Ancien pensionnaire du centre de formation de l'ASSE (de 2008 à 2011), le défenseur clermontois Josué Albert s'est confié à Poteaux Carrés après la victoire de son équipe à Geoffroy-Guichard.
Alors Josué, heureux d’avoir enfin joué à Geoffroy ?
En fait j’y avais joué quand j’étais au centre de formation de l’ASSE, on avait joué contre les féminines en lever de rideau d’un match de L1. Je devais avoir 16 ou 17 ans. Ça devait être avec les U17, je ne me souviens plus si c’est Romain Revelli ou Gilles Rodriguez qui nous entraînait lors de ce match. Hier j’ai joué dans un tout autre contexte, avec une toute autre équipe et contre un tout autre adversaire. Revenir à Geoffroy 10 ans après avoir quitté Sainté, en tant que promu en L1 avec mon club, ça avait une saveur assez particulière. Ça m’a fait plaisir de revoir le doc Tarak Bouzaabia, Seb Sangnier qui était à l’époque le préparateur physique au centre de formation, l’autre préparateur physique Thierry Cotte. J’ai revu le président Roland Romeyer, qui s’est souvenu de moi. C’était sympa de jouer à Geoffroy mais il manquait quelque chose…
… les supporters ?
Comment t'as deviné ? (rires) Geoffroy sans les supporters, ce n’est pas vraiment Geoffroy ! Ce n’est pas le Chaudron que j’ai connu aussi bien quand j’étais à l’ASSE que lorsque je suis retourné depuis dans ce stade voir des matches. Quand on a goûté à cette ferveur, quand on sait tout ce que peuvent amener les supporters stéphanois… Hier c’était un contexte particulier de jouer en amical et surtout à huis clos. Mais c’était une satisfaction pour moi de jouer dans ce stade mythique et un réel plaisir avant tout. Revenir dans son club formateur, c’est toujours un peu spécial. J’ai vécu mon entrée en jeu avec beaucoup de joie, avec beaucoup d’émotions. Mais voilà, il manquait les supporters et ça m’aurait rappelé plein de bons souvenirs.
Quand j’étais au centre de formation, on allait au stade pour encourager l’équipe première. À Sainté, le spectacle est souvent davantage dans les tribunes que sur le terrain, c’est assez incroyable. J’ai vu un paquet de matches à Geoffroy-Guichard mais celui qui m’a le plus marqué de mes années en vert, c’était à l’extérieur. Lors de ma dernière saison. J’étais en effet à Gerland le soir du 100e derby. Un énorme souvenir avec ce coup franc victorieux de Dimitri Payet. Avant la rencontre Josuha m’avait prévenu, il m’avait dit « fais-toi petit, ne crie pas de partout que tu es Stéphanois ! » Mais bon, on ne se refait pas, j’avais mon petit maillot de l’ASSE sous mon pull (rires) Je me souviens qu’on entendait plus les supporters stéphanois que les supporters lyonnais.
À Geoffroy, je ne me rappelle pas un seul match où je n’ai pas entendu chanter les supporters chanter du début à la fin. Dès l’échauffement, j’étais pris dans l’ambiance. Je me remémore notamment. Jérémie Janot lorsqu’il enflammait les supporters dès qu’il arrivait sur le terrain. Tout ça, ce sont des magnifiques souvenirs. Quand Sainté marquait un but, toute la tribune descendait derrière les cages, ça m’avait impressionné lors des premiers matches et après, limite je m’y étais habitué, en tout cas j’y avais pris goût. Quand j’allais voir les matches, je n’attendais qu’un seul truc : que Sainté marque pour voir toute la tribune descendre.
Hier, j’ai vraiment ressenti cette absence de public. Ça fait tout bizarre de ne pas entendre le Chaudron s’enflammer sur le but de Charles Abi voire sur le péno de Ryad Boudebouz et gronder sur nos trois buts ! J’étais retourné à Geoffroy pour le match contre Wolfsbourg, j’étais venu voir jouer mon ami Josuha Guilavogui. L’ambiance était extra. C’est un gros plus pour une équipe que de pouvoir jouer devant de tels supporters. De mon époque il ne reste plus aucun joueur à Saint-Étienne, ça a énormément changé. Loïc Perrin a arrêté il y a un an, Jessy Moulin vient de partir à Troyes. En fait le seul que je connaissais du match d’hier, c’est Alpha Sissoko car j’ai joué avec lui à Clermont.
On sent que la ferveur stéphanoise t’a marqué. Ressens-tu la même chose à Clermont ?
Ce n’est pas comparable. Il n’y a pas vraiment cette ferveur. On a des supporters mais pas un gros, gros public. C’est complètement différent de Saint-Étienne mais on sent monter un réel engouement autour du Clermont Foot. Il faut savoir qu’à Clermont c’est plus le rugby qui prime, c’est davantage le ballon ovale qui est mis en avant. Mais depuis deux ou trois ans le Clermont Foot a su créer quelque chose de fantastique. La campagne d’abonnements pour cette nouvelle saison a fait un carton. Nous-mêmes les joueurs ça nous a surpris. En l’espace de quelques heures, plus d’un quart des places du stade a été vendu. L’afflux de demandes a fait exploser le site. Et quand ça a repris on a vite atteint le maximum d’abonnements mis en vente, un peu plus de 8 700.
Le club a dû stopper la campagne d’abonnements car la capacité de Montpied est de 13 000 places, sachant que le stade est en travaux et qu’ils vont ajouter une petite tribune. Il se passe quelque chose à Clermont, c’est indéniable et ça me réjouit. Le club est dans l’élite pour la première fois de son histoire donc forcément il entre dans une nouvelle dimension. J’espère qu’un jour le Clermont Foot pourra avoir un aussi grand kop qu’à Sainté, une aussi grande tribune pour pouvoir pousser les joueurs. À Saint-Étienne, les supporters sont vraiment le 12e homme. On voit d’ailleurs que ce 12e homme a beaucoup manqué aux Verts ces deux dernières saisons avec tous ces huis clos liés au contexte sanitaire.
Quelle analyse fais-tu de votre victoire à GG ?
Saint-Etienne a très bien débuté le match avec une très grosse pression d’entrée. Sainté a mis énormément de densité les 20 premières minutes de cette rencontre. On a concédé l’ouverture du score, je ne vais pas dire « logiquement » même si elle se ressentait un peu. Mais curieusement Charles Abi a marqué curieusement au moment où on arrivait à poser un peu le pied sur le ballon et à sortir un peu la tête de l’eau. On a réussi à égaliser assez rapidement. J’ai senti que Sainté a eu une petite baisse de régime, on a su en profiter.
On a su prendre l’avantage et faire le break dans la foulée. On a exploité les petites erreurs de placement des Stéphanois. Les Verts ont réduit le score sur péno et ont poussé en fin de match pour égaliser mais on a réussi à préserver notre avantage. On est content d’avoir gagné mais on sait très bien que ça reste un match de préparation qui s’est disputé à huis clos. Or je sais à quel point quand Sainté marque il est très difficile de résister à ce mur vert qui pousse derrière les joueurs.
On a eu l'impression que ton équipe était collectivement mieux rodée que la nôtre. Partages-tu ce ressenti ?
Cela fait pour la plupart près de quatre ans qu’on joue ensemble. Avoir les mêmes joueurs et le même coach dans la durée, ça aide. Les automatismes, les principes sont huilés. On est dans une phase de préparation, ce qu’on fait actuellement c’est juste perfectionner nos acquis et continuer de progresser. Ce qu’on veut essayer de faire en Ligue 1, c’est essayer de conserver les mêmes principes de jeu même si on sait que par moment ce sera difficile de ressortir les ballons comme on a l’habitude de le faire. Après, c’est vrai que j’ai trouvé cette équipe de Sainté assez jeune, notamment en seconde période, avec pas mal de joueurs que je ne connaissais pas.
Mais chez nous, très peu de joueurs ont connu la Ligue 1 dans notre effectif alors que l’ASSE compte malgré tout pas mal de joueurs ayant joué à ce niveau, certains depuis pas mal de temps comme Kolo ou Wahbi Khazri. On s’est quand même senti mieux sur le plan de jeu et en terme d’automatismes. L’entraîneur Claude Puel nous a sentis plus prêts que son équipe, c’est en tout cas ce qu’il a déclaré à l’issue de la rencontre. Moi j’ai quand même senti un gros collectif stéphanois les 15 ou 20 premières minutes. Les Verts nous ont imposé un très gros pressing, très haut mais ils n’ont pas pu le tenir tout le match.
Les Stéphanois ont de bons joueurs à chaque poste capables de faire la dif’ à tout moment, on l’a vu avec le petit exploit réalisé par Charles Abi. Après, je ne me suis pas focalisé sur les individualités stéphanoises, j’étais concentré sur notre match et j’avais à cœur de faire une bonne rentrée et de faire un résultat. Je pourrai dire que j’ai gagné à Sainté. C’est toujours une sorte de « revanche » de battre un club formateur où tu n’as pas pu signer pro même si j’ai bien conscience qu’en l’espèce ce n’est qu’un match amical.
J’ai quand même senti une vraie fierté quand le président Roland Romeyer est venu me voir après le match. Il m’a dit : « tu as bien grandi et tu as changé tes cheveux. À l’époque t’avais des tresses, t’avais des nattes ! » On a bien rigolé, c’était sympa d’échanger. Il est descendu des tribunes pour me voir au moment où je faisais un petit travail physique avec les autres joueurs qui n’avaient pas trop joué.
Ton temps de jeu décline depuis que tu as rejoint Clermont en 2018 : 17 matches de L2 la première saison, 10 la deuxième et 5 la dernière. Tu as cependant prolongé d’une saison ton contrat, preuve que ton club compte sur toi. Caresses-tu l’espoir de gratter du temps de jeu en L1, un championnat que tu vas découvrir à 29 ans et demi ?
Avant de parler de ma situation individuelle, c’est l’objectif collectif que je veux mettre en avant. On sera tous en apprentissage dans l’élite. On va tout faire pour continuer la bonne dynamique de la saison dernière. Ce qu’on a fait est fait, maintenant un va découvrir un championnat qui est d’un tout autre niveau. On l’a vu encore vu hier contre Sainté, à la moindre erreur on se fait punir directement. On est une équipe joueuse mais on sait à quel moment on peut ressortir et à quel moment il faut dégager le ballon. Lorsqu’il y a le feu il y a le feu, il y a des situations où tu dois dégager. Mais quand on peut ressortir le ballon, on ne s’en prive pas. On l’a d’ailleurs montré contre les Verts, on peut vite créer du danger.
En ce qui me concerne, j’ai beaucoup travaillé, j’ai fait beaucoup de sacrifices pour en arriver là. Cette dernière saison de L2, j’ai été les 38 journées sur la feuille de match. C’est vrai qu’il est difficile d’être remplaçant et de peu jouer. Je suis un compétiteur, j’ai envie de jouer. C’est tout à fait normal d’avoir envie de gagner sa place. Maintenant, je sais ce que j’ai fait pour en arriver là. Je ne peux pas me permettre de faire la tête juste parce que je suis remplaçant. Mon but pour la prochaine saison est de gratter un maximum de temps de jeu, de me tenir prêt quand le coach fera appel à moi. À moi de prendre tout ce qu’il y a à prendre et de ne rien laisser. J’ai la chance de découvrir l’élite du football français alors que j’aurai 30 ans en janvier prochain.
Je me rappelle quelques discours que le coach nous faisait à Sainté avant le début de saison. « Les gars, il n’y en a que deux ou trois qui vont finir pro. » Aujourd’hui, quand je regarde, on n’est pas beaucoup à être dans un club qui joue dans l’élite du football français. De ma génération 1992, finaliste de la Coupe Gambardella 2011, qui a réussi à signer pro et à jouer dans l’élite ? Il y a Ismaël Diomandé et Idriss Saadi. Mais aujourd’hui, qui évolue en Ligue 1 ?
Je pense que le football a un peu évolué. Avant, c’était vraiment en termes de statut. T’étais en équipe de France, tes agents arrivaient un peu à s’imposer, hop tu signais un contrat stagiaire puis un contrat pro. Si t’avais pas d’agent, que tu n’étais pas en équipe de France ou que tu n’avais pas un petit statut, c’était très difficile de percer.
Tu as fini par le faire mais ta carrière de footballeur n’a pas été un long fleuve tranquille…
Après avoir dû partir de Saint-Etienne, j’ai passé deux ans à Guingamp où j’ai joué avec la réserve. Ensuite j’ai joué une saison à Uzès en National mais le club a déposé son bilan. Je me suis retrouvé sans club, j’ai signé en CFA à Quevilly. Là-bas j’ai eu la confiance du coach. À la base je ne partais pas pour jouer titulaire mais défenseur qui était au club s’était fait les croisés. Du coup j’ai joué toute la saison. Ensuite on est monté en National, malheureusement je me suis blessé en sélection (équipe de Guyane). Cette même saison on monte en L2 mais je revenais de deux opérations du genou donc ça a été très compliqué. Ma première opération au ménisque interne n’a pas été bien faite, le cartilage a mal été nettoyé. Il a fallu une seconde intervention et ça m’a rendu indisponible près d’un an.
Comme je n’ai pu jouer qu’un match sur la phase retour, l’entraîneur m’a dit que le président ne voulait pas me garder. Mais j’ai dit que je voulais tout faire pour rester, que j’étais prêt à me mettre au chômage s’il le fallait. Je venais d’avoir une fille. Je ne voulais pas partir pour partir. J’ai fait six mois avec l’équipe réserve, sans contrat, sans rien. Je pointais à Pole Emploi. En décembre le coach est venu me voir, il m’a dit « écoute, on n’arrive pas à recruter, on va te faire signer ton premier contrat pro. » Le président m’a sorti le contrat, il m’a dit « tu signes. » J’ai signé à 26 ans mon premier contrat pro. Grâce à ça, grâce à tous ces sacrifices, le Clermont Foot m’a appelé. J’entame ma 4e saison dans ce club.
Tu vois, c’est pour ça que je te disais tout à l’heure que je prends tout ce qu’il y a à prendre et qu’il serait pour le moins malvenu de ma part de me plaindre de mon statut de remplaçant. La question « pourquoi je suis remplaçant», je me la pose, je mets ce qu’il y a à faire sur la table et ensuite je l’applique sur le terrain. J’ai la confiance du coach, c’est rare. Tu sais, quand on est remplaçant, il faut avoir le mental. J’ai la chance d’avoir une femme qui me suit depuis bientôt 13 ans, d’avoir un grand frère comme Josuha Guilavogui qui me conseille dans les mauvais comme dans les bons moments. Cela m’aide énormément. Je suis dans un bon groupe clermontois, on s’apprête à découvrir la Ligue 1, hier j’ai joué à Geoffroy… La vie est belle ! Et qui sait, j’aurais peut-être l’occasion de rejouer à Sainté dans trois mois et demi, avec du public cette fois. En attendant, j’espère que les supporters pourront vite faire trembler ce Chaudron de nouveau !
Merci à Josué pour sa disponibilité