A l’origine, une idée folle : à l’occasion de la sortie de mon livre, me faire interviewer par Dieu...


Obtenir une interview de Dieu déjà, en soi, relève par définition du miracle. Mais inverser les rôles, demander à Dieu de lire mon livre, de préparer des questions, de bosser une interview, et faire « ma resta », comme dirait ma fille, l’instant d’une rencontre, là, on est dans le pur fantasme.

C’est pourtant la proposition qu’on lui a faite et qu’il a bien volontiers acceptée : un supporter a mille questions à poser à un joueur. Mais un joueur, et quel joueur !, quelles questions voudrait il poser à un supporter ?

Parfois on réalise ses fantasmes. On dit souvent qu’il ne faut pas, que c’est décevant. Parfois on dit des conneries.

Ça devait donc être une interview, mais entre les questions, très vite, et pour mon plus grand bonheur de fan, ça s’est transformé en échange informel où Dieu s’est livré un peu.

 

Christophe Verneyre : Loïc, je suis très heureux de te remettre .. enfin…. de vous remettre, parce que je m’adresse quand même à Dieu. C’est là que je m’aperçois que j’ai dédicacé mon livre à dieu et que c’est pas donné à tout le monde. Lui dédicacer mon livre, c’est pas donné à tout le monde, mais lui remettre en mains propres je pense que c’est une grande première mondiale. Je suis très heureux Dieu de vous remettre ce livre.

Loïc Perrin : Merci beaucoup Christophe, c’est gentil ! On peut peut-être se tutoyer maintenant (rires). J’ai eu la chance de lire La passion selon Saint-Etienne (éditions En exergue) en avant-première, et j’ai adoré l’idée parce qu’on a souvent des livres de journalistes, et moins d’un passionné, qui raconte vraiment sa vie de supporter et sa passion. J’ai aimé le livre alors que je ne suis pas un très grand lecteur habituellement. Merci pour la dédicace et c’était super intéressant.

CV : Merci à toi de te prêter au jeu …

LP : J’ai des questions, pour lesquelles j’ai eu des éléments de réponse dans le livre. Ma première question est simple : qui es-tu ?

CV : Christophe Verneyre, j’ai 49 ans. J’ai 3 enfants, je suis marié. Je suis supporter de ce club depuis tout petit. Je suis né à Sainté. Je suis le dernier d’une famille de 6 enfants. Né en 1971, je suis tombé dedans quand j’étais petit, je ne sais pas bien dire pourquoi si ce n’est que j’aimais bien jouer au foot et que j’étais à Sainté, qui était LA ville du foot à cette période-là. Donc naturellement, mon père allant au stade, je l’ai suivi et puis à un moment donné je suis tombé entre guillemets amoureux de ce club.

LP : Je crois qu’on commence tous comme ça. C’est le papa qui nous amène au stade.

CV : Oui, dans ce stade, avec l’ambiance qu’il y a, quand on est jeune on est forcément transporté, on ne peut pas être indifférent, et puis en plus l’équipe gagnait tout le temps et quand on est jeune, ça aide…

LP : C’est plus facile, oui. Quel est le match, le moment qui t’a fait basculer ?

CV : Bizarrement, c’est une défaite. J’avais vu deux ou trois matchs avant, notamment avec Platini contre Valenciennes, ou la demi-finale contre Strasbourg en Coupe en 1981, mais j’en ai quasiment aucun souvenir. Le match qui m’a fait basculer c’est la finale 82 que j’ai vue à la télé contre Paris. Tout était réuni pour que ce soit un match émotionnellement très chargé parce qu’on mène, Rocheteau égalise au bout du bout du match, et on perd aux pénals. En plus c’était la double peine parce qu’on a failli être champion, et puis on a été devancé par Monaco d’un point, ça s’est joué au dernier match. Je ne sais pas pourquoi, mais ce sont ces deux matchs, à dix ans, qui m’ont vraiment procuré une émotion, en l’occurrence totalement négative, une frustration, une tristesse.

LP : Au niveau des émotions c’est pas parti du bon pied…

CV : C’était pas du bon pied, et c’était pas au stade. C’était à la télé et à la radio. J’étais trop jeune en 76, et il se trouve qu’ensuite, après 82, on n’a pas beaucoup gagné. Je dis que je suis tombé amoureux, parce que c’est une relation passionnelle, et c’est donc à ce moment-là qu’elle est née.

LP : L’idée d’écrire un livre, elle t’est venue quand ? Est-ce que tu as pris des notes ou es-tu allé chercher dans ta mémoire, parce que c’est pas facile ?

CV : J’avais l’idée ou plutôt le fantasme d’écrire un livre, mais je me suis toujours dit que c’était un truc inatteignable. Quand tu as lu des livres bien écrits, tu te dis, qui je suis moi pour prétendre écrire un livre ? Poteaux-carrés et les éditos que j’écris m’ont donné confiance parce que j’ai eu des retours positifs. Et puis il y a mes enfants et ma femme qui m’ont motivé car ils savaient que j’écrivais depuis les débuts du site poteaux-carrés et même avant, j’écrivais des compte-rendus des déplacements que je faisais à l’époque de la d2, à Beauvais, à Amiens, à Sedan…Déplacements pas toujours très fructueux, mais ça m’amusait d’en faire le compte-rendu, car j’aime bien écrire. C’était un plaisir. Mes enfants et ma femme, pour mon anniversaire m’ont un jour offert un joli carnet, en me disant, « papa t’aimes bien écrire, et si tu faisais un bouquin » ? Mine de rien dans le fait d’oser aller au bout de l’aventure, d’oser écrire un livre, ne pas décevoir ses enfants, enfin sa femme et ses enfants, ça compte : tiens je vais essayer de les rendre un peu fiers.

LP : Ça t’a pris combien de temps ?

CV : Ça m’a pris un an et demi. Ca aurait pu être plus rapide, mais j’ai un vrai boulot, et je ne m’étais pas mis une pression en me disant il faut que j’ai fini à telle date.

LP : La passion est-elle toujours la même qu’au début ?

CV : Elle est toujours aussi forte. Même si on ne peut plus aller à Geoffroy, même si à la Télé aussi, un match sans public est un peu triste, quand arrive le week end, le jour du match, quand je me lève j’ai cette excitation, cette envie, cette adrénaline, et ça transforme la journée. Tu as cette perspective de fin de journée qui n’est pas sûre de te rendre heureux, car ça peut être une déception, mais tu as la perspective d’un événement important qui va te procurer des émotions, et c’est à ça que je mesure que ma passion n’a pas changé, même dans ce contexte un peu lourd.

LP : Moi aussi, je me réveille maintenant en tant que supporter et c’est beaucoup plus stressant, angoissant. Je l’avais déjà vécu en étant suspendu ou blessé, j’en ai loupé pas mal, et c’est angoissant. On ne ressent pas cette angoisse sur le terrain ! C’est pas le même stress sur le terrain. C’est plus de l’adrénaline. Avant le match t’as de la tension forcément, mais une fois que t’es sur le terrain, on ne ressent pas tout ça. Du coup j’arrive à comprendre la réaction des supporters, d’ailleurs j’aime bien ta façon de voir les choses quand tu parles des sifflets. Quoi qu’il arrive tu seras toujours supporter que tu gagnes ou que tu perdes.

CV : Siffler son équipe, ça m’a toujours paru au-delà de mes forces. Ca m’est pourtant arrivé d’être en colère contre un joueur.

LP : Même moi en tant que joueur, ça m’est arrivé d’être en colère. Tu regardes un match, tu dis « bouge-toi… ». On est tous pareil. Pis on voit bien quand on est en tribune, on a de la hauteur, on voit bien les espaces.

CV : Forcément, être en colère ça arrive, mais ça me fait trop mal au cœur d’entendre des sifflets à côté de moi. Mais je pense qu’il y a une fonction exutoire dans le stade, et il y a des gens qui ont besoin de sortir des frustrations. Y a pas d’indifférence dans le sifflet. S’ils sifflent c’est qu’ils ne sont pas indifférents. Mais j’ai du mal à être tolérant avec les sifflets.

LP : Ça ne t’a pas créé des embrouilles ?

CV : Ça aurait pu. Mais dernièrement je suis plutôt allé voir les matchs en Henri Point. Alors c’est vrai que c’est là qu’il y a des sifflets…

LP : Ben ouais…

CV : …Mais en même temps les gens sont assez calmes. Une ou deux fois je me retourne en montrant que je désapprouve le truc. Ca m’est arrivé de dire « barrez-vous ». Si au bout de dix minutes, qu’on joue contre le quinzième, qu’on est cinquième, que les gens sifflent une passe en retrait parce qu’on ne mène pas encore 1-0…

LP : Ça ne marche pas comme ça !

CV : Moi j’étais pas bon au foot, mais j’ai joué comme tous les mecs qui aiment le foot, et il me semble qu’il ne faut pas être très intelligent pour comprendre qu’un moment donné une passe en retrait est plus sécurisante pour relancer proprement. J’ai pas eu d’embrouille parce que je reste d’un tempérament assez calme.

LP : Mais ça peut arriver assez facilement avec une personne sanguine.

CV : Ensuite sur 30 000 personnes, c’est normal que tout le monde ne réagisse pas de la même façon, faut l’accepter.

LP : Y a pas mal de joueurs qui ont des rituels avant les matchs, qui font toujours la même chose. C’est pareil avec les supporters ? Ils vont toujours boire une bière au même endroit ?

 CV : Pas trop de rituel si ce n’est que j’ai toujours détesté arriver juste 5 minutes avant le match. Comme me l’a dit un jour mon ami Thierry, approcher du stade et entendre de plus en plus précisément le grondement de la foule, c’est ma première gorgée de bière, comme dit Philippe Delerm. Il faut que je sois une demi-heure avant dans les tribunes pour pouvoir sentir un peu l’ambiance, voir le stade se remplir, voir les joueurs, deviner en regardant l’échauffement le 11 titulaire… c’est une façon de rentrer crescendo dans l’ambiance et de sortir de sa tête tous les petits trucs du quotidien qui te polluent l’esprit. C’est mon seul rituel. J’ai tendance du coup à toujours partir en avance pour le stade.

LP : Tu regardes d’autres matchs ou uniquement Sainté ?

CV : De plus en plus, uniquement les matchs qui indirectement vont avoir un impact sur Sainté. Tu vois les Barça-Bayern, Real-Chelsea, évidemment ça joue super bien, mais je ne prends parti pour aucune équipe, et ce sont toujours les mêmes affiches, et la rareté fait le sel d’un match de foot. J’aime bien découvrir une équipe, un style de jeu, des joueurs que je ne connais pas. Tu vois, l’an dernier l’Atalanta en Ligue des Champions c’était sympa, un peu comme quand en Coupe du monde se qualifie un pays inattendu. Je regarde l’Equipe de France, mais moins qu’avant. Mon rapport à Sainté n’a pas évolué, mais mon rapport au reste du foot si.

LP : Le contexte en ce moment n’aide pas non plus. Sinon être supporter ça demande des sacrifices personnels ?

CV : J’ai tout de suite dit à ma copine, qui est devenue ma femme : écoute y a un truc non négociable, c’est que je suis supporter des Verts. Je suis un fou furieux. Dans le contrat, quand y a foot, y a foot. Pour le mariage, on a choisi le mois de juin, histoire d’éviter un conflit d’agenda.

LP : Il faut que le conjoint soit ouvert…

CV : Oui. Je raconte que j’ai amené ma future femme voir Sainté-Sochaux à l’époque de la D2. On vient de Paris, avec une autre copine et un très bon ami supporter des Verts. Il fait froid, il y a 7000 personnes à Geoffroy. On achète des écharpes à la boutique, on va en kop, la vraie immersion. Elles ont adoré faire tourner les écharpes, reprendre des chants qu’elles ne connaissaient pas avant, ce plaisir un peu enfantin, la communion dans le kop, bras dessus, bras dessous avec ce voisin qu’on ne connaissant pas avant le match. Elles avaient simplement été prises par l’ambiance. Ce phénomène je l’ai constaté à plusieurs reprises, quand j’invitais des amis parisiens à Sainté. Ils étaient séduits par le stade, par l’ambiance. C’est rigolo, la magie opère toujours ! Ca m’a toujours rendu fier ça.

LP : Je me demandais aussi si ça t’arrivait de te prendre la tête avec un copain ou un proche pour le foot, ou pour les Verts ?

CV : En fait ceux avec qui je me prends le plus la tête ce sont des supporters stéphanois. Par exemple en ce moment, c’est à propos de Debuchy, Monnet-Paquet, Hamouma. Moi j’ai un côté sentimental. Alors je dis, effectivement Monnet-Paquet, sportivement, il a été très peu utile cette saison, mais…

LP : Je comprends. En général les supporters jugent le terrain. Mais il y a des joueurs qui sont très importants dans un groupe et ils ne le voient pas forcément. KMP, c’est le cas. Il n’a pas eu une saison facile, il revient de loin. C’est un joueur qui montre l’exemple par son attitude. Comme Jonathan Brison qui ne jouait pas énormément. C’était un cadre sans être un titulaire à part entière mais qui était irréprochable quand on faisait appel à lui. Comme KMP. Il s’est fait siffler combien de fois ? Et il a réussi à renverser la tendance. Magnifique. Sa chanson… Très peu de joueurs ont leur chanson !

CV : Ça va t’amuser, dans mes footings l’été dernier on discutait avec un de mes frères de ton cas à toi.

LP : Ah oui ?

CV : Quand on ne savait pas ce que tu allais faire. Et moi je disais « évidemment, il faut le prolonger, on aura forcément besoin de lui, même si physiquement il ne va pas jouer 35 matchs »

LP : Mais ça, c’est le jeu, après tu le sais, tu approches de la fin tu sais que tu ne vas pas jouer comme au début.

CV : C’est ce type d’échanges que je peux avoir avec des amis, où personne ne cède, et tu t’embrouilles un peu. C’est donc plus avec des supporters verts que je m’embrouille car c’est le sujet qui nous touche le plus. Dernier exemple, j’ai un copain qui a tourné la page Galtier, qui considère que Galtier est parti, et n’a pas tellement de mots sympas pour Sainté, ce qui est vrai.

LP : Ouais, mais qu’est-ce qu’il vaut mieux ?

CV : Moi je lui suis éternellement reconnaissant. Il nous a ramené là où on n’imaginait pas aller. On a joué régulièrement la Coupe d’Europe, il nous a ramené un titre. En plus moi j’avais adoré l’ équipe qu’il a façonnée avec des joueurs de 27-28 ans, pas forcément des cadors, mais des mecs fidèles au club.

LP : Avec des valeurs, qui correspondent bien à Saint-Etienne.

CV : Galtier il faut lui faire une statue. Ben mon pote, il n’est pas d’accord. Ensuite, s’il signe à 60km d’ici j’aurais un peu de mal, et je ne comprendrais pas, en plus vu sa réussite, il a le choix.

LP : Ensuite ils l’annoncent un peu partout, c’est à prendre avec des pincettes.

CV : C’est un truc qui me toucherait…

LP : Oui, comme pour beaucoup je pense.

CV : Je suis un romantique. J’ai regretté par exemple que Sall parte si vite. Il était en fin de contrat, mais il était en bonne forme, n’arrêtait pas de marquer. Un peu comme toi, à chaque fois qu’il montait sur les corners, il était l’attaquant le plus dangereux. Comme plus récemment avec Debuchy. Vous avez le sens du placement, l’agressivité qu’il faut.

LP : Mouss, déjà il avait le physique pour ça.

CV : C’est ton meilleur complément en défense centrale à Sainté ?

LP : Je me suis adapté à tous les joueurs mais lui c’est celui avec qui j’ai fait le plus de matchs, donc forcément ça crée des liens particuliers. En plus c’était des belles années. Je pense qu’on se complétait bien, mais comme avec d’autres aussi. Mouss il fallait aussi un peu le gérer. Des fois entre Ruff et Mouss ça partait au quart de tour. Moi ça ne m’est jamais arrivé de m’embrouiller avec Mouss parce que je le connaissais, je savais comment lui parler. C’était une bonne entente.

CV : Moi ce que j’appréciais beaucoup chez lui, c’est son attitude dans les matchs importants, son rôle de leader, dans le derby, lui comme Gradel…

LP : Oui, c’est des joueurs de caractère. Max Gradel aussi. Sinon, est-ce que tu penses que notre club est vraiment à part, ou il y a un peu de chauvinisme là-dedans ?

CV : Je pense qu’il y a un peu des deux. Evidemment je pense que chaque supporter considère que son club est unique. Mais quand tu interroges les gens qui ne sont pas de Sainté et qui aiment le foot, souvent ils te disent « ça, on ne le voit qu’à Sainté ». Et puis il y a un truc avec l’histoire, l’empreinte qu’on a laissée, le fait d’avoir dominé le foot français. Si tu regardes de façon objective l’ensemble des clubs français qui ont brillé en coupe d’Europe, on est les seuls à avoir à ce point été aimés de toute la France. Toute la France était derrière nous. Et c’est une ville, Sainté, où le foot a une place très très importante.

LP : La ville vit au rythme des résultats.

CV : Quand on gagne les habitants ont la banane, quand on perd, ils font la gueule. Ca, c’est un truc qui rend Sainté unique. Et puis ce qui rend ce club unique, c’est quand ça se passe bien, il y a des débordements irrationnels, comme l’envahissement de terrain lors du match contre Rennes. C’est qu’une demi-finale de coupe, ça pourrait sembler un peu ridicule, et pourtant c’est super touchant. Le Directeur adjoint de l’Equipe, Jean-Philippe Leclaire, supporter des Verts m’a raconté qu’il était au match avec son fils, et ils ont, comme moi, envahi la pelouse au coup de sifflet final, et comme le mien, son fils a arraché un bout de pelouse. Il habite Paris, il est dans les médias, dans ce monde qui brille un peu, et pourtant il n’a pas oublié là où il est né, l’enfant qui est en lui. Bon mon fils a laissé pourrir l’herbe dans la poche de son jeans, alors que lui il l’a replanté dans un joli bocal !

LP : Tu parles de ton fils, il t’a pardonné ou pas [ndp² : référence à un chapitre du livre] de l’avoir mis dans cette passion ?

CV : Oui, je crois, même si parfois il souffre. Je m’en suis voulu de l’avoir amené lors d’un derby qu’on perd à Gerland. On avait fini à 11 contre 10. Dabo se fait expulser. Il a neuf ans, et de rage il donne des coups de pied dans le siège de devant, et je le vois vraiment malheureux, avec une souffrance qui est presque physique et j’me dis sur le coup que je n’aurais pas dû l’emmener. J’ai la même souffrance que lui, mais j’ai à l’époque 40 ans, je sais que le lendemain ça ira mieux, et qu’après deux jours, je penserai au match suivant. Mais avant tout je suis fier qu’il aime se club, qu’il le défende, et j’me dis que notre responsabilité c’est de perpétuer le mythe, de transmettre.

LP : Tes deux autres enfants du coup ?

CV : J’ai emmené ma première fille régulièrement à Geoffroy mais ça l’intéressait moins que Martin. Ma dernière, je l’ai emmenée de temps en temps. Elles supportent les Verts, mais ne regardent pas les matchs. Elles trouvent ça sympa de supporter les Verts, faut dire que je leur ai bien vendu le fait qu’on était un club unique. Le fait qu’on ait l’étoile aussi c’est important. Aux yeux des enfants, leur dire qu’on est le club le plus titré de France, ça marche pas mal. Pour ça que j’étais pour Lille cette saison. A la fois pour Galette, et pour l’étoile. Pour la première fois de ma vie, sur le match à Lille, à la  fin sur nos contres j’avais pas très envie qu’on marque.

LP : Moi non plus. C’est bizarre comme sensation. Sinon, ton pire souvenir comme supporter c’est quoi ?

CV : Pas mal de derbys évidemment.

LP : Le coup franc de Benzema ?

CV : Oui, et puis le derby qu’on perd 2-1 à Geoffroy à la fin du temps additionnel.

LP : Avec le but de Dembele ?

CV : Oui. Je t’ai vu dans une rage, dans un état de colère que je n’avais jamais vu. Je ne t’avais jamais vu comme ça. Pour la première fois Dieu sort de ses gonds ! C’est vraiment que l’heure est grave.

LP : C’est cruel !

CV : Mais en fait, mon pire souvenir c’est les faux passeports. On avait la sensation qu’on nous cassait notre jouet qui était très beau, avec Alex et Aloisio. On démarre le championnat magnifiquement. Fin août on est 3e en ayant battu Marseille et Bordeaux. Et cette histoire est révélée en octobre, et ça a été une lente agonie. Ca a duré six mois, avec cette impression d’acharnement.

LP : Ça a plombé le club.

CV : On venait de vivre deux très belles saisons. Donc on tombait de très haut. Et en même temps il y avait ce côté acharnement ... Ça a été une longue souffrance dans la durée, alors qu’un match perdu,  même un derby, c’est terrible mais au bout de huit jours t’y penses moins. Et puis une descente en d2, c’est violent. Surtout qu’à Sainté on a du mal à remonter vite. Les 3 descentes que j’ai connues, la première on a mis deux ans, les deux autres on a mis trois ans.

LP : C’est dur de remonter. Aujourd’hui en Ligue 2 tu as des clubs importants, ça fait un moment qu’ils y sont.

CV : Ceux qui remontent vite sont souvent ceux qui re-descendent vite. Metz, Troyes…

LP : J’ai lu que tu n’arrivais pas à te faire au nouveau stade …

CV : Si, mais honnêtement il y avait un côté mythique du stade à l’anglaise qu’on a un petit peu perdu. Mais c’est un détail pour moi, car ce que j’adore et qui contribue à rendre ce club unique par rapport à notre voisin, c’est d’avoir un stade qui s’appelle encore Geoffroy-Guichard, qui a une histoire. C’est le même stade, même s’il a changé, au même endroit. On fait le même parcours en voiture pour s’y rendre. Il porte le même nom, on n’a pas vendu son nom pour 2 millions d’euros à Cochonou. Le côté très mercantile du foot est à la fois ridicule et assez triste. Respecter la tradition  est important dans le foot. L’attachement des supporters à ce genre de choses est important.

LP : Surtout à Saint-Etienne encore une fois.

CV : Oui. Geoffroy-Guichard n’est pas un nom anodin. C’est le Chaudron, c’est pas n’importe quel stade. Bon, les quatre angles, ça permet peut-être d’avoir 2 000 spectateurs de plus, mais ils n’ont pas rendu le stade plus beau qu’avant. Mais c’est pas mal d’être passé au vert pour les sièges plutôt que la période jaune et rouge….

LP : Et sinon quelle est l’équipe que tu as préférée ?

CV : Même si je suis tombé amoureux du club avec l’équipe de d2 en 1984/85, mon équipe préférée c’est l’équipe de Galette. Ton équipe avec Sall, Papy, Cohade, Aubame, Clément, Ruff… Y avait une colonne vertébrale. En fait comme Lille cette saison : devant ils ont Yilmaz comme nous on avait Brandao, un mec qui a une envie de gagner qui déplace les montagnes. Ils ont Fonte comme on avait Dieu, ils ont Maignan comme on avait Ruff et ils ont André comme on avait Lemoine, le taulier du milieu de terrain qui n’hésite pas de temps en temps à faire la faute intelligente. En fait Galette a reconstitué ça, et ça marche !

LP : Oui c’est vrai. Y a des similitudes. Brandao, c’était un compétiteur…. Pis il marquait des buts, il était très bon dans la surface.

CV : C’est cette équipe que j’ai préférée, aussi parce que vous êtes restés longtemps ensemble, vous avez gagné un trophée, ça aide à adorer une génération, et puis il y avait des valeurs qui se dégageaient. On avait l’impression de mecs qui s’entendaient bien, d’un vrai collectif, qui était au-dessus de tout, c’était en tout cas l’impression que vous donniez. Et puis vous donniez une impression de solidité très agréable quand on est supporter. Dès que vous jouiez contre une équipe moins forte sur le papier, vous gagniez à 95%.

LP : C’est bien d’avoir cette sensation. Des certitudes. On l’avait aussi en interne cette sensation. C’était notre force. On le ressentait. Je le sentais qu’il ne pouvait pas nous arriver grand-chose. Tu prends un but en début de match, ça peut arriver, mais t’es pas inquiet. C’est bon de sentir cette force, ça n’arrive pas toutes les années.

CV : Et puis vous avez eu pendant trois ans un bilan positif dans les derbys, et quand on sait la période qu’on avait traversée avant, c’est hyper appréciable.

LP : Oui puis Lyon avait d’autres moyens, d’autres objectifs, et on rivalisait, avec nos valeurs.

CV : Tout ça fait, et je ne dis pas ça parce que t’es là, que c’est sans doute l’équipe que j’ai préférée.

LP : J’ai vu que tu as fait beaucoup de déplacements aussi, et quelques frayeurs, notamment à Nice après le match à Monaco. C’est marrant parce que je m’en rappelle très bien, ce match je l’avais joué, et tu sais on perd 1-0 rapidement et c’est moi qui perds le ballon sur le but de Chevanton. C’est le dernier match de la saison.

CV : C’est Juju qui a égalisé.

LP : Ca je ne me le rappelais plus ! Je l’ai lu dans le livre. Mais c’est moi qui ai perdu le ballon. C’était en 2005. Cette année-là je n’avais pas fait énormément de matchs titulaire, c’était mes débuts, j’étais milieu. Et donc tu t’es fait une petite frayeur…. ?

CV : Oui je raconte dans le livre, que ça a failli déraper ce soir-là avec des supporters niçois.

LP : Tu en penses quoi de cette haine entre supporters ? Par exemple avec les Lyonnais.

CV : Ce que j’apprécie, et ça fait partie du jeu, c’est le chambrage.

LP : On est d’accord !

CV : Pour être honnête, je suis  très content quand ils perdent. Maintenant, j’ai des potes qui supportent Lyon, on se chambre, et ça en reste là évidemment.

LP : C’est un jeu.

CV : Voilà. Tout le reste, tout ce qui est violent, c’est pathétique. Sainté-Lyon je trouve que la rivalité s’est aggravée, je ne sais pas pourquoi.

LP : Je ne sais pas. Ça ne s’est pas arrangé, ça, c’est sûr.

CV : J’ai l’impression que ça s’est aggravé, je pense que leur président a souvent mis de l’huile sur le feu par se déclarations. Maintenant la violence dans le foot, ça s’est calmé, je me souviens que mes premiers matchs à Sainté, je me sentais moins en sécurité quand j’étais jeune, quand les supporters adverses étaient en kop sud, et qu’il y avait juste une rangée de flics pour nous séparer.

LP : Aujourd’hui tu ne pourrais plus faire ça, sinon c’est guérilla à chaque match !

CV : Oui, mais de fait il y a moins de violence en tribune qu’il y a 30 ans contrairement à ce que certains médias laissent penser. Moi en emmenant mes enfants au stade, je ne me suis jamais dit que c’était dangereux pour eux.

LP : J’ai vu que tu racontes ton déplacement à Lyon …

CV : C’était mon premier déplacement, je ne savais pas tout ça. J’avais mon drapeau et c’était à Gerland à l’époque où il y avait des virages, et j’ai fait le tour du stade, ne sachant pas où était la tribune visiteurs, comme un con avec mon drapeau. Aujourd’hui c’est vrai que c’est un truc que tu ne pourrais pas faire. Finalement c’est là où je me dis que la rivalité s’est aggravée. Aujourd’hui tu ne ferais jamais le tour….

LP : J’ai une dernière question, quand tu as fini le livre, est-ce que tu t’es dit, mince j’ai oublié de parler de ça, ou je n’ai pas osé dire ça.

CV : En fait c’est organisé par thématiques, qui correspondent aux choses qui m’ont marqué dans ma passion. J’me dis juste que je n’ai pas assez parlé d’Antonetti, parce que j’adore le personnage, sa droiture. J’aurais pu lui consacrer des pages, car je n’ai pas digéré son départ. Il collait parfaitement à nos valeurs.

LP : J’ai commencé avec lui.

CV : J’ai aussi adoré Bafé. Mais quand il est parti à Lyon, j’ai eu du mal…

LP : Il est parti, il a sauvé le club aussi. Sa vente a fait du bien.

CV : J’ai souvent eu l’impression qu’à Lyon ils avaient toujours un œil aguerri sur les performances de nos joueurs. Toi, il ne t’ont jamais rien proposé (rires) ?

LP : Non, ben non ! Mais y en a eu pas mal, Piquionne, Dabo.

CV : Je pense qu’il y avait la volonté d’Aulas de nous piquer…

LP : Oui il en est capable, oui.

CV : Et puis il se disait, je vais affaiblir Sainté, ça va faire plaisir aux supporters. Et comme ça avait bien marché avec Coupet…

LP : Bafé ça a bien marché aussi. Mais Bafé si tu regardes bien sur les dernières saisons, c’est le seul attaquant qui mettait au moins 15 buts chaque année.

CV : J’aurais bien aimé qu’il revienne…

LP : C’est un buteur, compétiteur lui aussi. Il a une belle carrière. Il a su partir aussi. Parfois il faut savoir partir. A Galatasaray c’est un Dieu. C’est des fous, ils sont passionnés.

CV : Merci et bravo Loïc pour ton boulot de préparation !

LP : C’est aussi venu en discutant. Bravo à toi pour ce livre !