Relégué avec Sainté en 2022 et Angers en 2023, Paul Bernardoni a choisi la Turquie comme nouvelle destination cet été. Il est revenu avec Poteaux-Carrés sur son passage en Vert et sa vision de ce choc de la 12e journée de L2.


Paul, comment va la vie en Turquie ?

Très bien ! C'est une première expérience à l'étranger et je pense qu'il fallait partir à un moment donné. Culturellement aussi c'est bien, car je ne parlais pas anglais du tout. C'est là où tu te dis "purée, pourquoi je n'ai pas appris avant ?" Mais en fait, tout est dans la volonté et au bout de 3 mois, je comprends tout et je m'exprime de mieux en mieux. Donc c'est réussite.

Au plan sportif avec Konyaspor, c'est un peu plus dur ces derniers temps. On a super bien débuté avec de très bons résultats, on était en tête du classement. Mais là, on est sur 5 matchs sans victoire. Notre coach Aleksandar Stanojević s'est fait licencier, donc on est dans une phase de transition. Dans toute saison il y a des aléas. Ce serait bien qu'on réussisse une nouvelle série comme en début de saison. On a été capable de le faire, il suffit de pas grand chose.

Tu vas donc rejouer le maintien après l'avoir fait avec Nîmes, Sainté et Angers ?

Ce n'était pas l'objectif du club au départ. Bon, on est encore au début de saison dont tout peut se réguler. Mais on ne choisit pas ! Il y a eu beaucoup de changements dans le club donc j'espère que ça ne prendra pas une mauvaise tournure. Mais s'il faut jouer le maintien, on ira au front comme d'habitude !

Rejoindre la Turquie c'était ton objectif cet été ou bien tu espérais une issue en France ?

Sincèrement, j'avais en tête une aventure à l'étranger. On ne va pas se mentir, en France je commençais à être catalogué. On a commencé à dire que j'étais un chat noir ... Mais bon, tous mes entraîneurs m'ont fait confiance. Si tu n'es pas bon, tu ne joues pas, c'est ça la vérité. Je voulais tenter quelque chose d'autre et à 26 ans c'était le bon moment. Je ne voulais pas me cantonner à une carrière française, je voulais tenter l'expérience et j'en suis ravi.

On te souhaite le meilleur et d'éviter une nouvelle saison galère comme tu en as vécu pas mal dernièrement ! Peux-tu nous rappeler le contexte de ton arrivée à Sainté en janvier 2022 ?

Je revenais de blessure à Angers. Une pneumopathie m'a tenu éloigné des terrains pendant 2 mois et demi. Avant cela, tout se passait bien. On avait fait un super début de championnat. Puis je chope cette bactérie qui se pose sur le poumon, ça a été hyper douloureux. Je suis resté 3 semaines allongé. Quand je suis revenu, il y a eu une incompréhension avec le coach et j'ai compris qu'il fallait que je bouge. Le lendemain, Loïc Perrin m'a appelé. Je ne sais pas comment c'est venu à ses oreilles mais il m'a demandé s'il y avait une opportunité de me faire venir, j'ai dit oui. J'ai ensuite parlé au coach Dupraz et à André Biancarelli. Le club avait 12 points, était dernier mais le défi me plaisait, je suis venu comme ça.

Et puis je connaissais quelques mecs dans l'effectif. Denis Bouanga que j'avais côtoyé à Nîmes, mais aussi Lucas Gourna. On était voisins quand on était petits. J'avais aussi joué avec Harold Moukoudi en sélection. Et puis, je suis venu avec Sada Thioub. Je n'étais pas dépaysé.

Comment tu trouves le vestiaire à ton arrivée ? Démoralisé ? Atone ? Revanchard ?

J'ai senti qu'il y avait la possibilité de s'en sortir. Et d'ailleurs, on s'est quand même bien relevé vu d'où on partait ! Tout le monde nous considérait morts ! Des gens du milieu m'ont appelé pour me demander ce que j'allais faire à Sainté. Moi j'y croyais ! Quand je suis arrivé, j'ai senti un vestiaire très jeune et très insouciant. Je ne les sentais pas spécialement meurtris. Ils vivaient une mauvaise période pour eux. Le coach Dupraz a insufflé une nouvelle dynamique, une nouvelle énergie. On a eu quelques bons résultats et on accroche in extremis cette place de barragiste. Mais quand tu vois notre position à la trêve ... mine de rien, ce n'était pas fait.

A ton arrivée, tu récupères la place de titulaire dans la cage au détriment d'Etienne Green. Quelle est ta relation avec lui ?

Il n'y a eu aucune friction entre nous. On s'envoie des messages de temps en temps. Etienne et moi n'avons pas ce caractère là, de nous embrouiller. Ca a surtout été une très belle rencontre entre tout le monde, avec Etienne, avec Stefan Bajic que je connaissais des JO et avec Dédé Biancarelli. Sincèrement, ça m'avait fait beaucoup de bien d'être là, j'avais découvert d'autres méthodes de travail et c'était super !

Sur tes 22 matchs en Vert, est-ce que tu as gardé de bons souvenirs malgré tout ?

Oui évidemment ! Il y a aussi des souvenirs pénibles ... tu te doutes bien du plus horrible. Un moment très sympa c'est la parade que je fais sur la tête de Mounié contre Brest à la dernière seconde et on gagne 2-1.



C'était à Geoffroy-Guichard avec le stade plein ... on a beau dire ce qu'on veut mais ça te crée des émotions folles. Tu fais ce métier pour ça : vivre des ambiances comme ça, dans des stades extraordinaires. Et puis plus globalement, moi j'ai bien aimé la ville de Saint-Etienne. Elle est beaucoup critiquée par certains mais moi je me suis régalé, j'ai aimé vivre là-bas.

Cet arrêt scelle la dernière victoire de Sainté en L1 à l'heure actuelle. Est-ce qu'à un moment vous ne vous êtes pas vus trop beaux et vous avez pensé que le maintien était acquis ? On se souvient de ta déclaration au CFC sur le fait que tu allais grimper l'Alpe d'Huez une fois le maintien acquis, mais aussi de celle de Pascal Dupraz qui voulait voir un match avec les kops une fois le maintien en poche ...

Je ne regardais pas trop les réseaux sociaux, donc je ne savais pas l'impact de cette déclaration. Mais je me souviens avoir répondu à une question. Certainement qu'à Sainté, qui est un immense club avec une immense ferveur, tout ce que tu dis est très médiatisé, décortiqué. Mais il n'y avait pas que nous qui y croyions à ce moment-là. On était pas 25 à voir le maintien, on était 40 000 à y croire. On était tous dans cette euphorie d'y croire ! Peut-être qu'il y a eu quelques erreurs de communication. Mais c'est plus facile à dire avec du recul. Dans la tête, moi je savais très bien qu'on jouerait notre peau à Nantes à la dernière journée. J'avais coché ce match en me disant qu'on allait jouer notre vie là-bas. Mais on a tellement de bons résultats pendant quelques mois (4 victoires, 3 nuls, 1 seule défaite au Parc des Princes entre janvier et mars, ndp2) que ça a créé une euphorie et oui, on s'est peut-être dit qu'on allait se sauver avant la fin.

Mais au final, le foot te rattrape. On était encore une équipe blessée et le chemin a été compliqué. Tu peux refaire la saison en reprenant chaque match en te disant que tu laisses des points à droite à gauche et que tu n'aurais pas dû, mais ça ne change rien.

Quelques matchs laissent quand même des regrets sur cette fin de saison. Je pense particulièrement à deux-trois matchs où on menait au score et où on prend une sacoche à la fin : la réception de Marseille, et les déplacements à Nice et Lorient

Pffff ... Lorient ... c'est un enfer ce match ! Je me souviens qu'on fait un bon début de match mais en première mi-temps je suis déjà à 4 arrêts et je dois terminer pas loin des 8 sur l'ensemble du match. C'est le genre de match, à un moment, tu sens que tu n'y es plus et ça a été un fiasco total. Il me semble qu'Yvan Neyou prend un rouge à la fin ... c'était la totale. Horrible ! Parfois, les gens te demandent d'expliquer, mais même toi tu n'as pas l'explication ! Ca fait partie des très mauvais souvenirs.



Ta défense ne t'a pas beaucoup aidé non plus, il faut dire. Si on raconte pas de bêtises, un de tes défenseurs t'a même collé 2 pions dans la saison !

Ouais ... mais tu ne peux pas pointer qu'une seule personne ! C'est impossible dans le football. J'ai souvenir d'un match à domicile, je ne sais plus lequel, dès que Kolo touchait la balle, je n'avais jamais vu une bronca comme ça. Comment tu veux que le mec soit bien aussi ? Moi j'avais des discussions franches et honnêtes avec mes défenseurs, dans tous les cas on est dans le même bateau donc on doit rester soudés, sinon c'est l'enfer. Moi ça m'avait peiné ce qui s'était passé pour Kolo.

Tu t'attendais à ce que la ferveur stéphanoise soit de cet ordre là ? Dans le bon comme dans le moins bon d'ailleurs.

Oui j'ai le souvenir du match aller où je jouais pour Angers (2-2). Le coup d'envoi avait été retardé d'une heure à cause des fumigènes qui avaient brûlé la pelouse et les filets. Dans les vestiaires, on se disait "les gars, si on marque, le public va se retourner contre eux". Les adversaires se servent de cela aussi. C'était fou, l'ambiance était tellement chaude !



Et puis je l'ai vécu de l'autre côté, avec le maillot vert. Quand ça se passe bien, tu es le roi du monde ! C'est extraordinaire. Mais quand ça se passe moins bien ... ça peut paralyser des mecs. Mais d'un côté, c'est passionnant parce que quand tu marques, il y a 40 000 personnes qui se lèvent et crient. Ce n'est pas pareil que quand tu en as 10 000 ! Ca te fout les poils !

Cette particularité stéphanoise, c'est un point sur lequel Pascal Dupraz avait insisté ? Descendre avec Sainté, ça n'a pas le même impact qu'avec Angers ?

Oui à Angers, la fanbase est moindre. Ici, la ferveur est immense. C'est le premier truc que le coach Dupraz m'a dit : "Paul, c'est un vrai beau club mais il y a une vraie ferveur. Donc sur le terrain, faudra y aller." Et je lui ai répondu que j'étais prêt ! Je n'ai pas découvert ça en enfilant le maillot vert, j'étais venu ici comme adversaire, je savais où je mettais les pieds. Mais je condamne quand on envahit un terrain et qu'on agresse des gens. Je comprends le mécontentement mais après Auxerre, les limites ont été dépassées.

Néanmoins, cela intervient au terme d'un long processus et ça génère une déception énorme. On a vécu un scénario affreux quand tu y repenses. A la trêve, tout le monde te condamne, puis tu penses t'en sortir sans les barrages avec une bonne série, puis on est relégables jusqu'à 10 minutes avant la fin du dernier match à Nantes, finalement tu es barragiste et tu perds aux tirs-aux-buts ... c'est la pire des choses ! Alors, est-ce que ça mérite une haine ? Non. C'est un miracle qu'il n'y ait pas eu de blessés. Qu'on se fasse insulter, c'est le foot, c'est le jeu mais tu ne peux pas accepter qu'un fumigène te passe devant, qu'est ce qu'il se passe s'il me touche ?

Tu as eu peur ce soir-là ?

Si tu veux, quand j'encaisse le dernier pénalty, je plonge sur ma droite et je reste au sol quand je vois le ballon passer à gauche. Et là j'ai un stadier qui me chope et qui me dit "Paul, il faut courir". J'ai relevé la tête et j'ai vu une marée humaine ! Mais en même temps, plein de supporters sont venus vers moi me demander mon maillot ... Le plus dangereux, c'était pour rentrer au vestiaire parce que c'était un carnage devant le tunnel.

Je reviens sur le fond de ce barrage comme on l'a fait avec Mahdi la semaine dernière, comment tu l'as vécu et qu'est ce qu'il a manqué selon toi ?

Pfff ... je ne l'ai même pas revu ce match tellement ça m'a écœuré. Si je ne dis pas de bêtises, on a pléthore d'occasions au retour. A l'aller, on avait souffert mais chez nous on a 3-4 grosses occasions en début de match. Puis on en prend un, on égalise et ... je ne sais pas. Peut-être qu'on était émoussés, fatigués, je ne peux pas dire mais on sentait que c'était compliqué.

On a entendu dire que le coach Dupraz voulait te remplacer par Etienne Green pour la séance s'il avait eu un changement supplémentaire, c'est véridique ?

Je n'en sais rien. On ne m'avait rien dit. Dans tous les cas, s'il avait fallu céder ma place, à l'instant T j'aurais accepté sans problème en espérant qu'une seule chose : c'est qu'on gagne. On ne peut pas penser à soi dans ces moments-là. Le principal c'était ça : la victoire. Peu importe le gardien pendant la séance.

On imagine - Mahdi nous l'a dit aussi - que cette séance, ce match, cette descente ont été particulièrement difficiles à oublier ?

Oh oui, clairement ! Je n'ai pas eu de contrecoup de suite. Il y avait de la déception évidemment. Mais je dirai que 2-3 semaines après, ça a été violent. En fait, tu ne penses qu'à ça. J'ai mis 6 mois à ne plus penser à la séance de tirs-aux-buts. Vraiment. Les gens pensent qu'on s'en fout mais non ! Tu crois que je n'aurais pas aimé en sortir un ? Et après, quand j'arrête un pénalty, je me fais insulter de partout ... mais attends ... Mon plus grand souhait, si demain je dois payer pour refaire cette séance, je la refais ! C'est une plaie qui saignera toujours.

Ton aventure stéphanoise a-t-elle complexifié ta saison à Angers derrière ?

Disons que je n'étais pas programmé pour rester à Angers. Finalement, j'ai débuté la saison et le coach n'a pas voulu me laisser partir. On a débuté par deux bons nuls puis on a changé de système de jeu. On a été totalement perdus ! Ca a été galère. Et cette saison angevine m'a permis de comprendre un truc que je n'avais pas saisi en arrivant à Sainté. Lors de mon premier match avec les Verts, on perd à la dernière seconde contre Lens à domicile. Et moi j'avais un discours positif, je disais "c'est pas grave, c'est qu'un match, il en reste encore plein !" Et le mecs me disaient : "Paul, ça fait depuis le début de saison que c'est comme ça." Et quand je l'ai vécu de bout en bout avec Angers, j'ai compris. Quand tu ne fais que perdre pendant des mois et des mois, c'est dur !

Comment s'est passée ta coopération avec Abdel Bouhazama qu'on connait bien à Sainté ?

Très bien ! Le coach Abdel me faisait confiance. J'ai performé sous ses ordres. Bon, ensuite ça s'est terminé pour lui et on a fini la saison avec le coach Alexandre Dujeux, qui est l'entraîneur actuel. Il fallait finir du mieux possible, mais on savait qu'on était condamnés.

Et tu as côtoyé deux anciens Verts la saison dernière : Faouzi Ghoulam et Loïs Diony.

Oui, Faouzi est arrivé à la trêve et on s'est revu il y a deux semaines car il est à Hatayspor en Turquie. C'est un super mec, un joueur extra, passionné de foot. On était à côté dans le vestiaire donc on a souvent discuté. On a pas mal parlé de Sainté, c'était chouette. Quant à Lolo, le pauvre s'est fait les croisés, j'étais triste pour lui car il était sur une bonne dynamique. Il était revanchard de son prêt raté à l'Etoile Rouge et malheureusement, il s'est pété. Maintenant, il revient bien et je suis content pour lui car il mérite de s'épanouir, c'est un bon gars.

Que penses-tu de ce match entre les Verts et Angers lundi ?

Pour moi, c'est le plus gros match de la L2 depuis le début de saison. On a deux équipes en super forme. Bon, je ne regarde pas les matchs mais je suis les résultats. J'ai pas mal d'amis des deux côtés, notamment Anthony Briançon ! Je me souviens d'ailleurs que Loïc Perrin me parlait déjà de lui en 2022. Avec Antho, on se parle très régulièrement. Pas uniquement de football, mais de la vie de tous les jours. Je suis aussi en contact régulier avec Gautier Larsonneur. On s'envoie des photos etc ... Mais on ne parle jamais des coulisses du club, parce que je n'y suis plus désormais et que ça ne me regarde pas. En tout cas, ça va être un vrai bon match. Sainté c'est solide en ce moment.

Comment tu expliques qu'Angers performe directement après sa descente quand Sainté a dû passer par un sas d'une saison difficile en L2 ?

Ce n'est pas la même catégorie de clubs ! Descendre était un cataclysme pour Saint-Etienne ! C'est un énorme club français, il a fallu restructurer, changer un grand nombre de joueurs ... Angers a gardé des joueurs expérimentés de niveau L2. Pour avoir côtoyé le groupe un petit mois avant de partir cet été, j'ai senti que les choses allaient bien et se mettaient bien en place. En tout cas, je pense que les deux clubs vont se battre pour les play-offs et la montée, ça ne devrait pas être en dessous. Il se peut qu'il y ait des trous d'air dans la saison, mais les points pris ne sont plus à prendre ! Il vaut mieux capitaliser vite, d'autant plus que je pense que Bordeaux va revenir dans la danse. Plus tu prends de l'avance sur ces clubs là, mieux c'est !

Merci à Paul pour sa disponibilité !