Jean-Paul a sa mine des mauvais jours. Son courroux accentue son strabisme. Il tourne fébrilement les pages d’un journal puis finit par lancer un définitif : " le mercato des Verts c’est vraiment de la merde ! "


Sa femme, qui détestait autant la vulgarité que les tâches ménagères lui répond aussi sec :
- Ferme-là un peu, et au lieu de râler, tu voudrais pas passer l’aspirateur dans le salon, j’en ai marre de m’occuper de tout ?
- Tu me gonfles à vouloir tout partager. Est-ce que moi je t’oblige à aimer autant les Verts que moi ?
- Rien à voir. Pis fais pas le malin, tout le monde sait que c’est pour impressionner ton copain Albert que tu t’es mis au foot.
Jean-Paul marque un temps. C’est vrai qu’à l’origine le sport lui donnerait plutôt la nausée. Il même franchement rigolé quand Albert lui a sorti le truc sur le foot et la morale des hommes. Puis doucement, il marmonne : 
- En fait ça passerait mieux, si les autres ne recrutaient pas à tour de bras. C’est ça le truc. On se compare, forcément, et là comment ne pas se sentir humiliés ? En fait dans ce foutu mercato, l’enfer c’est les autres.
- Tu tiens quelque chose là…
- Oui, c’est le balai, j’ai pas trouvé l’aspirateur. Marre de la modernité. C’est à vomir, comme ce football d’aujourd’hui. Je, pfff … franchement ça me… ahhhh (longue plainte) j’ai pas les mots.
-  Pas ton genre
-  Oh Simone, t’arrêtes de me vanner. Tu ne vois pas que je suis malheureux ? Je crois que je hais les temps modernes. 
-  Ah bon, t’es sérieux ? Tu veux qu’on arrête ?
-  Mais non tu le fais exprès ou quoi ? Les temps modernes, la modernité quoi ! Ce que le foot est devenu ! De mon temps le football était un sport joué par le peuple pour le peuple où seules les vertus de l’effort collectif faisaient les palmarès.
- Gare à la nostalgie...
- Nan, mais le pire c’est que j’étais à deux doigts de l’aimer notre mercato. 
- Ah bon ? 
- Ben oui, moi ce mercato à zéro recrue, je trouvais ça limite révolutionnaire. Comme une incarnation du rejet du foot business. Nan, symboliquement, c’était fort. Tu vois j’avais commencé à écrire un papier là-dessus, j’avais déjà le titre, ça se serait appelé le bien-être et le néant. 
- Parce que tu y trouvais une forme de bien-être dans le néant de notre recrutement ?
- Et pourquoi pas ? Partir au front sans nouvelles munitions, putain mais ça en aurait eu de la gueule.
- Ouais enfin, c’était surtout suicidiaire.
Il s’emporte…
- M’enfin Simone, t’es une femme ou quoi ? T’es pas supposée être sensible au romantisme ? Garder les mêmes, cette stabilité, cette fidélité, enfin avoir le temps de s’enticher des joueurs, ça ne te touche pas ?
- C’est pas du romantisme, c’est de la nostalgie que tu me vends là. Tu regrettes le foot à la papa mon choupinou. En attendant affirmer que tu aimes le mercato, pas de doute t’es un grand malade !
- Malade c’est probable. En même temps passer trente tours sur la case prison, pendant que les copains se font des festins d’avenue Henri-Martin et de boulevard des Capucines, c’est vrai que j’l’envisageais pas comme ça cette partie de Monopoly estival. Même une compagnie générale d’électricité ou un boulevard de Belleville, franchement j’aurais pas craché dessus. Se sentir à ce point en dehors du jeu, quand d’autres convient Léo à leur festin, il y a un côté pestiféré qu’on ne digèrera qu’avec le temps. Si le moral des français vacille en ces temps de rentrée, un petit focus sur la partie stéphanoise de la population montre qu’il n’y a pas que chez les young boys qu’on a le moral en berne.
- Tu l’as déjà faite celle-là ?
- Ah bon, t’es sûr ? Bon en même temps c’est comme ça, quand je déprime je radote. Et là c’est plus de la petite déprime à la signature, c’est de la grande dépression verte. C’est notre octobre 29 à nous ce mercato. Alors oui je suis parfaitement malade, comme quand ma mère m’annonçait que Bernard Lama ne remplacerait pas Jean-Pascal Beaufreton. 
- Ah ouais non, t’es pas bien, mêmes tes références sont rances, t’as perdu ton Bashung ?
- Ben non Simone, mais tu m’voyais fredonner Ma petite Entreprise ? T’as vu où qu’on était épanoui au point d’exhiber des trésors satinés ?
- Ben t’as qu’à ordonner une expertise !
- Justement j’y viens. J’ai bien réfléchi. Réfléchir, c’est bien. Pis c’est pas comme renforcer son équipe, ça ne coûte rien, en plus t’as pas de date limite pour cela, même le 1er septembre, tu en as encore le droit. Le devoir même, au vu de l’état du club. 
- Et donc ?
- Ben posons-nous quelques minutes. On a le temps c’est la trêve. Admettons que tout cela est le fruit d’un échec. Echec de gestion pour faire simple. Absence d’anticipation. Absence de stratégie pensée. 
- Un peu de tout en somme, comme au restaurant quand le serveur m’amène le plateau de fromages et me demande ce que je veux ?
- Oui, si tu veux. Enfin en l’occurrence, notre plateau il est vide. A la diète le club le plus titré de France ! Alors ok, on pourrait en faire des kilomètres de banderoles de ces échecs, tout a été dit, on ne peut même pas dire qu’on est surpris par tout ça et il faut se raccrocher au fait que tout sera un jour derrière nous.
- Mais quand ?
- J’en sais rien moi, t’as qu’à demander à Pauly, c’est l’aube de la nouvelle humanité, ça va pas tarder, c’est sûr.
- Ah ouais, donc ça y est tu délires…
- Ben en même temps, il faut se presser d’en rire de peur d’avoir à en pleurer non ?
- Tu cites plus tes sources ?
- Si, si. Mais Beaumarchais pour un si moche mercato, c’est surréaliste. N’empêche, entamer une saison sans recrue, démarrer le championnat sans aucune nouvelle tête, je trouvais ça gonflé, presque classe, en fait je commençais à faire contre mauvaise fortune bon cœur, mon cœur ! 
- Tu ne m’appelles plus ton castor. C’est donc si grave ? Bon faut dire, aucune nouvelle tête, c’est du jamais vu depuis 1933, une grande première pour le club !
- Et ouais, à l’heure des grands barnums répétés, des mercatos à trois chiffres, des commissions aux agents véreux, reprendre les mêmes et recommencer, y a une forme de panache non ? 
- Bon suis perdue mon choupinou, tu devrais être heureux alors ?
- Tu le fais exprès ou quoi ? T’as rien suivi ? T’as pas entendu parler des escadrons de la mort ? On a récupéré un artiste en exil, Ramirez c’est son blaze. Bref c’est bien on fait dans l’humanitaire, mais du coup on peut plus se vanter d’être les seuls sans recrue.
- Ah oui c’est con, on aurait pu nous aussi se prétendre à jamais les premiers !
- Tout ça c’est de la faute de Roro. Salaud de pauvre !
- A propos de salaud, je voulais te dire, j’ai signé un truc…
Il n’écoute pas et continue…
- Ah Jean Gabin…. A défaut de Traversée de Paris, c’est un peu la traversée du désert qui s’annonce pour nos Verts.
- Tu les vois les dirigeants de Liverpool haranguer Roro à la télé uruguayenne : " Romeyer, ça f’ra 2000 francs ! Romeyer, 14 rue Pierre et Paul Guichard, ça fera 2000 francs ! "
Il sourit… 
- Simone, t’es conne !
- Nan mais sérieux, Autan Lara c’était bien, mais c’était très noir. Pis il était pas tout blanc non plus. Enfin j’me comprends.
- Ben t’es bien la seule. Alors que nous on est des milliers !
- Hein … ?
- A se sentir humiliés, on est des milliers. Mais au fond Simone, je crois que tout cela n’a pas d’importance.
- Ah ?
- Oui. On est des milliers, mais au moins on peut se retrouver, y a plus de huis clos !
- Les défaites, tu crois qu’elles seront plus digestes vu du stade ?
- Mais non mais Simone tu sais bien qu’il faut se méfier des conclusions hâtives des mercatos… ti. Euh c’est latin mercato ?
- Tain mais t’as vraiment fait Normale Sup ? Des fois je doute.
- Ben tu vois moi non. Je ne doute pas. Je sais que désespérés et euphoriques de l’été ont souvent rendez-vous au carrefour des ambitions contrariées l’hiver venu.
- Tu crois vraiment à ce que tu dis ?
- Un peu, à moitié. Ne jamais oublier le nombre de matchs qu’on a gagnés grâce à Monnet-Paquet. Et puis merde, le 18, je fais mon retour à GG, et quel que soit leur talent et leur pédigrée, les onze qui porteront nos couleurs m’entendront brailler comme jamais. Et tu sais quoi ?
- Non
- C’est bien là l’essentiel !