Ancien gardien de l'ASSE et du GF38, Jody Viviani, aujourd'hui dénicheur de jeunes talents sénégalais, s'est confié à Poteaux Carrés avant le match qui opposera ses deux anciens clubs ce lundi soir au Stade des Alpes.
Que deviens-tu Jody ?
Je vis toujours dans ma ville natale, à La Ciotat. Après avoir arrêté ma carrière de joueur, j’ai d’abord été un entraîneur des gardiens. Je suis resté dans le milieu du foot, plutôt dans le recrutement. J’ai ainsi contribué à la venue à l’ASSE de trois jeunes sénégalais : le gardien Boubacar Fall, l‘attaquant El Hadji Dieye et le milieu offensif Cheikh Fall. Je les ai repérés, j’ai pu les voir à Dakar. Je suis content de les voir évoluer à Sainté. Je suis dans le recrutement mais en tant qu’indépendant. Je ne travaille pas en tant qu’employé de l’ASSE même si un jour ça pourrait m’intéresser.
Il y a désormais un partenariat entre l’ASSE et les Espoirs de Guédiawaye, c’est par rapport au travail que j’avais effectué. Ça pourrait m’intéresser de pouvoir travailler avec un club. Je connais pas mal Dakar, pas mal de clubs là-bas. Au Sénégal, il y a des clubs jusqu’en D4-D5 où il y a de très bons joueurs. En tout cas je continue de suivre de près les Verts, que ce soit en Ligue 2 ou en N3. Je regarde régulièrement les matches de l’équipe réserve, du coup ça me permet de voir les joueurs qui sont arrivés un peu par le biais de mon travail.
A commencer par Boubacar Fall !
Oui. D’ailleurs t’as pu voir que la saison dernière, Boubacar Fall avait joué une quinzaine de matches en N3 et il avait déjà fait quelques bancs en équipe première, que ce soit en Ligue 1 ou en Coupe de France. Cette saison, il a joué son premier match en pro, contre Caen à Geoffroy. J’étais content pour lui. Il a été bon et ne s’est incliné que sur un péno d’Alexandre Mendy lors de ce match où Gaëtan Charbonnier a arraché l’égalisation dans le temps additionnel.
J’ai trouvé que Bouba avait fait un match sérieux contre Caen, il a démontré qu’il avait les capacités de jouer à ce niveau. Après, on sait qu’un gardien est toujours jugé dans le temps. En tout cas ce qu’il a montré lors de ce match de L2 fin décembre est positif. Malheureusement il s’est blessé au ménisque lors d’un entraînement début mars et sa saison est finie, il s’est fait opérer il y a un mois. Je l’avais découvert via des vidéos avant de me déplacer à Dakar pour le voir. C’est un gardien qui prend beaucoup de place, qui a de l’envergure. Il n’a pas peur d’aller chercher les ballons loin. Il a un bon jeu au pied et une bonne analyse.
Bien sûr Bouba doit encore travailler. Quand tu pars du Sénégal et que t’arrives en Europe, il y a forcément un temps d’adaptation. Ce n’est pas le même football mais je sais qu’il bosse bien avec les entraîneurs des gardiens. André Biancarelli [désormais dans le staff de Pascal Dupraz à Dijon, ndp2] a travaillé avec lui la saison dernière, je sais que Jef Bédénik a fait du bon boulot avec lui cette saison. De temps en temps je prends de ses nouvelles. Bouba a encore une marge de progression, comme tout jeune gardien.
Le meilleur moyen de progresser, tu le sais comme moi, c’est de jouer au haut niveau. Bien sûr, c’est intéressant de jouer des matches de N3 parce que ça te permet d’avoir des repères. Mais le haut niveau c’est quand même très différent : tu dois réagir plus vite, analyser plus vite… Il n’y a qu’en faisant des matches en pro que tu progresses énormément. Moi je me souviens de mes premiers matches en pro, il faut s’adapter au haut niveau et essayer d’être au top quand tu joues.
Quid de El Hadji Dieye ?
Lui aussi a eu beaucoup de temps la saison passée en N3. Il a mis à cette occasion quelques buts, le denier contre Vaulx-en-Velin justement que la réserve vient tout juste d’affronter ce samedi. Il a aussi délivré cinq ou six passes décisives. Comme il a montré des choses intéressantes avec la réserve, il a fait 5 apparitions en Ligue 1. Sa première à Strasbourg, dans un contexte particulier car près d’une dizaine de joueurs étaient absents à cause du Covid. Mais ensuite il a fait quatre autres entrées en jeu, notamment lors du derby perdu 1-0 à Lyon.
Sa première saison était donc prometteuse, hélas cette saison il a été entravé dans sa progression car il s’est blessé à l’épaule, il a dû se faire opérer. Malheureusement pour lui, il a donc manqué la préparation avec les professionnels. Il a quand même joué une dizaine de matches en N3 et a marqué le but de la victoire contre Limonest il y a deux mois. El Hadji a de grosses qualités de vitesse, dans le football actuel ça peut être un vrai atout.
Ça reste un bon joueur, j’espère qu’il aura à nouveau des opportunités de jouer avec les pros et de montrer ses qualités. Son principal axe de progression, c’est sans doute la gestion des temps forts et des temps faibles. Savoir quand il faut vraiment accélérer le jeu et quand il faut le ralentir, ne pas partir sans arrêt à toute vitesse. Quand on est un jeune feu follet comme lui, c’est pas évident de se canaliser. C’est avec l’expérience que ça va venir.
Le dernier arrivé de tes trois « poulains » s’affirme au fil des matches au sein de la réserve stéphanoise…
C’est vrai que Cheikh Fall montre de belles choses et démontre avec l’équipe de Razik Nedder ce que j’avais décelé. La première chose que j’avais notée chez lui en le voyant jouer au Sénégal, c’est que c’est un footballeur très complet pour son jeune âge. Techniquement il était au-dessus, sa vitesse est bonne aussi, athlétiquement il est pas mal non plus et il a une analyse de jeu quand même intéressante. J’ajouterai qu’il a en outre cette finition que tout le monde n’a pas. On l'a vu cette saison, d'abord avec les U19 de Jean-Luc Dogon. Il a marqué à Marseille, a mis un doublé à Monaco. Et en N3, il a marqué contre Vaulx-en-Velin et contre Clermont. C’est un joueur qui a pas mal de cordes à son arc mais ça reste un jeune joueur qu’il faudra peaufiner.
Je fais confiance au staff professionnel pour le lancer au bon moment. Quand un club est relégué comme Sainté, c’est compliqué de lancer beaucoup de jeunes, il faut de l’expérience. On voit que Laurent a quand même donné du temps de jeu à deux ou trois jeunes très jeunes joueurs offensifs mais en début de saison. Il faut lui faire confiance, il est bien mieux placé que quiconque pour juger du moment opportun de faire jouer des jeunes joueurs offensifs en pro. Si Cheikh Fall continue de bien travailler, il aura sa chance, d’autant plus qu’il peut jouer à pas mal de postes. Cheikh peut aussi bien évoluer milieu excentré ou milieu axial, il peut également jouer deuxième attaquant ou attaquant. C’est pour ça aussi qu’il a un profil intéressant. Il a commencé la saison en U19, il s'est vite imposé comme un cadre en réserve. Qui sait, peut-être que la saison prochaine il aura une opportunité à saisir en pro ?
Si tu es resté deux fois plus longtemps à Sainté (de 2005 à 2009) qu’à Grenoble (de 2009 à 2011), tu as joué plus de matches pour le GF38 (59) que pour l’ASSE (40). Pour qui battra ton cœur ce lundi soir ?
Je ne vais pas te cacher que je serai avec Saint-Etienne. Les Grenoblois sont aussi agréables mais sportivement j’ai vécu là-bas des années compliquées, deux descentes… C’est chez les Verts que j’ai connu les moments les plus forts et les plus appréciables de ma carrière. C’est là que j’ai vécu le plus de ferveur. La passion qui entoure ce club, c’est vraiment quelque chose. Je crois que tu la connais aussi, pas besoin de te le dire (rires). Saint-Etienne, ce sont de belles rencontres, sportives et humaines. J’ai eu l’occasion de jouer des derbys, des gros matches contre Paris, Marseille, etc. J’ai aussi joué quatre matches de Coupe d’Europe. J’ai joué dans des ambiances extraordinaires, j’ai adoré ce public. Les Stéphanois m’ont très bien accueilli, j’ai gardé des amis là-bas donc forcément ça compte. Je me suis plu dans la région stéphanoise, que ce soit à Saint-Paul-en-Jarez où j’ai habité les premières années et ensuite dans le centre-ville.
La dernière fois que les Verts sont venus au Stade des Alpes, ils avaient gagné 2-1 grâce à des buts de Loïc Perrin et Emmanuel Rivière. Tu gardais les buts grenoblois et dans ton équipe il y avait notamment David Sauget, Daisuke Matsui et un certain Laurent Batlles, ton capitaine de l’époque ! Peux-tu nous dire quelques mots sur ce dernier ?
Je suis content que Laurent après des débuts très difficiles cette saison à l’ASSE ait réussi avec son équipe à redresser la barre. Il est revenu au club dans un contexte pas idéal, c’est le moins qu’on puisse dire… Les Verts ont bien remonté la pente et sont sur une bonne dynamique, pourvu que ça dure ! Je suis content pour Laurent, Loïc et tous ceux qui s’investissent dans ce club. Je ne suis pas surpris de voir que Laurent soit devenu entraîneur. C’était un leader de vestiaire, très professionnel, qui analysait bien notre jeu comme celui de l’adversaire. On a vécu ensemble une saison sportive très difficile, ponctuée par une relégation. Mais Laurent a toujours su garder la tête haute, il a continué jusqu’au bout à nous encadrer au mieux et à nous encourager.
Laurent, c’est un exemple de professionnalisme et il a une force de caractère qui lui permet de traverser les périodes compliquées sans baisser les bras. C’est le genre de gars qui donnent tout pour le club et pour l’institution. Après notre relégation en L2, Laurent a su rebondir à Saint-Etienne, c’est donc dans l’élite qu’il a très bien terminé sa longue et belle carrière de joueur. C’est aussi un modèle de reconversion réussie. Il a fait du très bon boulot avec la réserve de l’ASSE, il a réussi à faire monter Troyes en L1 et je lui souhaite bien sûr d’en faire de même avec Sainté.
Ça n’a pas pu se faire dès cette saison mais ce n’est pas étonnant. Saint-Etienne a subi un vrai traumatisme avec cette relégation, a démarré la saison avec trois points de moins et avec un effectif qui a énormément bougé. Quand on part sur un nouveau projet, il faut savoir être patient et laisser l’entraîneur mettre en place son projet de jeu. Ce n’est pas en trois mois que tu peux faire repartir Sainté, c’est sur du long terme que tu construis. Laurent l’avait d’ailleurs annoncé avant le début de saison, lui et sa direction n’ont jamais parlé de remontée immédiate. C’est sûr que les supporters attendent toujours que ça aille plus vite, c’est normal. Mais au niveau sportif, ce n’est pas la même chose. Quand tu veux construire quelque chose, et c’est valable aussi hors football, il faut du temps.
Laurent Batlles travaille en étroite collaboration avec Loïc Perrin, que tu as côtoyé lors des tes quatre saisons stéphanoises.
Loïc, c’est comme Laurent, un modèle de professionnalisme. C’était un leader sur le terrain, un leader technique. Loïc a fait toute sa carrière à l’ASSE, il incarne très bien ce club et je me réjouis de le voir aujourd’hui poursuivre sa très belle histoire avec ce club en tant que directeur sportif. Un peu comme Laurent, il exerce ses nouvelles missions dans un contexte particulièrement difficile mais ça fait partie de l’apprentissage. Il faut faire confiance à Loïc, c’est lui aussi quelqu’un de réfléchi et d’intelligent. Il travaille au mieux avec les moyens qu’il a pour construire quelque chose de cohérent. Former un groupe en osmose avec des joueurs de valeur et complémentaires, ça ne se fait pas en un claquement de doigts. Aujourd’hui, ça commence un peu à payer. On voit un Saint-Etienne beaucoup plus costaud, qui va dans la bonne direction.
L’équipe prend en effet la bonne direction. Quid du club ? De nombreux supporters attendent désespérément un changement de l’équipe dirigeante et considèrent qu’on ne peut pas attendre grand-chose de l’ASSE tant que Bernard Caïazzo et Roland Romeyer seront les patrons du club. T’en penses quoi ?
Quand on subit une descente comme ça qui fait suite à deux saisons déjà très compliquées, on a tendance à vouloir changer les choses. Roland Romeyer et Bernard Caïazzo étaient déjà là depuis quelques années quand j’étais au club. Ils sont toujours là aujourd’hui. En tout cas ils sont toujours les propriétaires du club. A vrai dire je ne sais pas s’ils veulent céder le club. Je lis ou entends des déclarations ci et là depuis des années sur cette vente mais on ne sait pas qu’elle est la réalité. C’est délicat.
Je ne m’attendais pas à ce que ça bouge tout en haut avec cette descente. Les deux présidents connaissent le club, s’ils ont vraiment l’intention de vendre, je pense qu’il ne faudra pas le vendre à n’importe qui. Parce que l’ASSE, ça reste un club mythique, l’un des plus gros clubs de France. Quand un part sur un projet, et il faut que les patrons d’un club soient en osmose avec le club et son environnement. L’ASSE n’est pas un club comme les autres. Il faut du temps pour trouver des personnes qui ne soient pas intéressées que par ce football business.
En attendant qu’un jour cette vente devienne enfin une réalité, les Verts vont prendre la direction de Grenoble ce lundi. Et ils vont défier un gardien que tu connais bien pour l’avoir côtoyé au GF38...
Effectivement. Autant à Sainté il y a eu 5 gardiens qui ont eu du temps de jeu cette saison en L2 – du jamais vu sans doute dans l’histoire du championnat de France – autant à Grenoble Brice Maubleu a joué intégralement tous les matches. C’est quelqu’un que j’apprécie, tant sur un plan humain que sportivement. Quand je l’ai connu, c’était un jeune gardien à l’écoute. Il était numéro 3, il y avait Ronan Le Crom et moi devant. Il a appris avec nous et aujourd’hui il s’est forgé son caractère. Il fait plus d’1m90, il a une envergure qui n’est pas à négliger.
C’est devenu un leader de l’équipe, il est performant et régulier. Si le GF38 a la 3e meilleure défense de la L2 cette saison, la 2e même puisque Bordeaux en a pris 3 à Metz, c’est en partie à Brice qu’il le doit. C’est un garçon qui a fait quasiment toute sa carrière à Grenoble. Il a tout connu dans ce club, de la L1 au CFA2. C’est un enfant du club, je crois qu’il a rejoint le GF38 quand il avait 13 ans. Il en aujourd’hui 20 de plus mais reste plus que jamais attaché au club. Son parcours est assez remarquable, c’est quelqu’un qui a travaillé en silence et qui est récompensé de tous ses efforts.
Si aujourd’hui encore il est un numéro un incontesté dans cette équipe grenobloise qui est dans le top 7 du championnat de Ligue 2, c’est forcément qu’il a des qualités. Il y a toujours des phases dans une carrière où l’on est moins bien mais cette saison il démontre que c’est un leader, un des hommes forts de son équipe. C’est un gardien de grande taille, il a cette capacité d’aller chercher les ballons. Il a aussi cette capacité d’aller vite au sol. Ce sont déjà des qualités que je lui connaissais quand on s’entraînait ensemble à Grenoble.
Que t’inspire son homologue stéphanois Gautier Larsonneur. Il est moins grand mais au moins aussi performant, non ?
Je ne le connais pas personnellement mais lui aussi fait une très bonne saison. Il est arrivé à l’ASSE dans une période très compliquée, quand les Verts étaient derniers. Il a un mental à toute épreuve. Comme certains autres renforts hivernaux de cette équipe, il a réussi à changer la donne et c’est incontestablement l’un des artisans de la bonne dynamique actuelle des Verts. C’est un gardien expérimenté qui a les qualités pour faire remonter cette équipe.
Larsonneur, c’est un leader, pour moi ça peut être un deuxième capitaine. On voit qu’il commande bien sa défense et qu’il est rassurant. Il a peut-être moins d’envergure que Brice, il lui rend une bonne dizaine de centimètres. Mais c’est un gardien qui compense par sa vivacité. Il est rapide dans ses interventions et dans ses capacités d’analyse. Et comme Brice le démontre de son côté à Grenoble, Larsonneur s’est montré de nombreuses fois décisif cette saison, avec Valenciennes et depuis janvier à Sainté.
Gageons qu’il le sera encore au Stade des Alpes ! Quel est ton prono pour ce match ?
Pas évident de prédire le résultat de ce match. Ce n’est pas facile de venir gagner à Grenoble. Le GF38 est invaincu chez lui depuis cinq matches. A chaque fois c’est serré avec cette équipe. Quand on regarde leur parcours cette saison, on se rend compte que les Grenoblois ont perdu trois rencontres à domicile, à chaque fois d’un but. La dernière équipe à avoir gagné là-bas c’est Bastia, qui l’avait emporté 1-0 à la dernière minute en janvier. Le GF38 est une équipe qui prend peu de buts mais qui en marque peu également. Sainté, c’est un peu l’inverse ! Je verrais bien un petit match nul 1-1.
Merci à Jody pour sa disponibilité