Le public reste en tribune, les joueurs restent sur la pelouse. De longues minutes après le coup de sifflet final.


Durant quelques secondes, même si le cœur n’y est vraiment pas, je m’amuse en pensant que ce spectacle est celui des soirs de liesse, quand le triomphe commande de ne pas quitter les lieux, de prolonger le plaisir par cet instant délicieux de communion, de partage de l’ivresse des belles et grandes victoires.

Les yeux dans le vague, au cœur de ce kop divisé entre une majorité résignée et les GA en colère, je me sens lesté d’une poisseuse tristesse. J’observe les joueurs, perdus sur le terrain, comme durant les  90 minutes précédentes, semblant se demander si la fuite ne serait pas préférable à l’affrontement. Baisser la tête et rentrer au vestiaire ou la lever et essuyer encore d’autres moqueries, voire des menaces. Choisis ton camp camarade.  

Finalement ils viendront, d’abord côté Nord puis lentement comme on file à l’échafaud, sous les sifflets, direction la Sud pour écouter les remontrances des leaders du groupe. Je ne dis rien, ne siffle pas, je n’ai jamais eu le cœur à ça. A fortiori en voyant Gourna, qui s’improvise premier de cordée à 18 ans pour venir affronter la meute. Est-ce bien raisonnable ?

Finalement, Moukoudi prend ses responsabilités et la parole. De loin il semble énervé. Comme scandalisé qu’on puisse remettre en cause leur motivation, leurs efforts, la peine qu’ils se donnent. Comme vexé qu’on puisse mettre en doute leur compréhension de la peine qu’ils nous font. Je frissonne à l’idée qu’il en faudrait tellement peu, une insulte, une menace de trop, pour que ça parte en sucette. Mais non, il y met toute sa conviction, Harold, ses mains accompagnent la voix. Je ne sais pas ce qu’il dit, mais y a sûrement du « on a besoin de vous », du « on se bat, on ne triche pas », du « on y arrivera ensemble, ne nous lâchez pas »

Finalement après deux ou trois minutes, les joueurs s’éloignent, toujours sous les sifflets auxquels s’ajoutent quelques amabilités à l’endroit de nos voisins d’outre A47. Y a des priorités me dis-je et ce derby est sans doute le dernier paravent qui nous protège du cyclone.
Paravent, cyclone … vu comme ça l’issue du combat ne fait guère de doute.
La crise est là. Depuis le temps qu’elle trépignait elle a fini par forcer le passage et s’inviter ce soir de septembre, de 25 septembre. Ca ne vous dit rien ? Pour fêter les onze ans du centième derby, j’aurais pas craché sur une autre issue. Ils sont où Blaise, Dimitri, Josuha ? Il est où Dieu ? Tout ce pain noir qu’on s’enfile depuis deux ans, on n’en verra donc jamais le bout ? 

Ca sent le cramé sous les projos, c’est comment qu’on freine ? me souffle Bashung de là-haut, reprenant, un verre à la main, ce morceau composé avec Gainsbourg. Eternelle bande originale de mes émotions vertes. Bashung et Gainsbourg c’est double dose de plaisir en théorie, un peu comme si Dieu marquait le but victorieux du derby.
Il a bien failli, notez, mais la barre, maudite barre, s’y est opposée. A la place, et c’était tout aussi délicieux, je me souviens de ce tacle rageur, ce corps donné à la science et à la gloire, pour protéger Ruff et ses buts, pour préserver les 3 points d’une victoire à Gerland. 
Je me souviens qu’on les a défiés du regard, je me souviens qu’on leur a fait baisser la tête, je me rappelle qu’on avait une équipe digne de son public. Ca a duré une décennie : 2010-2019. RIP la solidité, RIP la fierté, RIP Sainté en haut du classement, RIP les virées européennes, RIP l’espoir. C’était pourtant pas il y a un siècle. 

Qu’avez-vous fait de cet héritage ?

C’était hier l’Inter, c’est pour bientôt Concarneau.
Jusqu’où va-t-on couler ? Si la colère a laissé place à l’abattement samedi soir c’est que la réponse me semble désormais évidente. Après Humiliation à Pierre Brisson place à Misère à Marcel Verchère. Le film je l’ai déjà vu, des descentes, j’en ai connu tente-je de me consoler. 1984, 1996, 2001, 2022 ? On se remet de tout non ? Si. Enfin, en théorie… Faut pas avoir connu Gueugnon sous la neige pour croire qu’une chute s’arrête en mai au moment de l’officialisation de la relégation en Ligue 2. Je me souviens d’Anto et de son fameux « on doit sauver le club et tous s’en aller ». Les résurrections sont belles, mais elles peuvent être très longues à venir. Autant ne pas mourir en fait…


Putain, Alain, mais c’est comment qu’on freine ?