Ancien milieu de terrain de Brest et des Verts, Yvon Pouliquen s'est confié à Poteaux Carrés avant le match qui opposera les deux clubs ce samedi dès 13H00


Yvon, Pour qui battra ton cœur ce samedi sur le coup de 13h00 ?

(Rires) J’ai été formé à Brest, j’y ai débuté ma carrière de joueur pro. Mais j'ai aussi joué chez les Verts, du coup je n’ai pas de préférence. Que le meilleur gagne samedi !

Tu es partagé alors que tu as défendu bien plus longtemps les couleurs du Stade Brestois que celles de l’ASSE !

Oui, je suis resté une dizaine d’années au Stade Brestois. J’ai rejoint le club à l’âge de 15 ans et quand je l’ai quitté j’en avais 24. Je garde d’excellents souvenirs de cette période brestoise. C’est un club qui à l’époque n’avait pas de centre de formation comme aujourd’hui. On s’entraînait sur un stabilisé le soir dans des conditions qui n’étaient pas celles qu’ont les jeunes présentement mais dans une ambiance qui était exceptionnelle. Impossible d’oublier le Stade Brestois. C’est le club qui m’a lancé en pro, j’y ai joué cinq saisons en première division, ce n’est pas rien !

Quels joueurs brestois t’ont le plus marqué ?

J’ai côtoyé des joueurs fantastiques comme Drago Vabec, un Yougoslave qui était assurément à l’époque l’un des meilleurs joueurs du championnat. C’était un ailier gauche incroyable. J’ai aussi joué avec José Luis Brown, qui était champion du monde avec l’Argentine de Diego Maradona.
J’ai également évolué avec Julio Cesar, qui a aussi joué la Coupe du Monde au Mexique avec le Brésil et a ensuite fait carrière dans des clubs comme la Juve et Dortmund. Je n’oublie pas non plus les jeunes Vincent Guérin et Paul Le Guen, qui ont fait plus tard le bonheur du PSG et ont joué en équipe de France. Pas mal de joueurs passés par Brest ont fait de très belles carrières.

Des matches de cette époque te reviennent spontanément à l’esprit ?

Je me souviens très bien d’un derby remporté 4-0 à Rennes en 1985. On l’avait emporté largement grâce à des buts de Gérard Bernardet, Pascal Mariini et à un doublé de Gérard Buscher, un excellent buteur qui a d’ailleurs joué quelques matches en équipe de France. Les supporters rennais étaient vexés, forcément !



Je me rappelle que la saison précédente on avait battu 4-2 à Brest le FC Nantes de Coco Suaudeau. À l’époque les Canaris avaient une très grosse équipe et jouaient les tout premiers rôles en championnat, c’était donc une victoire de prestige. Je pense que ces deux matches sont restés dans les mémoires des supporters brestois.



Tu as joué dans le Finistère aux cotés de trois joueurs qui ont porté comme toi le maillot vert. Le premier a été stéphanois avant d’être brestois, pour les deux autres c’est l’inverse. Tu vois de qui je parle ?

Mmm, laisse-moi réfléchir… Oui, je vois ! Le premier, c’est Patrick Parizon. PaPa. Il portait bien son surnom. Un trentenaire qui avait déjà une belle carrière derrière lui et qui était un peu le papa des jeunes. Je me souviens qu’il m'avait pris sous son aile quand je suis arrivé dans le groupe pro. Il m’a très bien intégré. J’ai ensuite joué avec Bernard Pardo. Lui, c’était le sudiste par excellence, avec parfois des excès et des frasques. Mais quelle énergie il mettait sur le terrain ! Il transcendait le groupe car c’était un leader. Il a véritablement explosé à Brest pour ensuite aller beaucoup plus haut. Lui aussi d’ailleurs a connu plus tard l’équipe de France. Le troisième c’est Maurice Bouquet. Il venait de Vannes, il a su s’imposer au fil du temps. On a sympathisé et on est toujours en contact. Il est directeur sportif de Chartres actuellement.

Te remémores-tu les matches que t’as joué avec Brest contre Sainté ?

Je me souviens de deux matches en particulier. Le premier, c’était le deuxième match de ma carrière. La semaine précédente, j’avais fait ma première apparition à domicile contre Tours. J’étais entré en jeu après la mi-temps avec PaPa justement et j’avais marqué un but, ce qui ne m’est quasiment plus jamais arrivé par la suite dans ma carrière hélas ! (rire) J’ai enchaîné par un déplacement à Sainté. Faire son premier déplacement dans un stade comme Geoffroy-Guichard, c’est la classe, non ?

J’étais entré en jeu dans le Chaudron et on avait fait un bon 0-0. Platini n’était plus là mais il y avait encore une sacrée équipe : Castaneda, Janvion, Larios, Johnny Rep, Rousssey, etc. Au match retour, on avait gagné 4-2 alors que les Verts menaient à la pause. Je me souviens de la grosse ambiance à Francis Le Blé. Jouer contre les Verts, c’était un évènement. C’était l’équipe française par excellence, celle que tout le monde supportait en France en dehors des Marseillais peut-être ! (rires) Accueillir l’ASSE, c’était l’assurance d’avoir un stade plein et c’était aussi à l’époque l’assurance de souffrir sur le terrain !



Tu n’as pas claqué le moindre pion en 82 matches sous le maillot vert mais tu as eu le culot de marquer l’un des rarissimes buts de ta carrière contre Sainté entre ta période brestoise et ton arrivée dans le Forez !

Désolé ! (rires) Je m’en souviens bien, j’avais glissé le ballon entre les jambes de Jean Castaneda. J’avais quitté Brest pour Laval et c’était le premier match de la saison 1987-1988. On avait gagné 4-0, c’est certainement la seule fois que le Stade Lavallois a été premier en L1 ! Un moment historique ! (Rires) C’est un vrai bon souvenir. Quand t’arrives dans un nouveau club, tu ne peux pas rêver mieux que de contribuer à une large victoire de ton équipe. Pour l’anecdote, Loïc Lambert a lui aussi marqué un but ce jour-là et on s’est retrouvé plus tard ensemble sous le maillot vert lors de ma seconde saison stéphanoise.



Venons-en justement à tes vertes années. Tu as rejoint l’ASSE en 1989. Ça représentait quoi pour toi de signer à Sainté ?

C’était extraordinaire. Comme tous les gens de ma génération – je suis né en 1962- mon adolescence a été bercée par les grandes victoires stéphanoises. J’ai des souvenirs très forts de tous les matches mythiques de l’épopée des Verts. Le quart de finale retour contre Kiev en 1976 m’a particulièrement marqué. C’est un match de légende !



Quelques années plus tard, je me souviens que j’ai séché des cours pour voir des matches des Verts. J’ai zappé en particulier un cours pour voir un matin la rediffusion de l’écrasante victoire des Verts à Hambourg. On avait gagné 5-0, Michel Platini avait été époustouflant !



Avant de signer à Sainté, j’avais eu des propositions d’autres clubs mais je n’ai pas hésité longtemps avant de m’engager avec l’ASSE. Quand t’as l’opportunité de signer dans un club aussi prestigieux, le club des Ivan Curkovic, des Dominique Rocheteau et de toutes les autres icones, tu ne te poses pas trop de questions ! J’ai fait personnellement connaissance là-bas avec des joueurs dont j’étais fan quand j’étais jeune. Osvaldo Piazza, Georges Bereta, Christian Synaeghel par exemple.

Quel bilan fais-tu de tes deux années en vert ?

J’ai vécu deux saisons pas faciles car le club était un peu en reconstruction. On ne va pas se mentir, le club a eu des résultats vraiment très moyens en championnat. La première saison on a fini à la 15e place et la seconde à la 13e. Ma principale déception reste toutefois la demi-finale de Coupe de France perdue à domicile à Geoffroy-Guichard contre le Montpellier d’Éric Cantona. J’aurais tellement aimé jouer une finale de Coupe de France en portant le maillot stéphanois !



Sportivement, je dirais que mes deux saisons vertes ont été très mitigées sur le plan collectif. Sur le plan personnel, ça s’est bien passé. J’ai joué quasiment tous les matches, il me semble que je n’en ai raté qu’un. Le seul regret que j’ai, c’est qu’on m’avait proposé un contrat de dix ans, six ans en tant que joueur et quatre ans à un poste à définir. Malheureusement ce contrat n’est jamais parvenu jusqu’à moi donc je suis parti. Peut-être que des gens ont jugé qu’il y avait possibilité de trouver aussi bien pour deux fois moins cher (rires) Après, je me dis que ça ne sert à rien d'avoir des regrets, le club n'a pas eu de bien meilleurs résultats après mon départ et a fini par descendre en L2 quelques saisons plus tard.

Quels sont tes coéquipiers stéphanois qui t’auront le plus marqué, soit par leur talent, soit par leurs qualités humaines ?

Il y en a beaucoup. J’appréciais en particulier un joueur, un Breton comme moi, qui a hélas été stoppé net dans sa carrière : Philippe Tibeuf. C’était un attaquant pétri de qualités, il a d’ailleurs joué en équipe de France. Je pense qu’il aurait poursuivi son ascension s’il ne s’était pas gravement blessé lors d’un match contre Nantes. Il a dû mettre un terme à sa carrière de joueur alors qu’il n’avait que 28 ans, c’est bien dommage.



J’entretenais d’excellentes relations avec la majorité des joueurs de l’effectif, particulièrement les étrangers comme Rob Witschge, John Sivebaek et Alain Geiger, recordman des sélections en Suisse. J’avais aussi des affinités avec les joueurs formés au club comme les frères Eric et Guy Clavelloux.

Humainement, je garde vraiment de supers souvenirs de mon expérience stéphanoise. J’ai beaucoup aimé la région et la mentalité des gens est exceptionnelle. L’accueil que j’ai eu de la part des Stéphanois, franchement, je n’ai jamais retrouvé ça ailleurs ! Et la région stéphanoise est belle quand on prend le temps de la regarder. J’habitais dans un coin magnifique, à Saint-Victor sur Loire. J’ai récupéré la maison de Philippe Tibeuf qui s’est alors installé du côté de l’Etrat. J’ai découvert les environs. Je me suis beaucoup plu. Saint-Etienne et ses environs gagnent vraiment à être connus ! Ce que je retiens aussi de mon passage à Sainté, c’est le Chaudron, forcément ! Il y a trois ambiances en France : Marseille, Saint-Etienne et Lens. Geoffroy un soir de derby, ça te hérisse les poils quand tu rentres sur le terrain !

Le premier derby que t’as joué dans le Chaudron t’a souri, pas le second !

C’est vrai. Le premier derby, on a gagné 1-0 grâce à une belle frappe de Thierry Gros.



Le second, on doit le gagner cent fois mais l’OL a fait un hold-up. Dominique Corroyer avait tiré sur le poteau, avait marqué un but refusé pour hors jeu. Je me souviens aussi qu'il avait mis une tête juste au-dessus sur une ouverture que je lui avait faite. De leur côté les Lyonnais n’ont pas eu une seule occase mais on a pris un but qui nous a été fatal. On a vraiment été malchanceux, c’est Sylvain Kastendeuch qui a marqué contre son camp sur un centre. C’est d’autant plus malheureux qu’il avait fait un bon match.



Clin d’œil du destin, c’est contre Brest que tu as remporté ton premier match sous le maillot vert.

Exact, je m’en souviens bien. On avait gagné 2-0 à Geoffroy-Guichard grâce un doublé d’Etienne Mendy. Je l’appréciais énormément, il avait des qualités de vitesse incroyables.



Son petit frère Bernard dans un style différent avait des qualités exceptionnelles. Je me souviens qu’il avait marqué un joli but en fin de match lors d’une victoire à Nice. Hélas il ne s’est jamais remis de la grave blessure qu’il a eu la saison d’après lors d’un match avec la réserve. Il avait une vingtaine d’années, je le trouvais très doué. Je pense qu’il aurait pu faire une énorme carrière.



Ta seconde saison stéphanoise, tu as cartonné Brest 6-1 dans le Chaudron. C’est toi qui as délivré la passe décisive sur l’ouverture du score de Lubomir Moravcik.



Ah, Lubo ! Je me rends compte que j'ai oublié de le citer tout à l’heure. Comment j'ai pu l'oublier ? Je pense que c’est le joueur le plus fort que j’ai côtoyé à Sainté. Il était très talentueux. C’était un instinctif, un peu comme Pascal Feindouno que j’ai eu quand j’entraînais Lorient et que vous avez eu quelques années plus tard. On ne savait jamais ce qu’il allait faire parce que lui-même ne le savait pas. Il jouait instinctivement, avec des qualités d’élimination et dernière passe bien au-dessus de la moyenne. Lubo était capable à lui tout seul de changer le cours d’un match.

C’est qui le plus fort, Lubo ou Féfé ?

La plus fort à mes yeux c’est Pascal. Il n’a peut-être pas fait la carrière qu’il aurait dû faire au regard de ses qualités. C’était un bon vivant mais il était quand même impressionnant, il avait un truc en plus. Il était capable d’éliminer n’importe qui dans un mouchoir de poche, il était capable de faire des différences énormes. Il lui manquait peut-être un brin d’agressivité devant le but pour être encore plus décisif mais c’était un joueur exceptionnel. En plus on pouvait le faire jouer à plusieurs postes, que ce soit devant, derrière l’attaquant ou sur un côté. Il s’adaptait mais il était parfois irrégulier. Il était plus à l’aise à domicile qu’à l’extérieur.

C’est avec lui que t’as gagné la Coupe de France en 2002 avec Lorient, sachant que t’avais déjà remporté ce trophée l’année précédente quand tu entraînais Strasbourg. C’est rarissime de gagner deux fois d’affilée la Coupe avec deux clubs différents !

C’est vrai que ce n’est pas banal. Il me semble qu’Alain Perrin est le seul autre entraîneur qui a réussi ça, avec Sochaux et Lyon. Je suis content d’avoir remporté ces titres avec des équipes qui étaient en difficulté en championnat et qui n’étaient pas favoris même si on sait que la Coupe de France laisse place à un certain nombre de surprises, on le voit encore cette année avec le beau parcours de Canet-en-Roussillon et la présence de Rumilly-Vallières dans le dernier carré.

Cela faisait 35 ans que Strasbourg n’avait pas gagné la Coupe de France quand on l’a remportée en 2001 en battant Amiens aux tirs au but en finale. On avait battu 3-0 le Lyon des Coupet, Anderson et autres Govou en quart de finale et en demi on avait sorti 4-1 la grosse équipe de Nantes, qui a été sacrée en championnat cette saison-là. Quant à Lorient, son palmarès était vierge avant cette Coupe de France en 2002 qui reste le seul trophée du club à ce jour.

À Saint-Étienne, tu as évolué sous les ordres de Robert Herbin, qui nous a quittés il y a un. Quels souvenirs gardes-tu de lui ? A-t-il influencé ta carrière d’entraîneur ?

Tous les entraîneurs que j’ai eus dans ma carrière m’ont apporté quelque chose. J’ai commencé à Brest avec un entraîneur yougoslave, Dusan Nenkovic. Il ne parlait pas un mot de français mais j’ai beaucoup appris avec lui. Au Stade Lavallois, j’ai eu Michel Le Millinaire, c’était une référence à l’époque, un entraîneur très reconnu. Comme tu viens de le rappeler, j’ai aussi eu la chance d’évoluer sous les ordres de Robert Herbin, celui qui avait emmené Saint-Etienne au plus haut niveau. Je me suis inspiré de ces entraîneurs tout en me forgeant ma propre expérience et mes propres convictions.

Quand je me remémore le Sphinx, plusieurs anecdotes me reviennent à l’esprit. Lorsque les joueurs avaient quelque chose à demander à Robert Herbin, c’est moi qu’ils envoyaient. Notre première entrevue m’a marqué. C’est Bernard Bosquier qui m’avait fait signer à Sainté. Quand je suis arrivé au club, je me suis monté dans le bureau de Robert Herbin pour me présenter. Il me dit de m’asseoir et me dit : « à quel poste tu joues ? » J’ai pris peur quand il m’a posé cette question (rires) Je me suis dit : « ouïe aïe aïe, il ne me connaît pas, ça commence bien ! » Je lui réponds : « ça fait deux ans que je joue numéro 6 ». Il me dit « six, c’est un numéro, ce n’est pas un poste ! » (rires)

Je ne te cache pas que mes premières semaines avec Robert Herbin ont été assez froides. Un jour je suis monté dans son bureau pour lui dire que je n’étais pas tout à fait d’accord avec ses analyses. On a échangé et à partir de ce jour-là j’ai entretenu vraiment d’excellents rapports avec lui. Au point que lorsque je suis revenu en tant qu’entraîneur de Strasbourg la saison 2000-2001 jouer à Saint-Etienne un match assez spectaculaire qui s’est achevé sur un 3-3, les gens ont été surpris de voir Robert Herbin arriver une heure avant le match. Il était venu me voir. Tout le monde m’a dit après qu’il arrivait habituellement cinq minutes avant le coup d’envoi.



Je pense qu’il appréciait le fait que je n’avais pas peur de venir vers lui pour lui faire part d’un désaccord. Je lui disais les choses franchement, en étant constructif et en argumentant, pas pour aller au conflit. Je suppose que cette approche lui a plu. De temps à autre il me disait à la fin de l’entraînement de venir prendre le petit déjeuner ensemble le lendemain. On se donnait rendez-vous à 8h30 pour le prendre au stade, on discutait ensemble, ensuite il descendait dans le vestiaire à l’heure de l’entraînement. Et là il me serrait la main comme s’il ne m’avait pas vu quelques minutes avant. Il redevenait le Sphinx ! (rires)

J’aimais discuter football avec Robert Herbin, que ce soit sur la préparation, la tactique, la gestion des matches. Il faut dire que me suis projeté assez jeune sur le métier d’entraîneur, j’ai passé mes premiers diplômes à 23 ans. Je notais tous les entraînements que je pouvais faire et qui m’intéressaient surtout quand je rentrais à la maison. Il a quelque chose qui m’a marqué et que j’ai retranscrit dans ma carrière d’entraîneur après : à la mi-temps, on ne voyait pas Robert Herbin. Ce n’est pas mon cas, je restais dans le vestiaire. Il arrivait au moment de la sonnette, quand il fallait retourner sur le terrain, et il donnait juste une ou deux consignes, trois grand maximum. Je trouvais ça génial car j’ai connu des entraîneurs qui nous noyaient de consignes à la mi-temps, ce que je trouvais contre-productif car à un moment donné tu ne sais plus où donner de la tête.

Malgré tous les bons conseils du Sphinx, tu as connu plusieurs relégations en L2 dans ta carrière d'entraîneur, que ce soit avec Strasbourg, Lorient ou encore Metz.

C’est vrai mais tu auras noté que je ne suis jamais descendu en prenant l’équipe en début de saison. Il m’est arrivé de débarquer dans des situations plus que difficiles. Quand je prends Metz en Ligue 1, ils sont derniers à la trêve avec 7 points au compteur. On peut presque dire qu’ils sont déjà en Ligue 2. Le regret, si je devais changer quelque chose dans mes choix de carrière, c’est de prendre des clubs en cours de saison. Ensuite tu peux être considéré comme le pompier de service.

Quand un club ne va pas bien et fait appel à un nouveau coach en cours de saison, c’est rare que l’arrivant parvienne à renverser la vapeur. Il y a beaucoup d’entraîneurs qui tombent avec ces équipes-là. Souvent parce qu’il y a quelque chose qui ne va pas et que l’effectif n’a pas été taillé pour se maintenir. Quand tu débarques dans un club que tu n’as pas choisi, tu dois composer avec un effectif que tu n’as pas choisi, que tu découvres parfois. Il faut du temps pour mettre des choses en place et souvent c’est déjà trop tard.

Tu as connu ta dernière expérience d’entraîneur il y a dix ans, à Grenoble. Qu’est-ce qui t’a fait bifurquer vers le métier d’agent ?

Ce métier m’avait déjà effleuré l’esprit à la fin de ma carrière mais j’avais déjà mes diplômes d’entraîneur. Je me souviens qu’à l’époque des agents m’avaient contacté et souhaitaient que je vienne travailler avec eux. Moi j’envisageais. Ensuite, c’est presque le hasard. Quand Grenoble a coulé financièrement, je me suis dit que je ne reprendrai pas un club en cours de saison. J’ai décidé de prendre une année sabbatique, d’aller voir travailler les coaches et en même temps j’ai décidé de passer ma licence d’agent en même temps que mon fils. À ce moment-là c’était plus pour passer le temps qu’autre chose. Mais j’ai décroché cette licence et très vite des joueurs m’ont contacté. Des parents de jeunes joueurs aussi. Ça s’est fait naturellement.

Même si j’ai eu après des propositions, je me suis dit que c’était bien de voir jusqu’où ce métier d’agent pouvait me mener. Cela fait maintenant huit ans que j’exerce. Je suis plutôt satisfait de cette reconversion. Maintenant, le métier d’agent est un milieu de requins, c’est assez compliqué. Mais maintenant j’avoue que j’y prends du plaisir. J’ai commencé par prendre beaucoup de jeunes joueurs, je travaille avec eux pour les faire mûrir. Je prends du plaisir à les voir avancer, performer. Je suis un agent un peu particulier, je dois être le seul à avoir été joueur, directeur de centre de formation et entraîneur pro. J’avais en effet dirigé le centre de formation de Strasbourg avant de reprendre l’équipe première.

Le fait d’avoir eu ces différentes expériences dans le foot avant de devenir agent est un atout car je sais quels sont les efforts à fournir pour réussir dans ce métier. On ne devient pas joueur professionnel uniquement parce qu’on a du talent. Il faut un certain talent à la base mais aussi et surtout beaucoup de travail et beaucoup d’intelligence pour corriger un certain nombre de choses. C’est ça qui est plaisant. Mon rôle de formateur pendant deux ans et demi est peut-être celui qui m’a procuré peut-être pas le plus d’émotions mais le plus de satisfaction. Voir des jeunes issus du centre de formation monter en pro et s’y imposer, j’ai adoré !

Tu as délibérément choisi de travailler avec des jeunes joueurs en tant qu’agent ou t’as été un peu obligé de le faire car tu devais te faire un nom dans ce nouveau métier ?

Il y a un peu des deux. Je me suis rapidement rendu compte que malgré mon passé d’ancien joueur et entraîneur pro, les clubs ne me faisaient pas forcément confiance lorsque je leur présentais un joueur. Du coup j’ai changé de façon d’être, j’ai fini par devenir un peu méchant ! (rires) T’as beau être connu en tant que joueur ou qu’entraîneur, quand t’es nouveau dans le métier d’agent les clubs ne te font pas confiance. Mais quand par la suite ils se rendent compte que des jeunes joueurs comment à flamber et à performer, ils revoient un peu leur position. Ils se disent « peut-être que finalement les joueurs qu’il me propose sont bons ! » (rires)

Deux de tes poulains ont particulièrement flambé et performé : Illan Meslier, titulaire à Leeds (10e de Premier League) et Adrien Truffert, titulaire à Rennes (7e de Ligue 1). Tu t’appuies sur leur réussite ?

Disons qu’elle participe à ma crédibilité. Je m’occupe d’eux depuis quatre ou cinq ans, et aujourd’hui ils sont au plus au haut niveau. Illan est le plus jeune gardien des cinq grands championnats européens et Adrien s’est imposé au Stade Rennais, qui était en Ligue des Champions cette saison et est encore en course pour essayer de décrocher une place en Europa League la saison prochaine.

Tes fonctions d’agent sont accaparantes toute l’année ?

Je n’ai pas vraiment pris de vacances depuis un certain nombre d’années mais je vis en Bretagne, en bord de mer, dans une région où je suis en vacances presque toute l’année ! (rires) C’est un métier qui te prend quasiment 7 jours sur 7 et 12 mois sur 12. Mes joueurs, je les suis tous les week-ends, je suis sur les terrains, je vois quatre, cinq ou six matches chaque week-end. Bon, ce n’est pas trop le cas depuis un an forcément vu le contexte sanitaire. Je suis aussi bien les pros que les plus jeunes.
La semaine, les matches que je n’ai pas pu voir notamment ceux des joueurs pros, je vais les regarder pour faire un debriefing après avec mes joueurs. Et puis c’est du téléphone en permanence avec mes joueurs pour savoir comment y vont.

Pouliquen !

(Rires) Comment ils vont. Et puis il y a aussi la partie du travail qui consiste à appeler les clubs pour connaître leurs besoins et pour promouvoir les joueurs que l’on a. Quand tu sais que t’a un joueur qui peut être amené à changer de club, à évoluer, tu fais un travail de fond six mois avant pour amener les scouts des différentes équipes pour venir voir le joueur.

Tu t’occupes de combien de joueurs ?

Je dois en avoir une trentaine. J’ai trois collaborateurs avec moi. Ils ont leur propre portefeuille, ils les gèrent. Moi je les gère beaucoup plus sur le plan sportif. L’avantage que j’ai, c’est que je connais 80% des coaches. Je travaille de concert avec eux, je les appelle tous les deux ou trois mois pour faire le bilan sur mes joueurs, pour savoir ce qu’ils attendent de mes joueurs, quels sont les points qu’ils doivent améliorer, sur lesquels ils doivent encore travailler.

L’objectif de l’agent, c’est que son joueur soit le plus performant possible. C’est aussi l’objectif du coach. Je collabore avec les coaches et avec mes joueurs, je ne suis pas toujours très tendre avec les joueurs. Il y a des agents qui félicitent toujours leurs joueurs à la fin d’un match. Même quand ils n’ont pas été bons, ils considèrent que c’est dû au fait que les autres à côté n’ont pas fait ce qu’il fallait pour qu’ils soient bons. Moi non. J’ai toujours dit : « le football est un sport individuel qui se joue collectivement. » Il faut que les joueurs soient capables par eux-mêmes d’être performants, de travailler et de tout mettre en œuvre pour réussir. Il ne faut pas uniquement compter sur les autres sinon le risque d’échec est important.

En allant sur le site de ton agence, on se rend compte que tu t’occupes surtout de joueurs basés en Bretagne.

Tu me fais penser qu’il faudra qu’on mette à jour notre site car il manque des joueurs. Mais tu as raison, j’ai beaucoup de joueurs basés dans la région. Il y a un vivier important de joueurs en Bretagne et plusieurs clubs pros : Brest, Lorient, Rennes, Nantes, Guingamp. Je n’oublie pas Laval, en National, qui n’est pas très loin. Je considère qu’en tant qu’agent il faut que je vois mes joueurs entre dix et douze fois dans l’année en compétition. C’est beaucoup plus facile de les voir dans un rayon de 300 kilomètres. Mais j’ai aujourd’hui des joueurs qui sont loin de la Bretagne. J’en ai un à Saint-Étienne, un à Nice, un à Monaco, etc. Et je dois faire les déplacements de la même manière.

Tu es l’agent du gardien de l’ASSE Lenny Monfort. C’est toi qui l’as incité à aller à Sainté ?

Je ne prends jamais la décision à la place de mes joueurs. Sept ou huit clubs voulaient faire signer Lenny à sa sortie de Lorient [Montpellier, Rennes, Brest, Guingamp, Toulouse, Lens, Angers comme nous l’avait confié l’intéressé en juin 2019, ndp2]. Il est allé faire quelques essais dont un à Sainté. Quand mes joueurs ont des propositions, je discute avec le joueur et sa famille, je donne le pour et le contre. Au bout du compte c’est le joueur qui choisit. Parce que c’est sa carrière, c’est lui qui va faire carrière, ce ne sera pas moi. C’est en fonction du ressenti, du projet qu’il peut y avoir, de la concurrence, etc.

Malgré la crise sanitaire et l’éloignement, t’as eu l’occasion de voir ses matches ?

Malheureusement depuis un an c’est beaucoup plus compliqué de le voir jouer. Mais Lenny m’envoie la vidéo de ses matches quand il a la possibilité de le faire.

Se plait-il à Sainté ? Voit-il son avenir à l’ASSE ?

Il se plaît à Saint-Etienne. Mais je vais avoir une discussion avec Saint-Etienne vu le nombre de gardiens qu’ils peuvent avoir qui me semble quand même conséquent pour deux équipes en seniors ! (rires)

Lenny a fêté ses 19 ans en janvier et il semble très loin dans la hiérarchie des nombreux gardiens stéphanois. À son poste il y a quatre professionnels, Jessy Moulin et 3 jeunes : Etienne Green (20 ans), Stefan Bajic (19 ans) et Boubacar Fall (20 ans) recruté cet hiver. Lorsqu’il a manqué des gardiens, Claude Puel a convoqué Nabil Ouennas (17 ans), sachant que l’ASSE a recruté l’an dernier le néo-international guinéen Bangaly Sylla (18 ans) et compte aussi à ce poste l’ancien international U16 Yanis Bourbia (19 ans).

Je ne voudrais pas mettre Saint-Etienne en porte-à-faux mais j’ai du mal à comprendre. Parce que bon, je ne sais pas mais ça fait combien de temps que Saint-Etienne n’a pas sorti un gardien ? Depuis Jérémie Janot je crois. C’est vrai que Stefan Bajic a joué trois matches comme Etienne Green vu les blessures des uns et des autres. Mais un gardien formé au club capable d’enchaîner plusieurs saisons, depuis Jérémie Janot je pense qu’il n’y en a pas eu.

Que va devenir Lenny vu l’embouteillage à son poste à l’ASSE ?

C’est une question qu’il faut poser à Saint-Etienne, je ne comprends pas tout à leur politique des gardiens. Mais tu sais, c’est un poste très particulier, très compliqué. Regarde Illan Mesnier. À Lorient, il a démarré à l’âge de 18 ans, il a fait 28 matches de Ligue 2. L’année suivante, l’entraîneur qui est arrivé a considéré qu’il n’était pas en mesure de pouvoir tenir sa place en Ligue 2 et qu’il n’était pas susceptible de pouvoir amener Lorient en Ligue 1. C’est un choix de coach, je ne vais pas le discuter car je l’ai été.

Mais le fait est qu’aujourd’hui Illan est titulaire à Leeds, une bonne équipe de Premier League. Il est considéré comme étant un futur grand. C’est dommage ! Mickaël Landreau, qui était là avant, a tout fait pour mettre Illan en valeur et pour le faire démarrer. C’est un enfant du club en plus, Illan a rejoint les Merlus dès l’école de foot à l’âge de 9 ans. Mais bon, c’est comme ça, c’est une politique de club. Christophe Pélissier considérait qu’il fallait un gardien plus expérimenté. C’est un choix de coach, il faut le respecter.

Un choix qui fait grincer des dents du côté des supporters lorientais car on ne peut pas dire que les gardiens des Merlus brillent cette saison. Le club de papy Lemoine lutte pour sa survie en Ligue 1 mais il n’est pas le seul. Sainté et Brest, qui s’affrontent ce samedi, ne sont pas encore sauvés. Quel regard portes-tu sur leur saison ?

C’est deux projets différents. Claude a lancé beaucoup de jeunes cette saison. On sait pertinemment que lorsqu’on en lance autant, on risque d’obtenir des résultats en dents de scie. C’est le cas mais aujourd’hui je suis content, Saint-Etienne va se maintenir, il n’y a pas de souci. La saison a été compliquée mais les jeunes joueurs stéphanois auront pu emmagasiner de l’expérience, ce n’est pas négligeable. Brest a une politique un peu différente, ils font davantage de la post-formation, à l’image d’un Romain Faivre qu’ils sont allés chercher à Monaco. Cette équipe brestoise n’est pas sur une très bonne dynamique en termes de résultats depuis deux mois mais je pense qu’elle va se maintenir aussi.

Que penses-tu de Claude Puel, d’un an ton aîné ? Vous avez été amenés à vous croiser souvent sur les terrains et plus tard en dehors…

Sur le terrain j’essayais de l’éviter ! (rires) Il était plus dur que moi dans les duels, ce n’était pas un tendre. C’est vrai que je l’ai côtoyé quasiment tout au long de ma carrière que ce soit en tant que joueur ou ensuite lors des diplômes d’entraîneur. On a même fait chambre commune. Je suis encore en contacts avec lui, pas régulièrement, mais je l’ai deux ou trois fois par an au téléphone. Claude est un homme de projet. Il n’est pas toujours facile, il a son caractère ! (rires) Mais c’est un homme de projet, qui sait faire.

Claude a de grandes compétences, il sait construire. C’est quelqu’un qui a gagné, qui a été à la tête de gros clubs. Même s’il aujourd’hui à Saint-Etienne des objectifs certainement moins élevés que dans les clubs où il est passé, ce n’est pas ça qui va le perturber, le vexer ou quoi que ce soit. Claude est quelqu’un de tenace, de déterminé. Construire et mettre en place un projet de jeu avec de jeunes joueurs, il a su le faire avec succès dans d’autres clubs, j’espère qu’il en sera de même à Saint-Etienne. C'est un club qu'on a tous envie de revoir en haut de l'affiche d'ici quelques années !

Ton prono pour ce samedi ?

Un spectaculaire 2-2, qui permettra aux deux équipes de faire un pas de plus vers le maintien. Ce sera un match intéressant à suivre, même si ça Geoffroy-Guichard sans public, ça fait vraiment bizarre. J’espère que j’aurai l’occasion d’y retourner quand les matches ne seront plus à huis clos. Je me souviens qu’il y a cinq ou six ans, j’y suis retourné avec mon épouse, je n’avais pas de parking. Au premier arrêt, j’ai voulu sortir ma carte d’agent et préciser que j’étais un ancien joueur. Ce qui m’a surpris, c’est que je n’ai pas eu besoin de le faire. Une personne d’une trentaine d’années a su tout de suite qui j’étais. J’ai trouvé ça exceptionnel.

On est toujours bien accueilli à Saint-Etienne, et ça s’est fabuleux. J’étais dans le coin car j’étais allé voir Nassim Ouammou, qui joue en L2 à Rodez actuellement mais qui évoluait à Andrézieux à l’époque. Ça m’a fait très plaisir de regoûter à l’ambiance si particulière du Chaudron. Être reconnu par des gens qui étaient à peine nés quand je portais le maillot vert... Ce n’est pas le cas forcément ailleurs mais à Saint-Etienne il y a une culture club, la transmission est bien présente. L’après-midi, j’avais été déjeuné à la cafétaria à côté du stade. J’ai mis beaucoup de temps à finir mon repas ! (rires). Il y avait beaucoup de monde à venir me voir, notamment des familles où toutes les générations étaient représentées. C’était sympa, plaisant et touchant.

 

Merci à Yvon pour sa disponibilité