Dimanche, 16h30. J’étais profondément enfoncé dans mon fauteuil. Celui dont les ressorts, s’ils pouvaient parler, diraient tout de mes explosions de joie et de mes pires abattements de cette dernière décennie. Mais cette fois ci, on était au-delà de tout.


Je restais figé face à l’écran, sans même le courage de crier ma colère. Juste sonné. A me dire qu’il fallait cette fois-ci vraiment s’y faire, que les jours à venir seraient pénibles, entre règlements de compte médiocres en coulisse et prestations pathétiques sur le terrain. Et pire que tout, sans une once d’espoir. Le plus dur c’est de renoncer. Que fait un groupe quand il se sait condamné ? Il explose en vol. Déjà je m’interrogeais sur la suite. Qui serait encore là l’an prochain pour la L2 ? Quelques jeunes et puis … ? Qui seraient les Rodrigao, Bia et Kuzba de 2022 ? Tout à reconstruire, pourquoi pas, on s’y habituerait, on s’habitue à tout, mais l’idée qu’il allait falloir patienter sept longs mois avant la fin de ce chemin de croix me semblait insupportable.

Je me suis souvenu de mes trois descentes : 1984, 1996 et 2001. 18ème sur 20 la première fois, avec l’espoir jusqu’au bout, de sursis en sursis jusqu’à ce terrible barrage retour contre le Racing.  19ème sur 20 la seconde, condamné à l’issue de la 37ème journée pour n’avoir pas su taper le Martigues des ex-vilains Genesio et Flachez, pourtant 20ème (2-2). Enfin 2001, faux passeports, vrai supplice, la descente n’est officielle qu’au soir de la 38ème journée, après le nul contre Guingamp (2-2). Les trois équipes n’avaient pas toutes le même talent, celle de 1984 ne savait pas marquer, celle de 1996 n’avait plus que sa jeunesse à offrir, celle de 2001, regrets éternels, était partie pour conquérir l’Europe. Mais toutes avaient fait durer le suspense et leur chute respecta le même timing : un long combat et un couperet qui tombe au bout du championnat.

Alors oui dimanche à l’heure du goûter, j’étais abasourdi. Dans ce deuxième pion clermontois, Il y avait vraiment l’idée du dernier clou sur le cercueil, l’image du croque-mort dans Lucky Luke, qui, déjà avec son ruban-mètre prenait les dimensions de mon club. Il y avait l’intro si belle et si terrible du The End des Doors qui tournait en boucle dans ma tête. L’apocalypse était bien pour maintenant. Le précipice, qu’on narguait impunément depuis des semaines, avait donc fini par nous happer.

Dimanche 16h50 ... dans cette saison qui n’a pourtant rien de mémorable, s’est produit un vrai miracle sportif. Cliniquement morts, les Verts en quelques minutes nous offraient une résurrection comme on n’en vit pas cinq dans une vie de supporter. Pas cinq, et encore… je suis généreux. Jamais je n’avais connu ça. Une saison de supporter c’est un robinet dont l’eau, souvent tiède, remplit des carafes de satisfactions et d’agacements, de menues colères et de petites fiertés, et tout un tas de verres de bof et de mouais, de pas mal et de correct, de décevant et de rassurant. Beaucoup d’eau tiède donc et parfois, marginaux et géniaux, quelques moments d’anthologie. Qu’on ne sait se remémorer qu’avec les poils hérissés de cette émotion encore si débordante. Cette égalisation de la Bûche au Cochonou, ce petit filet si joliment garni par Boudebouz, ce pion de Dernis dans la lunette de Mandanda, cet incroyable fin de match au parc Astrid ...

Paradoxalement dans une saison de misère, avec une victoire au compteur après 13 journées, un bilan comptable à demander jusqu’à la démission même du magasinier et du cuistot du club, dans une saison où la 1ère victoire s’est tellement faite attendre qu’on s’en surprend lorsqu’elle survient à réaliser qu’on en avait oublié le goût, nous en avons déjà trois de ces moments inouïs, de ces plaisirs dont on se plait avec force mauvaise foi à toujours se répéter que pff pourquoi nous on ne fait jamais ça ?

Trois kiffs absolus. Trois délires de fin de match à tourner et retourner dans son lit sans trouver le sommeil dans ce délicieux combo yeux qui piquent – sourire qui ne part pas. Trois moments à se passer et repasser en boucle sur l’écran noir de nos nuits vertes.

Maintenant que Clermont, maintenant qu’Angers, maintenant que les Vilains … on ne pourra plus pfffiser sur ces fins de match qui n’appartiennent qu’aux autres. Maintenant on pourra sans honte dire que Nordin a deux Beckham dans chaque jambe et que Krasso et Sow ont effacé Sheringham et Solskjaer des tablettes. Désolé Ole. Sorry Teddy, mais quand on revient d’entre les morts, on peut dire tout ce qu’on veut, même qu’on a enfin tapé le Bayern en finale.

Putain les gars, franchement, c’était mal réalisé peut-être, mais le scénariste mérite la palme.

Pour ce souvenir éternel, pour cette fureur de vivre qui honore si bien ce maillot, pour le si beau sourire de Saïdou, pour ce maintien que vous allez chercher - parce qu'après ça vous n'avez pas le choix - et surtout pour le plaisir qu'on aura dans 20 ans à se dire, au coin du feu, nos charentaises avec le nouveau logo vert aux pieds : quand même à 0-2 contre Clermont, on a vécu la plus belle résurrection de notre vie de sup, c'était qui déja l'ancien d'Epinal qui n'a plus jamais marqué après ? ...

Merci les Verts !