Ancien président de Lille où il a côtoyé Claude Puel, Frédéric Paquet et Xavier Thuilot, Luc Dayan est aussi à l'origine de la vente de l'ASSE à Bernard Caïazzo en 2003. Alors qu'une nouvelle cession s'approche, il s'est confié à Poteaux-Carrés.
Luc, avant de parler de la reprise de l'ASSE, expliquez-nous quel lien vous entretenez avec ce club ?
Je suis d'une génération qui s'est enthousiasmée pour les Verts. Je suis né en 1957 donc lors de l'épopée verte, j'avais une vingtaine d'années. C'est une aventure exceptionnelle, ces matchs contre Kiev avec Blokhine et Piazza, les frères Revelli ... D'ailleurs, quand je suis retourné à Saint-Etienne lors de mon travail en 2003-2004, j'avais été accueilli par Patrick Revelli qui me saluait comme si j'étais quelqu'un d'important, je lui disais "mais vous ne vous rendez pas compte !" Il y avait aussi Dominique Bathenay, je me souviens. Bref, je suis de cette génération.
1976, c'est une date marquante pour vous ?
Oui d'autant plus qu'on voyait peu de matchs à la TV. Il y avait deux joueurs que j'adorais voir jouer, c'était Christian Synaeghel et Christian Sarramagna. C'était des supers joueurs, mais à l'image de toute l'équipe d'ailleurs. Ensuite, je suis rentré dans le foot par hasard via Canal et le PSG, j'y ai rencontré des anciens verts comme Bathenay et Rocheteau. J'ai aussi croisé Christian Lopez quand j'étais à Cannes.
Ca n'a pas fait de vous un supporter des Verts pour autant ?
Disons que j'ai un parcours atypique, je suis passé dans beaucoup de clubs. J'aime le foot mais je n'ai pas d'attachement spécifique à un club. Je suis de la région parisienne donc on a tendance à s'attacher aux clubs de sa région. Le PSG c'est un peu spécial, on est parfois un peu déçu de ce que ça reflète. C'est devenu le club de l'argent alors que c'était un club populaire au départ. On aurait aimé avoir un deuxième club en Ile-de-France, un peu plus populaire, j'ai essayé et j'y ai perdu de l'argent d'ailleurs car ça n'a pas fonctionné. Après j'ai gardé des attachements avec certains clubs où j'ai travaillé. J'étais actionnaire à Lille mais mon passage à Lens me marque. C'est le club que je suis le plus en ce moment. Je m'y suis fait des amis, j'ai dormi à la Gaillette, j'ai sauvé le club pour le compte du Crédit Agricole. Les gens là-bas sont adorables et ça correspond bien à ce que je pense être un club de foot.
Sainté et Lens, deux clubs qui se ressemblent tout de même
Oui, mais après tout dépend ce qu'en font les dirigeants ! Quand je viens d'être appelé sur le dossier de Lens, il y a un match amical de pré-saison déjà calé contre Saint-Etienne. Lens est en grosse difficulté financière, je demande à l'ASSE de faire un geste de 30 000€ et ils ne l'ont pas fait. On va sûrement revenir sur ma mission à Saint-Etienne mais voilà ... mon plus grand regret c'est d'avoir fait rentrer Caïazzo sur ce dossier-là. C'est le décalage entre le discours extérieur et ce qui se passe en réalité. Quand on est généreux, on ne fait pas semblant.
On va rappeler le contexte de votre intervention chez nous, en 2003-2004 vous êtes mandaté par la direction pour trouver un repreneur ?
J'avais croisé Bruno Gaccio alors que je gérais déjà le dossier de Lille et que mon nom apparaissait dans une tribune sur le JDD pour le PSG. Et on se rencontre lors d'une soirée avec Bruno, il me dit "Luc, je suis très attaché à Sainté, c'est un club qui m'est cher et qui est en grosse difficulté financière", je lui réponds que je ne débarque pas comme ça sur le dossier d'un club, que je travaille sur base d'un mandat. Quelques mois après, il me fait rencontrer Alexandre Bompard qui me présente la situation du club. Ils venaient de faire rentrer M.Grange pour passer la DNCG car il y avait des difficultés financières, le club était en L2 et sous la menace d'une rétrogradation administrative. Alexandre me dit que son père a décidé de mettre ses parts en vente car ils ne peuvent plus. Je signe un mandat pour essayer de trouver des nouveaux actionnaires qui rachèteraient les parts d'Alain Bompard et ses amis et investiraient assez pour que l'ASSE ne soit pas menacée de relégation administrative.
Et comment arrive Bernard Caïazzo ?
Il faut savoir qu'en fait je travaillais à l'époque dans les locaux de Michel Seydoux. Il y avait déjà une liste de gens intéressés que m'avait transmis Alain Bompard pour que je puisse les contacter. Et je reçois un coup de fil de Bernard Caiazzo. Et il m'appelle pour me présenter ce qu'il fait dans le domaine de la téléphonie. On se rencontre et je pense qu'il vient pour l'ASSE vu qu'il était dans la liste. Il y a donc un petit quiproquo au départ et on en vient à parler de la vente du club. Il me dit "ah ça peut toujours m'intéresser." De mon côté, j'avais imaginé un schéma pour ne pas déstabiliser le club en cours de saison alors qu'il était bien classé pour remonter en L1. J'avais dit au clan Bompard que c'était bien si l'un d'entre eux restait, qu'on trouverait des financeurs nouveaux et qu'on verrait comment ça se passerait en fin de saison si le club montait ou non en L1. Une structure à deux holding.
Et puis il y avait une autre personne qui s'était montrée intéressée. C'est Jean-Claude Perrin avec qui j'avais déjà travaillé à Nice. Lui et Caïazzo se sont rencontrés et se sont associés à 50-50 dans une holding. De l'autre côté, Thomas Schmider était dans la seconde holding. Chacun a apporté 800 000€ de mémoire, il y a eu le rachat des parts, c'est passé en DNCG, Thomas Schmider est devenu président et la saison s'est terminée comme ça.
C'est à l'intersaison que ça commence à tanguer ?
Il y a eu rapidement des dissensions entre les trois. Caïazzo et Perrin ont d'abord racheté les parts de Schmider qui en a eu marre. Quelques semaines après, Perrin qui ne s'entendait pas avec Caiazzo a revendu ses parts sans faire de plus-value. Et Caïazzo s'est engagé à ne jamais faire de plus-value s'il revendait ces actions là. J'ai appelé Jean-Claude Perrin juste avant pour m'assurer de la véracité de ce souvenir et il me l'a confirmé. Il n'a pas fait de plus-value, c'est un vrai supporter de l'ASSE, il ne voulait pas en faire. Il a revendu et Caïazzo s'est engagé à ne pas en faire non plus. Voilà ma mission.
Vous n'êtes plus revenu à Saint-Etienne ?
Je suis revenu au stade quelques mois plus tard avec Rai, l'ancien capitaine du PSG, j'avais trouvé ça impressionnant de ferveur. Et j'ai des souvenirs avec Lille évidemment. En 2000, le début de l'aventure lilloise se passe à Saint-Etienne, je voulais voir le fameux stade, je faisais peu de déplacements. Et sur un dégagement contré de la tête par Mikkel Beck, on égalise miraculeusement.
Wimbée avait un match incroyable. Derrière on n'a plus perdu et fini 3eme du championnat avec la Ligue des champions ensuite.
Pas une équipe qui nous a franchement réussi sur cette décennie 2000
Oui et les supporters lensois avaient eu un peu la même réaction quand je suis arrivé chez eux (rires) Mais je leur ai dit que je n'étais pas supporter lillois, que j'étais là pour restructurer le club, voilà tout. Mais avec Lille, on a eu de très belles séquences avec Halilhodzic notamment.
Et Claude Puel ensuite
C'est moi qui l'ai fait venir. On a fait partir Halilhodzic qui avait pris le boulard et qui était vraiment ingérable malgré les bons résultats. Je pense que j'ai sauvé Lille à ce moment-là. Avec l'argent de la Ligue des champions, on a pu construire le centre de formation et basculer vers un projet différent axé sur la formation. Pierre Dréossi qui parait à Rennes m'avait pré-sélectionné 3 entraîneurs : Paul Le Guen, Philippe Bergeroo et Claude Puel. J'ai rencontré Claude, je l'ai trouvé droit et courageux. Je me suis engagé vis-à-vis de lui sur un contrat de 4 ans aux alentours de 30 000€ environ. Je savais qu'il allait passer des moments difficiles mais je lui ai dit que je ne le lâcherai pas. Et c'est ce qui s'est passé, on a eu des moments durs qui étaient la conséquence de la saison précédente incroyable. Tous les joueurs étaient partis et il fallait reconstruire. Autre coïncidence à l'époque, j'avais embauché deux personnes de la fédération de football américain : Frédéric Paquet et Xavier Thuilot, tous passés récemment par Saint-Etienne.
C'est l'homme qu'il faut Claude Puel pour Saint-Etienne ?
On ne s'est pas parlé depuis 10 ans mais je pense qu'il n'a pas changé. C'est un formateur, il est dur au mal donc il convient bien à Saint-Etienne. Après, il a dû découvrir la particularité de la gestion de ce club, comme Thuilot ou d'autres l'ont vu. La réalité économique, la façon dont les deux présidents ne font pas toujours ce qu'ils disent, sont en conflit ... ce doit être compliqué. Mais Claude aime le football, former des jeunes ... En général, ça va bien quand les jeunes arrivent à éclore, ils sont vendus cher donc on peut développer le club tout en ayant d'autres jeunes qui prennent leur place. A Lille, on ne pouvait pas faire autrement. Il prépare les jeunes à rentrer dans l'équipe avec un temps d'avance, sans l'affaiblir tout en vendant ceux qui ont émergé l'année précédente. Il faut une très forte formation et un technicien qui suive ces jeunes et dirige bien l'ensemble. A Lille, Claude a bien rempli cette mission. Il a participé à la construction du centre de formation avec Michel Seydoux, c'est un travail extraordinaire.
On a eu l'impression que Saint-Etienne cherchait à mettre ce modèle en place avec les venues de Frédéric Paquet et Xavier Thuilot, mais ils n'ont pas été conservés
Il faut un actionnaire aux reins solides déjà. A Lille, j'ai laissé la place à Michel Seydoux qui les avait. Car pendant que vous formez vos jeunes, il faut tout de même une équipe compétitive. Il faut aussi une cohérence de management avec un seul axe et que chacun soit à sa place. Si Xavier et Fred sont partis c'est parce que l'organisation du club ne leur permettait pas d'assumer leur rôle de direction générale comme ils ont pu le faire à Lille. Là-bas, ils géraient la politique du club, en référaient à Seydoux qui prenait la décision finale en fonction des recommandations. Mais ce n'était pas lui qui disait "on fait ci ou ça". J'avais fait pareil puisque je n'ai pas les compétences pour choisir les joueurs par exemple. C'était le conflit qu'on avait avec Halilhodzic qui me disait "je vais faire jouer untel arrière gauche, lui arrière droit" mais si j'ai un entraîneur professionnel c'est justement pour que ce soit lui qui prenne les décisions. Par contre, organiser un club, faire en sorte qu'il soit cohérent dans son fonctionnement pour que chacun puisse exprimer ses qualités, là c'est mon rôle. Quand vous n'avez pas des actionnaires milliardaires, il faut une politique de formation bien pensée, une équipe première qui tienne la route et que tout ça s'emboîte. C'est difficile, l'organisation doit être parfaite et tout le monde doit tirer dans le même sens.
L'ASSE a-t-elle pris du retard dans son fonctionnement avec ces deux actionnaires qui n'ont pas une surface financière énorme, gèrent beaucoup de choses et ne sont pas forcément d'accord sur tout ?
Il faut quand même voir que le club n'est pas redescendu depuis 2004, donc il ne faut pas leur jeter la pierre à 100%. On peut dire tout ce qu'on veut, le club n'a pas déposé le bilan, il y a eu des moments difficiles mais ils ont trouvé des solutions via l'endettement. Ils ont été soutenus. Caïazzo est devenu quelqu'un d'influent à la Ligue, le club a pu utiliser sa position, son lobbying pour rentrer dans les instances. On ne peut pas dire qu'ils ont été mauvais sur toute la ligne.
Roland Romeyer est passionné de son club, il a ses têtes, ses hauts, ses bas ... mais on saura si l'attelage a échoué quand on saura quelle est la situation réelle du club, ont-ils les reins assez solides pour continuer ? Vont-ils le transmettre dans des bonnes conditions ? Je ne sais pas mais leur personnalité et leur mode de fonctionnement a du créer des soucis car ils sont différents. Ils ont décidé d'un mode d'organisation mais ils ne sont pas tous les deux fortunés et ne peuvent pas se permettre de perdre 10-15 millions comme ça, on ne peut pas se leur jeter la pierre.
Est-ce que l'ASSE est un club attractif selon vous pour de potentiels investisseurs ?
Je ne sais pas, tout dépend ce qu'il y a dans les comptes. Je suis incapable de vous répondre puisque je n'ai accès à aucun document. Avant de vous parler, j'ai regardé les comptes de la DNCG de la saison 2018-2019. C'est un club qui a besoin de vendre des joueurs pour équilibrer ses comptes, qui a recours à l'endettement mais ce n'est pas trop grave. Les apports des actionnaires au compte courant sont faibles mais tant mieux s'ils ne mettent pas la main à la poche toutes les 5 minutes. Par contre, par expérience, quand on ouvre le dossier, quand on voit les contrats, la réalité ... les valeurs de club c'est difficile à appréhender. Quand on dit que le PSG vaut 2 milliards et demi, ça ne veut rien dire. Enlevez les financements du Qatar, vous n'êtes plus équilibré par rapport aux dépenses. En revanche, avoir les meilleurs joueurs génère des recettes. Mais c'est une économie compliquée. La valeur des joueurs est dure à fixer. Les ventes cet été vont être plus difficiles à faire à cause de la pandémie. En France, on ne connaît pas les montants des droits TV de l'an prochain. C'est difficile pour des acheteurs de se faire une opinion pour acheter les Verts. Alors, on sait que c'est un club attractif à la TV, il a des avantages que d'autres clubs comme Dijon ou Angers n'ont pas. Ce sont des clubs qui n'ont pas l'histoire de Saint-Etienne. Lens et Sainté sont des marques, il y a une histoire, ça touche un bassin de population large.
On lit des montants qui varient de 1 à 10 entre 20 millions et 200. Il y a bien un juste milieu ?
Déjà, il y a le prix des parts, la cession des actions. Ensuite, il y a des mécanismes de complément de prix et de garantie de passif. Pour évaluer la valeur d'un club, c'est dur, vous avez une liste de contrats de joueurs. L'actif joueur au bilan, c'est l'argent dépensé pour un joueur mais quand vous achetez un mec 10 millions et qu'il se casse une jambe, vous ne récupérerez pas ces 10 millions. A côté, vous avez des jeunes du centre, qu'on ne voit pas dans les comptes, qui n'ont coûté que leur formation et qui peuvent être bons. A Nantes, j'avais Dimitri Payet sous contrat, qui n'était pas visible dans nos comptes et on l'a vendu à Saint-Etienne pour 4 millions. A côté, j'avais Wilhelmsson qui avait coûté 11 millions dans les comptes mais qui était à 220 000€ de salaire par mois et le club était en L2, il fallait payer pour s'en débarrasser.
Regardez Bordeaux, quand on rachète un club via un cabinet d'audit, ils n'ont pas l'expertise de bien analyser la valeur du club par les actifs joueurs. Il y a ensuite les circonstances, quand est-ce que vous achetez ? Le championnat a-t-il un diffuseur solide, avec un contrat long ? Avec Mediapro, les fonds d'investissement sont entrés en se disant que le contrat augmentait la valeur des droits TV, donc les recettes, donc les clubs valent plus ! Or le contrat ne va pas au bout, donc c'est l'inverse !
Quand vous n'avez pas fait de vente de joueur, il faut de la trésorerie pour payer les salaires. Si vous dites, on vend pour 24 millions de joueurs, eh bien tant que vous ne le faites pas, il faut provisionner 2 millions par mois. Voilà pourquoi il faut des actionnaires solides. Sinon, ça passe par des prêts, ou bien on ne paye les fournisseurs ... et des clubs finissent par sauter, c'est le cas de Bastia par exemple
On a l'impression que deux projets s'opposent : avec des investisseurs locaux ou avec des fonds d'investissement, vous privilégiez quelle option ?
Le football c'est rarement un endroit où en tant qu'actionnaires on fait des plus-values. J'en ai fait à Lille, et encore sur un faible montant et parce qu'on a eu une séquence sportive incroyable. Si on faisait une mauvaise saison, je ne pouvais plus payer. On peut aussi imaginer de l'actionnariat populaire. Sur des clubs comme Saint-Etienne et Lens, il faut des reins solides si vous êtes sur le modèle de vendre des joueurs chaque année pour faire face au coût des salaires de votre effectif ... Les salaires ont augmenté avec un football dérégulé. On a des clubs déficitaires sans vente de joueurs. Donc il faut un actionnaire solide qui met ce qu'il faut chaque mois en attendant la fin de saison. C'est difficile de trouver des mecs dans chaque ville qui ont 30-40 millions à utiliser chaque année pour faire tourner un club. A Lille, Michel Seydoux a pu le faire parce qu'il est riche mais les montants sont importants. Parfois, on peut avoir des consortiums mais il faut un décideur unique et c'est difficile de s'entendre. Les résultats sportifs perturbent les relations entre les actionnaires, donc ce n'est pas simple. Bon, chacun sait que je n'ai pas beaucoup d'affect pour Bernard Caïazzo et Roland Romeyer, de par leur comportement humain d'une part mais indépendemment de ça, ils se sont pas mal débrouillés.
La dernière information sur le rachat concerne aussi un ancien joueur que vous avez connu au LOSC, c'est Mathieu Bodmer qui serait au centre du projet d'un fonds d'investissement selon la Pravda (le joueur a démenti depuis).
Ah Mathieu ! Ceux qui s'agitent sur les dossiers de reprise sont souvent des anciens joueurs avec des fonds étrangers qui sont souvent pilotés par des agents ou anciens agents. Car ce sont eux qui ont absolument besoin que le système actuel continue ! Ils ont de l'argent ou connaissent des gens qui en ont et leur font confiance. C'est un schéma de solution possible. Après, quand ils vont ouvrir le dossier, il faudra se mettre d'accord sur la valeur de transaction. En L2, des clubs ont été repris par des fonds comme Troyes ou Toulouse, c'est intéressant pour ces fonds de reprendre des clubs de cette taille et de les faire monter que de prendre un club comme Saint-Etienne qui va coûter de l'argent. Sachant que les places pour la Ligue des champions sont prises, c'est difficile d'augmenter les revenus de Saint-Etienne. C'est un risque pour un investisseur. Pour Saint-Etienne, le modèle lillois qu'on avait à l'époque est le bon. Ils ont voulu le copier avec un formateur comme Puel et une combinaison avec des anciens joueurs avec des gros salaires.
Pour un investisseur étranger, l'attractivité de la ville de Saint-Etienne a-t-elle un impact sur une potentielle transaction ?
C'est vrai. Nice, Bordeaux, pour des acteurs étrangers, ça parle. Le vin, la Côte d'Azur ... ça a un côté attractif. Mais Saint-Etienne c'est un club unique, il y a une ferveur populaire, une histoire. C'est presque un club anglais où on pourrait avoir un actionnariat populaire à 100% car ce sont les supporters qui donnent son âme à ce club. Il y a des associations dans toute la France.
Un système de socios en quelque sorte. C'est vraiment réalisable ?
Oui je le pense. Même si le foot a dérapé, vous avez besoin de fonds propres. Il faut être compétent à la gestion mais aussi une assise financière importante. Est-ce que 30 000 personnes peuvent mettre 1000€ chacune ? Ca ferait 30 millions d'euros ! Alors, 1000€ c'est beaucoup certes, mais ça fait des fonds propres solides. Vous avez des clubs en Espagne avec des centaines de milliers de supporters qui payent une cotisation chaque année. En France, on pourrait imaginer ça à Marseille, Saint-Etienne et Lens. Mais dans notre pays, on a un problème sur le modèle économique avec des salaires trop élevés.
La crise du covid peut changer cela ?
On va voir ! Si de bonnes mesures sont prises, on verra ! Je ne sais pas ce qui se décide entre la Ligue, les diffuseurs ... Mais il faudrait repartir avec des masses salariales plus basses. Quitte à être moins performant pendant un temps. Il faudrait reconstruire le football national sur des bases saines, avec des joueurs de l'équipe première issus de la formation. On verrait ce que ça donne en terme de qualité sportive. Mais on sera moins en danger financièrement. Aujourd'hui, il faut prendre des risques avec des résultats aléatoires. Vous savez, les 20 clubs ont le même objectif au départ, finir le plus haut possible, un accident est possible.
D'autant plus que la Ligue envisage un passage à 18 clubs.
Pour moi c'est l'inverse qu'il faudrait faire ! Plus on resserre l'élite, moins on touche de terres de foot. On concentre l'argent, je comprends l'idée mais j'aimerais proposer un autre système.
Lequel ?
Un système à 48 clubs en 4 poules régionales de 12, vous faites une première phase puis une seconde phase à 16 avec les quatre premiers de chaque poule. On mutualise les centres de formation, on crée des centres régionaux et on fait un système de draft pour rééquilibrer les forces. Ca baisse les charges sur les clubs. Regardez dans le Nord, vous avez Lille, Lens, Valenciennes qui ont chacun leur centre de formation qui coûte une tonne et peu de joueurs qui sortent. Mais ce système est inaudible, on a l'impression que je veux un système NBA mais ce n'est pas vrai, ça permet un championnat attractif qui touche tout le territoire, ça favorise en plus les derbys dans chaque poule ... mais on est loin d'y arriver ! On va même vers l'inverse avec une ligue fermée européenne, une concentration des richesses avec des ligues à 16 ou 18 clubs, je ne pense pas que les supporters veulent ça ! Mais ils n'ont pas les moyens de gérer les clubs !
A Saint-Etienne, on compte un supporter fortuné en la personne d'Alexandre Bompard qu'on a évoqué toute à l'heure lors de la cession en 2003, est-ce que vous l'imaginez revenir dans ce rôle d'investisseur ?
Je ne pense pas qu'il mette un centime dans le football ! Mais j'ai perdu le contact avec lui depuis longtemps. Il aime Saint-Etienne comme son père mais Alexandre a bien analysé le modèle du foot actuel et il s'était dit que tant qu'on aurait pas bloqué les salaires et les transferts, c'est un écosystème à risque.
Son père nous a confié qu'il y pensait !
Il peut y penser, il a fait fortune aujourd'hui. Il peut aussi avoir envie de se faire plaisir un peu comme Pinault à Rennes. S'il perd de l'argent, il s'en fiche parce qu'il est milliardaire, il essaie d'être performant, de limiter la casse. Alexandre a gagné beaucoup de sous depuis plusieurs années, donc peut-être qu'il peut prendre le risque de récupérer Saint-Etienne. Il faudrait lui poser la question !
Merci à Luc Dayan pour sa disponibilité !