Fan de Franz Beckenbauer, décédé dans la nuit de dimanche à lundi, Christian Lopez a fouillé dans sa mémoire pour retracer ses souvenirs du Kaiser avec Poteaux-Carrés.


Christian, merci de nous accorder de ton temps pour échanger sur la disparition de Franz Beckenbauer. Tu as joué à 4 reprises contre lui, c’est ça ?

Oui, c’est exact. Il y a l’aller-retour contre le Bayern en demi-finale de la Coupe des Clubs champions en avril 1975, et la finale de Glasgow l’année suivante, en 1976. J’ai aussi joué contre lui en 1977, au Parc des Princes avec l’Equipe de France.

Revenons aux matchs de 1975, ça fait quoi, à 22 ans d’affronter un grand joueur comme Beckenbauer, 30 ans et récent vainqueur de la Coupe du Monde 1974 ? Surtout quand on joue au même poste ?

C’était mon idole, je le connaissais de réputation et à travers la télévision et là je pouvais l’observer dans la surface adverse, voir ce qu’il faisait. Ce soir-là je l’ai vu faire des choses que je ne l’avais jamais vu faire.

Ah oui, carrément ?

Je peux te dire que c’était encore plus fort que ce que je pensais. Beckenbauer avait l’image d’un joueur élégant, jouant tête levée, ne taclant presque jamais, avec une belle technique, mais là je l’ai vu défendre. Nous avions dominé la rencontre (score final 0-0), et il a passé son temps à tacler à plusieurs reprises, avec efficacité.

Il savait mettre le bleu de chauffe quand il le fallait ?

Exactement. Sur ce match, ça m’a marqué, j’étais impressionné. Ca ajoutait des qualités à celles que je lui connaissais déjà.

Au retour, le Bayern s'impose 2 buts à 0 et c’est lui qui marque dès la 2ème minute ?

Oui, il marque un beau but. A l’époque il était rare de voir le libéro monter. Là, sur l’action il est déjà dans nos 20 mètres avant de recevoir le ballon ! Il a montré ce qu’était le rôle d’un libéro offensif dans une équipe. Je ne sais plus sur quel match, mais je l’ai vu ensuite marquer le même but que contre nous.



Beckenbauer a beaucoup marqué dans sa carrière (près de 100 buts en professionnel), est-ce que tu as cherché à t’inspirer de ton idole ?

Oui, ça m’a marqué, j’ai toujours eu envie de jouer comme lui. Mais moi, j’étais plus défenseur, et j’avais moins l’occasion de monter. Beckenbauer jouait avec 2 centraux devant lui, il pouvait le faire, son équipe restait « couverte ». Moi, à Sainté, j’avais Osvaldo Piazza qui montait déjà beaucoup (rires)… A l’époque ce n’était pas l’habitude. Bon, j’ai marqué quelques buts moi aussi, mais pas autant. (39 buts en carrière dont 28 à l'ASSE et 1 en sélection, ndp2)

En mai 1976 il y a cette fameuse finale de Glasgow, tu n'as pas de rancune avec le temps ?

(Rires) C’est sûr que j’aurais préféré être à sa place ! Que ce soit moi qui porte la coupe avec le maillot du Bayern. Au lieu de ça, on voit la photo de Beckenbauer en vert brandissant la coupe. C’est mon maillot qu’il porte, nous les avions échangés à la fin du match. C’est quand même une grande fierté, quand on voit Beckenbauer porter son maillot, ce n'est tout de même pas anodin !



Le 23 Février 1977, au Parc des Princes (amical, 1-0 pour la France), les Bleus affrontent l'Allemagne en amical. Tu es capitaine de l’Equipe de France et en face, le capitaine adverse, c’est ton idole. C'est un très grand souvenir ?

Oui, c’est un souvenir immense. C’était la première fois que j’étais capitaine en équipe de France (9 fois au total, ndp2). A la fin du match nous avons échangé nos maillots et aussi nos brassards de capitaines. Et j’ai joué le reste de ma carrière avec ce brassard, qui d’ailleurs était vert et blanc !

Belle anecdote ! Ensuite, Franz Beckenbauer est parti aux USA, as-tu eu l’occasion de le croiser à nouveau ?

Non, j’ai suivi sa fin de carrière et son parcours d’entraineur par la suite, mais sans le croiser sur un terrain.

Est-ce qu’il y a eu des joueurs qui te semblent avoir hérité de cette nouvelle façon d’aborder le poste de libéro ? Je pense à un autre stéphanois, Laurent Blanc, par exemple ?

Oui absolument, Beckenbauer a eu une réelle influence et on a vu de plus en plus de défenseurs centraux jouer plus haut sur le terrain. C’est vrai pour Laurent Blanc qui avait le même profil d’ailleurs. Les deux ont démarré au milieu de terrain, ça les a aidés quand ils ont reculé en défense. Les deux avaient de belles qualités techniques, une bonne vision du jeu et cette facilité à s’intégrer au milieu depuis leur poste de défenseur central.

Pour toi, le « Kaiser », c’est le plus grand défenseur de l’histoire ?

Oui, sans hésitation, pour moi, c’est le plus grand défenseur de l’Histoire du football ! D’ailleurs il a remporté 2 Ballons d’Or en 1972 et en 1976. Cela ne se voit plus aujourd’hui, ce sont des milieux et le plus souvent des attaquants parmi les lauréats.

Il y a eu d’autres très grands défenseurs, mais lui a réinventé le poste. Il avait la classe, il dégageait une autorité naturelle, avec une belle technique, la capacité à faire du jeu long, avec des passes de l’extérieur du pied. Il avait la vision du jeu… Ce qui était fabuleux chez Beckenbauer, c’est que quand on le voyait jouer on avait l’impression que rien ne pouvait lui arriver, il impressionnait les adversaires. On se disait « mince comment on va faire, il y a Beckenbauer en face ! »

Propos recueillis par Marée Verte

Merci à Christian pour sa disponibilité !