Conservateur du Musée des Verts, Philippe Gastal rend hommage à Gérard Farison, premier joueur titulaire de la mythique épopée des Verts à avoir retrouvé le Sphinx tout là-haut.
Gérard Farison a rejoint l’ASSE en 1961 à l’âge de 17 ans mais c’est bien plus tard, en 1968, qu’il a fait sa première apparition avec les professionnels. Il était mécanicien gareur, dans le tissage. Il a eu un parcours atypique qui mérite d’être mis en exergue. C’est peut-être dans ce labeur, dans ce travail quotidien qu’il a forgé toutes les qualités qu’il a développées après sur le terrain. Gérard Farison incarnait les valeurs stéphanoises par son endurance, sa résistance, sa générosité.
Gérard a été l’un des premiers arrières latéraux à prendre son couloir régulièrement. C’était un attaquant. Quand il était tout jeune, il était d’ailleurs ailier gauche. Quand il était junior, il est redescendu arrière gauche. Gérard fait partie de la première équipe de l’ASSE à avoir remporté la Coupe Gambardella, en 1963. Mais il a signé son premier contrat seulement en 1970, à l'âge de 26 ans.
Il avait d’une part cette faculté d’être intraitable sur l’homme et d’autre part d’avoir une très bonne qualité de centre car dans sa tendre jeunesse il avait été ailier. Il correspondait bien à la philosophie de Robert Herbin qui était un adepte de ce football total développé en particulier par l’Ajax d’Amsterdam. Je me souviens qu’on parlait d’« arrières volants » chez les Oranges. Gérard Janvion côté droit et Gérard Farison côté gauche étaient des joueurs infatigables.
Gérard Farison symbolisait l’arrière latéral moderne des années 70. Il avait une caisse… c’était un décathlonien, un athlète du football ! On parlait des cuisses de Georges Bereta mais Gérard aussi avait des cuisses énormes ! Il n’aimait pas trop s’entraîner mais par contre, en match, quelle débauche d’énergie ! À l’époque on ne calculait pas le nombre de kilomètres effectués dans un match, mais je pense qu’avec Christian Synaeghel c’était celui qui parcourait le plus de terrain. Gérard faisait des allers-retours sans arrêt.
Sa carrière a véritablement explosé avec l’arrivée de Robert Herbin. Avant ça il a connu Monsieur Batteux. D’ailleurs il a été champion de France en 1968 car il a fait un seul match lors de la dernière journée. Après il s’est blessé mais il se trouve que plus tard c’est Georges Polny qui s’est blessé. Avec l’arrivée de Robert Herbin en 1972, il commence à prendre position sur son côté gauche. Il va faire partie de cette défense à quatre intraitable aux côtés de Gérard Janvion, Osvaldo Piazza et Christian Lopez. L’une des meilleures défenses d’Europe pendant quatre ans.
Gérard Farison a fait partie de cette mythique équipe, à jamais il restera dans la mémoire comme cet arrière infatigable dans une équipe inoubliable. Il faut également souligner sa fidélité. 19 ans de présence à l’ASSE ! De la grande épopée des Verts, il est le seul à être resté fidèle au club. Tous les autres sont partis à un moment donné dans un autre club. Gérard a été sacré 5 fois champion de France, il a gagné 3 coupes de France. Il est dans le top 5 des joueurs stéphanois qui ont fait le plus de matches en première division. C’est d’autant plus remarquable qu’il n’a commencé à enchaîner les matches qu’à l’âge de 26 ans. Il a arrêté en 1980 à 36 ans. I
Il faut dire que Gérard n’était quasiment jamais blessé. Malheureusement, la seule grosse blessure qu’il a eue l’a privé d’une finale de Coupe d’Europe. C’était pourtant le rêve de sa vie, on en avait discuté assez souvent. Cette finale du 12 mai 1976 aurait dû être le couronnement pour lui mais il a dû déclarer forfait. Huit jours plus tôt, le défenseur nîmois Denis Mathieu l’a blessé au genou. L’ouvrier de Terrenoire aurait dû disputer une finale de Coupe d’Europe des clubs champions mais il a été injustement privé de cette apothéose. C’est une cicatrice qui pour lui ne s’était jamais refermée, c’est une certitude !
Gérard était très discret, très modeste, un peu effacé en dehors du terrain. Mais sur le rectangle vert, il était métamorphosé. C’était un athlète, un roc, il avait une force physique extraordinaire ! D’ailleurs il était très endurant. Dans les tests d’endurance, il arrivait souvent premier ou second. C’était un athlète du football, c’est la raison pour laquelle Roby en a fait un latéral gauche indiscutable. Vladimir Durkovic lui avait donné beaucoup de conseils également, c’était un peu son mentor.
Gérard a été sélectionné une fois en équipe de France, sur un terrain minier également : à Lens, contre la Pologne. C’est un clin d’œil à l’histoire, lui qui est issu de Saint-Etienne. Dix jours avant sa blessure contre Nîmes, il avait en effet été titularisé à Bollaert par Michel Hidalgo aux côtés de Jean-Michel Larqué, Christian Synaeghel et Patrick Revelli, qui avait inscrit le second but de la victoire des Bleus. Gérard, tout le monde l’appelait Tachan car il ressemblait à ce chanteur de la fin des années 60. C’est Salif Keita qui l’a le premier surnommé ainsi. Quand on se réunissait régulièrement, les copains l’appelaient autant Tachan que Gérard.
Gérard a joué plus de 400 matches en pro avec l’ASSE. Trois d’entre eux m’ont particulièrement marqué. Le quart de finale de Coupe d’Europe en 1976, on rencontre le Dynamo de Kiev. Bien sûr quand on évoque ce choc on pense à Oleg Blokhine qui efface Gérard Janvion mais se fait reprendre par Christian Lopez dont le fameux sauvetage permet aux Verts d’ouvrir le score sur une contre-attaque ponctuée par Hervé Revelli. Mais il ne faut pas oublier que de l’autre côté Tachan avait Vladimir Onishchenko, un des plus grands ailiers soviétiques de l’époque. Il s’en était fort bien sorti alors qu’il avait un sacré client en face !
Et qui ne se souvient pas des confrontations entre Gérard Farison et René Van de Kerkhof, l’ailier droit du PSV et des Pays-Bas ? Lors de la demi-finale aller à Eindhoven, on a souligné à juste titre qu’Ivan Curkovic avait particulièrement brillé. Mais il faut également saluer la performance extraordinaire réalisée ce soir-là par Gérard face à René Van de Kerkhof.
Le troisième match de Tachan qui revient spontanément à ma mémoire, c’est lorsqu’il a marqué le dernier de ses sept buts. Je m’en souviens comme si c’était hier, j’étais présent au stade. C’était en décembre 1976, le terrain était recouvert d’une certaine couche de neige, le ballon était orange. Gérard déborde côté tribune d’honneur, il passe devant Roby sur le banc, il repique dans l’axe avec son pied gauche et près de la surface de réparation il s’en va battre Jean-Paul Bertrand-Demanes. Je revois encore sa joie immense. Lui qui marquait très rarement, il avait réussi ce jour-là à scorer lors de ce grand classique du championnat contre le FC Nantes.
Avant que la maladie ne le rattrape et finisse par l’emporter, je me souviens que Gérard était venu en famille au musée des Verts il y a quatre ans. Il était tellement modeste... Il m’avait dit un brin gêné : « Philippe, on sera nombreux et tout ». Je lui avais répondu : « Pas de problème Gérard ! » Il a beaucoup d’enfants et de petits enfants, ils étaient une bonne quinzaine à être venus. Il était tellement content de montrer dans le musée à ses petits-enfants le parcours qui avait été le sien à l’ASSE. Il était très ému. On en a reparlé avec son épouse, ils avaient passé un moment formidable en famille. C’était Gérard. Il était discret, il était comme ça. Par contre c’était un lion sur le terrain.
Merci à Philippe pour sa disponibilité