L'actuel entraîneur de Troyes nous présente son ancien capitaine rémois, fortement pressenti pour devenir le premier renfort du mercato estival stéphanois.


David, tu es l’entraîneur qui connaît le mieux Yunis Abdelhamid pour l’avoir eu 4 ans sous tes ordres au Stade de Reims, de 2017 à 2011.

Yunis est un garçon que j’apprécie énormément, on est resté en contacts depuis que nos chemins se sont séparés. Je l’ai eu il y a quelques semaines à la fin du championnat. Inévitablement, Saint-Etienne fera une bonne pioche en le recrutant. Au-delà du joueur, c’est évidemment un leader doté de qualités humaines exceptionnelles. Il va pouvoir emmener le groupe stéphanois là-dessus, avec des vraies valeurs de solidarité, des vraies valeurs de travail. Pas que pour la compétition mais toute la semaine à l’entraînement aussi, et ça c’est important ! Yunis a surtout la qualité première du leader, c’est-à-dire qu’il est exemplaire. C’est pour ça qu’il est extrêmement fiable.

C’est un garçon qui sait aussi se préparer. Je le sais pour l’avoir eu au téléphone il y a 3 semaines. Il m’a dit : « Coach, je suis loin d’être fini, je vais bien me préparer pour continuer encore ». C’est vraiment lui, ça ! Humainement, en tant que leader, c’est une très bonne recrue. Le joueur se bonifie, il fait attention à lui. On le voit aujourd’hui par rapport aux années précédentes, avec tous les moyens mis maintenant à la disposition des joueurs, de plus en plus de joueurs qui prennent de l’âge continuent à performer parce qu’ils savent prendre soin de leur corps. Yunis, il est carrément là-dedans. Yunis est d’un professionnalisme remarquable.

Votre vécu commun en témoigne, on a le sentiment que Yunis rend les joueurs à côté de lui très bons.

Tout à fait. Je me souviens que je lui ai mis à chaque fois un nouveau défenseur central. La première année, c’était Julian Jeanvier, qui est parti au bout d’une année à Brentford. La deuxième année, je l’ai associé à Björn Engels, qui est aussi parti en Angleterre au bout d’une année, à Aston Villa. La troisième année, j’ai mis Yunis aux côtés d’Axel Disasi, qui est parti à Monaco. La quatrième année, je l’ai fait jouer avec Wout Faes, qui est parti à Leicester et qui devrait encore être titulaire contre l’équipe de France lundi en 8e de finale de l’Euro. Yunis a cette faculté à valoriser et à bonifier son compère de la charnière centrale, il arrive à le faire progresser.

J"ajouterai que Yunis a aussi besoin d’être très complice avec son latéral gauche pour tout ce qui est gestion de la coordination défensive. Ça marchait très, très bien à l’époque avec Ghislain Konan, un international ivoirien qui joue depuis 2 ans en Arabie Saoudite et qui a été titularisé tous les matches lors de la CAN que les Éléphants ont remporté il y a quelques mois. Olivier Dall’Oglio connaît Yunis pour l’avoir déjà eu sous ses ordres, il connaît les qualités sportives et humaines de ce joueur et saura s’appuyer sur lui, je n’ai aucun doute là-dessus.

A l’époque où tu as fait venir Yunis Abdelhamid à Reims, il sortait d’une saison où ODO l’avait peu fait jouer.

C’est vrai, même si Olivier l’avait quand même titularisé une quinzaine de fois cette saison-là. Je me souviens que je me suis vraiment battu pour récupérer Yunis. Je voulais vraiment un central gaucher et il correspondait parfaitement au leadership que je souhaitais avoir. J’ai beaucoup insisté auprès de ma direction pour l’avoir. Je me souviens que les négociations avaient été difficiles car Yunis était encore sous contrat avec le DFCO. Mon président avait été bon, il n’avait pas lâché le morceau. Moi non plus. C’était vraiment LE joueur que je voulais. On a insisté et on ne peut que s’en féliciter vu tout ce que Yunis a apporté au Stade de Reims.

Yunis, je le suivais avec attention depuis ses débuts en pro à Arles-Avignon. J’aime bien ces garçons qui ont une histoire et un chemin un peu atypiques, qui arrivent un peu tard dans le monde professionnel. Je trouve que ces garçons ont une détermination et un sens du défi encore plus prononcés parce qu’ils veulent prouver qu’ils sont tout de suite au niveau et qu’ils veulent s’y imposer durablement. Yunis a joué dans plusieurs clubs amateurs de Montpellier, il n’est pas passé par un centre de formation. Il est arrivé avec cette humilité dans le travail.

Il a de suite performé et a été un des artisans de la remarquable saison de la remontée (2017-2018). C’est avec lui que ton équipe a battu plusieurs records en L2 : nombre de points (88), nombre de victoires (28), différence de buts (+50 avec 74 buts marqués et seulement 24 encaissés).

Oui, Yunis s’est imposé immédiatement. Il a de suite été très, très bon et il a en effet contribué à cette saison historique. Il a vraiment été très performant et régulier, je n’ai pas trop tardé à lui donner le capitanat. La première saison, l’année de la montée, c’est Danilson Da Cruz qui portait le brassard. Ensuite, c’est Yunis qui l’a récupéré et qui l’a porté en Ligue 1. Nos deux premières saisons dans l’élite, il a joué dans leur intégralité tous les matches de championnat ! Yunis optimise parfaitement son corps, il est très bon dans ce que l’on appelle le travail invisible. C’est quelqu’un qui travaille beaucoup chez lui, qui aime bien la salle également.

Yunis prend du plaisir, c’est important de le souligner. A son âge, il continue de prendre du plaisir, ça le fait avancer. C’est un passionné de football, qui se donne les moyens de rester au plus haut niveau. Il ne faut pas oublier que la saison dernière, il a regagné sa place dans l’équipe du Maroc alors que ça faisait 3 ans qu’il n’avait plus joué en sélection. A 36 ans, ce n’est pas donné à tout le monde d’être rappelé en sélection ! Cela prouve une fois de plus que Yunis reste un joueur de haut niveau et que c’est vraiment quelqu’un qui ne lâche rien ! C’est aussi un garçon qui répond présent et sur lequel tu peux t’appuyer quand ton équipe traverse des moments difficiles.

C’est très appréciable pour un entraîneur d’avoir des joueurs cadres d’une telle fiabilité, d’une telle mentalité. On entretenait d’excellentes relations car je pense qu’on a la même vision des choses et qu’on a un caractère un peu semblable. On ne s’enflammait jamais quand on faisait de très bonnes prestations et on n’était jamais alarmistes quand l’équipe traversait des périodes plus compliquées. Avec Yunis, on était sur la même longueur d’ondes. Il y avait de l’équilibre émotionnel. C’est important d’avoir ça, tous les joueurs n’ont pas cette qualité. Yunis reflétait bien ce que je souhaitais.

Quelles qualités mettrais-tu en exergue pour caractériser ce défenseur ?

Ce qui le caractérise vraiment, c’est cette capacité à aller dans le duel et de ne pas renoncer. Cette capacité à avancer dans le duel, à toujours être présent dans le duel, que ce soit au sol ou dans les airs. On a beaucoup bossé là-dessus : il a énormément progressé dans l’utilisation du ballon. Il est devenu beaucoup plus sûr, beaucoup plus fiable techniquement dans ses ressorties de balle, dans ses relances. Yunis a une bonne adaptation tactique. Olivier le sait, il pourra l’aligner aussi bien dans une défense à 4 que dans un système à 3 ou à 5 défenseurs. Avec moi on jouait beaucoup à 4 mais je sais que Yunis peut jouer sans problème dans une autre configuration tactique.

Ce n’est pas le plus véloce des défenseurs centraux de l’élite. T'en penses quoi ?

A chaque fois que je rencontrais des équipes, quand j’avais des retours de ce que disaient les adversaires, je sais que souvent les entraîneurs disaient : "il faut prendre le dos d’Abdelhamid, il faut le prendre dans la profondeur." Et on s’apercevait qu’à la fin de la rencontre personne ne lui avait pris le dos. On en rigolait à chaque fois. Yunis a une très bonne lecture du jeu. On croit qu’on peut le prendre dans son dos mais c’est très rare qu’il soit pris à défaut. Yunis a du vécu, il lit bien les ballons. C’est quelqu’un d’intelligent, il a la réflexion dans le jeu. Il soigne la coordination défensive. C’est important qu’il ait un bon latéral gauche à ses côtés, comme ça il se sent en sécurité.

Dans une défense à quatre, avec quel type de central est-il le plus complémentaire ?

J’aimais lui mettre un très bon relanceur avec un peu d’impact. Ça a très bien marché, en particulier avec Björn Engels et avec Axel Disasi. Yunis s’est vraiment très bien entendu avec ces joueurs, j’étais très satisfait de ces associations. Attention, ça ne veut pas dire pour autant que Yunis n’est qu’un joueur de duels. Il a avancé dans les relances et il a confiance en lui aussi, c’est une bonne chose ! Il trouve des angles avec son pied gauche qui sont intéressants, que ce soit sur les diagonales ou sur les passes à l’intérieur.

Et puis il ne faut pas oublier son apport offensif, qui n’est pas négligeable. C’est un défenseur qui est capable de claquer ses 3 ou 4 pions par saison, il l’a encore montré lors de sa dernière saison avec le Stade de Reims. L’année de la montée, je me souviens qu’il avait même réalisé un doublé qui nous avait permis de gagner 2-1 à Ajaccio alors qu’on avait concédé l’ouverture du score. Pour l’anecdote, le premier but qu’il a marqué dans l’élite, on a gagné 1-0 contre Montpellier, sa ville natale. Il a marqué de la tête sur un corner tiré par un joueur que vous connaissez bien à Sainté : Mathieu Cafaro !

Yunis Abdelhamid fêtera cet été ses 37 ans, un âge qui pose question à certains supporters stéphanois. Que leur réponds-tu ?

Je leur réponds que Yunis a une telle exigence avec son corps... Les supporters stéphanois vont découvrir un joueur très affûté. Il n’est pas du genre à se laisser aller à l’intersaison. Il sait se préparer. J’ai d’ailleurs une anecdote à ce sujet. Quand on est monté de Ligue 2 en Ligue 1 en 2018, je lui avais dit en fin de saison : "on monte en L1, il y a un autre défenseur central qui viendra, vous serez trois pour deux places. Voire quatre avec un jeune". Je n’avais pas encore tout le recul que j’ai maintenant. Il m’avait répondu : "C’est normal, coach, y’a pas de problème."

A peine rentré de vacances, je vais manger un bout en ville, je tombe sur Yunis. Je le vois en débardeur. Je le vois affuté, les muscles dehors. Je me dis : "C’est bon, lui, il a tout compris, il va être prêt." A la reprise, il a mangé tout le monde et il s’est imposé. Il s’était préparé, physiquement et mentalement il était plus déterminé que jamais. Il avait une revanche à prendre avec la Ligue 1. Il y avait un peu joué une saison avec Dijon sans réussir à s’imposer. Yunis n’a pas laissé passer cette deuxième chance de faire valoir ses qualités dans l’élite. Il s’est donné les moyens de réussir, il s’est préparé pendant tout l’été.

Yunis a confirmé saison après saison. Il a enchaîné les saisons pleines au Stade de Reims, c’est assez remarquable. Il ne se blesse pas et n’est quasiment jamais suspendu car il prend peu de cartons. Le seul rouge qu’il a pris avec moi en championnat, le dernier match où je l’ai entraîné, n’était pas mérité car sur son tacle glissé c’est involontairement qu’il a touché du bras un centre-tir de Kylian Mbappé. Yunis a acquis au fil des années de la confiance et de l’expérience. Il y a de plus en plus de bons joueurs qui sont arrivés, il a été mis en avant tout à fait logiquement. Il aura été incontestablement l’un des hommes fort du Stade de Reims lors de ses 7 saisons passées en Champagne.

Quel type de capitaine est-il ? C’est un aboyeur ?

Non, Yunis est surtout un capitaine exemplaire dans le travail. Il est capable bien sûr d’aller parler individuellement aux joueurs. Ce n’est pas un aboyeur mais il est en capacité de monter le son si dans une séance d’entraînement ça ne lui convient pas dans l’intensité. Sans que le coach n’intervienne, il va être capable de bouger les joueurs, leur dire qu’il faut mieux travailler que ça. De temps en temps, il va le faire et n’a aucun problème à intervenir s’il sent que ses coéquipiers en ont besoin. J’appréciais ses prises de parole, j’avais une relation privilégiée avec Yunis et lui laissait pas mal de libertés. C’était vraiment un joueur cadre sur lequel je m’appuyais. Il était très utile lors des entraînements. Il disait souvent à l’attaquant de courir davantage, de venir au duel avec lui, de ne pas hésiter à le tacler pour qu’il soit dans les meilleures conditions les jours du match. Yunis, il veut de la vérité à l’entraînement. Quand il sent qu’il y en a moins, il est capable de le faire comprendre aux joueurs.

Le nouveau président de l’ASSE compte apparemment cibler des joueurs de moins de 25 ans mais c’est important d’avoir dans une équipe des garçons expérimentés de la trempe d’un Yunis, non ?

Oui, c’est important et je trouve que Yunis est le joueur parfait pour encadrer les jeunes. On est tous ravis que les Verts remontent, je suis vraiment très content pour Olivier, son staff et son équipe, où évoluent plusieurs joueurs que j’ai eu le plaisir d’entraîner, au Stade de Reims, on avait déjà eu l’occasion d’en discuter dans de précédentes interviews. Mathieu Cafaro et Nathanaël Mbuku ont montré de belles choses, Victor Lobry est parti à Guingamp au mercato hivernal, il a eu moins de temps de jeu cette saison. Je crois que Caf’ a fini meilleur passeur de son équipe et je trouve que Nathanaël a fait du bien à Sainté, c’est d’ailleurs lui qui a fait la passe décisive à Wadji lors barrage retour à Metz.

Prendre des garçons de moins de 25 ans pour faire du trading, c’est compréhensible mais il faut inévitablement qu’ils soient entourés, bien entourés. Axel Disasi a été transféré à Monaco et a joué en équipe de France parce qu’à côté de lui il avait au Stade de Reims Yunis Abdelhamid, un joueur expérimenté. Axel et Wout Faes avaient 21 ans quand ils ont joué avec Yunis, de 11 ans leur aîné. Il faut faire de savants mélanges entre les jeunes et les joueurs plus mûrs. Un jeune progresse plus vite si à côté de lui il y a un ancien.

Si tu mets deux jeunes à côté, ils ne progresseront pas aussi vite à moins que ce soit des joueurs exceptionnels, des joueurs hors norme du genre William Saliba-Wesley Fofana. Mais ça reste des exceptions, en général il faut de la complémentarité dans les âges, surtout dans une charnière centrale où le leadership est important. Il faut des jeunes mais il faut les encadrer. Ils s’épanouiront davantage avec des joueurs d’expérience du calibre de Yunis. Je lui souhaite plein de bonnes chez les Verts, je sais qu’Olivier aura plaisir à le retrouver. J’ai félicité Olivier pour la montée. Il n’oublie pas qu’on a relancé les Verts en prenant un 5-0 à Geoffroy alors que Sainté restait sur deux défaites contre Amiens et à Dunkerque.

Mais au-delà de cette manita qu’on a prise avec Troyes, les Verts ont su trouver les ressources pour conclure de la plus belle des façons leur saison. Ils ont réussi à sortir du cadre dans lequel ils étaient pour aller chercher cette montée. On a senti sur cette fin de saison une équipe ambitieuse, qui a vécu des moments difficiles. Elle a beaucoup progressé sur l’aspect mental. Ce n’était pas facile de se relever après le nul concédé à Guingamp et la défaite à Quevilly. Mais l’équipe a réussi à se mobiliser pour battre Rodez en play-off et franchir ce barrage contre Metz.

Félicitations aux Verts pour leur force mentale ! Yunis a aussi un gros mental, il ne lâche jamais et il ne lâchera rien. Je ne suis pas en train de dire qu’il sera titulaire les 34 matches de championnat que les Verts joueront la saison prochaine pour leur retour dans l’élite mais il ne lâchera rien. En plus avec cet environnement stéphanois… Ça va lui coller à la peau. Je suis convaincu que Yunis va s’épanouir à Saint-Etienne. Il va adorer la ferveur inégalable que ce club génère, l’ambiance incroyable que mettent les supporters. Il était très apprécié du public rémois, je pense qu’il plaira aux fans des Verts. Ils vont vite s’identifier à lui.

 

Merci à David pour sa disponibilité