Meilleur buteur de l'histoire de l'ASSE, Hervé Revelli rend hommage à son ancien coéquipier Rachid Mekhloufi.


"J’ai eu la chance de côtoyer Rachid de nombreuses années à Saint-Etienne. Je suis arrivé à Sainté à l’âge de 16 ans en 1962, l’année où il a fait son grand retour à l’ASSE. Sa disparition m’attriste beaucoup car c’était plus qu’un camarade de jeu. Rachid avait le cœur sur la main. A l’époque, il n’y avait pas de centre de formation, on habitait à droite et à gauche. Rachid m’a un peu pris sous son aile. Il faisait toujours un détour pour venir me chercher à la maison. C’était un homme fabuleux et ça se ressentait aussi sur le terrain. Rachid était toujours prêt à aider. Aujourd’hui il n’est plus là et ça me rend triste. Je connaissais bien sa famille, son épouse, ses enfants. Je pense à eux. Rachid survolait tout le monde. Il était même au-dessus de Roby, il rayonnait sur le terrain et il était toujours prêt à aider.

Je me souviens de mon premier match, contre le Stade Français. A la base il n’était pas prévu que je joue cette rencontre. Mais dans la nuit de samedi à dimanche Frédéric Ndoumbé est tombé malade. J’ai donc été appelé mais je pensais que j’allais être remplaçant. Je suis arrivé à la bourre, tout juste pour l’échauffement. Rachid m’a appelé, il m’a dit : « Viens, ne t’en fais pas, on va s’échauffer tous les deux. » Moi j’étais impressionné. En courant à ses côtés, il m’a dit : « échauffe-toi bien car tu vas jouer ! ». Je lui ai dit : « Rachid, ça m’étonnerait, on ne m’a pas averti. » Il m’a glissé en souriant : « Prépare-toi, je te dis que tu vas jouer. »

J’étais encore un peu dubitatif. Quand Jean Snella m’a remis le maillot, j’ai pensé qu’il y avait une confusion. » Je lui ai dit : « Monsieur Snella, je crois que vous vous êtes trompé ! » Il m’a répondu : « Pas du tout, tu joues ! » Rachid est revenu vers moi, m’a rassuré, m’a expliqué comment il fallait que je joue. Il m’a vraiment mis en confiance. Il m’a dit : « joue comme tu joues habituellement, tu t’en sors très bien, ça va bien se passer. » Il y avait cette osmose entre les anciens et les jeunes, c’est pour ça que ça marchait très bien. Ça, c’est l’identité stéphanoise !

Entre les personnages qui avaient une sacrée expérience et les jeunes qui arrivaient, il n’y avait pas trop de décalage. On était de suite aidé car ceux qui nous aidaient avaient eux-mêmes été aidés au début de leur carrière. Cette transmission, c’est vraiment l’esprit stéphanois. On vient toujours en aide aux gens qui arrivent. C’est valable dans le club mais ça va plus loin, même en ville. Saint-Etienne, c’est ça ! Quand quelqu’un te demande le chemin, tu le guides. Ça m’est arrivé. « Suivez-moi, je vais vous y mener ! » .

Ces valeurs-là, j’aimerais qu’on les retrouve car je trouve qu'on les a un peu perdues. T'as parfois des joueurs qui mettent le maillot juste parce que ça leur fait plaisir mais qui se foutent du reste et ne font que passer. Ce truc-là, il faudrait qu’on le retrouve. Je sais que les nouveaux propriétaires ont envie de faire quelque chose à ce sujet car ils se sont aperçus que ça s’était un peu éparpillé. Je pense que c’est une très bonne chose de vouloir retrouver l’amour de notre maillot, l’amour de notre ville. Je pense que c’est un tout.

Pour en revenir à Rachid, je pense que c’est le meilleur numéro 10 qu’on ait eu à Sainté. A tout point de vue ! Qu’est-ce qui différencie le très grand joueur et le bon joueur ? C’est souvent la simplicité, la personnalité en dehors du terrain. Rachid était toujours abordable et calme. Je ne l’ai jamais vu se mettre en colère sur le terrain. Il me disait : « Quand on a du talent, on le montre sur le terrain, pas en dehors. » J’ai toujours retenu ça. La réponse, c’est toujours sur le terrain. On peut crier ou t’insulter dans les tribunes, la réponse tu la donnes sur le terrain. 

J’ai toujours gardé ce que m’a dit Rachid dans un coin de ma tête. Quand tu joues à un poste d’attaquant, tu peux rater des occasions et perde confiance. Quand je loupais un truc, il me disait : « Continue ! Bouche-toi les oreilles et continue ! » Il me disait : « Tu verras, tu vas marquer un but et tu vas enchaîner. » C’est très important. Je me souviens de ses derniers buts sous le maillot vert, son fameux doublé contre Bordeaux en finale de Coupe  de France 1968 à Colombes.

Je provoque un penalty, il prend le ballon, il marque et l’arbitre fait retirer le péno parce que le gardien avait bougé. C’était absurde, si le gardien avait bougé et n’était plus sur sa ligne, c’était son problème, je ne vois pas en quoi ou pouvait nous blâmer. Rachid n’a pas bronché, il a repris le ballon très calmement, sans aller voir l’arbitre. Il a retiré du même côté et a marqué. Rachid dégageait beaucoup de sérénité et avait un sang froid incroyable. Je l’ai vu marquer des buts extraordinaires. Le premier but de cette finale par exemple, Roby centre du gauche et Rachid met une reprise de volée magistrale. C’est le sceau des grands joueurs.

Rachid nous a transmis ce qu’était le beau football. Rachid, c’est l’école stéphanoise à lui tout seul ! Il avait tout ! Il pouvait dribbler, il marquait des buts, que ce soit dans le jeu ou sur les coups de pied arrêtés. Et que dire de sa qualité de passe ! Il me disait : « ne te casse pas la tête, tu vas où tu dois aller et le ballon va arriver. » Il n’y avait aucun souci avec lui. Quand il y avait un trou de souris, si je m’engouffrais, je savais qu’avec Rachid à la baguette j’allais avoir le ballon. Très souvent, c’était le cas. Il me la mettait au millimètre !

On ne comptait pas les passes décisives comme on le fait aujourd’hui mais si on les avait comptabilisées à l’époque Rachid aurait affolé les compteurs ! Il était d’une justesse incroyable ! Non seulement il était capable de marquer beaucoup de buts – il est le deuxième meilleur buteur de l’histoire du club derrière moi – mais il a délivré un nombre incalculable de caviars. On s’en est d’ailleurs inspiré avec Salif la saison où à nous deux on a mis plus de 70% des buts de l’équipe. Si je marquais c’était bien, si le copain à côté marquait grâce à toi c’était aussi bien ! L’important, c’était de faire gagner l’équipe, que tu sois buteur et passeur.

Rachid et Salif étaient deux immenses joueurs qui jouaient dans des registres différents. Rachid me disait : « Ne décroche pas, ne reviens pas au milieu, ton travail c’est devant. On est là pour te donner les ballons, ne viens pas les chercher ou sinon en faisant des allers-retours tu va mourir avant ! On est là pour ça, ne t’occupes pas du reste. » Mon association avec Salif était différente car souvent il était devant, surtout à la fin. Il fallait parfois que je fasse son travail à lui. Ça ne nous a pas empêché de bien nous entendre, de marquer beaucoup de buts et d’en offrir beaucoup l’un l’autre.

Avec Rachid comme avec Salif, c’était l’époque où on gagnait la plupart des derbys, même là-bas. C’était l’époque où c’était une fête régionale, où les supporters pouvaient librement se déplacer et soutenir leur club de cœur chez le rival. Dans un derby, il faut voir dans le stade du vert, du blanc du rouge et du bleu. Nous quand on entrait sur le terrain et qu’on voyait cette ambiance, on avait la chair de poule. Le derby de dimanche dernier, il n’y avait que des Lyonnais. Et au match retour il n’y aura que des Stéphanois. Je le déplore. Je trouve ça lamentable. La faute à qui ? Je ne sais pas. Ou plutôt on sait mais on ne peut rien faire. Ça punit tout le monde.

Rachid, j’espère qu’il aura un stade ou une rue à son nom mais je regrette qu’on attende que les gens ne soient plus là pour les honorer de la sorte. Il faut le faire de leur vivant, pour qu’ils viennent inaugurer, pour profiter ! C’est comme le fait de donner la légion d’honneur à titre posthume. Ça apporte quoi ? Cela fait peut-être plaisir à la famille, et encore, ce n’est pas sûr. Recevoir la légion d’honneur de son vivant, c’est une fierté. Donnez des noms de stade et des noms de rue aux légendes du club quand elles sont encore vivantes ! Je trouve ça vraiment dommage qu’on ne l’ait pas fait avec Rachid."

 

Merci à Hervé pour sa disponibilité