Tandis que Mahmoud Bentayg et Yunis Abdelhamid se préparent à défier Villarreal et qu'Aïmen Moueffek soigne sa cuisse, Benjamin Bouchouari s'apprête à jouer un deuxième match olympique d'affilée en 3 jours dans son Chaudron avec les Lionceaux de l'Atlas (contre l'Ukraine après l'Argentine). Jamais Sainté n'a été aussi marocain, pour le plus grand plaisir de l'ancien meneur de jeu stéphanois Mustapha El Haddoui ! En forme olympique, l'actuel président de l'Union Marocaine des Footballeurs Professionnels se réjouit de l'inoubliable saison que viennent de vivre les Verts de l'ASSE et du Raja.
Comment ça va, Mouss la foudre ? Tu es en forme olympique ?
Bien sûr ! (Rires) J’ai regardé le match contre l’Argentine, on a failli assister à un scandale ! Il y avait une ambiance extraordinaire à Geoffroy-Guichard. Ce stade d’ordinaire tout vert était cette fois tout rouge et je pense qu’il le sera à nouveau samedi. Le problème, c’est que l’arbitre n’a pas été à la hauteur. Je ne fais pas seulement allusion aux 16 minutes de temps additionnel de la seconde période. Tout le long du match, il n’a pas assez sanctionné les Argentins, qui faisaient beaucoup de fautes.
C’est pas normal qu’on ait pris six cartons jaunes et l’Argentine seulement un ou deux. J’ai trouvé que le Maroc était au-dessus dans le jeu, l’Argentine a surtout montré de l’agressivité, pas toujours dans le bon sens du terme. Sur le deuxième but de l’Argentine, j’ai tout de suite senti qu’il y avait hors jeu. Je l’ai dit à ma femme : « Il y a hors jeu, il y a hors jeu ! » J’ai appris 2 heures après qu’en fait on avait gagné ! (rires)
Ma femme était partie entretemps chez l’esthéticienne, elle a entendu que le match n’était pas fini mais juste arrêté, que l’égalisation de l’Argentine allait être invalidée. Il y avait des messages en ce sens sur les réseaux sociaux. C’est ce qui s’est passé. Quand ma femme est rentrée, elle m’a dit : « il y avait bien hors jeu, tu me l’avais dit, bien vu ! ». Tu vois, j’ai l’œil ! Et je n’ai même pas eu besoin de recourir à l’assistance vidéo ! (rires)
Benjamin Bouchouari est entré en jeu seulement à la 90e.
Il aura donc joué près de 20 minutes grâce à l’arbitre, c’est pas mal ! (rires) Plus sérieusement, les places sont chères en équipe du Maroc, que ce soit en A, en sélection olympique ou même en U19. Il y a beaucoup de binationaux et aussi des joueurs qui jouent ici au Maroc. Beaucoup de joueurs veulent défendre le maillot du Maroc, la concurrence est donc féroce, notamment dans l’entrejeu. Benjamin Bouchouari a eu moins de temps de jeu lors de sa seconde saison à Sainté que lors de sa première.
Olivier Dall’Oglio ne l’a pas souvent mis dans son onze de départ. En sélection nationale, Benjamin Bouchouari est en concurrence à son poste avec des joueurs qui sont régulièrement titulaires et qui sont plus grands, plus « impactants ». Benjamin Bouchouari manque sans doute de rythme, de compétition et de confiance. Lors des barrages contre Metz, j’ai vu qu’il n’est pas rentré en jeu, que ce soit à l’aller à Geoffroy ou au retour à Saint-Symphorien.
Benjamin Bouchouari a mis un seul but et délivré aucune passe décisive en 69 matches sous le maillot vert dont 49 en tant que titulaire. On a déjà eu des 6 avec des stats comparables comme Yann M’Vila par exemple (0 but et 3 passes décisives en 91 matches dont 88 en tant que titulaire). Mais il avait moins de déchet dans son jeu et apportait beaucoup plus à l’équipe.
Benjamin Bouchouari reste un jeune joueur de 22 ans, il est perfectible. Yann M’Vila était plus expérimenté. Il avait un vécu significatif que soit à Rennes, en équipe de France ou en Premier League. Je pense que Benjamin Bouchouari devrait s’inspirer du jeu de Ngolo Kanté, qui fait des différences par des pénétrations, qui récupère bien les ballons, joue juste et sait faire de bonnes passes dans les intervalles. On a vu à l’Euro qu’il avait encore le niveau international. Il ne marque pas beaucoup mais il est influent dans le jeu de son équipe. On parle moins de lui en club depuis qu’il a quitté l’Angleterre pour l’Arabie Saoudite mais là-bas il apporte encore le surnombre, il fait des passes décisives, il n’hésite pas à frapper.
Benjamin Bouchouari joue à un poste où il doit offrir des solutions, être vif dans les transitions, se projeter, donner des ballons propres pour alimenter les attaquants. Je pense que ce garçon a du potentiel, il a des qualités. Avant même qu’il ne rejoigne Sainté, je trouvais qu’il avait quelque chose d’intéressant. Ce n’était pas un 6 défensif, il apportait beaucoup, donnait toujours une solution au porteur de ballon et savait créer du danger. Il a peut-être besoin d’un déclic pour franchir un palier et gagner en confiance et en clairvoyance.
Contre l’Argentine, il a failli marquer sur son premier ballon. Il a fait une belle chevauchée, a dribblé deux joueurs mais il a préféré frapper directement au lieu de faire une passe. Il n’a pas cadré sa frappe. Ensuite, il a eu quelques difficultés. C’était dur, il fallait défendre, le Maroc essayait de préserver son avantage et forcément l’Argentine poussait pour égaliser. On a eu d’autres balles de break qu’on a mal négociées. Bon, au final, on a gagné et pour moi c’est mérité. On a une équipe séduisante, elle produit du jeu. En plus des deux buts qu’on a marqués, on a eu plusieurs occasions franches.
C’est dommage que notre numéro 10 Ilias Akhomach ait dû céder sa place à l’heure de jeu. Ce joueur de 20 ans, je l’ai encore trouvé très bon. Pour moi c’était le meilleur des 22 joueurs qui ont démarré ce match à Geoffroy-Guichard. Il est passé par l’académie de Barcelone, il a d’ailleurs joué ses premiers matches de Liga avec le Barça et il sort d’une belle saison avec Villarreal. L’occasion de faire un p’tit clin d’œil aux Verts qui va affronter Villarreal ce samedi en amical ! Akhomach a joué une bonne trentaine de matches là-bas, la moitié en tant que titulaire. C’est pas mal du tout pour un 2004 !
Tu penses que le Maroc peut remporter le titre olympique ?
Je pense que cette équipe a du talent pour aller chercher une médaille, pourquoi pas en or ? Je trouve que cette équipe est séduisante, que les garçons qui la composent ont la tête sur les épaules. Ils savent que Walid et son adjoint échangent beaucoup avec le sélectionneur olympique Tarik Sektioui. Tarik, c’était un très bon joueur, il a quitté Fès pour signer à l’AJ Auxerre qui l’avait repéré à la CAN Espoirs. Il a joué plusieurs saisons à Porto et resté célèbre pour son fameux but contre l’OM, il avait mis dans le vent tous les Marseillais !
C’est devenu un entraîneur assez expérimenté. Il a fait ses armes comme formateur à l’Académie Mohamed VI, qui a sorti pas mal d’internationaux comme le défenseur de West Ham Nayef Aguerd par exemple. Il a aussi travaillé à Fès, à Berkane, à Touarga… C’est un sélectionneur plutôt jeune (47 ans), ambitieux, qui prône un jeu attrayant. Il a la confiance du président de la Fédé. C’est un gars qui veut réussir, il travaille beaucoup. C’est un passionné, comme son frère d’ailleurs, qui entraîne aussi.
Tu as aussi participé aux JO il y a 40 ans mais le Maroc n’avait pas pu sortir de sa poule.
C’est vrai mais il faut dire qu’on était tombé dans une poule très relevée, celle de l’Allemagne et du Brésil. Sans démériter, on a perdu contre ces deux grandes nations de football sur le même score, 2-0. Il y avait de très bons joueurs en face. Andreas Breme a marqué pour la Mannschaft, Dunga pour la Seleçao. On a battu l’Arabie Saoudite mais ça n’a pas suffi. C’est la France qui a été sacrée en battant le Brésil. Dans cette équipe des Bleus, il y avait d’ailleurs Patrice Garande, avec qui je me suis régalé quelques années plus tard sous le maillot vert !
J’ai rejoué deux ans plus tard contre l’Allemagne, en 8e de finale de la Coupe du Monde au Mexique. Lothar Matthaus a marqué l’unique but de la rencontre sur coup franc à la 88e… On était la première équipe africaine de l’histoire à sortir d’une poule en phase finale d’une Coupe du Monde. On avait même fini à la première place devant l’Angleterre, la Pologne, et le Portugal qu’on a battu 3-1 avec un but de Merry Krimau, qui a rejoint l’ASSE juste après ce Mundial 1986.
Pour revenir aux JO de 1984, ça reste une très belle expérience. Les JO, c’est un évènement planétaire, il y a toutes les disciplines, tous les pays du monde sont représentés. Les JO, c’est beau, ça te fait vivre un grand moment de partage. C’est magnifique car ça te permet de côtoyer des gens qui ne pratiquent pas le même sport que toi. On était notamment avec notre compatriote Nawal El Moutawakil, qui a gagné la médaille d’or aux 400 mètres haies.
Elle est rentrée dans l’histoire lors de ces JO, c’est la première femme africaine arabe à avoir été sacrée championne olympique. Elle était avec nous dans le Pavillon de l’université de Los Angeles où on séjournait pendant ces JO. On la chambrait, on la motivait, on lui disait qu’elle allait toutes les laisser derrière elles et c’est ce qui s’est passé. Nawal, c’est une femme assez remarquable. Elle a été Ministre des sports du Maroc et depuis 12 ans elle est Vice-présidente du CIO (Comité Olympique International).
Revenons aux Lionceaux de l’Atlas. Les deux buts du Maroc contre l’Argentine ont été marqués par un joueur méconnu en Europe mais que tu connais très bien car comme toi il a été formé au Raja avant d’y briller en pro. Que peux-tu nous dire sur Soufiane Rahimi, qui a fêté le mois dernier ses 28 ans. L’ASSE cherche un 9, tu penses qu’il aurait le profil pour rejoindre Sainté ?
Ce n’est pas un pur 9, c’est davantage un ailier. Mais il peut aussi jouer axial, on l’a vu ce mercredi contre l’Argentine. Il joue depuis 3 ans à Al-Aïn, aux Emirats Arabes Unis. Il a été élu meilleur joueur en Asie, il a remporté il y a 2 mois la Ligue des Champions Asiatiques, il a d’ailleurs fini meilleur buteur de cette compétition avec 13 buts. Il aurait largement le niveau pour s’imposer en Ligue 1 mais il n’a jamais évolué en Europe. Il coûte cher et en Asie c’est une star.
C’est un super joueur mais Al Aïn ne veut pas le lâcher. Il y a pourtant des clubs saoudiens qui sont prêts à mettre 40 M€ pour l’acheter. Son père était l’intendant du Raja, il s’occupait des équipements pour nous. Maintenant c’est son frère qui s’en occupe. La famille Rahimi est toujours présente au Raja. Soufiane a fracassé de nombreux clubs dont celui de Cristiano Ronaldo. Ce serait évidemment une super recrue pour Saint-Etienne mais je ne pense pas que ce transfert puisse se faire.
Comme avant-centre marocain, j’aurais bien vu Ayoub El Kaabi à Sainté. La saison passée il a mis 18 buts en L1 grecque et 16 buts dans les Coupes d’Europe. Il a fini meilleur buteur de la Conference League. Mais il a prolongé son contrat avec l’Olympiakos. Youssef En-Nesiry, ça aurait top pour Sainté. Il a claqué une vingtaine de pions toutes compétitions confondues avec le FC Séville. Mais il vient tout juste de s’engager pour Fenerbahce, qui a mis 20 M€ pour le recruter. L’ASSE est désormais la propriété d’un milliardaire mais je ne sais pas quelle enveloppe il a octroyée pour trouver un 9 de haut niveau.
El Mehdi Maouhaoub, le jeune avant-centre du Raja qui a fêté ses 21 ans récemment et qui est actuellement en sélection olympique, c’est un joueur en devenir, beaucoup plus abordable mais il vient de s’engager avec un club de première division russe. S’il s’impose à Moscou et qu’il poursuit sa progression, il pourra sans doute aspirer plus tard à rejoindre un des cinq grands championnats européens.
Un joueur actuel de l’effectif de l’ASSE connaît bien la ferveur du public du Raja pour y avoir joué comme toi : Mahmoud Bentayg. Qu’as-tu pensé de sa première saison à Sainté ?
J’ai vu qu’il est rentré en jeu une vingtaine de fois, notamment lors des deux matches de barrage contre Metz. Mais je crois qu’il n’a été titularisé qu’à deux reprises. Une fois par Laurent Batlles 8 jours après l’arrivée de Mahmoud et une autre fois par Olivier Dall’Oglio quand les Verts ont gagné 2-0 à Grenoble. Mahmoud a vécu une saison pas évidente. Il est arrivé assez tardivement à Sainté, je crois qu’il a signé là-bas à une semaine de la fin du mercato.
Il n’a pas fait la prépa avec l’ASSE, les Verts avaient déjà joué 3 ou 4 matches de L2 quand il a débarqué. Mahmoud n’avait connu que le championnat marocain, il a dû se familiariser avec un nouveau Continent, un nouveau football. Je pense que ce joueur a des qualités et peu s’adapter. Il peut jouer milieu gauche, à la base c’est son poste. Il est porté vers l’attaque. Il a eu une formation d’ailier gauche et a été reconverti latéral gauche. Il aime prendre son couloir, c’est un joueur véloce.
Il doit s’adapter, parfaire sa lecture du jeu, appliquer les consignes de l’entraîneur. C’est sa première expérience en Europe, je pense qu’il faut se montrer patient et bienveillant avec ce garçon. Il n’a pas joué en sélection ces dernières années alors qu’il jouait en équipe du Maroc quand il était junior et qu’il avait eu 2 ou 3 convocations en Espoirs. Peut-être que du coup il manque un peu de matches de haut niveau. Or il n’y pas de secret, c’est en jouant de tels matches que t’as le plus de chances de progresser.
Mahmoud avait de supers matches avec le Raja, en particulier pendant la Coupe d’Afrique et la Champions League. Mais jouer en sélection ça t’apporte d’autres choses. Avoir pas mal de temps de temps de jeu dans un club du statut de l’ASSE, ça aide aussi. Mahmoud n’en a pas eu énormément cette saison mais j’ai vu qu’il a marqué un but contre Auxerre, qui a fini champion de Ligue 2. Et c’est lui qui a centré sur le plus beau but de la saison de l’ASSE, ce superbe lob d’Irvin Cardona contre Bordeaux !
S’il n’a pas eu le feu vert de l’ASSE pour faire les JO, Aïmen Moueffek a déjà joué plusieurs matches avec les Espoirs marocains et pour le coup a eu beaucoup de temps jeu à l’ASSE, où il est vraiment devenu l’un des hommes forts de l’équipe.
Aïmen Moueffek a du potentiel, s’il poursuit sur sa lancée il finira par intégrer les A. Il a prolongé son contrat avec l’ASSE et je m’en réjouis. Il est issu de l’école de foot du club, c’est un enfant du club. Il a fait toutes ses classes à l’ASSE. C’est important qu’un club comme l’ASSE puisse compter sur les meilleurs éléments de son centre de formation. Je ne sais pas s’il fera toute sa carrière à Sainté comme l’a fait son directeur sportif Loïc Perrin mais en tout cas c’est une très bonne chose qu’il souhaite s’inscrire dans la durée avec les Verts. Aïmen, tu sens que c’est un mec qui est attaché au club. Il a des qualités et il est déterminé à s’imposer en Ligue 1 dans son club formateur.
Mickaël Nadé aussi, même si l’ASSE a recruté un joueur très expérimenté à son poste, Yunis Abdelhamid.
Je connais très bien ce joueur et j’ai beaucoup d’estime pour lui. Il a découvert le monde pro sur le tard et fait une très belle carrière. C’était le taulier du Stade de Reims. Il compte une douzaine de sélections avec les A du Maroc. Walid Wegragui l’a rappelé en sélection pour la dernière CAN. Yunis a d’ailleurs joué le dernier match de poule contre la Zambie. Il s’en est très bien sorti, on a gagné 1-0. Il va sur ses 37 ans mais il est très professionnel et très bien préparé, je suis convaincu qu’il va rendre de fiers services à cette équipe expérience.
C’est quelqu’un qui bonifie les défenseurs à côté de lui. Il sera probablement titulaire et si tel n’est pas le cas, ce sera une excellente doublure. En L1, tu dois avoir des postes doublés. Pour performer dans l’élite, tu ne peux pas te permettre d’avoir un banc de touche boiteux. Yunis va apporter son expérience et sa sérénité. C’est un garçon travailleur, sérieux. Il a de la bouteille et il en faut pour des Verts ! (rires)
A l’issue de ton unique mais inoubliable saison verte (1987-1988), l’ASSE a fini à la 4eme place. Aucune équipe stéphanoise n’a fait mieux depuis. Seuls les Verts de Galtier (en 213*2014) et ceux de Gasset (en 2018-2019) on fait aussi bien. Détenu désormais par un milliardaire et présidé par un Gazdis qui a fait ses preuves à Arsenal et au Milan AC, le club peut-il raisonnablement espérer jouer la Ligue des Champions dans les prochaines années ?
D’ici 2 ou 3 ans, je pense que le club visera clairement l’Europe. Il faut travailler à long terme. Le club vient tout juste de remonter, il faut se montrer patient. La saison précédant celle de mon arrivée à Sainté, le club venait aussi de remonter. Certes, le contexte n’était pas tout à fait comparable, il n’y avait pas eu de changement de président. Mais on m’avait dit que le club n’avait gagné qu’un match sur les 12 premières journées et s’était retrouvé à devoir jouer le maintien toute la saison.
Un maintien serein, c’est déjà ce que l’on peut souhaiter aux Verts cette saison 2024-2025. Même si le club dispose désormais de moyens plus importants qu’auparavant, je ne pense pas que ce sera dès cette saison que le club pourra faire signer des grosses pointures. Pour concurrencer les gros du championnat et viser les premières places chaque année, il va falloir attendre un peu à mon avis. C’est plutôt sur le moyen terme que je vois les Verts titiller les gros.
Après, on n’est pas à l’abri d’une bonne surprise, d’une saison à la brestoise. C’est remarquable ce qu’a fait Eric Roy la saison dernière. Il a joué avec moi à l’OGC Nice, je m’en souviens bien, il était tout jeune. Si d’entrée du fais des bons résultats, que t’arrives à enchainer deux ou trois victoires, tu prends de la confiance. C’est ce qui s’est passé avec cette équipe de Brest, qui n’a pas fait de complexe d’infériorité quand elle a rencontré des gros.
Pourtant sur le papier cette équipe n’avait pas une profondeur de banc aussi importante que les autres. Heureusement elle n’a pas eu trop de blessures et surtout Eric Roy a parfaitement su gérer son groupe. Il a fait adhérer tous ses joueurs à son projet de jeu. C’est très plaisant de voir jouer cette équipe, elle a un vrai fond de jeu, un gros collectif, un moral d’acier. Cette équipe n’a vraiment pas volé sa 3e place.
Ce n’est pas facile d’aller gagner à Brest, attention ! Déjà à mon époque c’était difficile. Bon, je crois qu’à la fin de ma saison avec Sainté ils sont descendus en 2e division mais je me souviens qu’on avait perdu là-bas lors de l’avant-dernière journée. Je me rappelle que notre petit avion avait beaucoup bougé avant d’atterrir là-bas à cause du vent. T’arrives à Brest, t’as la diarrhée, la tête qui tourne. Ce n’est pas évident de s’imposer à Francis Le Blé, c’est un petit stade avec un bon petit public qui pousse bien son équipe.
Je suis déçu pour eux qu’ils ne puissent pas jouer la Ligue des Champions dans leur stade, ils vont être obligés d’aller à Guingamp. Mais ça va sans doute pousser les décideurs brestois à accélérer le dossier du nouveau stade. Francis Le Blé est devenu vieillot, c’est important d’avoir une enceinte aux normes. La construction d’un nouveau stade, ça crée des emplois, ça permet à un club de progresser en termes d’infrastructures. Je souhaite beaucoup de réussite à ce club, qui vient de faire une saison vraiment extraordinaire.
C’est là que tu vois à quel point le football peut apporter du bonheur, de la joie. C’est comme cette fin de saison haletante des Stéphanois avec ce dénouement qu’on espérait tous. C’est un bonheur absolu ! Ah, si les Verts pouvaient faire la même saison que celle de Brest… Et s’ils ne finissent que quatrièmes, on prend quand même, hein ! (rires) Quand je pense qu’à l’époque où on a fini à cette place en 1988, on n’a même pas été européens… Maintenant, cette place est synonyme de tour préliminaire de Ligue des Champions !
Mais que veux-tu, c’est comme ça. Cela n’enlève rien aux émotions que j’ai vécues sous le maillot vert. C’était un vrai kif de jouer dans cette équipe. J’ai pris beaucoup de plaisir à donner des ballons à notre fameux duo d’attaque Patrice Garande – Philippe Tibeuf. On avait un jeu tourné vers l’offensive. Dans toutes les lignes, on avait des joueurs de talent. Je pense notamment au regretté Georgi Dimitrov, qui nous a quittés il y a 3 ans. Il y avait Casta dans les buts, le jeune Gros… Bon, je ne vais pas tous te les citer mais on avait une bien belle équipe entraînée par un Sphinx malin et tacticien.
Et je suis fier que les supporters stéphanois aient gardé une bonne image de moi car je garde de supers souvenirs de l’ambiance qu’ils mettaient. Je me souviens de l’époque où j’avais rendu visite à l’équipe du Maroc quand Hervé Renard était le sélectionneur des Lions de l’Atlas. L'actuel coach des Bleues avait dit à ses joueurs, parmi lesquels il y avait Oussama Tannane : "Quand j’étais au centre de formation de l’AS Cannes, je montais à Geoffroy-Guichard pour voir jouer cette belle équipe des Verts avec Moustapha à la baguette. J’aimais son style de jeu et sa chevelure !" Oussama est alors venu vers moi. "Moustapha, c’est toi ? Tout Saint-Etienne parle de toi !" Il m’a pris, m’a embrassé, s’est pris en photo avec moi et tout ! (rires)
Les Verts de Saint-Etienne qui retrouvent l’élite, les Verts du Raja qui réalisent le doublé. 2024 te comble, Moustapha !
Et oui, c’est vraiment l’année des Verts ! Je suis très heureux que les Stéphanois aient arraché la montée. La Ligue 1, c’est leur place. Sainté a un public fantastique, c’était dramatique de voir l’ASSE en 2e division. J’ai envoyé un message au président Roland Romeyer pour lui dire que j’étais content. Il m’a répondu : "Mouss, je suis heureux et soulagé. On a vendu le club, j’espère et je pense qu’il sera entre de bonnes mains. Pour pérenniser le club, j’ai préféré le vendre à des gens qui semblent sérieux et qui ont de l’argent." Je lui ai dit que c’était une bonne chose, que c’était bien d’avoir passé la main en laissant le club à des gens sérieux et fortunés ayant un projet solide.
Revoir les Verts en L1, ça me fait très plaisir. Quant à la saison du Raja… Magnifique ! Ce doublé championnat – Coupe du Trône a marqué tous les esprits. Le Raja n’a pas perdu un seul match de championnat, c’est la première fois de l’histoire qu’un club marocain reste invaincu toute une saison. Je crois que même le grand Saint-Etienne de la fin des années 60 et du milieu des années 70 n’a pas réalisé un tel exploit dans le championnat de France. Le Raja, c’est le club le plus titré du Maroc : 13 titres de champions, 9 coupes du Trône. C’est le premier club du pays à avoir gagné la Champions League arabe, le premier à avoir participé à la Coupe du monde des clubs, au Brésil.
Le Raja, c’est un club exceptionnel, avec un public exceptionnel. On peut dire la même chose de l’ASSE d’ailleurs ! Sainté est supporté par des fanatiques, des amoureux. Même en Ligue 2, les supporters sont à fond et poussent leur équipe. Je crois que Geoffroy-Guichard a été à guichets fermés 7 ou 8 fois cette dernière saison, c’est magnifique. Au Raja aussi l’engouement est incroyable et le lien des supporters avec leur club est très fort.
Il y a eu des matches à huis clos mais ils ont fait une cagnotte pour acheter des billets. Ils ne pouvaient pas aller au stade mais ils ont organisé cet achat de billets pour faire rentrer de l’argent dans les caisses du club. Le stade Mohamed V est fermé pour travaux en vue de la Coupe d’Afrique 2025, le Raja est obligé de jouer à Berrchid, à 20 km au sud de Casa. Il n’y a même pas 15 000 places dans ce stade donc les supporters mettent la main à la poche pour que le club ne soit pas trop impacté par la baisse des recettes de billetterie. Le Raja et Sainté, ce sont des clubs de passionnés, ce sont des clubs passionnants !
Merci à Moustapha pour sa disponibilité