Ancien entraîneur des gardiens de l'ASSE et du FC Nantes, Fabrice Grange s'est confié à Poteaux Carrés avant le match qui opposera les Verts aux Canaris ce mercredi soir à Geoffroy-Guichard.
Ton cœur sera vert ou canari ce mercredi ?
Que le meilleur gagne ! J’ai beaucoup de respect pour l’ASSE et le FC Nantes, j’ai travaillé dans ces deux clubs. Faire un choix, ce serait ne pas en respecter un.
Ta période nantaise est peu connue des supporters des Verts, peux-tu nous la retracer ?
J’ai joué là-bas la saison 1997-1998, j’étais la doublure de Mickaël Landreau. J’ai joué un seul match officiel, trois jours après mon arrivée. On avait perdu 1-0 contre Guingamp mais ça s’était plutôt bien passé, j’avais fait plutôt une bonne partie. C’était très clair quand j’ai débarqué à Nantes en provenance de Kilmarnock en Ecosse : il avait été convenu avec Robert Budzynski que jevenais en tant que doublure. Au poste de numéro un, le club avait fait confiance à Mickaël Landreau, ce que j’ai accepté. Je ne lui ai pas mis de bâtons dans les roues. J’ai accepté ce rôle de doublure de Micka sans aucun problème. Mais comme j’aspirais à jouer, je suis parti la saison suivante en Chine. Je suis retourné à Nantes en 2008 pour y occuper jusqu’en 2012 le poste d’entraîneur des gardiens. Mon fils est né à Nantes, c’est un club et une région qui ont marqué ma vie. J’ai un gros respect pour le FC Nantes et pour les dirigeants, les joueurs que j’ai connus là-bas.
Tu as exercé concomitamment en club et en sélection, c’est bien ça ?
En fait quand j’ai arrêté ma carrière j’ai signé à la fédération française de football. Au départ j’étais à l’INF en formation et ensuite j’ai fait la Coupe du Monde avec les A aux côtés de Bruno Martini. On est allé en finale. Je suis resté en équipe de France jusqu’à l’Euro en Suisse. J’ai alors reçu un coup de fil du FC Nantes qui avait besoin d’un entraineur des gardiens. On est tombé d’accord. J’ai signé à Nantes tout en gardant pendant deux ans mon poste en équipe de France. J’avais les deux casquettes, d’autres entraineurs l‘ont fait comme Cyril Moine, préparateur physique des Canaris et des Bleus. Lors des dates Fifa, quand j’allais en équipe de France, c’est en général l’entraîneur des gardiens du centre de formation qui me remplaçait à Nantes. Après la Coupe du monde en Afrique du Sud, le staff des Bleus a changé et je me suis concentré exclusivement sur le FC Nantes.
Tu as eu l’occasion d’entrainer avec Bruno des gardiens de très haut niveau.
C’est sûr ! En 2006 quand on va en finale il y avait Fabien Barthez, Grégory Coupet, Mickaël Landreau. J’ai vraiment eu la chance de travailler avec les plus grands gardiens français. C’est une expérience qui est indéfinissable. L’équipe de France, la Coupe du monde, c’est le très, très haut niveau. J’ai eu aussi Sébastien Frey, Steve Mandanda, Hugo Lloris, Cédric Carasso. J’ai travaillé avec tous ces grands gardiens dont Stéphane Ruffier, avec qui j’ai eu ensuite le plaisir de travailler en club. Tu sais, c’est exceptionnel le très haut niveau. Il te faut vite apprendre, il te faut rapidement se hisser à leur niveau dans le détail, dans la compétence. J’ai eu la chance de travailler aux côtés de Bruno Martini. C’était mes débuts dans ce métier d’entraîneur. Avoir un guide comme Bruno en équipe de France, c’est top. C’était super. Bruno était en première ligne et moi j’étais vraiment axé sur le bienêtre de ces grands gardiens.
Cette expérience internationale m’a servi va me resservir au quotidien. Le très, très haut niveau est fait de détails. Et les détails font la réussite du gardien de but. Tu dois être en permanence sur que le qui-vive, dans l’exigence. Tous ces petits détails qui peuvent paraitre de prime abord anodins et qui amènent la performance. Tu vois, ça c’est ce que j’ai retenu en équipe de France, on ne doit rien laisser passer. On doit mettre le gardien dans les meilleures dispositions pour qu’il soit performant lui. Nous on est dans l’ombre, on est en dehors. Mais on doit tout mettre en œuvre pour que le gardien soit bien dans sa tête, physiquement et techniquement et puisse faire des performances à la hauteur de son statut.
Peux-tu nous rappeler quels sont les portiers que tu as entraînés à Nantes ?
Quand je suis arrivé là-bas, ils avaient déjà pris leurs gardiens. C’était Jérôme Alonzo, Tony Heurtebis et Ndy Assembé. Ensuite on est descendu en L2 et il y a eu le Slovaque Lubos Kamenar qu’ils sont allés chercher. J’ai eu Rudy Riou, bien sûr, avec qui on a fait deux très belles saisons. Il y a eu aussi Erwin Zelazny. Rémy Riou, que j’ai eu deux ou trois mois avant d’aller à Saint-Etienne. J'ai eu aussi Maxime Dupé.
D’un point de vue sportif, on a connu des moments compliqués lors de mon passage à Nantes mais ça a été une période enrichissante pour moi. Je n’oublie pas que ce club et son président Monsieur Kita m’ont permis de travailler dans un club. Ça a été positif d’avoir au quotidien une gestion de gardiens d’avoir une vision aussi du Pôle gardiens de but du club pour essayer de le faire avancer.
Le fait de travailler dans la souffrance, ça m’a appris à travailler dans la pression car, crois-moi, Nantes est un grand club ! On vivait en permanence sous pression. On est descendu en Ligue 2, on a dû se battre pour ne pas descendre encore plus bas. On travaillait en permanence sous pression, les supporters n’étaient pas forcément contents. Dans cette période, j’ai connu dix entraîneurs en quatre ans. À chaque fois il a fallu s’adapter à la nouvelle façon d’entraîner du nouvel entraîneur.
Tout ça m’a permis d’avoir différentes vues sur le football car chacun a amené sa façon de faire. Ça m’a aussi conduit à me rendre compatible avec le nouvel entraîneur qui arrivait, à me mettre à son service. Quand Christophe Galtier m’a proposé de le rejoindre à Saint-Etienne, Monsieur Kita, avec classe, m’a permis d’aller dans un club de Ligue 1 alors que la saison avait déjà commencé. Il était content de mon travail mais ne m’a pas empêché d’évoluer, je trouve ça classe.
T’as quitté Kita parce que t’avais peur d’entraîner un troisième Riou après Rudy et Rémy ? Du coup t’as préféré rejoindre le club formateur d’un autre Riou, l’ancien Vert Sébastien !
(Rires) En fait c’est mon ami Christophe Galtier qui m’a fait venir à Sainté. Il cherchait quelqu’un pour entraîner Stéphane Ruffier [Albert Rust avait été mis à pied, ndp2]. Christophe voulait quelqu’un qui connaissait le très haut niveau. Moi j’avais fait deux Coupes du monde et un Euro. Christophe m’a appelé. Il m’a dit : « Fabrice, j’ai besoin de toi. » Je lui ai dit que je connaissais la valeur du gardien, que ça m’intéressait de bosser avec Steph. Quand un ami t’appelle, c’est sûr que ça met une pression supplémentaire car t’as pas envie de le décevoir. Mais je voulais travailler avec lui donc je n’ai pas hésité. Par contre je lui ai simplement dit : « Si Monsieur Kita me dit non, je respecterai sa décision car il a toujours été honnête. »
Monsieur Kita m’a donné son feu vert donc j’ai pu rejoindre Saint-Etienne en septembre 2012. Il y avait Stéphane Tessier à l’époque, qui structurait un peu le club avec Christophe et faisait repartir Saint-Etienne sur une bonne dynamique. Je n’ai pas hésité, j’ai signé à Sainté.
Un moment particulier pour toi né à Sainte-Foy-lès-Lyon (dans la banlieue de la banlieue du football) et formé chez ceux qu’on appelle chez nous les vilains…
J’ai été imprégné des valeurs lyonnaises. J’ai été formé à l’OL, j’ai signé mon premier contrat pro là-bas. Mais vois-tu, ça ne m’a posé aucun problème d’aller travailler à Saint-Etienne. Ce n’est pas la couleur, ce n’est pas le club : quand j’arrive à un endroit, quand pour X raisons un club et des personnes me font confiance, à partir de ce moment-là je donne le maximum. Lyonnais, Stéphanois… Si un jour je retourne à Lyon, ça m’étonnerait, mais ce n’est pas parce que je suis passé près de huit ans à Saint-Étienne que je ne vais pas donner le maximum à Lyon. Quand je suis arrivé à Sainté, j’ai assumé le fait d’être Lyonnais. Voilà, c’est comme ça.
Nobody’s perfect !
Je pense que j’ai fait du très bon travail à Saint-Etienne et je pense que la réussite dans les derbys a été bonne aussi. Mais ce n’est pas l’essentiel. L’essentiel c’est que je suis arrivé à Saint-Etienne pour mon ami, qui avait besoin de quelqu’un de compétent pour bosser avec Stéphane. J’avais un gardien dont je connaissais la grosse valeur pour l’avoir eu en équipe de France. Et j’arrivais quand même dans un club qui est l’un des gros clubs français. J’ai quitté Nantes, un gros club, pour aller dans un autre gros club. Je ne me suis pas posé la question de mes origines lyonnaises. Ce n’est pas renier mon passé lyonnais mais me fondre à Saint-Etienne pour amener le meilleur de moi-même pour le club. Pas pour moi, hein, pour le club !
Comment as-tu vécu la rivalité entre Sainté et Lyon quand tu étais un Gone ?
Il faut être honnête, au même titre que quand je parle avec Julien Sablé, quand je parle avec Loïc Perrin et les autres joueurs formé chez les Verts… Quand tu joues un derby chez les jeunes – et j’en ai joués – il ne fait pas perdre. C’est interdit ! On est élevé un peu d’un côté comme de l’autre dans cette rivalité permanente. Chez les pros, j’ai eu la chance d’être sur le banc lors d’un derby, c’est la même chose ! Forcément, j’étais du côté lyonnais donc il fallait battre les Stéphanois. Et eux avaient bien sûr la volonté farouche de nous battre. Sincèrement, je trouve que cette rivalité est belle. Pour moi c’est le plus beau derby de France. C’est un truc à vivre une fois dans sa vie car c’est exceptionnel. Je l’ai vécu des deux côtés.
Peux-tu nous rappeler à quand remonte ton amitié avec Christophe Galtier ?
En fait, après Nantes, j’ai eu une grave blessure, je suis resté cinq mois sans jouer. Je suis parti en Chine en décembre 1998. J’ai eu contact avec un club chinois, le Liaoning Whowin. Je me suis dit : « Pourquoi pas ? » Je ne vais pas le cacher, c’était intéressant financièrement. C’était loin mais j’ai dit banco. J’ai signé là-bas et au bout d’un mois et demi Galette est arrivé car le club cherchait aussi un défenseur. On a passé huit mois ensemble à 8 000 km de chez nous. C’est de là qu’est partie notre amitié. Quand on est loin de son pays et avec quelqu’un, des liens se nouent. Notre amitié est née là-bas et elle dure toujours. Avec Christophe, on s’est toujours soutenu dans le bon et dans le moins bon.
Avant d’apprendre à le connaître en Chine, j’avais déjà eu l’occasion de le croiser sur les terrains. Christophe est quelqu’un qui est comme moi, il ne regarde pas la couleur du maillot. Il regarde l’endroit où il est. Et là où il est, il donne le maximum. Sur le terrain c’était pareil, j’ai joué contre lui quand il était à Nîmes, quand il était à Toulouse. Sur le rectangle vert, c’était un combattant, un joueur qui ne lâchait rien. À l’époque on était adversaire très ponctuellement et on ne se connaissait pas. Quand on apprend à connaître les gens, ça change, forcément ! Aujourd’hui je peux dire que Christophe est mon ami. Je pense qu’il dirait la même chose de moi, et ça n’a rien à voir avec le football.
Je suppose qu’en terme de travail et de construction sur le long terme, c’était pour toi plus intéressant à Saint-Etienne. Et que l’une des explications de la réussite de Sainté, c’était aussi la très bonne entente que tu avais avec Christophe Galtier ?
On était un staff. Avec Christophe, on a la même volonté de vouloir avancer, de vouloir progresser, de vouloir gagner, de vouloir bien faire pour le club qui nous a fait confiance. C’est ce qui s’est passé à Saint-Etienne. Quand on est ami, c’est facile de se dire les choses, de confronter les avis. Même si les adjoints ont parfois changé, on a eu la chance d’avancer avec le club. C'est la réussite de tous ceux qui ont oeuvré dans le staff, Alain Blachon, Romain Revelli, Thierry Oleksiak et Thierry Cotte notamment. Je n'oublie pas le doc, César Arghirudis à la vidéo, etc. On a eu des résultats, on a gagné un titre - et à Saint-Etienne, c’est exceptionnel - on a joué l’Europe. Je trouve qu’on a progressé avec le club : le club a progressé dans les résultats, a retrouvé une place qui était la sienne, et nous, on a pris du plaisir à donner le meilleur de nous-mêmes pour le club. Avec la pression, hein ! Parce que Saint-Etienne, c’est pas facile au quotidien… Mais c’est un grand plaisir d’avoir cette réussite dans un club, et à Saint-Etienne, c’est exceptionnel.
Vu de l’extérieur, vous avez pas mal de similitudes, toi et Christophe : vous êtes très compétiteurs, très exigeants tout en ayant une approche humaine vis-à-vis des joueurs. Ça explique que votre collaboration ait été fructueuse sur le long terme ?
Les mots que t’as employés sont les bons ! Je crois qu’on est perfectionniste, compétiteur. Souvent, on disait : « quand on ne peut pas gagner, il faut qu’on ramène un point », et là, si tu fais tourner le compteur points, tu restes en haut. T’as bien résumé, on est comme ça. Cette dynamique, ça a été bon pour nous, comme pour le club. Ce n’était pas fluide, parce qu’il y a eu des moments… y’a pas eu à aller chercher les joueurs… Quand on dit humain, franchement, je ne changerai pas ma façon de manager, même si je retrouve un club. Pour moi, l’humain, c’est la base. Humain, ça ne veut pas dire ne rien dire, tout laisser passer. Être humain, c’est être juste. Quand ça va pas, faut être sévère et dur, et c’est ce que fait Christophe très bien, et c’est ce que je fais. Et quand un joueur a besoin d’être secoué, recadré, je le fais. Mais ça n’empêche pas d’être humain. Le mec qui est bien dans sa tête, heureux de vivre, il est bon sur le terrain ! Et nous, outre le fait d’amener de bons exercices et les mettre en bonne condition physique et athlétique, il faut avoir ce côté humain. C’est un partenariat, c’est comme ça que je vois les choses !
Entraîner des gardiens, c’est manager une équipe dans l’équipe… Comment tu t’y es pris pour tirer la quintessence de tes gardiens ?
Le souci premier, c’est que ton gardien numéro un soit très performant. Et que ton numéro deux, quand il rentre, il soit très bon. Même si tu sais que parfois il n’est pas forcément heureux, qu’il a envie de jouer… c’est normal, ça ! Donc le numéro deux, il faut savoir le récompenser d’une autre manière. Même s’il n’est pas heureux, et que parfois il t’en veut ! C’est la réalité, et il faut l’accepter. Ensuite, il faut avoir une projection pour l’avenir du club. C’est ce qu’on a fait, notamment avec Mickaël Dumas [actuellement responsable des gardiens du centre de formation de l’En Avant Guingamp, ndp2]. Mika a fait un travail extraordinaire avec nous. Et j’ai gardé des liens forts avec beaucoup des gardiens que j’ai entraînés : j’ai souvent Stéphane Ruffier au téléphone. Idem pour Baptiste Valette [actuellement à Nancy, ndp2] que j’ai eu comme numéro 3…
Que ce soit Baptiste Valette, Théo Vermot, Anthony Maisonnial, Alexis Guendouz, et même Jessy Moulin, tous t’ont rendu hommage à l’occasion d’interview.
Jessy, je lui ai envoyé mes encouragements. Même si parfois, il a pu être frustré. Tu sais qu’il va être frustré, le numéro deux ! C’est comme ça. Ça ne m’empêche pas d’avoir beaucoup de respect pour tous les gardiens avec qui j’ai travaillé.
Certains ont apprécié que tu leur aies adressé des messages de soutien quand ils étaient au plus mal. Anthony Maisonnial suite à sa grosse boulette avec Sion. Jérémy Vachoux après son match catastrophique contre Dijon lors d’un barrage retour avec Lens.
Et pourtant, je ne l’ai pas gardé, Jérémy ! Mais je lui ai dit en tête à tête… Je lui ai expliqué pourquoi, je savais que ça allait être dur pour lui, et c’est pas avec plaisir, mais tu dois avoir cette honnêteté. Et il y en a d’autres, avec qui j’ai été honnête, qui n’ont pas du tout compris, et qui l’ont très mal pris. Et qui m’en veulent encore…
Nathan Crémillieux, par exemple ?
Oui, il l’a très mal vécu. Et ça m’ennuie. Je n’ai rien contre le gardien ! Mais tu dois faire des choix pour le club qui t’embauche. Et parfois, je me suis trompé. En fait, tu formes des gardiens, mais pas forcément pour ton club ! Tu les formes pour qu’ils soient professionnels. Parfois, ils jouent dans ton club, et parfois ils partent pour jouer ailleurs. Tous les gardiens avec qui j’ai vraiment travaillé (Alexis Guendouz, par exemple), y’en a pas un avec qui je n’ai plus de contact. Pourtant, j’ai été très dur, très pointilleux avec ces jeunes. Avec Jessy, j’avais une autre gestion. Avec Ruff, c’était une autre gestion encore. Mais j’ai gardé contact avec tous.
On parle surtout de toi par rapport à la réussite, et l’amitié avec Stéphane Ruffier. Mais tu n’étais pas focus uniquement sur lui…
En fait, t’es focus sur ton numéro un, parce que c’est lui qui joue, et qui est performant. Donc t’es obligé, quand même, d’être focus sur ton numéro un. Celui qui dit qu’il n’est pas focus sur son numéro un, c’est un menteur ! Ce qui n’empêche pas le respect pour tous les autres. Et je faisais attention à eux. En sachant qu’ils pouvaient être malheureux, m’en vouloir sur des décisions, mais j’ai toujours été honnête, et le plus droit possible avec eux. En tout cas, c’est ce que j’ai essayé de faire !
Un mot sur ta collaboration, cette relation avec Stéphane Ruffier. Comment as-tu fait pour le maintenir à ce niveau de performance aussi longtemps ?
Il y a déjà un potentiel de départ… Stéphane Ruffier, ce n’est pas moi qui l’ai formé. Je l’ai eu, il avait 26 ou 27 ans. Tu sais que tu ne vas pas le changer, le gardien. Il a déjà des grosses qualités. Quand j’entraîne un gardien d’expérience, je pars du principe que ce n’est pas une relation d’entraîneur-entraîné. C’est une collaboration. Aujourd’hui, c’est fini, l’entraîneur qui dit « tu fais ça, tu fermes ta gueule… », non ! Aujourd’hui, c’est une relation de travail. Avec tous !
Même avec les jeunes, ou tu es un peu plus directif ?
Je suis très dur avec les jeunes ! Mais en revanche, je les défends. Je suis très exigeant, parce que je sais ce que demande le métier. Je sais que quand ils vont mettre les pieds sur le terrain, ça va pas être facile. Mais je ne suis pas dur pour être dur. Je leur disais : « Vous êtes mes enfants. Sans toi, sans ton adhésion à mon travail, on n’y arrivera pas. C’est toi qui vas réussir, c’est pas moi. » Je me suis rarement exprimé sur ma façon de travailler. Je ne recherche pas ma réussite, je recherche leur réussite. Quand je vois Jessy qui signe à Troyes, qui prolonge de 2 ans, ce qui va l’amener à 37 ans, je suis heureux ! Quand je vois Ruff, ce qu’il a fait, c’est monstrueux. Mais c’est son travail ! Moi, je suis là pour les accompagner. En mettant plein de choses en place pour faire en sorte qu’ils soient le mieux possible. Pour essayer de les faire avancer. Garder ce niveau de performance pour certains, pour d’autres, progresser pour aller chercher un contrat pro. Mais ce n’est pas ma réussite. Je suis heureux pour eux. Ma réussite, c’est de les voir évoluer, de les voir jouer.
Tu l’as rappelé Fabrice, le très haut niveau, c’est le souci du détail, et ce détail peut faire la différence. Pour Ruffier, quels détails vous avez eu à régler ?
Stéphane, il ne donnait jamais d’indication. C’est un gardien, au moment où l’action de l’attaquant est déclenchée - la frappe, la volée, la tête, le duel - il était sur les appuis, et il agissait. Il n’était plus dans un déplacement, il l’avait fait avant, et il était solide et monstrueux. Mais ça, il l’avait déjà. On l’a renforcé, on était convaincu de ça, et ça a formidablement fonctionné. Mais les détails, ce n’est pas que sur le sport ou sur le poste. C’est avoir un bon terrain pour s’entraîner, c’est que les ballons soient bien gonflés, ça parait peu de choses… Aujourd’hui, l’ASSE a un très bel outil de travail au niveau des terrains. Ils ont fait un bel effort, et c’était indispensable, parce que pendant 6 ou 7 ans, ça a été une galère pour trouver une bonne zone pour s’entraîner. Parce que les terrains étaient vieillissants. Le club n’était pas fautif, mais il fallait les refaire. Quand ils ont eu les moyens, ils les ont refaits. Malheureusement, on n’en a pas trop profité. Il faut que quand le gardien arrive, il voit que rien n’est laissé au hasard. C’est, par exemple, lui proposer des petites vidéos sur chaque attaquant qu’il va affronter. Il s’en sert ou il ne s’en sert pas.
Justement, à propos de vidéo, comment se passait la collaboration avec César Arghirudis ?
C’était surtout sur le jeu offensif de l’équipe adverse. Comment ils attaquent, comment ils marquent leurs buts… Et moi, toute la semaine, les exercices étaient calqués sur la façon de jouer de l’adversaire qu’on allait affronter. Si on jouait une équipe qui centrait beaucoup, on travaillait les centres toute la semaine. Pas seulement ceux où le gardien peut sortir. Mais aussi les centres en retrait et la frappe qui s’en suit, le centre aérien qu’on capte, le centre aérien qu’on ne peut pas capter, mais où il y a une volée… Pour tout ça, je m’appuyais sur le travail de César. Ensuite, personnellement, je faisais tout seul sur chaque attaquant 90 secondes de montage, que je mettais à disposition de Stéphane, et ensuite, des défenseurs. C’est plein de détails, mais je ne voulais pas qu’on dise après : « putain, on a oublié quelque chose ! »
Entraîner les gardiens, c’est aussi sentir les choses. Par exemple, quand ton gardien arrive et n’a pas dormi de la nuit pour X raisons, le bébé qui pleure, etc… « Ruff, oh, t’as des petites yeux ! » « Ouais, j’ai pas trop dormi. » « Laisse tomber, tu ne t’entraînes pas aujourd’hui. » Parce que si tu l’entraînes, peut-être que tu le blesses et que tu le perds pour quatre à cinq semaines ! Tu comprends ? Ce sont tous ces petits détails qui te viennent de ton expérience et de l’expérience du très haut niveau que j’ai eu avant.
Restons sur Stéphane Ruffier. Son côté golgoth, ça pouvait déstabiliser l’adversaire ?
Il a ça, oui ! Il ne parle pas trop. Il n’a rien contre les journalistes, mais c’est quelqu’un de discret dans la vie, il ne veut pas s’étendre, mais il a un truc : il est arrivé qu’il se fasse attaquer. Lui ne répondait pas, mais il y avait une grosse pression médiatique sur lui. Je ne l’ai jamais vu trembler ! Il me disait : « ne t’inquiète pas, ce week-end, je vais remettre tout le monde d’accord ! ». Et c’est ce qu’il faisait ! Il n’y a que la compétition qui l’intéresse. C’est pour ça que c’est exceptionnel de travailler avec des mecs comme ça. Comme Fabien Barthez, comme Grégory Coupet. Tous les grands n’aiment que la compète ! Perdre des matches à l’entraînement, il s’en fout, le mec ! Il s’en fout de faire un festival à l’entraînement. Lui, il veut monter sa semaine parce qu’il veut être performant le week-end. C’est ça qui est important.
Une des rares fois où on l’a senti agacé, c’est lorsqu’il avait pris un but contre Marseille, et les observateurs avaient critiqué ses sorties aériennes. Quel regard portes-tu sur les deux points qui revenaient souvent dans les critiques : ses sorties aériennes, et son fameux jeu au pied, qui a été un des éléments de friction lorsque Claude Puel a repris l’équipe ?
Je ne suis pas forcément d’accord avec la critique sur le jeu aérien. C’est un gardien qui sortait quand il fallait. Soit il boxait, soit il gardait mais il est plutôt performant. Je me souviens très bien du but qu’il prend contre Marseille. Quand il rentre dans les 5,50 mètres, le ballon est à hauteur de toutes les têtes. Tu ne peux plus sortir ! Dans les médias, y’a très peu de gardiens de but aux commentaires. Y’a pas de spécialistes ! Donc on entend des « ah putain mais il n’y va pas, pourquoi il ne sort pas ? » Attends mon petit… Un spécialiste aurait pu expliquer que Stéphane ne pouvait pas sortir sur ce but de Marseille. A contrario, peut-être que certaines fois, il aurait pu sortir et qu’il aurait dû y aller. C’est subjectif ! Mais son jeu aérien était bon. Y’a sans doute des gardiens qui sont beaucoup plus aériens que lui, mais qui n’ont pas les qualités spécifiques de Stéphane. Si tu veux que ton gardien soit performant, il faut agir là où il est performant. Oh, Ruffier, c’est je crois un clean-sheet tous les 3 matches minimum !
Quant au jeu au pied, je vais prendre ma responsabilité. On avait tellement horreur de prendre des buts… Quand on pouvait relancer, on le faisait, mais quand il y avait un risque, il dégageait le ballon. C’est tout. Stéphane, il ne voulait pas prendre de but sur une relance interceptée, donc il allongeait ! Stéphane détestait prendre des buts !
Ce qui est plutôt une qualité, pour un gardien…
J’ai travaillé avec Benoît Costil à Bordeaux. Il n’a pas la même approche. Il aime relancer. Et je ne l’ai pas frustré là-dessus. Je lui ai dit « continue ! Très bien ! » Parce que c’est l’un de ses points forts. Stéphane, son point fort, c’était la rigueur. Dans tout ! S’il fallait être pragmatique sur un ballon en retrait, il l’était. Quel entraîneur n’aime pas le beau jeu ? Moi aussi, j’adore le jeu ! Je regarde pas mal de matches, en ce moment, je n’ai que ça à faire. Lorsqu’on entend des commentaires comme quoi le gardien a mal relancé, on ne parle jamais de ce qui se passe autour ! Des solutions apportées par les défenseurs d’une part, mais aussi de la qualité technique des défenseurs pour relancer.
Quand le gardien du PSG donne le ballon à Verratti, aucun souci ! Il ne le perdra pas. Quand le défenseur central fait le déplacement qu’il faut pour ne pas être sous pression, le gardien peut lui donner le ballon, et ça joue. Le jeu au pied du gardien est bonifié par ses défenseurs ! Je connais tous les entraîneurs des gardiens de Ligue 1, on s’entend tous très bien. Je n’en connais pas un seul qui ne fasse pas travailler son gardien au pied. Plus encore qu’avant. Mais aujourd’hui, que met-on autour pour bien relancer ? Dans chaque gardien, forcément, on va trouver un endroit où il est un peu moins performant et sûrement que le jeu au pied n’était pas une des qualités premières de Stéphane. Mais ce n’était pas un défaut. Tu comprends ? Je ne veux pas comparer Stéphane à des gardiens internationaux que j’ai entraînés. Mais je peux te dire qu’il n’a rien à envier à leur jeu au pied. Ce qui m’intéresse en priorité, c’est qu’il soit très performant dans le but !
Dans le France Football du 19 novembre 2019, Ivan Curkovic a déclaré : "J'ai appris que mon record allait être battu par un très gentil message de Fabrice Grange la semaine dernière. J'ai trouvé ça très élégant et je lui ai répondu que les records étaient faits pour être battus et que j'espérais que Stéphane allait continuer longtemps comme ça. Je ne veux que du bien à l'ASSE et j'ai d'ailleurs dit aux dirigeants de tout faire pour garder Ruffier, car il est très fort. » Deux mois et demi plus tard, Stéphane Ruffier a joué le dernier match de sa carrière à Brest. Comment as-tu vécu la fin de son aventure à Sainté ?
Déjà, je vais revenir sur Ivan Curkovic. Pour moi et pour Stéphane, c'est moi qui ai envoyé un message à monsieur Curkovic. J'ai un immense respect pour ce Monsieur. Parce qu'à chaque fois que je l'ai rencontré, il a été d'une justesse dans ses mots, dans son approche, qui est exceptionnelle. Quand il parle de Stéphane et qu'il dit : « voilà, il égale aujourd'hui mon record ». Je ne voulais pas qu'on insiste sur le fait que Stéphane dépasse son record. Je voulais qu'on dise : il l’a égalé. Après, il le dépasse, il le dépasse. Parce que Monsieur Curkovic a été le gardien qui a vraiment été une locomotive pour les gardiens français, quand il est arrivé à Saint-Etienne. Je pense que ça a été le point de départ pour beaucoup de choses pour beaucoup de gardiens. Et quand il dit ça sur Stéphane, il le pense vraiment. C'est quelqu'un qui, quand il ne pense pas quelque chose, il ne le dit pas. Donc, il le pense. Pour Stéphane, le fait que ça s'arrête comme ça. Je… Pff, je suis déçu. Ce n'est pas par rapport à ses performances.
Stéphane aura été l'une des figures les plus marquantes de l'histoire du club au XXIe siècle, un des joueurs au plus haut niveau. Je n'oublie pas non plus ce qu'a apporté avant lui et pendant de longues années Jérémie Janot. Formé au club, Jérémie a accompli une carrière vraiment remarquable. Il a rendu de fiers services au club et il a su durer au plus niveau.
Stéphane Ruffier, il est à la hauteur de ce qu'a fait Curkovic. Il a gagné un titre. Il a été 6 fois européen avec Saint-Etienne. C'est un mec, il est arrivé... Franchement hein : "moi, je veux gagner avec Saint-Etienne". Je vais même plus loin : pendant les huit ans où j'ai été avec lui, il a été sollicité. Je me souviens qu’une fois il est venu me voir et m’a dit : "Putain, Fabrice, j'ai ce club anglais qui souhaite m'avoir. Tu en penses quoi ?"Le club anglais, c'est un club de milieu de tableau. Et, il lui donnait beaucoup plus d'argent qu'à Saint-Etienne. Tu sais ce qu'il m'a dit ? "Fabrice, j'ai dit non. Je veux rester à Saint-Etienne parce que je préfère jouer à Saint-Etienne. Jouer la Coupe d'Europe dans ce club-là et gagner moins d'argent plutôt que de partir en Angleterre pour gagner plus d'argent et « me faire chier » en milieu de tableau anglais. » Voilà, c'est Stéphane.
Stéphane savait qu'à Saint-Etienne, il allait jouer la coupe d'Europe. Il savait qu'il était dans un stade où il y avait une ferveur. Stéphane adorait le Chaudron. Et cette fois-ci, il a fait ce choix-là. Je ne te dis pas que s'il y avait eu un club qui joue la Champions League... Peut-être serait-il parti. Ça, c'est autre chose. Une fois, il a eu l'occasion de partir d’Angleterre pour gagner plus dans un club moyen d'Angleterre, enfin, pas moyen : 7e, 8e. Il a dit : "moi, je reste à Saint-Etienne. Je m'en fous de l'argent. Je gagne bien ma vie, déjà, à Saint-Etienne et je veux gagner avec Saint-Etienne". Je ne sais pas s'il y a quelqu'un qui mesure pleinement ce qu’il a réalisé sur une si longue durée... C’est huit ans de performances exceptionnelles. Bien sûr que tu loupes des matches, de temps en temps. C'est le lot de tous les gardiens. Même les meilleurs au monde. Et finalement, ça se finit comme ça s'est fini ! C'est dommage. Je ne souhaite pas en dire plus.
Tu as quitté Sainté à la fin de la saison 2019-2020 car ça ne matchait pas entre Claude Puel et toi ?
On s'est quitté d'un commun accord. Point. Parce que ça arrangeait les deux parties.
Jean-Louis Gasset a dit de toi il y a un an lors d’une conférence de presse à Bordeaux : " Je l’ai connu pendant 18 mois à Saint-Etienne et à partir du moment où Ruffier n’était plus le titulaire, lui ne se voyait peut-être pas continuer à cet endroit. À partir du moment où il était libre, je lui ai demandé s’il voulait venir avec moi. Et il est venu. Je le regarde travailler. Je sais qu’il a la mainmise sur le gardien et sur l’homme. Pour tirer 100% d’un joueur, il faut connaître l’homme et il a un don pour ça. C’est son métier à lui. Je ne lui demande pas ce qu’il va travailler. Il sait ce qu’il doit dire au gardien, il sait quand il doit forcer ou ralentir à l’entraînement. Fabrice a tout : il aime le football, la vie. Il a un grand problème, c’est qu’il aime gagner. C’est pour ça qu’il est avec nous." Jean-Louis Gasset a-t-il des points communs avec Christophe Galtier
Ils sont semblables mais avec une façon différente d'aborder les choses. Ils ont une grosse connaissance du football. Jean-Louis et Galette, ce sont des cerveaux du football. Et la gestion dimension humaine pour la gestion des hommes. En fait, ils ont cette faculté à emmener les gens avec eux dans un projet commun. Sans être toujours calmes, hein ?
Comme le dit Galette, un « entraîneur doit être entraînant »... Tu penses que c'est inné ou ça se travaille ?
Christophe et Jean-Louis ont ce truc. Je crois vraiment qu'on a chacun une personnalité, on n'est pas né pareil. On a une façon d'être différente. Il y a des gens pour qui l'affect ne rentre pas en ligne de compte et qui réussissent très bien. Tu en as d'autres qui ont besoin d'affect pour avancer. Tout ce que je sais, c'est qu’on a performé avec Christophe et Jean-Louis. Déjà de 2012 à 2017 avec Galette, on a eu des bonnes équipes mais pour être européen, il fallait envoyer, hein ? On a réussi ça avec l'ensemble des staffs, hein ? Pas que nous. Je pense aux médecins, je pense à Tarak. Je pense à tous les mecs qui ont travaillé avec nous. Mais, il y avait un homme fort. C'était Galette. Et autour, les gens l'écoutaient et le respectaient. Avec Stéphane Tessier. Ensuite, il y a eu Jean-Louis qui a été un homme fort. Et les gens l'écoutaient. C'est tout. Et ça a marché ! Ça a été du bon sens, toujours bienveillant. Et on a eu des résultats? Avec Jean-Louis, on a travaillé un an et demi à Saint-Etienne. Il a aimé ma franchise. Je ne suis pas quelqu'un qui dit toujours oui, hein ? Attention !
J'ai été fier de travailler dans le club de Saint-Etienne et de toujours avoir dit les choses comme je les pensais. Même si ça a apporté des tensions avec certaines personnes dans le club. Mais, ça a toujours été dans pour bien du club. Ça a été mon souci permanent. Mon souci permanent à Saint-Etienne a été de donner le maximum pour le club pendant que j'y étais et je pense que ça a été plutôt correct.
Parce que déjà, une, il y a les supporters, c'est un peuple qui mérite qu'on soit comme ça. Mais je le ferai partout. À Bordeaux aussi. Et je le ferai dans les autres clubs. Tout donner pour le club parce que tu as des gens autour qui font beaucoup de sacrifices pour aller voir les matches. Et deux, laisser, quand je suis parti, une génération qui pouvait assumer certaines choses. Et je pense que c'est ce qui s'est passé. C'était important. J'ai eu la chance de travailler avec Christophe pendant cinq ans et avec Jean-Louis, avec qui ça s'est très bien passé. Mais ça correspond aussi à des périodes où on a performé.
Comment as-tu vécu de l’intérieur les luttes intestines au sein du club après le départ de Galette ? Les médias ont évoqué une guerre des clans à l’ASSE. Tu étais parfois catalogué dans le clan des anciens proches de Christophe contre le clan de Roland Romeyer.
Franchement, je n’ai pas de clan moi. Aujourd’hui, quand je décide de travailler avec quelqu’un, je suis solidaire de cette personne. Ça veut dire que quand Christophe Galtier m’appelle et veut travailler avec moi, mais bien sûr que je vais être avec lui, mais contre personne ! Je ne suis pas contre Monsieur Romeyer, c’est le Président du club ! Par contre, quand Monsieur Romeyer me demande quelque chose, ou qu’il me dit quelque chose, et que je ne suis pas d’accord, je le lui dis. Pourquoi je ne le lui dirais pas, surtout quand je pense que ce serait à l’encontre du bon fonctionnement de l’équipe et des gardiens ?
Après le départ d’Oscar Garcia, tu semblais être bien plus qu’un entraineur des gardiens. Notamment pendant le premier intérim de Julien Sablé.
Quand tu es dans un club comme celui-là, tu ne crois pas que j’étais malheureux de voir Saint-Étienne à cette place-là ? J’ai fait huit ans à Saint-Étienne, le club était européen, et d’un seul coup tu ne sais pas si on va réussir à survivre en Ligue 1. Il y a quand même des choses qui se sont passées, je ne sais pas quoi, mais ce n’est quand même pas anodin ! J’étais malheureux, franchement je me suis toujours battu pour le club, pour qu’on ait des résultats, et je n’ai jamais fait quelconque alliance avec personne ! Je ne suis pas quelqu’un d’alliances. Je suis juste quelqu’un qui veut le meilleur pour le club où il est. Mais quand je ne suis pas d’accord je le dis, et ça ne plait pas à des gens. Peut-être que je ne retravaillerai jamais, on ne sait pas de quoi l’avenir sera fait, mais s’il y a bien quelque chose qu’on peut dire de moi quand j’étais à Saint-Étienne, c’est que je n’étais pas là pour intriguer, je n’allais pas aller dans un sens ou dans l’autre pour garder ma place à Saint-Étienne, j’étais là pour que Saint-Étienne marche.
J’aurais pu dire les choses dans le sens qu’il faut afin de rester et ne pas avoir de problème, mais ça n’aurait pas été moi. Je dis les choses pour le bien du club. Je crois avoir l’honnêteté de dire que je ne détiens pas la vérité, je peux entendre qu’on me dise « Fabrice, tu te trompes ». Aujourd’hui j’ai un grand respect pour Saint-Étienne, parce que j’ai passé huit ans dans ce club, comme j’ai un grand respect pour Nantes où j’ai passé quatre ans, mais comme j’ai aussi un grand respect pour l’Équipe de France où je suis resté quatre ans. Partout où je suis passé en tant qu’entraîneur j’ai toujours eu un grand respect pour les institutions, et à chaque fois que j’ai été à l’intérieur j’ai toujours donné le meilleur sans chercher à me faire bien voir.
Je ne cherchais qu’une chose : qu’on soit performant. Des fois ça a marché, des fois un peu moins, parfois on s’est planté. Mais toujours en ayant l’objectif d’être le mieux classé et d’avoir les meilleurs résultats, tout en ayant la meilleure ambiance possible avec les joueurs. Ce n’était pas le Club Med hein, mais quand tu as des joueurs heureux au quotidien et qui arrivent avec le sourire à l’entraînement, tu as des résultats, même si tu ne leur passes pas tout !
Cette image « Club Med, peignoir claquette » a collé notamment à Ghislain Printant. Toi qui l’as côtoyé, es-tu d’accord avec ça ?
Aujourd’hui, Ghislain Printant, c’est huit matchs, huit points. Avec une préparation où il a été obligé d’aller aux États-Unis, avec des joueurs revenus tardivement, mais au moment où on lui dit que c’est fini, il était à huit points en huit matchs. Sur les deux années qui ont suivi, au bout de huit matchs, on avait combien de points ? Ghislain c’est un travailleur, un grand travailleur. C’est quelqu’un qui travaille, qui depuis sa plus tendre enfance est supporter des Verts. Il était à Glasgow. Quand il a pris Saint-Étienne et qu’on lui a proposé le poste, il a tout fait pour que ça marche. Et je pense que si on lui avait laissé un peu de temps, on terminait dans les dix premiers, voire les sept premiers sans problème. Le côté claquettes machin truc, ça n’existait pas.
Ghislain Printant a mal vécu cette image, ainsi que son éviction dans les circonstances que l’on connait lors de cette conférence de presse assez lunaire…
Christophe Galtier était un gros travailleur, Thierry Oleksiak et Alain Blachon, tous les mecs avec qui j’ai travaillé, et même Claude Puel, ce sont tous de gros travailleurs. Et d’un seul coup parce que Ghislain Printant reprend l’équipe après avoir été l’adjoint de Jean-Louis ça devient le Club Med ? Mais quel Club Med, qu’est-ce que tu me racontes ? Heureusement que lorsque nous partons nous ne disons rien sur les personnes qui arrivent après ! Personnellement je me suis toujours interdit de critiquer les résultats de ceux qui sont arrivés après, ce serait malhonnête de le faire, je ne sais pas ce qui se passe maintenant à Saint-Étienne. Ce qui est difficile, moi je l’ai ressenti comme ça avec Galette, c’est quand tu lis dans la presse, après son passage : « on n'a jamais vu un entraîneur autant travailler qu’Oscar Garcia ». Avec Galette on faisait quoi, on se branlait ? Non mais il faut arrêter les conneries un moment !
Ghislain Printant c’est un vrai travailleur, il arrivait le matin à 7h du matin, il poussait les joueurs comme un vrai manager. Huit points en huit matchs, il fait un nul contre Wolfsburg, en phase de se qualifier encore pour la Coupe d’Europe, il n’était pas éliminé quand il a quitté l’équipe. Et on sort l’histoire des claquettes ? Faut arrêter, ce n’était pas vrai. Ghislain c’est une personne qui a une vraie passion pour Saint-Étienne, qui a fait tous les entraînements avec Jean-Louis Gasset, qui au quotidien poussait les joueurs, et on dit qu’avec lui c’était claquettes peignoirs, tout ça parce que les joueurs l’ont soutenu et ont voulu que ça soit lui ? Parce ce qu’ils pensaient qu’ils pourraient faire tout et n’importe quoi ? Faut se rappeler de ce qui est arrivé, tu perds Rémy Cabella, qui part sans être véritablement remplacé. Tu fais un départ certes très moyen, mais quand tu es dans un staff et que tu lis ça, tu deviens fou ! Même moi ça me rendait malheureux pour le mec avec qui je travaillais !
Ça t’inspire quoi de voir les Verts lanterne rouge après 18 journées ?
Je suis peiné, notamment pour les personnes présentes que j’ai côtoyées, en particulier Loïc qui a pris un poste important au club… Il a été nommé coordinateur sportif, je suis vraiment très heureux pour lui. J’espère qu’il va pouvoir… pas imposer sa façon d’être car on ne l’impose jamais ou ça se fait naturellement. J’espère que ça va se faire naturellement et qu’il y aura des décisions fortes sur le sportif.
Tu as gardé des contacts avec les joueurs actuels ?
Oui, avec tous ! J’ai revu Romain Hamouma, Timothée Kolodziejczak l’année dernière, ou d’autres avec qui j’ai vécu le plus grand nombre de trucs. Mais pas seulement. Quand l’année dernière on vient avec Bordeaux jouer à Saint-Étienne, ils sont tous venus dans le vestiaire pour saluer Ghislain Printant, pour saluer Jean-Louis Gasset, pour me saluer. Benoit Costil a halluciné dans le vestiaire, il m’a dit qu’il n’avait jamais vu ça ! J’ai beaucoup d’affection pour Wahbi, pour Romain, pour Bouanga, pour tous ! Même les minots, les petits, je les ai tous vus grandir ! J’ai envie que ça marche, j’ai envie que ça marche pour le club, car c’est un club fantastique ! Quand tu vas jouer à Angers, et qu’il y a 800 supporters qui se déplacent, qui crient tout le match pour t’encourager, que tu mets un but et que tu as la moitié du stade qui se lève alors que tu es à l’extérieur à Angers, c’est que tu es dans une place forte du football. Cette équipe mérite d’avoir sa place, elle ne mérite pas ce qui lui arrive. Et même si pour moi c’est du passé, que je n’y retournerai certainement jamais pour X raisons, du moins tant que certaines personnes seront encore là, j’espère sincèrement qu’ils vont s’en sortir. C’est comme quand Nantes était en difficulté, c’est un club dans lequel j’ai vécu, un club avec lequel je me suis battu, et j’ai envie qu’il marche ! Même chose quand je vois Lyon qui va mal, c’est quand même mon club formateur, ça me rend malheureux pour le club!
En parlant de Lyon, certaines rumeurs au printemps 2020 t’y envoyaient en remplacement de Grégory Coupet, tu confirmes ?
Oui, tout à fait, ça a failli se faire. J’y serais allé sans problème.
Jean Michel Aulas a été plutôt élogieux à ton sujet. A l’inverse on se rappelle cependant aussi d’un derby houleux en 2013…
Monsieur Aulas, on l’aime ou on ne l’aime pas, mais c’est quelqu’un qui défend son club. Il attend la même chose des gens qui travaillent à l’Olympique Lyonnais avec lui. À cette époque je défendais les couleurs de Saint-Étienne. À l’époque il n’y avait personne qui pouvait nous bouger à Saint-Étienne, je défendais le club. On perd chez nous à la dernière minute, et il y en a un qui chante « on est chez nous » ? Non, tu n’es pas chez toi, tu es à Saint-Étienne ici mon petit. En plus le mec qui chantait çà il n’était même pas lyonnais… Donc je l’ai remis en place. Il y a eu une échauffourée, point. Mais Monsieur Aulas, il a été mon Président durant toute ma jeunesse, à une époque où il n’était pas encore connu et où il débutait, et on a une relation qui est bonne, très bonne. J’ai beaucoup de respect pour lui et il en a pour moi.
Christophe Galtier a également dit publiquement qu’il avait du respect pour lui…
Mais ça empêche quoi ? Oui, il y a des Lyonnais qui disent « il a entraîné Saint-Étienne alors il ne peut pas entraîner chez nous ». Eh bien tu les laisses, que veux-tu que je te dise ? Mais si un jour je dois retourner à Lyon je donnerai le meilleur de moi-même, je ferai tout pour que mon gardien soit performant. Je comprends qu’on est face à un raisonnement de supporter. Je ne suis pas un mercenaire, mais il faut bien que je travaille et que j’aie un salaire ! Pour prendre un autre exemple que Lyon ou Saint-Étienne, la personne qui peut se permettre de dire « je suis marseillais, jamais je pourrai aller travailler à Paris », si Paris l’appelle et qu’il refuse c’est qu’il n’aura juste pas besoin de travailler, qu’il aura déjà assuré son avenir. Mais de mon côté j’ai besoin de travailler. Et quand j’étais à Saint-Étienne, tous les supporters savaient que j’étais lyonnais ! Je l’ai toujours revendiqué ! Ça ne m’a jamais posé de problème, même s’il y avait des mecs qui disaient sûrement qu’ils ne m’aimaient pas à cause de ça ! Mais tu veux faire quoi ?
Après, ton passé de lyonnais est aussi moins connu que le passé d’un Bafé Gomis qui part de Sainté pour aller à Lyon…
Mais Bafé il peut revenir à Geoffroy-Guichard, il est bien accueilli, non ?
En parlant du public, tu as vécu le Chaudron de l’intérieur, est-ce que par rapport à l’image que tu en avais ça reste une des choses les plus fortes que tu as pu vivre et que tu retiens de tes années au sein du club ? En plus avec des ambiances de Coupe d’Europe…
J’espère vraiment que ce club restera en L1, non seulement pour les gens que je connais de l’intérieur, mais aussi pour les supporters, car c’est un public qui est fantastique. Geoffroy-Guichard, c’est un spectacle. Il m’est arrivé d’inviter une de mes tantes, qui ne savait pas ce qu’était un ballon rond, alors qu’elle était chez mes parents, et elle m’a dit : « c’est quoi ce truc ? C’est fantastique ! » Tu as un ou deux endroits en France ou te retrouves ça, mais Geoffroy-Guichard c’est vraiment spécial, c’est énorme, également quand tu viens jouer en tant qu’adversaire, ça te motive de ouf !
En tout cas t'avais été bon les deux fois que t'es venu avec Beauvais. Ton équipe avait perdu les deux fois 1-0 mais t'avais longtemps retardé l'échéance. Mais t'as fini par t'incliner face à Lilian Compan et Mickaël Dogbé.
C’est un stade où tu as envie de te transcender ! Quand je faisais l’échauffement côté Magic Fans, et que je les voyais monter au fur et à mesure de l’échauffement, je me disais : « pourvu qu’on gagne pour tous ces gens ! ». Sincèrement, ça m’est arrivé plusieurs fois de dire ça. C’était fantastique ! On retrouvait souvent ça dans les causeries de Christophe ou Jean-Louis, ils disaient « les enfants, le club mérite ça, les gens qui viennent nous soutenir et qui font des sacrifices, ils méritent qu’on leur donne quelque chose ! ». Quand on a gagné le titre, même si ce n’était qu’une Coupe de la ligue, franchement je n’avais jamais connu un truc pareil ! C’était extraordinaire ! C’est pourquoi je ne peux rester insensible à ce qui se passe en ce moment à Saint-Étienne. Je n’incrimine personne, parce que ce n’est pas mon rôle, mais je souhaite vraiment qu’ils s’en sortent.
À l’ASSE, tu as fait partie des très rares personnes à cru en Etienne Green.
On a été deux en fait à le soutenir. J’ai fonctionné avec Étienne comme je le faisais avec la plupart des jeunes, le jeudi j’intégrais régulièrement un jeune gardien de 16 ans dans le groupe pro pour voir ce qu’il valait. Ils sont tous venus avec moi, Guendouz, Maiso, Bajic… Ils venaient à cette séance du jeudi avec Jessy et mon 3ème gardien du moment. Je vois Étienne arriver, je vois ce gamin, et je me dis qu’il a le profil du haut niveau, mais comme je me le suis dit pour Anthony, Alexis ou Stefan, qui sont tous passés pro depuis. Quand je découvre Etienne, je me dis : « il a des jambes, il pousse, il est grand, il est longiligne, il prend de la place, il n’a pas peur »… Je le prends une fois, deux fois… En fait, personne n’y croyait. On ne le faisait pas jouer. Nous n’étions que deux à y croire, Mickaël Dumas et moi. Pour moi c’était plus facile parce que j’évoluais chez les pros, et j’avais donc une voix qui portait un peu plus. Mais il faut souligner que Micka a toujours cru en Etienne. Après c’est un concours de circonstances. Je ne te dis pas que j’étais sûr qu’il jouerait avec les pros. Tu n’es jamais sûr qu’un potentiel puisse éclore, mais si on m’avait laissé la possibilité, je l’aurais pris avec les pros en même temps que Bajic.
Quand tu dis qu’il a le profil du haut niveau, tu penses à quoi ?
En fait il pousse, il a de l’envergure, il prend de la place dans le but, mais il faut qu’il se remplisse encore un peu. Si tu le fais jouer en L1, tu ne dois pas compter sur lui pour te maintenir.
Pourquoi dis-tu ça ?
En fait pour faire un parallèle, quand je suis arrivé à Nantes, Mickaël Landreau était dans la même situation qu’Étienne. Il sortait de 6 mois en pro et c’était sa première saison titulaire. Nantes lui a fait confiance, mais surtout l’a mis dans le but pour qu’il progresse. Il savait que parfois ça serait un peu moins bien, qu’ils allaient perdre des points, mais qu’ils avaient un très bon gardien et qu’ils allaient le faire progresser. Mais ils ne comptaient pas sur lui pour se maintenir, ils comptaient sur l’équipe parce qu’elle était solide autour de ce gardien.
Aujourd’hui, quand tu lances un jeune, en France ou dans un autre pays, tu ne dois pas compter sur lui pour te maintenir, tu le fais progresser ! Tu sais qu’il va faire des performances très bonnes, d’autres un peu moins bonnes, mais le but c’est qu’il prenne du temps de jeu et qu’il devienne de plus en plus régulier et performant, pas qu’il t’aide à te maintenir.
Comment tu as vécu ses débuts, notamment à Nîmes où il nous a tous bluffés par son flegme et sa capacité à être tout de suite décisif ?
Tu sais ce que je dis à mes très jeunes gardiens ? Toutes les premières sont importantes. Ton premier match est toujours important, c’est celui qui lance ta carrière.
C’est important la première, mais si tu ne confirmes pas ensuite…
Mais si tu rates la première c’est fini ou tu attends longtemps la deuxième. Tu n’auras pas la deuxième. Et souvent, même si tu réussis ta première saison, c’est la seconde la plus difficile. La première tu es un peu insouciant. Le problème d’Étienne, c’est qu’il est dans une équipe dans une situation difficile où il y a beaucoup de pression, ils prennent beaucoup de buts. Ce n’est pas facile, mais il faut qu’Étienne continue à travailler parce qu’il a le potentiel pour aller vers le très haut niveau. C’est sa faculté à traverser ces épreuves qui sera déterminante, parce que le foot ce n’est pas facile. Quand Stéphane a débuté à Monaco, il a vécu une saison difficile, mais il a su rebondir et continuer à progresser, et il a pu surmonter tout ça.
C’est pareil du côté de Nantes avec Alban Lafont…
Alban a commencé en ayant des hauts et des bas, mais maintenant, bien qu’il n’ait que 23 ans [il les aura le 23 janvier, ndp2], on croirait qu’il en a 27 ou 28 ! En France on fait un faux débat sur la formation française, on est hésitant à lancer des jeunes. Je me suis fait la réflexion en voyant le gardien de Monaco, qui est prêté par le Bayern, mais en fait en France on a des gardiens du même âge au moins aussi forts que lui, mais juste parce qu’il est allemand on le voit plus beau. Oh, faut arrêter !
C’est vrai qu’en France on a l’impression que sur ce poste on hésite à lancer des jeunes talents, contrairement aux attaquants par exemple, et qu’on le fait surtout faute de mieux…
C’est exactement ça. Nantes a été novateur avec Mickaël Landreau, Nice avec Hugo Lloris, Le Havre puis Marseille avec Steve Mandanda ou encore Toulouse avec Fabien Barthez, en prenant le risque en se disant « tant pis si on perd des points parce qu’il n’est pas régulier au départ, il le deviendra parce qu’il a le potentiel pour être un futur très grand ». Il faut avoir la faculté de les accompagner pour qu’ils franchissent des paliers en veillant à ce qu’ils soient bien entourés. C’est tout ça qui fera qu’Étienne v grandir, comme Stefan.
Justement, concernant Bajic, la blessure de Green va lui donner la possibilité d’enchainer pour la première fois plusieurs matchs d’affilée, alors que jusqu’à présent à chaque fois qu’il a eu à jouer c’était dans un contexte particulier…
Ce qui m’ennuie, c’est que pour moi, Bajic aurait dû être prêté. Pas cette saison, mais celle d’avant, en National ou en Ligue 2. Parce que lorsque tu regardes le nombre de matchs qu’il a joué dans sa carrière, ça fait bien peu, que ce soit avec les pros ou avec la réserve. Quand j’étais là, que ce soit lui ou Maisonnial, je les ai fait jouer un maximum, afin qu’ils acquièrent de l’expérience « à balles réelles ». Pour sa progression, il aurait été bénéfique que Stefan soit prêté. Il sortait d’un an et demi à l’entraînement avec moi, dans le groupe pro, il était temps de le prêter un an pour voir ce qu’il aurait donné en étant titulaire en National ou en Ligue 2. En fait, on est en train de dire ce qu’on ne devrait pas dire, à savoir que Bajic doit confirmer le potentiel placé en lui. Non, Bajic est en train d’apprendre son métier ! Il va sûrement faire de très bons matchs, et d’autres un peu moins bons, mais c’est un jeune gardien de vingt ans.
Quand il est prêté en National à Fréjus, Jessy Moulin fait une bonne saison à un niveau correct, et lorsqu’il revient c’est tout de suite un peu plus facile quand il rentre parce qu’il a du vécu derrière lui et qu’il a pu enchainer des matchs. Stefan a 20 ans. Etienne a 21 ans. Le petit Nabil Ouennas doit avoir 18 ans. Ils ont recruté le gardien sénégalais Boubacar Fall qui a 20 ans. Dans ma conception des choses le discours consiste à dire : « Vas-y mon petit, joue ! Ne te prends pas la tête si tu vas être bon ou pas bon, joue. Moi je suis là pour te protéger, je n’attends rien de toi sauf que tu sois à ton niveau actuel. On va avancer et tu vas progresser à ton rythme ».
C’est d’ailleurs ce que tu avais dit à Anthony Maisonnial à l’époque à Lorient…
Il était très bien rentré d’ailleurs, et le match d’après il avait fait son match. Mais au niveau où il était à l’époque, tu ne peux pas dire à ton gardien qui a 20 ans : « faut que tu sois bon ». Non, non, tu lui dis « concentre-toi sur toi, vas-y rentre, sois à ton niveau, prends du plaisir, sois concentré ». Mais tu n’attends rien de lui. Tu espères juste qu’il soit à son niveau, tout simplement. Avec ses manques, parce qu’il n’a que 20 ans, mais aussi ses qualités. Et ce message il faut le faire passer aux gens, tu dois être le garant de ça en tant qu’entraîneur des gardiens. On doit dire « on fait rentrer un petit, il a fait des bribes de matchs, on n’attend rien de lui ! Les anciens, protégez-le, il a 20 ans, je ne veux voir personne le laisser tout seul ! ».
C’est à toi en tant qu’entraîneur des gardiens d’amener ça, tu ne dois pas dire à un gamin de 20 ans qu’il faut qu’il soit bon et qu’il doit nous sauver. C’est pareil pour Étienne. J’ai connu dans ma carrière des situations où j’ai lutté contre la relégation. Quand tu es gardien dans cette situation, tu as envie de faire des choses que tu ne ferais pas d’habitude parce que tu veux en faire plus. Et en voulant faire plus tu te lances dans des chantiers où tu ne devrais pas aller. Et ça c’est le danger. Le jeune gardien doit être à son niveau, et c’est le temps, le vécu et l’expérience des matchs joués qui le feront progresser. Notre rôle d’entraîneur des gardiens est d’amener de la sérénité. Personnellement je n’ai jamais tremblé quand j’ai dû lancer Maisonnial par exemple, je lui ai toujours dit « tranquille ! Fais-toi plaisir ! ».
Faire abstraction du contexte en sorte…
En fait tu ne peux pas faire abstraction du contexte. Tu pourrais si tu as dans ton effectif un gardien d’expérience style Ruffier, Mandanda, Lloris ou Lecomte, avec un gros passé, bien sûr que tu t’appuies sur lui pour faire la différence, parce qu’il a cette faculté d’être le patron grâce à son vécu énorme. Mais quand tu as un jeune, faut le laisser murir ! S’il est là c’est qu’il a les qualités pour être là, mais il faut parfois accepter le mauvais choix qui coûte un but, c’est comme ça.
Tu as évoqué Mandanda. Une rumeur fait état de sa possible arrivée à Sainté au mercato hivernal. T’en penses quoi ?
Je n’ai pas spécialement d’avis là-dessus. J'ai cité des noms mais pas forcément pour qu'on prenne quelqu'un. Juste pour dire qu'on n'a pas la même attente avec un jeune gardien qu'avec un gardien expérimenté. Je veux que Saint-Étienne s’en sorte, et honnêtement j’espère qu’ils vont s’en sortir. J’ai beaucoup d’affection pour Steve, il le sait, on s’est vu en sélection et j’adore le gardien et le personnage qu’il est. J’ai toujours eu beaucoup d’affection pour les gardiens avec qui j’ai travaillé, même si avec Stéphane c’était particulier, on a noué un truc tellement fort durant toutes ces années, c’était extraordinaire. Après, c’est une décision qui reviendra au club. L’important c’est de le sauver, de sauver l’institution. J’espère qu’ils vont y arriver, très sincèrement.
Pour revenir à Stefan Bajic, il a vu Etienne Green lui passer devant dans la hiérarchie des gardiens, va « profiter » de la blessure de ce dernier pour enchaîner. Stefan a longtemps été été considéré en interne comme LE gardien de la relève, le futur Ruffier. Est-ce que…
[Il coupe] Considéré par qui ? Mais c’est des conneries ça ! Il n’y a personne qui le dit. Faut arrêter de mettre la pression à Stefan. Toi t’arrives et tu formes des mecs. Mais c’est leur faculté à appréhender après l’évènement qui va faire la différence. Toi tu dois leur enlever cette pression. Dire d’un gamin qu’il est promis à être le successeur d’un tel ou un tel, ce n’est pas lui rendre service. Combien t’as connu de successeurs qui n’ont jamais rien fait ? Des successeurs de Platini, des nouveaux Zidane, il y en a eu un paquet. C’est des conneries ça. Toi à 20 ans t’es là pour apprendre ton métier et on te construit. C’est ce qu’a très bien fait Ghislain Printant à l’époque de Montpellier avec Rudy Riou et Rémy Vercoutre. Ils ont un blessé grave, Ghis leur dit : « on ne prend pas de gardien, on a Rémy et Rudy. » Crois-moi que Nicollin leur a mis la pression. Ghislain les a emmenés dans la tranquillité, sans leur demander d’être performant.
Un petit mot pour finir : toi qui échanges régulièrement avec Stéphane Ruffier. Sais-tu comment il vit la situation actuelle ? Comment va-t-il ?
Tu n’as pas joué 9 ans dans un club en étant content de ce qui arrive au club. Maintenant Steph va bien. Il est très bien à Bayonne, il s’y plait, il a retrouvé sa famille, ce qui était important pour lui après ce qu’il a vécu sa dernière année à Sainté.
Merci à Fabrice pour sa disponibilité et aux potonautes Pat42, TitusPullo77 et moimeme pour leur aide précieuse à la retranscription