Dans cet avant-dernier épisode, notre potonaute Yacine tente d'expliquer à Roland Romeyer l'utilité d'une cellule de recrutement


Je rentrai chez moi en me demandant si tout cela était réel ou si, simplement, mon imaginaire trop puissant me jouait des tours sous l’effet du breuvage que j’avais consommé.
Ma compagne me fit remarquer plusieurs fois dans la soirée que j’étais absent lorsqu’elle me parlait et que je semblais perturbé par quelque chose. Je lui expliquai qu’un dossier professionnel m’accaparait et que tout ne se passait pas comme voulu.

Je n’osai lui dire ce que j’avais vécu plus tôt. Etais-je aux portes de la folie avec une psyché se fragilisant sous le stress ? Qu'était ce lieu intemporel qui avait fait jaillir des traumatismes enfouis, un Horla qui ne dit pas son nom ?

Un destin de souffrance

La nuit se passa paisiblement. Je dormis du sommeil du juste, sans soubresaut, ni questionnement intriguant.

Le samedi se déroula naturellement et sereinement. Mon cerveau sembla avoir refoulé cet événement. Et je profitai du week-end pour apprécier les moments en famille et avec mes amis. Le dimanche soir devant ma télé, je tombai sur un reportage sur la dernière victoire de l’Argentine en Coupe du Monde. Un supporter, après cette victoire, expliquait que c’était "leur destin de souffrir." Malgré leur victoire, cette phrase fit écho en moi en tant que supporter stéphanois. Ma passion pour ce club était née un soir de finale de Coupe de France en 1982 et de défaite contre le PSG. Un scénario déchirant avec un ascenseur émotionnel semblant être une allégorie de l’histoire de notre club, touchant du doigt le Graal et voyant celui-ci disparaître en ne laissant que cendres derrière lui.  Ainsi naquit ma passion pour ses couleurs vertes entre espoir, joie, détresse, déni, colère et renaissance.



Ce sentiment de passion inique, omniprésent, m’accompagna pendant ma nuit de sommeil, et je repensai au mot déposé sur le bureau "voir et comprendre autrement." Comme une forme de réponse à ce sentiment viscéral qui m’étreignait lors d'un match des Verts.

Il me sembla obligatoire de retourner dans ce lieu qui m’avait profondément troublé et qui semblait porter en lui toutes les explications qui me manquaient à ce jour.

Retour à Métempsycose

Mes obligations personnelles et professionnelles me laissant peu de possibilités, il me fallut attendre quatre semaines pour me positionner et réserver de nouveau ce lieu. Cette idée m’obnubilait chaque jour qui passait comme un drogué en quête de son prochain shoot.

J'appréhendais que la réservation ne fonctionne plus pour utiliser Métempsycose, mais tout se fit naturellement. C'était un mardi presque caniculaire. Je reçus de nouveau un code, après avoir validé ma réservation en ligne. Celui-ci avait changé - CA11E92 - et je pouvais disposer de la maison sans contraintes.

Je me sentis bizarrement en pèlerinage alors que mon dernier passage datait de moins d’un mois. Je regardai cette maison bourgeoise du début des années 1900. La lumière irisée du soleil donnait une photographie différente de ce que j’avais vécu précédemment. Comme une aura historique remplie d’une énergie mystérieuse.

Je pénétrai de nouveau dans ce bâtiment. Le long couloir aux murs gazonnés et odorants donnait l’impression qu’une prairie habitait ce passage. Mon regard se posa alors sur le bureau et les éléments posés dessus. Il n’y avait pas de lunettes, mais un magnétophone et des écouteurs branchés dessus. A nouveau, un verre rempli de ce qui me semblait être la dernière boisson que j’avais absorbée.



Un mot posé à équidistance entre le magnétophone et la source de mes visions précédentes disait : "il faut parfois se perdre dans sa passion, pour se retrouver et exister pleinement."

En lisant ces mots, j’avais l’impression d’entrer dans une quête personnelle. Je me préparais à voir surgir un Gandalf en robe de bure verte, encapuchonné, aux traits barbus de Robert Herbin me proposant de rejoindre la communauté verte pour retrouver une relique historique et un Smeagol Aulasien tapi dans l’ombre préparant un mauvais coup.



Mais rien ne se produisit. Je m’assis dans le fauteuil face au bureau. Il était confortable, d'un cuir anglais qui semblait avoir bien vécu. J’ouvris le magnétophone. A l'intérieur, un enregistrement sur cassette audio. J’avais l’impression d'être dans un revival des années 80. La cassette portait une étiquette écrite à la main : "musique pour donner du sens". Il me semblait peu probable que cette musique se rapporte au tube de Monty mais pour le vérifier, je mis les écouteurs, remis en en place la cassette et lançai l’enregistrement.

Les premières notes me parurent familières sans que je puisse en retrouver l’auteur. C’était de la musique classique. Une mélodie que j’avais déjà entendue. Je mis quelques minutes à retrouver la Symphonie inachevée de Schubert. Je me laissai porter par les notes et choisit de boire mon verre d’un trait. Le liquide, à la fois puissant et sucré, me transporta rapidement dans un état de torpeur et d’inconscience. Je me sentais partir pour un nouveau voyage

Le questionnement de Roland

Des voix me firent reprendre conscience. Nous étions dans une pièce lumineuse où travaillaient plusieurs personnes. Les échanges étaient tendus entre plusieurs interlocuteurs. Je m’entendis expliquer, à nouveau sous les traits de Loïc Perrin, le fonctionnement d’une cellule de recrutement à Roland Romeyer. J'évoquai les moyens dont j’aurai besoin pour construire une cellule performante et la pérenniser.

Roland Romeyer : "Loïc, tu es un enfant de Saint-Etienne, un capitaine icône, mais je ne comprends pas l’intérêt d’une cellule de recrutement. Depuis avril 2022, nous t’avons donné une mission. Au mercato d’hiver, nous avons fait appel à deux anciens directeurs sportifs pour vous accompagner et rattraper un mercato d’été moyen."

Je m’entendis répondre : "Roland, je vais être pédagogue et didactique et t’expliquer comment fonctionne une cellule de recrutement. Tous les clubs professionnels en Europe en possèdent une. La cellule de recrutement est un groupe de recruteurs ou scouts chargés d’observer, d’analyser et d’évaluer le potentiel de joueurs, qu’ils soient jeunes ou déjà professionnels. Notre cellule de recrutement est composée de 3 personnes : Ilan, Anthony Gillot, un data analyst qui travaille en freelance pour nous et qui repère les joueurs via la data sur des paramètres précis et Jean Costa qui, avec son réseau, peut contacter l’entourage et des agents de joueurs de Ligue 2. Son réseau peut aussi nous aider à transférer ou prêter certains joueurs indésirables ou qui doivent s'aguerrir."



RR : "On n’a qu’à faire comme on a toujours fait, on mandate des agents pour trouver des joueurs ou les sortir."

Jean-Francois Soucasse prit soudainement la parole et répondit : "Monsieur le président, les commissions d'agents nous ont coûte 6 millions d'euros en 2020. Nous ne pouvons pas valider cette méthode. Des agents demandent 10% du transfert sur certaines transactions en plus de la somme pour le mandat club. En L2, nous n’avons plus les moyens de fonctionner ainsi avec notre budget actuel."

RR : "Et pourquoi ne pas externaliser une cellule de recrutement ?"

Anthony Gillot et Ilan se regardèrent en se demandant dans quel bourbier il s’étaient mis. Un silence et un malaise s’installèrent.

Je rebondis : "Roland, une cellule de recrutement se construit sur plusieurs années avec un projet sportif précis, des professionnels qui incarnent ce projet. Le mercato en est l'illustration. Notre projet est d’identifier des joueurs à fort potentiel qui répondent aux valeurs du club : dépassement de soi, combativité, courage, cohésion. Ils doivent s’intégrer dans le 3/5/2 voulu par Laurent. Dans le même temps, on doit aussi laisser la place aux jeunes du centre de formation afin de donner une identité locale à l’équipe. L’objectif final étant évidemment la remontée en Ligue 1."

RR : "Mais sur internet, il y a plein de personnes qui proposent les joueurs. Pourquoi ne pas s’inspirer d’eux et suivre ces joueurs ?"

Patiemment, je repris : "Roland, je vais t’expliquer pourquoi on travaille autrement, étape par étape et avec le rôle de chacun. Notre budget hors transfert est de 2 millions d’euros pour le mercato 2023/2024. Cela, sans compter les options de Cafaro et Nkounkou, qui nous ont coûté 3 millions d'euros fin mai."

J'expliquai à Roland que le coach et moi-même faisions un bilan à chaque mi-saison en partant d’une feuille de route. "Par exemple l’été dernier, nous avons mis en place des objectifs précis. Il s'agissait de créer un nouvel état d’esprit, une cohésion d’équipe, donc nous avons du évacuer un maximum de joueurs qui n'étaient pas concernés par le projet L2. Il fallait recréer un groupe, tout en professionnalisant la cellule de recrutement. Laurent a réclamé des joueurs adaptés à son système tout en se laissant la possibilité d’intégrer des jeunes. Il a voulu des joueurs cadres comme Jimmy Giraudon et Anthony Briançon pour tenir le vestiaire. Nous sommes également partis sur des profils libres ou connaissant le club comme Léo Petrot et Dylan Chambost. Le coach peut être force de proposition pour certains joueurs. Ensuite, avec Jeff Soucasse, nous vérifions si ce joueur entre dans notre grille salariale et dans notre enveloppe de recrutement."

RR : "Pour l’instant, vu ce que tu m’expliques, tes scouts ne servent à rien ! Je vais pas faire le beauseigne mais je les paye pourquoi ?"

Sous les traits de Loïc Perrin, je m'attendis à cette question : "Roland, j’en arrive aux rôles des scouts, mais je dois contextualiser. Une cellule a besoin de recul pour fonctionner, pour proposer des profils. Elle ne peut être opérationnelle tout de suite. Il faut a minima 9 mois pour mettre les choses en place. Nos 3 scouts et notre datanalyst se répartissent des zones géographiques avec des profils précis recherchés en fonction des demandes du coach. Ensuite, il y a un travail de synthèse, de validation des profils avec l’ensemble de l’équipe. Il faut que l’ensemble de la cellule valide les joueurs voulus. C'est une décision collégiale faite sur des choix objectifs."

J'expliquai à Roland que nos scouts travaillaient de la manière suivante :

• Observation des matchs en direct ou via des plateformes spécialisées
• Analyse du potentiel des joueurs sur le terrain et sur le long-terme
• Prise de notes afin de réaliser un profil précis et durable
• Récolter des informations sur les joueurs ciblés : son entourage, son caractère, son hygiène de vie, la durée de son contrat.
• Regarder comment recruter le joueur, quels sont les agents qui travaillent avec lui.
• Rédiger des rapports qualitatifs en classant les joueurs de 1 à 6 en fonction des besoins exprimés par le coach, selon des critères précis (technique, physique, tactique, QI foot, axes de progression etc..) Notre datanalyst réalise ensuite une cartographie précise de ses qualités et ses faiblesses. Chaque joueur suivi répond à notre réalité budgétaire.

Les championnats visés

Ce ne sont pas les championnats majeurs. Evidemment, nous travaillons sur les joueurs libres en bas de tableau de Ligue 1, la Ligue 2, les meilleurs joueurs de N1 et N2.

Mais nous avons plusieurs zones à l'étranger comme le Portugal (nous excluons les gros clubs comme Porto, Benfica, Braga, le Sporting), le Maghreb, la Grèce, les équipes de bas de tableau turc, la Suède et la Finlande.

Les deuxième divisions allemande, italienne et hollandaise sont aussis scrutées. De même pour les clubs en bas de tableau en Suisse. Nous avons un oeil sur les pays slaves et baltes.

La dernière zone concerne les Etats-Unis, le Canada et l’Océanie.

Nous suivons les matchs qualificatifs, les tours préliminaires pour la Ligue des Champions, c’est d'ailleurs comme cela que nous avons repéré Ibrahima Wadji à Karabagh.

Tous ces éléments nous permettent de créer une base de données interne que nous alimentons régulièrement. Nous avons tous les profils souhaités pour jouer en 3/5/2. Nous les complétons avec les meilleurs joueurs du centre de formation. Cette base nous donne les pistes à suivre pour le mercato d’été.

RR : "On doit claquer un argent fou dans les voyages en avion, comme à l’époque de Wantier ! Tu me connais Loïc, un sou est un sou ! Ici, les joueurs paient leurs dosettes de café, donc c’est pas pour bouffer le bas de laine en billet d’avion" dit-il en éclatant de rire et me mettant une grande claque dans le dos.

Je dus rassurer : "Roland ne t’inquiète pas ! Nos scouts et notre datanalyst utilisent des outils comme Whyscout, Instat, Scout Seven mais aussi des outils vidéo et de gestion de base de données. Ils ne se déplacent que lorsque le joueur devient une priorité absolue. Cela ne sert à rien d’aller voir un match de Ligue des Champions entre City et le Bayern, aucun de ces joueurs n’est une possibilité pour nous."

Et concrètement mon b'let ?

Je voyai le regard de Roland Romeyer interrogateur. Je repris. "Je vais te donner l'exemple de Dylan Batubinsika, maintenant que c'est signé. Comme tu le sais, nous étions à la recherche d’un défenseur axial fort dans les duels, puissant et capable de gérer la profondeur dans un axe défensif à 3.

Ce joueur, nous l’avions repéré à l’époque en Ligue des Champions avec la Maccabi Haifa. Mais il était difficile de l’imaginer venir chez nous. Il était prêté par un club portugais qui voulait le vendre entre 3 et 5 millions d’euros, donc injouable pour nous à ce moment-là. Mais le joueur était motivé par un retour en France. Certes, plutôt en L1, mais nous avons malgré tout sondé son entourage. Nous nous sommes basé sur ses statistiques pour montrer à son entourage que le joueur était notre piste prioritaire, que nous le connaissions parfaitement. On a fait des propositions salariales correspondant à ses attentes. De notre côté, avec les départ de Giraudon et Pavlovic, nous avons pu libérer de la masse salariale. Avec Jean-François Soucasse, on a validé les éléments financiers transmis aux agents du joueur. C’est lui qui a négocié avec le club vendeur, les conditions du transfert."



Jean François Soucasse acquiesça de la tête.

RR : "Tu sais Loïc, si vous avez besoin d’un coup de main, comme pour Modeste ou Mostafa Mohamed, je suis dispo. Moi aussi j’ai un réseau, je connais pas mal de présidents ! Je peux donner des coups de fil comme avec le président d’Angers quand on a récupéré Bernardoni et Thioub, je sais ferrer les bons coups ! Comme avec les femmes" ricana-t-il.



Un silence gêné se fit dans la pièce. Je repris la main : "Président, je sais que le Tour de France bat son plein, donc il faut profiter de ce moment."

RR : "Oui c’est vrai, je m’éparpille parfois ! Tu es coordinateur sportif, je t’avoue que je sais pas exactement ce qu’est ce rôle, mais le terme était à la mode dans le milieu ! Et comme les ultras me faisaient la misère fin 2021, j’ai fait sauter Puel et je t’ai mis dans ce poste pour calmer le jeu. Je vois globalement ce que tu fais mais j’ai du mal à lier toutes les choses."

Jean-François Soucasse prit la parole et exposa le rôle d’un coordinateur sportif à notre co-président actionnaire et il énonça les missions :

• Il pilote le projet sportif du club : identité de jeu, jeunes du centre de formation choisis pour un contrat pro, gestion de la cellule de recrutement
• Il coordonne les scouts, il est garant de la cohésion de l'équipe et des missions de chacun.
• Il centralise l’information en gérant la base de données du recrutement avec le datanalyst et en lisant les rapports qu’il reçoit de son équipe pour avoir une photographie des besoins et des possibilités en terme de recrutement
• Il a un rôle décisionnaire : c’est lui qui prend la décision finale du choix des joueurs avec le coach.
• Il fait office de relais entre le recruteur, l’environnement du joueur (famille et amis) et les agents
• Il fait le lien entre le directeur du centre de formation, le responsable du recrutement des jeunes et les scouts associés pour ce profil de joueur.
• Il est garant sur le plan administratif des contrats proposés et donc négocie les grilles salariales et les enveloppes de transfert. On se concerte ensemble pour rentrer dans le cadre budgétaire. Je suis décisionnaire et peux refuser certaines propositions comme l’an dernier avec Yoann Touzghar, je reste le supérieur hiérarchique de Loïc.

Roland Romeyer nous regarda l’un et l’autre et susurra  : "J’aime bien vérifier que mes encadrants maîtrisent leurs missions."

Il avait l’œil qui frisait et était content de son effet. Avec ses questions candides, il nous testait et partit en lançant à la volée :  "je vais mettre mon lycra et faire une sortie en vélo, cela risque d’émoustiller certains dames si elles me croisent !" Et il éclata de rire.
Je pensai : "quand Roland Romeyer devient intrusif c’est qu’il a une idée en tête et des envies de changement. Ce n’est jamais bon signe, vu le turn over à la direction sportive sur les 6 dernières années"

A suivre ...