De 1997 à 2022, un quart de siècle pour en revenir au même point.
C'était il y a 25 ans. Le 13 décembre 1997. Hampden Park a déjà plus de 20 ans dans le buffet et moi tout juste l'âge de raison. On m'a raconté Glasgow, les poteaux carrés, la légende ... et jusqu'ici, j'ai un peu l'impression qu'on m'a arnaqué. En ce samedi où l'hiver approche, la légende joue à Lorient et pour moi, c'est difficile de croire que 20 ans plus tôt, cette équipe dominait l'Europe. Je ne me souviens pas particulièrement de cette 25eme journée d'une D2 à 22 clubs et (déjà) 4 descentes. Mais rétrospectivement, c'est intéressant de s'en rappeler.
Stéphane Pédron est loin d'être Stéphanois, et ce soir de décembre 1997, avec son maillot orange, il martyrise certains de ses futurs coéquipiers ... Jérôme Alonzo, Lionel Potillon, Pape Sarr ... et d'autres dont les noms rappellent les longues soirées de déprime à guetter un but pour Saint-Etienne à la radio : David Charriéras, Augustine Simo, Anthony Gauvin, Yann Synaëghel ... j'en oublie volontairement, on se fait bien assez de mal en ce moment !
Pédron, donc, se marre en doublant la mise d'une mine pied gauche - évidemment - sur coup-franc ... On joue depuis même pas 10 min au Moustoir, et les Verts ont déjà largué les amarres. Lorient atomise un tout petit Saint-Etienne et Robert Malm - qui commente souvent les dérives vertes cette saison sur BeIN Sport - claque un doublé au pauvre Alonzo, dont certaines sorties ne sont pas sans rappeler celles d'Etienne Green. Un petit dernier pour la route et la bande à Gourcuff nous laisse repartir de Bretagne avec 4 pions dans la musette. N'en jetez plus. Nous sommes derniers de ce qu'on appelle encore à l'époque la Division 2 après 25 journées.
25 ans plus tard, à l'aube de la 16e journée de Ligue 2, les Verts sont à nouveau derniers de L2. Un quart de siècle pour revenir à la même place. Sans repasser par la case Hampden Park. Bref, rien n'a changé. Pourtant, en 1997, quelques heures avant la déroute lorientaise, quelque chose avait changé. Et pas qu'un peu !
L'ère des banquiers et des assureurs présidents de notre club est terminée. Après 4 années de Vernassa / Koëhl marquées par une descente logique en D2, l'ASSE est enfin repris en main par une nouvelle équipe dirigeante. A sa tête, Alain Bompard, patron d'une agence de communication, ancien maire adjoint de Megève et motivé par son fiston. Le Stéphanois de l'étape, Alexandre, vient de réussir son entrée à l'ENA, promo Cyrano de Bergerac. On peut le dire, il a eu du pif, l'Alex ! Un gros pif, même ! Le père se rappelle : "On était derniers, et je ne vous parle pas de l'état du club ! Il y avait 43 millions de francs de passif. Tu ouvrais une armoire, tout te tombait sur la tête !" On prend le pari qu'aujourd'hui c'est la même chose. Tant sur le terrain que dans la coulisse, notre club semble condamné à faire marcher la machine à remonter le temps. Et pas jusqu'à la bonne date. En 1997, c'est le duo d'anciennes gloires de 76 Repellini - Herbin qui se noie, aujourd'hui c'est les cadors de l'époque Galtier : Batlles et Perrin.
Je disais que rien n'avait changé en 25 ans, je dois nuancer mon propos. En 1997, on ne pouvait pas suivre l'actualité des Verts à la minute. C'était une époque sans portable, sans Internet, sans bruits de couloirs, sans Twitter ni Toubache Ter et surtout - Dieu merci - sans Bernard Lions ! Pour trouver le résultat des Verts, il fallait attendre le lendemain et guetter la Une de "La Tribune Le Progrès", chercher un entrefilet dans l'Equipe qui ne s'intéressait guère à la D2 ou mieux encore, se ruer sur le Télétexte, page 304, toi même tu sais ! Et à chaque dimanche matin, la même désillusion ... "ils ont encore perdu les Verts ?" Et pour les images, il fallait patienter 1h devant Telefoot pour apercevoir 25 secondes de résumé. Il y a des madeleines de Proust qu'on aime bien retrouver. Pas celle-ci. Je crois que certains ont trop vite oublié ces moments-là. D'autres - chanceux - ne les ont pas connus. Aujourd'hui, l'abondance d'images, de news, de réseaux donnent un effet loupe bien plus puissant à la déroute de 2022 qu'à celles de 1997 et 1998.
C'est oublier que, par deux fois, on a tremblé à la dernière journée, la fameuse 42eme ! 24 mai 1997, d'abord. Sainté reçoit Troyes. Je me souviens d'un terrible multiplex, à sursauter sur chaque intervention radiophonique : "buuuuuuut à ...." ... partout sauf à Saint-Etienne ! Le score restera vierge et l'honneur vaguement sauf. Il faudra une parade du petit Jérémie Janot et Sainté se maintient. Spider Janot s'en souvient encore : "le président Philippe Koëhl nous avait dit qu'en cas de défaite, c'était le National et le dépôt de bilan. Donc, oui, gagner ton face-à-face à 19 ans, c'est forcément l'arrêt le plus important." On se dit alors plus jamais ça. Et qu'est ce qu'on a tort !
1 an plus tard, 8 mai 1998, rebelote. L'effet Bompard n'a pas eu lieu. 6 mois après son arrivée, le club est remonté au dessus de la ligne de flottaison, mais le spectre du National est toujours là. Et second affreux souvenir de multiplex et du coup de poignard : "buuuuuut à Lille, Lille qui passe devant dans cette rencontre face à Saint-Etienne avec ce but de Senoussi, 2 buts à 1, il reste 5 min à jouer". A l'époque, si tu veux une idée du classement en direct, il faut avoir une feuille avec toi et le classement dans le journal du jour, sinon t'es bon pour l'angoisse. "On est combien là du coup ?" Personne ne sait. Je regarde mon père, une main sur le poste de la cuisine. Incompréhension. "On descend si on perd ?" Silence. Quand t'as connu Glasgow, t'as pas envie de connaître le National. Quand t'as pas connu Glasgow non plus d'ailleurs. Coup de sifflet final, les Verts ont perdu. Fini ? Non, car ça joue encore sur d'autres terrains. C'est Jérôme Alonzo qui s'en souvient le mieux : "on était assis sur la pelouse à attendre les autres résultats, il n'y avait pas Internet à l'époque. Ce sont des souvenirs que je raconterai à mon fils parce que c'est hyper émouvant ! Quand t'es assis sur la pelouse lilloise et que t'attends le résultat de Louhans Cuiseaux, c'est surréaliste. Après la défaite, pendant quelques minutes, tu te dis que t'es en National. Tu te demandes où tu vas aller jouer ... à Créteil, à Fréjus ... on se disait, putain non ! Et puis le speaker prend la parole ... et tu n'es maître de rien ... Au bout de cette saison pourrie, tu espères que tu vas te sauver, même d'un but. Et là, le mec annonce la victoire du Mans contre Louhans, je me souviens des larmes de Pierre Repellini !" Le père Bompard abonde : "Je m'en souviens comme si c'était hier ! On se sauve grâce à un but d'un type qui s'appelle Reginald Ray qui a marqué un but pour Le Mans et condamne Louhans-Cuiseaux à notre place ! Il marque dans les dernières minutes en plus ! Alexandre était à quelques rangs de moi dans le stade de Lille, il est arrivé en courant, il s'est cassé la gueule et me tombe dessus en me disant "Papa, Papa, on est sauvés !" Ah je peux vous dire que ce jour-là, j'ai entendu le bruit du canon, j'ai senti l'odeur de la poudre !"
Est-ce qu'on va encore sentir l'odeur de la poudre le 2 juin prochain en recevant le Valenciennes de Jérémie Janot et Mathieu Debuchy ? Si le nul 0-0 contre Troyes en 1997 avait été suivi d'un joyeux envahissement de terrain pour fêter le maintien laborieux en D2, la même situation dans 7 mois pourrait bien accoucher d'une soirée encore plus violente que celle d'Auxerre en mai dernier.
Comment, en 25 ans, Sainté a pu faire un tour complet de manège sans jamais accrocher le pompon ? Et je ne compte pas la Coupe de la Ligue comme un trophée majeur ! A y repenser, je pense qu'on s'est cru immunisés contre une nouvelle descente. Trois ans de purges et de purgatoire entre 1996 et 1999, puis trois années supplémentaires à payer les faux passeports entre 2001 et 2004. Six ans de yo-yo. Bompard avait repris le club au fin fond du trou, et malgré les turbulences, l'avait rendu aux portes de la Ligue 1. Il y avait tout pour réussir. Comment l'incompétence crasse a pu, une nouvelle fois, nous ramener dans les bas-fonds, chaque jour plus proche de la disparition que du renouveau ? Et qu'on arrête de me dire que "les grands clubs ne meurent jamais". Sainté n'est pas protégé. Pire, Sainté est tellement attendu partout comme l'équipe à abattre qu'au contraire, Sainté est en première ligne pour mourir en juin prochain !
On pourrait se lancer dans une liste à la Prévert ou plutôt à la Edward Norton dans "la 25eme heure". Dire "fuck" à chaque responsable ... car chacun a sa petite part de mérite dans ce qui nous arrive. De la cellule de recrutement, occupée entre panic-buy du 31 août et profils exotiques hasardeux (le plus souvent les deux en même temps), aux coachs qui ont sacrifié le collectif au détriment de principes auxquels ils ne voulaient pas déroger. Du staff médical, qui voit défiler bien trop souvent les mêmes joueurs avec les mêmes blessures, aux préparateurs physiques coupables des carences physiques d'une équipe cramée bien avant ses adversaires alors qu'elle ne semble pas avoir couru tant que ça. Des joueurs, titulaires ou remplaçants, qui ont plus souvent pensé à leur intérêt personnel qu'au devenir du club, aux supporters qui ont fait passer les principes d'une cause perdue avant le soutien de leur équipe. Des analystes vidéos perdus, au service communication totalement borné, en passant par les directeurs sportifs atones et les faux présidents éphémères sans aucun pouvoir. Tous, sans exception, ont leur part du gâteau de la honte !
Mais au bout du compte, sont responsables ceux qui signent les chèques, qui prennent les décisions, qui engagent et limogent les hommes. Ceux qui ont pris le pouvoir en 2004 pour ne jamais le rendre. Ceux qui ont acheté l'ASSE pour quelques euros et en espèrent une rente à vie. Ont-ils oublié que ce club est symboliquement à nous, avant d'être matériellement à eux ? Respectent-ils son Histoire en s'y accrochant coûte que coûte, prenant le soin de ne plus apparaître en public ou dans les médias, tout en étant jamais trop loin pour continuer à faire assez de mal ? Ont-ils relu leur "charte" de 2004 : retrouver la grande époque, défendre les Verts, investir sans imaginer le moindre retour financier ? Ont-ils respecté l'éthique ? Ou bien celle-ci leur aurait-elle commandé de partir une fois la Ligue 2 officialisée ? Et ne parlons pas de leur communiqué de mai dernier, de cette "grande annonce" dont on attend encore le contenu. Ils sont démodés, vieillis, dépassés, has been !
Quels ont été leurs coups de génie dans ce club ? Eux qui n'ont fait qu'accumuler les erreurs depuis 2004. 12 coachs, autant de planches savonnées, plusieurs cessations de paiement évitées de justesse. Leur palmarès se borne à une seule réussite sur un coup de dé : avoir nommé Christophe Galtier en 2009 et l'avoir conservé, plus par manque d'argent, que par vista du coach qu'il allait devenir. Galette, roi d'une quasi décennie bénie. L'Europe, les derbys gagnés, la rage de vaincre : l'ASSE de retour dans le top 5. Comme quoi, même en jouant les apprentis sorciers, on peut réussir à faire une bonne potion. Mais quand on cesse d'acheter les ingrédients, comment imaginer garder son Etoile ?
Et c'est là tout ce qu'on reproche à ces deux pinces. De s'être arrêté au milieu du chemin. De s'être accroché à l'ASSE quand les enjeux devenaient trop gros pour eux. Sainté devait prendre un tremplin, tenter d'accéder au top 3. Les résultats sportifs étaient là, jusqu'à Gasset, l'opportunité existait encore ... Mais ils ont préféré ranger le portefeuille, compter ce qu'ils avaient dépensé et attendre le (gros) retour sur (petit) investissement. Plutôt que vendre au plus haut, ils ont préféré attendre. Attendre le magot de Mediapro, attendre les transferts mirobolants qu'ils allaient pouvoir tirer de certaines recrues ou de certains jeunes. L'appât du gain est trop fort ! A défaut d'obtenir 100 millions d'un club sur lequel ils ne devaient pas faire de plus-value, ils ont préféré sucer toute la moëlle de l'os. Toujours des promesses, mais jamais une vente à l'horizon. Il ne faut pas croire la parole de deux addicts au pouvoir et à l'argent facile. L'un s'est longtemps prélassé à Paris avant d'aller bronzer à Dubaï, l'autre profite d'une notoriété locale qu'il n'a pas envie d'abandonner.
25 ans après Lorient, Sainté est revenu, par leur incompétence, à cette dernière place de L2. Il ne leur reste que les fusibles Soucasse - Perrin - Rustem et Batlles. Sauteront-ils demain ? Ou seront-ils mis sous tutelle ? Après tout qu'importe, car ni l'un ni l'autre ne sait piloter l'avion ASSE. La vieille carlingue rouillée tombe inexorablement, sans moteur, sans pilote ... mais avec des milliers de supporters à son bord. Si le crash en National survient - ce qui serait une première en bientôt 90 ans - il n'y aura pas besoin de chercher les boîtes noires pour trouver les responsables.