- Accusé, levez-vous ! Vous êtes accusé d’avoir soutenu indéfectiblement le dénommé Laurent Batlles... - Oui, monsieur le Juge
- Vous reconnaissez donc les faits ?- Absolument, monsieur le Juge, et j’ajoute que je continue à le soutenir !


Murmures dans la salle. Sifflets… Incompréhension générale.

Je le sais, je l’ai bien senti samedi : l’étau se resserre. Sous l’effet, c’est clair, du seum, les rangs des soutiens à notre coach se sont clairsemés. Et s’il ne reste plus que toi et que tu aies encore la foi… me fredonne-je intérieurement en constatant, triste et interdit, que même les plus sensés de mes amis sont remontés contre Lolo.
Et pourtant je continue à afficher une solidarité sans faille, vaille que vaille.
J’espère (olsen) au moins qu’à mon procès en mai prochain, mon avocat plaidera la constance.
Un procès ? Mais au fait quel procès ? Mon procès pour manque de clairvoyance.
On prend combien pour manque de clairvoyance ? Cher. Un an. Au moins un an. La d2 on sait quand on y plonge rarement quand on en sort. Effet tunnel. Un peu comme pour l’hiver d’ailleurs dans lequel on est rentré aussi brutalement qu’une frappe paloise dans nos cages.
Même mes filles s’en plaignent, le nez devant leur assiette à soupe, de la longueur de ce sale hiver, oubliant qu’elles ont le droit, elles, de s’en plaindre quand moi, à leur âge, ne pouvant mot dire à table, je ne faisais que maudire en silence les légumes moulinés de maman. Moi devant ma bouillie de match samedi comme vous face au potage hier n’y pouvons rien : l’hiver est là, bien installé, tout fier d’avoir jeté un premier froid, et s’incrustant sans ménagement dans nos cœurs et nos corps pour de longs mois avant que ne repointe le printemps et ses fraises que mes illusions menacent d’aller sucrer.

Ou pas … Maintenant que j’aime les soupes et peux m’exprimer à table, j’en profite pour fredonner Georges, le Best, celui de Sète évidemment en rappelant que si je fais le choix de laisser mes illusions mourir de leurs idées, ça sera de préférence de mort lente.
Des fois qu’elle ne soit pas certaine, cette mort… Des fois que le temps et les Dieux du foot choisissent de me donner raison. Des fois que le procès se transforme en sacre du printemps. Qui s’en plaindrait, d’ailleurs, que j’aie raison, à part un chroniqueur au Progrès et un grand reporter à la Pravda ?
Depuis mes quinze ans et mon premier passage en D2, à coups d’assiettes devenues mugs j’en ai bu des hectolitres de soupe et dégusté des cargaisons de saisons. Des torrides et des blêmes. Des réchauffantes et des bien glaçantes. Alors même si vous n’en avez plus l’âge et de moins en moins l’envie, moi, les filles, j’en ai de plus en plus des histoires à raconter. Laissez-moi revêtir ma tenue de père Castor :

Vous vous souvenez de la soupe de votre grand-mère ? Ce mélange plus ou moins savamment dosé d’ingrédients plus ou moins appréciés. Ben une saison de championnat c’est un peu ça : quelques instants d'euphorie où tout réussit à notre équipe, mais aussi des tunnels sombres et froids dont une victoire laborieuse et trop tardive finit par nous sortir. Pour un soir ou pour l’éternité. Des séries vertes, des séries noires.
Et entre les deux, ces matchs qu'on dit charnière où les destins basculent. Et bien ce match contre Pau dont je suis revenu frigorifié et bougonnant, c’était ça : pile on reprend notre marche en avant, on range au rayon coup d'mou momentané la fessée de l'Abbé. On respire, on espère, on entame notre semaine le cœur léger, déjà tourné vers la campagne de Picardie.
Face on enterre tout. Nos espoirs se font la malle. Nos parallèles se barrent : vous savez ceux qu'on se plaisait à tracer entre 99, 2004 et 2023.
Et merde… Tardieu n'est donc pas Ferhaoui. Briançon n'est pas Hognon. Chambost n'est pas Jau. Charbo n'est pas Compan. Lolo n’est pas Anto. Comparaison n’est pas raison dit souvent l’expert sur son plateau télé, l’air pénétré du mec qui pense qu’une formule fait toujours son petit effet. Mouais, range le ton adage à deux euros. Et si moi, j’avais envie de penser que tout recommence toujours ? Et si moi, j’étais sûr d’avoir vu un peu de Kiki Lopez dans ce tacle de Léo contre Angers ?
Ne lâchant pas l'affaire et confirmant son goût douteux pour les formules à la mode l'expert ajoute, goguenard : on ne va pas se mentir, Oleg a deux Loïs dans chaque jambe. Et si moi je voulais qu’on se mente ? Et si moi j’étais de ceux qui pensent que la raison n’a rien à faire dans le Chaudron ? Certes une 12ème journée de D2 n’est pas un quart de finale de C1, mais j'en ai suffisamment parcouru, des kilomètres, pour savoir qu'après un tournant, il y en a toujours un autre.

Et puis, un emballement c’est comme la bandaison de tonton Geroges, ça ne se commande pas. C’est accepter le risque d’une déprime du week-end en échange d’une jolie dose d’adrénaline quotidienne.
Bon là, il se trouve que ça fait trois week-ends : déprime, déprime² puis déprime3, l’expérience montrant que les déprimes, fourbes et sans pitié préfèrent se multiplier plutôt que s’additionner.

Il faut leur résister aux exposants. Tenter de les contrecarrer, les cubes. Pas simple quand on garde en bouche et en tête l’amertume des foirades récentes. J’avoue, j’ai vacillé en pleine seconde période samedi, annonçant dès le début de la seconde période à mon voisin de tribune comme pour le conjurer - vainement évidemment - le mauvais sort de ce match. J’avoue, la pensée morbide m’a effleuré. L’idée que c’était mort pour la montée est venue me chatouiller le cerveau. Profitant lâchement de mon instant de faiblesse, cette misérable pensée est allée un peu vite en (basse) besogne.

Comme un avant-centre jadis venu titiller Bayal, elle a vite rebroussé chemin, la vilaine, se rappelant soudain qu’à Sainté, quand t’es 7ème en décembre, ne pas rêver aux lendemains qui chantent qui c’est les plus forts est une insulte à l’histoire
Comment a-t-elle pu oublier, cette scélérate, qu’un jour Pétrot dans le même match a été à la fois Lopez et Messi ?

Qui peut après avoir vu ça ne pas comprendre que rien n’est fait, le meilleur comme le pire ?

 

Quel juge, à quel procès, pourrait reprocher à celui qui chante tous les quinze jours, debout, fier et ému, écharpe tendue, que Saint-Etienne sera champion, de continuer à y croire, encore et toujours ?