Entraîneur de Sunderland (leader de Championship avec 4 victoires en 4 matchs), Régis Le Bris nous donne son avis sur le prêt de Pierre Ekwah à l'ASSE (lanterne rouge de L1 avec 3 défaites en 3 rencontres).


Régis, comment expliques-tu le prêt de Pierre Ekwah à l’ASSE ?

Pierre prêté à Saint-Etienne, c’est un peu le sens de son histoire en fait. Il le dit lui-même. Ce n’est pas qu’il a fait le tour, mais il a besoin de nouveauté. Pierre a besoin de voir un peu autre chose. Moi je ne l’ai pas eu beaucoup car il s’est même blessé pendant une partie de la préparation. Je ne peux pas dire que je connaisse ce joueur sous tous les angles. Je l’ai fait jouer tout le match de League Cup contre Preston North End à la mi-août mais ne l’ai pas fait entrer en jeu lors des premières journées de championnat avant son départ pour Sainté. Mais je l’avais bien analysé sur la saison passée. Je pense que Pierre est un garçon qui a besoin d’un nouveau challenge. C’est un joueur doué, doté de beaucoup de qualités, mais qui a besoin de se nourrir d’un challenge excitant pour se mobiliser davantage, pour continuer d’aller vers l’avant.

Quand l’histoire collective ne correspond plus tout à fait à ton histoire individuelle, il faut faire en sorte que chacune des parties continue d’avancer. Ici, à Sunderland, au milieu de terrain, on a pas mal de joueurs disponibles. En soi, on n’avait pas un besoin urgent d’avoir Pierre avec nous. Lui sentait qu’il avait besoin d’un nouvel environnement pour continuer à se développer, nous aussi. Son prêt fait sens en fait. Quand les planètes ne sont plus alignées et que tout le monde s’en rend compte, ça ne sert à rien de se mentir. Cela ne remet pas en question la qualité du joueur ou la qualité de l’environnement à Sunderland. C’est simplement le sens de l’histoire.

Quelles sont les principales qualités de Pierre Ekwah et quel est son poste de prédilection ?

Avec le ballon, c’est un joueur qui est créatif. Il peut récupérer des ballons. Ce que je trouve remarquable, c’est sa capacité de recevoir en tant que numéro 6 – c’est un vrai 6 - et ensuite d’orienter le jeu, lui donner à la fois du rythme et aussi une forme de justesse dans ses choix. Ça peut être entre les lignes ou dans le dos de la défense. Ça peut être du renversement ou du jeu combiné. Pierre sait faire beaucoup de choses avec ses deux pieds. Le pied gauche particulièrement mais il sait utiliser le droit. Tu vas le constater par toi-même, dès qu’il va toucher le ballon, tu vas te dire « il a quelque chose. »

Il dégage une forme d’assurance et de qualité pour à partir de la réception du ballon créer du déséquilibre et imprimer un certain tempo au jeu. C’est très utile à ce poste-là. En ce qui concerne son positionnement Pierre est bien devant la défense. Il peut être aussi un tout petit peu plus haut. Mais il va apprécier tout particulièrement être dans la relation entre la défense et le milieu de terrain. C’est son poste préférentiel. Mais il est capable de marquer des buts en frappant de loin. C’est une autre de ses qualités, tous les joueurs évoluant à son poste n’ont pas sa frappe de balle.

Après la débâcle des Verts à Brest, Olivier Dall’Oglio a mis en exergue le manque d’intensité de ses joueurs. L’intensité, ce n’est pas la qualité première de Pierre, si ?

Non, c’est peut-être la raison pour laquelle il ne fait pas complètement la bascule. Pour le moment, Pierre n’a pas trouvé la véritable consistance. Et en même temps, on sent qu’elle est là, toute proche ! C’est pour ça que le changement d’environnement fait sens. Cela fait deux ans et demi qu’il est chez nous. S’il n’a pas fait totalement la bascule, c’est qu’il lui manque un petit truc. Quelquefois, c’est l’environnement qui le provoque. Je pense que Pierre est un joueur qui fonctionne beaucoup au challenge.

Il se dit à un moment : « Bon, ça, c’est fait. C’est coché, c’est atteint ». Il sent qu’il suffit qu’il en mette un tout petit peu plus et il a le niveau. On en a parlé pas mal ensemble car moi, ça m’intriguais. A l’analyse, je le trouvais hyper intéressant et en même temps je voyais qu’il en gardait toujours sous la semelle. Qu’est-ce que cela signifie ? Lui, son retour, c’était celui-ci : il se donnait l’impression d’avoir déjà validé ce niveau et qu’à partir du moment où c’est acquis… Ce n’est pas qu’il se repose sur ses acquis mais ce n’est plus tout à fait excitant. Or c’est ça que Pierre recherche. Sa personnalité est construite un peu comme ça.

T’as dans l’entrejeu des joueurs supérieurs dans l’intensité je présume ?

En fait je n’ai pas eu le temps de tester ce point-là avec Pierre. J’aurais bien aimé le faire jouer davantage pour voir comment il se serait se calibré par rapport aux autres, pour voir s’il allait se dire dire : « finalement, j’ai peut-être encore un truc à aller chercher à Sunderland. » Mais Pierre a pris un coup lors d’un match de préparation qu’on a joué en Espagne il y a un mois et demi. Il est mal retombé sur un adversaire, il a eu des douleurs au dos et ça l’a arrêté quasiment 15 jours. Pendant ces -jours-là, c’est la grosse période des matches de prépa pour nous.

Pierre était out, il est revenu sur la fin de la prépa mais entretemps l’équipe s’était lancée en fait. Je pense que cela n’a fait que renforcer pour lui l’idée que la suite n’était pas ici. Et pour nous, comme l’équipe marchait bien, ça faisait sens que Pierre cherche un nouveau projet. C’est comme cela que ça s’est produit, c’est un peu le fruit du hasard et en même temps le destin qui s’écrit. Alors que moi, venant de l’extérieur, j’aurais voulu le tester. Je n’ai pas pu le faire.

Je pense que Pierre a tout pour être un très bon joueur du top 5, des 5 grands championnats européens. Maintenant, il faut le faire et le répéter, arriver à avoir de la constance au haut niveau. C’est toujours l’enjeu de ce type de jeunes joueurs. Ils sont hyper talentueux. Pierre a un CV, il est passé déjà dans de grands clubs, tout le monde sent qu’il a ce talent-là. Maintenant, la question est : « est-ce que t’as la capacité de le répéter week-end après week-end et sur toute la durée d’un match ? » Parce que c’est ça que la compétition attend, finalement !

La Ligue 1 est un championnat qui peut convenir à Pierre et l’aider à franchir un palier ?

Oui, je pense que ça peut lui convenir. Maintenant, je suis très curieux de voir ce que Pierre va montrer chez les Verts. Je le lui ai dit, ça va me donner encore plus envie de regarder les matches de Saint-Etienne. Je suis très curieux de voir comment il va évoluer, je suis impatient comme toi de voir ses premiers pas en Ligue 1. Parce que les correspondances ne sont jamais faciles à établir. Même si j’officiais encore en L1 il y a quelques mois, il faut le voir en exercice pour savoir qu’est-ce qui va matcher ou pas.

Sachant que Pierre ne joue pas tout seul bien sûr. Il aura de nouveaux partenaires, un projet de jeu peut-être différent du nôtre à Sunderland. Je connais bien Olivier Dall’Oglio, on a joué ensemble au Stade Rennais. J’étais alors un jeune joueur et lui était l’un des cadres de l’équipe. J’apprécie Olivier, je suis content qu’il ait réussi à faire remonter les Verts dans l’élite. Olivier doit apprécier le profil de Pierre, il aime les bons joueurs de foot, les bons manieurs de ballons. On va voir comment tout ça va se mettre en place.

Je suppose qu’ODO t’as demandé des renseignements sur Pierre Ekwah ?

Tu supposes mal (rires) En fait ça ne s’est pas fait comme ça. Olivier aurait pu mais ça ne s’est pas fait comme ça. Les réseaux qui amènent à des recrutements sont parfois improbables (rires). Je ne connais pas les dessous de l’histoire. Mais je souhaite plein de bonnes choses à Pierre à Saint-Etienne. En plus d’être un bon joueur, c’est quelqu’un d’agréable, pas compliqué. Il a une bonne culture. Le sujet, pour lui, ce sera de performer au plus haut niveau. Il aura un beau public derrière lui, j’espère que ça le galvaniser !

Merci à Régis pour sa disponibilité