Il nous aura donc fallu deux petites journées seulement pour retrouver cette sensation si familière et pénible de malédiction éternelle.


Pourtant, elle me semble là, encore tiède, si proche, cette euphorie du début de vacances, que même les bouchons de l’A9 ne pouvaient fragiliser. Accroché comme un forcené à mon credo de la stabilité comme mère de toutes les vertus, je contemplais, entre mépris et compassion, ce stade des Antonins de bord d’autoroute et de club en déroute. Bardé de certitudes du printemps, encore ivre de ce Chaudron débordant de joie, j’évacuais rapidement le triste sort des Nîmois pour me concentrer sur nos lendemains verts qui ne manqueraient pas de chanter.

Le temps est un escroc. Car j’avais d’abord espéré timidement que cette embellie soit le début de quelque chose avant, quelques semaines de trêve plus tard, de me mettre franchement à croire que notre résurrection était inexorable, ne détectant chez nos rivaux que leurs faiblesses, ne voyant à Sainté que la force de notre passion.

J’allais bientôt marcher sur le chaud sable espagnol, les Verts allaient bientôt marcher sur la Ligue 2. Tout était en ordre. Rien pour me laisser même imaginer, comme une hypothèse d’école, que j’allais devoir conjuguer boire le calice jusqu’à la lie à tous les temps de l’indicatif en plein mois d’août. Faut dire, à ma décharge publique, qu’en temps normal ce genre de punitions est plutôt programmé après la rentrée.

Certes, en luttant contre le vent pour étaler ma serviette étoilée, moi, naïf comme un supporter (oui un supporter c’est naïf, puisque par essence il espère toujours), j’me disais bien qu’il y avait la fin de contrat de Krasso et la disparition de ce talent à la Féfé qui avait déposé sur notre jeu la magie de sa patte de velours. Bien sûr j’me disais qu’il y avait aussi ce prix Nobel de Nkounkou capable d’expliquer en janvier qu’il recherche la stabilité pour clamer quelques semaines plus tard qu’il n’a jamais été question de rester.

Mais quand on a des convictions -n’est-ce pas Niels- et une serviette en mains, on ne les lâche pas au premier vent contraire, alors sur ma plage, résolu, convaincu, suant comme un diable, je me suis appliqué à le consolider, le château de sable de mon espoir. Quand on bâtit un château, et pas uniquement en Espagne, il y a toujours ce moment, bref mais euphorisant où on se convainc que ça tiendra, que les éléments seront maîtrisés, les vagues repoussées, qu’on sortira vainqueur d’un combat qu’on a pourtant si souvent mené et systématiquement perdu.

Le mien de château, né de l’euphorie de printemps, serait, c'est sûr, aussi majestueux que solide. A peine le temps de m’essuyer le front, de balancer derrière moi pelle et seau, de me relever pour contempler le bel ouvrage, v'la qu'une première vague traîtresse nommée mercato, l'attaque de front et creuse le rempart principal. Surpris par la soudaineté de l’offensive, mais aussi pugnace qu’un IDS, je redouble d’efforts, je ramène du sable, je consolide, je colmate, je régularise, je tapote du dos de la pelle et paf, une deuxième vague, nommée gastro -pas vue venir celle-là- se déploie sur le côté, sournoise. Première voie d’eau (et pas que a dit le doc…) dans le château. Bon la plage est bondée, chaleur et ferveur du Chaudron conjuguées, allez ça va le faire, on écope, on étanche, on comble avant l’arrivée des Dauphinois. Suis déjà moins confiant, un poil fébrile, l’œil fixé sur mes remparts arrondis par l’eau.

Et là, bien vicieuse, car pas impressionnante en son début elle se dédouble à la fin, une troisième vague, sombre, noire, nommée scoumoune, submerge le mur principal. Deux pions en fin de match, dans deux matchs qui auraient pu tourner en notre faveur, c’est signe d’avarie durable ça, le moral est atteint, ça sera pas de la tarte.

Pas démobilisé pour autant, je lâche ma métaphore pâtissière pour attraper la pelle mais avant même d’avoir pu l’enfoncer dans le sable salvateur adamo, j’avise sur mon bord de mer un énième rouleau, cette fois-ci fatidique, un tsunami de bourre-pifs en tribune qui me couche sur le dos.

Reprenant mes esprits, constatant que le château n’est plus qu’un amas de sable dont les reliefs rappellent vaguement un champ de bataille de la 1ère guerre mondiale, je lance à la Eric cantonade un désabusé manquait plus que ça ! ...

Un peu humilié, beaucoup désabusé (20/80 selon une estimation de l’institut DéprimASSE), je fourgue à la va-vite (Dennis, va-vite, c’est une expression pour dire qu’on ne réfléchit pas deux secondes avant de faire un truc) pelle, râteau et seau dans mon sac, je ramasse ma serviette, essuie une larme, et d’un pas lent quitte la plage.

Sur le chemin du retour, le soleil m’assomme, le sable gratte autant que la défaite. Il me faut une douche fraîche pour apaiser corps et esprit surchauffés. (Très) légèrement calmé, je sors de la douche escorté d’une pensée idiote, certes, mais qui a le bon goût de m’arracher un quart de sourire (pour le demi, faudra attendre le lendemain) : et si nos sups, décidément plein de ressources insoupçonnées avaient juste trouvé une méthode originale de montrer l’exemple aux joueurs. Puisque les exhorter par la voix à être digne de leur public ne semble pas suffisamment clair pour l’équipe, en joignant le geste à la parole, ils leur indiquaient que combattre était un devoir.

A peine sec, et encore plus nu qu’un torse sur les grilles de Geoffroy, je me mets alors à fredonner maintenant battez-vous !

Battez-vous comme si chaque match était un derby, battez-vous pour dégager sans attendre tous les ballons qui trainent, battez-vous pour être à la retombée des ballons qui frappent les poteaux, battez-vous pour retourner la réussite, battez-vous pour faire revenir les ultras aux standards de supporterisme de l’an dernier. Battez-vous pour exiger que les dossiers se règlent vite, que les abrutis soient vendus et bien remplacés.

Surtout, battez-vous ensemble, tous ensemble, pour chasser longtemps, vraiment, la malédiction.

Battez-vous pour me donner raison de croire, même aujourd’hui, même presque seul, que vous êtes, Lolo, Dieu les hommes de la situation.

Battez-vous pour préserver l’espoir, battez-vous pour nous donner encore envie de bâtir en Espagne et ailleurs de magnifiques châteaux.