de mon action comme ça. 

Avais-tu déjà pensé à ta reconversion avant ta blessure ? 

Non, évidemment car j’avais 28 ans lorsque je me suis blessé. Vu que j’ai démarré un peu tard dans le milieu du foot pro, je me sentais encore neuf, j’avais des ambitions. Je suis arrivé à maturité plus tard que les autres, j’étais en équipe de France. Je n’avais pas encore pensé à ma reconversion, je n’avais rien préparé.

As-tu souhaité rester dans le domaine du football ? 

Non, c’était impossible ! Pendant trois ans, je n’ai pas pu regarder un match à la télévision ni aller au stade. Je rejetais tout ce qui pouvait me rappeler de près ou de loin ma blessure. Je me souviens qu’une fois je suis quand même allé voir Saint-Etienne: pfff, j’étais en larmes, je n’ai pas pu supporter d’être au bord du terrain, blessé. C’était terrible ! C’était vraiment une épreuve pour moi, que je n’ai pas renouvelée. Heureusement, j’ai eu beaucoup de chance de rencontrer ma femme qui m’a soutenu dans cette période très délicate. Elle m’a fait vivre et découvrir d’autres milieux, d’autres choses en dehors du foot. Tu sais, le football c’est une vie complètement marginale, tu es dans ta bulle, tout tourne autour de tes entraînements quotidiens, la récupération, les matches… Il faut toujours que tu sois au top, on te pose des questions dès que t’es moins bon. Tu n’as pas la possibilité d’avoir un regard sur la société, sur ce qui se passe autour de toi. 
Compte tenu de ma blessure et de la manière dont je l’ai vécue, je ne tenais pas à rester dans le milieu du football. Il en serait peut-être allé autrement si j’avais poursuivi ma carrière de joueur pro. Cette rupture a été tellement douloureuse que j’ai voulu penser à autre chose et faire autre chose. Je me suis mis à d’autres activités comme le golf, par exemple, qui m’a fait beaucoup de bien psychologiquement et m’a permis de me changer les idées.

Malgré ta blessure et tes séquelles, tu as pu continuer à faire du sport ?

Je pouvais jouer au golf, et je m’y suis mis avec plaisir. J’ai connu les débuts du golf de Saint-Etienne, la construction du club, les trois premiers trous, etc. Mais physiquement je restais bien abîmé, c’était le seul sport que je pouvais pratiquer.

Dans quelle activité professionnelle t’es-tu reconverti ? 

Au départ, j’étais représentant d’articles de sport : deux ans chez Lotto, une marque italienne, puis deux ans à Champion USA, une marque américaine. En août 1997, le décès de mon père a été un choc. A une période où j’avais envie de faire mon deuil, la société dans laquelle je travaillais m’a embêté. J’ai été un peu dégoûté par le côté très dur de ma société, la pression pour obtenir des résultats, etc. J’ai démissionné, ça m’a permis de rebondir en créant ma société dans l’immobilier et mon aventure dans ce nouveau secteur a démarré en 1998. Je travaillais dans une société de marchands de biens. J’ai démarré dans le sud, du côté de Cannes, parce que le marché immobilier était plutôt porteur là-bas. A ce moment-là, j’avais déjà une vision sur l’Europe avec la perspective de la monnaie unique. Je m’étais dit que le renforcement de l’Europe monétaire pouvait apporter pas mal de choses, notamment dans le Sud de la France qui attirait déjà pas mal les investisseurs auparavant. 

Concrètement, en quoi consiste ton boulot ?

A l’époque, j’achetais puis je retapais des appartements ou des maisons avant de les revendre. Ou alors j’achetais des terrains, je les viabilisais et les vendais en lotissement. Depuis 2000, j’ai changé d’activités tout en restant dans l'immobilier. Je fais désormais des grandes surfaces commerciales, dans la région Rhône-Alpes. En début 2013, je suis revenu vivre à Saint-Etienne, pour me rapprocher de mes enfants.

Malgré le contexte très pénible de ta fin de carrière à Saint-Etienne, es-tu resté attaché aux Verts ?


Bien sûr, j’ai rejoint l’association des anciens Verts créée par Georges Bereta dès que j’ai pu « rejouer », en 1994. C’est très sympa de rester en contact avec d’anciens joueurs qui ont porté le maillot vert. Maintenant, j’ai moins l’occasion de jouer avec eux : je m’entretiens un peu moins, je fais moins de sport, je ressens un peu plus le poids des années. Et indépendamment de l’âge, je n’ai plus retrouvé mes sensations de joueur : comme ma cheville n’est pas innervée correctement (elle l’est sans doute à 70 %), je suis très handicapé. Même quand je marche, je sens bien que ma cheville fatigue vite, je me fais parfois des entorses bêtement. Près de vingt-trois ans après l’accident, j’ai encore des séquelles. 

Aujourd’hui, suis-tu les résultats des Verts avec attention ? Vas-tu parfois les voir à Geoffroy-Guichard ?

Oui, je continue de suivre les Verts, d'autant plus que je vis à Saint-Etienne maintenant. Je n'ai pas pu aller au Stade de France, mais j'ai été ravi par la victoire en Coupe de la Ligue. Depuis plusieurs saisons le club a de bons résultats, ça fait plaisir ! Cela fait un long moment que je n'y étais pas retourné mais je suis allé à Geoffroy-Guichard en novembre dernier à l'occasion du derby. J'ai découvert la nouvelle configuration du stade, c'est magnifique ! Ce Chaudron fait encore plus chaudron que le Chaudron ! (rires) Il y avait une ambiance incroyable, c'est vraiment dommage que les Verts n'en aient pas profité pour emballer le match. J'ai eu l'impression qu'ils étaient un peu timorés, ils avaient peur de se livrer. Si elle a remporté ce derby dans les arrêts de jeu, cette équipe lyonnaise était pourtant prenable. C'est le seul match que j'ai vu cette saison, du coup je suis un peu frustré qu'il se soit mal terminé. J'espère que les Verts montreront un autre visage lorsque je reviendrai à Geoffroy-Guichard. Ils sont souvent convaincants mais contre Lyon, pour des raisons qui m'échappent, ils font un blocage.

Tu as connu la joie de battre les vilains dans le Chaudron, en septembre 1989 (1-0, but de Thierry Gros). Quels souvenirs gardes-tu du derby ?

Je crois que je n'ai joué que deux derbys, lors de la saison 1989-1990. Je me souviens surtout des coups que je prenais. Bruno Genesio notamment ne m'avait pas épargné. Il appliquait certainement les consignes de Raymond Domenech. C'était vraiment détestable sa façon de faire jouer Lyon contre nous !

Que penses-tu de la saison des Verts ?

Ils ont fait une bonne première partie de saison. Les Verts n'ont pas les mêmes armes que Paris et Monaco mais ils arrivent à tirer leur épingle du jeu. Ils sont maintenant quatrièmes, c'est un bon classement. J'espère qu'ils vont poursuivre sur les mêmes bases lors des matches retour.

Quel regard portes-tu sur le potentiel offensif stéphanois ?

La saison passée, j'ai bien aimé le duo d'attaque Aubameyang-Brandao. Ils étaient complémentaires et ont été particulièrement prolifiques. Aubame est parti et cette saison Brandao semble moins à son aise. Lors du derby, je l'ai trouvé assez statique, il n'a pas touché beaucoup de ballons. Je ne peux pas me prononcer sur Erding car je ne l'ai quasiment pas vu à l'oeuvre sous le maillot vert mais je sais qu'il a terminé très fort en 2013. Romain Hamouma a mis un joli but contre Lyon, il est performant cette saison. 

Demain, les Verts se déplacent à Guingamp. Tu supporteras quelle équipe ?

Les deux ! Je ne peux pas choisir. Bien sûr, je n'ai pas oublié mes années en vert. L'ASSE, c'est la période de la maturité, c'est à Saint-Etienne que j'ai atteint mon plus haut niveau. Mais Guingamp, c'est le club qui m'a fait naître footballistiquement. Je trouve ça très fort de revoir ce club en L1. Guingamp, c'est à peine plus de 7 000 habitants. Beaucoup de gens ignorent qu'il y a plus d'abonnés au Roudourou que d'habitants dans la ville. C'est incroyable quand on y pense ! Le match de demain opposera deux clubs qui m'ont fait vivre des émotions exceptionnelles, je ne peux pas les départager. Je signe pour un bon match nul !