Roi du gabber et fan des Verts, Krampf s'est confié à Poteaux Carrés avant de mettre le feu aux Vieilles Charrues ce vendredi 14 juillet.


Ce vendredi, il y en aura pour tous les styles aux Vieilles Charrues : Lass, Gazo, Aya Nakamura, Jeanne Added, Blur, Shaka Ponk, etc. Mais les vrais têtes d’affiche, ce sera toi et ton pote Voiron. C’est vous qui clôturerez ce 14 juillet par des sets endiablés. Mettras-tu à cette occasion le magnifique maillot vert Umbro Dreamcast de la saison 2000-2001 que tu arbores sur le programme officiel du festival ?

Non, je l’ai mis hier donc il va être sale (rires) Par contre j’ai prévu un petit maillot d’entraînement de l’ASSE Duarig gris, sans sponsor. Je le trouve pas mal du tout. Ce sera ma tunique, je sais qu’il y aura comme toi d’autres supporters des Verts dans l’assistance. Je me dois donc de porter un signe distinctif. Je me dis que ce serait un peu bizarre qu’un mec soit habillé comme sur sa photo de presse. On dirait qu’il n’a qu’un seul T-Shirt. Ce ne serait pas du meilleur effet ! Je ne porterai donc pas de maillot vert cette fois mais on représentera l'ASSE aux Vieilles Charrues (rires). Attends, Voiron, qui vit dans les Côtes d'Armor vient de me glisser à l'instant un "allez Guingamp !" du coup (rires)

T'inquiète, on règlera ça début décembre à Geoffroy et lors de l'antépénultième journée au Roudourou ! En attendant, Lucien, dis-nous d'où vient ta passion pour l’ASSE ?

Je suis né à Paris mais de parents émigrés stéphanois. J’ai toute ma famille qui est à Sainté en fait. J’ai toujours été supporter de Saint-Etienne. T’es bien placé pour le savoir, c’est un truc qui se transmet facilement de génération en génération. J’étais au stade Geoffroy-Guichard dès mes 5 ans. Les Verts, c’est ancré en moi. J’essaie toujours de caler mes descentes familiales sur les matches. Rien de surprenant, rien d’exotique. Ça se transmet de père en fils et de mère en fille.

Mon père était un peu branché foot mais pas plus que ça, c’est surtout mon oncle. Lui il est abonné en Sud depuis 30 ans et nous prenait les places à chaque fois. J’ai toujours été Kop Sud. J’ai jamais été ailleurs, c’est un peu chelou du reste car j’avais l’impression que ça bougeait un peu plus en Nord et qu’on voyait mieux en latérale. Mais bon, c’est très bien aussi le Kop Sud.

J'ai vu un paquet de matches à Geoffroy. Après, c'est le côté un peu showbiz, comme je vis en région parisienne je suis souvent allé voir les Verts au Parc des Princes. On a pris pas mal de volées à Paris, on se fait rouster à chaque fois sauf l’année où on a gagné 2-0 avec le superbe retourné d’Ilan. J’étais aussi au Stade de France il y a dix ans quand on a battu Rennes en finale de la Coupe de la Ligue.

Tes premiers souvenirs du Chaudron remontent à quand ?

On venait de redescendre en Ligue 2. Je suis né en 1995 donc je suis un poil trop jeune pour avoir connu les années Nouzaret, le duo Alex-Aloisio, etc. Mon premier match, c’est un 1-1 contre Laval la saison 2001-2002. C’était laborieux, c'était pas glorieux... Je ne sais plus qui a égalisé [Alex Di Rocco, ndp2], je ne suis pas un fétichiste des feuilles de match. On avait du mal, mes copains portugais à l'époque étaient tous pour le Bordeaux de Pauleta. Ils sont devenus tous fans de Paris quand Pauleta a été transféré là-bas. Moi je suis toujours resté fan d’un club, l’ASSE.

Tu as très vite abandonné l’idée de faire carrière dans le foot pour te jeter à corps perdu dans la musique ?

Les deux sont liés en fait ! Je me souviens que mes parents ne voulaient pas que j’aille jouer au foot. Ils trouvaient que c’était trop cher, qu’il fallait aller loin en banlieue pour aller jouer des matches. Tous mes amis étaient au foot, ils ont vécu des aventures formidables. De mon côté j’étais un peu tout seul chez moi et c’est de là qu’est partie mon aventure musicale. J’ai commencé à faire un peu musique sur ordinateur.

Je pense que l’abandon extrêmement précoce de toute potentialité de faire une carrière footballistique m’a aidé à commencer la musique un peu plus tôt que les autres. J’avais des parents assez mélomanes et j’ai passé pas mal de temps à la bibliothèque et sur internet à écouter plein de musique.

C’était le début de la démocratisation de l’informatique musicale avec le piratage et les premiers forums. C’était un le bon moment pour que même des enfants s’y mettent. Je faisais partie de ces enfants… Dès l’âge de 10 ou 11 ans, j’étais sur des forums de production, j’échangeais avec des mecs. C’était à la fois l’aspect social et culturel qui était intéressant. Ecouter un disque et essayer de le refaire dans la foulée, c’était assez grisant.

Au point de vite vouloir en faire un métier.

Oui. Très jeune, j’ai voulu faire de la musique mon activité professionnelle. Du coup j’ai fait le bon élève, j’ai fait tout ce que je pouvais pour en faire mon métier et c’est devenu mon métier. Ce n’est pas très romanesque mais c’est comme ça que ça s’est passé. Je me suis auto-formé et après j’ai fait l’Ecole Nationale Supérieure Louis-Lumière, basée à la Cité du Cinéma, dans le 93 à Saint-Denis. C’est un genre de bac +5, une école pour être ingénieur du son.

Pour faire ce métier, grosso modo, c’est soit la FEMIS (École nationale supérieure des métiers de l'image et du son), soit Louis-Lumière. Mais à vrai dire je travaillais déjà à côté, je n’ai pas rendu mon mémoire à la fin donc je ne suis pas diplômé. Mais j’ai quand même suivi à Louis-Lumière ce cursus professionnalisant, ça m’a aidé à compléter mon bagage dans le domaine du son.

D'où vient le nom d'artiste que tu t'es t'es choisi, Krampf, qui veut dire "crampe" en allemand ? Est-ce en hommage au but marqué par Rocheteau contre Kiev ?

Ah non mais je vais te piquer la ref ! (rires) En fait j'ai choisi Krampf car ça ressemble à Kramps, le nom du tueur de bouchers incarné par Jean-Claude Barrault dans Drôle de Drame, le film réalisé par Marcel Carné sur un scénario de Jacques Prévert. J'aime bien le réalisme poétique de ce film. Krampf a été l'un de mes premiers pseudos sur les forums de musique. Il y a aussi une chanson des Ludwig von 88 qui s'appelle William Kramps, le tueur de boucher.

Quelles sont tes influences musicales, t’as baigné dans quel(s) style(s) de musique ?

Dans beaucoup de choses en fait ! Au début, beaucoup dans le rap. Rapidement j’ai découvert la techno hardcore. C’est devenu un peu ma spécialité, c’est là que j’ai acquis une petite renommée. C’est ce qui me vaut d’être aux Vieilles Charrues ce vendredi. Ce que je trouve intéressant, c’est que c’est une sous-culture qui est assez proche de la culture supporters. Ce n’est pas loin de la musique de stade, surtout aux Pays-Bas, en particulier à Feyenoord et Rotterdam où c’est vraiment une musique hyper proche de la culture supporters.

Même esthétiquement, y’a un peu le même mouvement d’expression prolétaire. Un peu comme le rap, y’a énormément de ponts entre la culture rap et la culture foot, en particulier en Ile-de-France où j’ai grandi. Dans le hardcore et le gabber, y’a ce phénomène de foule, de groupes de mecs. C’est très masculin, c’est le même procès qu’on peut faire au foot. « C’est des hooligans, c’est des machos », tu connais comme moi les clichés. Et tu sais comme moi que la réalité est bien plus nuancée…

Tu es devenu une vraie référence dans un milieu du gabber. Comment as-tu percé dans ce genre qui reste méconnu de nombreux supporters stéphanois, notamment des potonautes ?

Il y’ a un côté générationnel mais c’est vrai que même mes cousines du côté Saint-Etienne, elles sont plutôt rock, chansons et aussi branchées dub, teuf. Dans la Plaine, dans les Monts du Forez, on écoute pas mal ça, il y’a une culture de la fête. En ce qui me concerne, j’ai été membre d’un collectif qui a très bien marché et qui s’appelle Casual Gabberz.

Je ne sais pas si t’as vu mais c’est d’ailleurs écrit entre parenthèses derrière mon nom de scène Krampf dans le programme des Vieilles Charrues. Avec Casual Gabberz, on a fait déjà toutes les plus grosses salles et les plus gros festivals européens. Moi je suis un peu en train de prendre ma retraite de DJ, c’est un peu la fin car ça commence à me fatiguer un petit peu.

A 28 ans, tu veux déjà tirer ta révérence ?

Tu sais, j’ai commencé à 17 ans, ça fait plus de 10 ans ! Je suis déjà usé. Cela reste très underground mais c’est un métier vraiment éreintant, fatigant, c’est dur de garder l’excitation. Je suis en train de me mettre un peu en pré-retraite. J’ai un ami, Voiron, qui est un peu du coin, avec qui je partage l’affiche aux Vieilles Charrues. Il habite à Plougrescrant, entre Perros-Guirec et Paimpol.

Ah je connais bien pour avoir couru là-bas la course Bernique lors du Trail de l’Estran, qui fête d’ailleurs ses 20 ans en septembre. Faut aimer courir sur le sable, dans les algues dans les rochers voire dans l'eau mais ça vaut le coup ! La côte bretonne est tellement belle…

C’est vrai que Voiron n’a pas à se plaindre du paysage ! Et comme il est ami avec des gens des Vieilles Charrues, il m’a proposé de faire... comme un match de gala, tu vois ? On prend les copains, on ne va pas courir très vite mais on va essayer de faire de belles actions !

Sur Poteaux Carrés, on connaît davantage le Gabard (Baptiste, si tu nous lis..) que le gabber. Comment décrirais-tu en quelques mots ce courant musical ?

C’est de la techno qui va très vite. Avec des kicks qui sont tellement forts qu’ils saturent. C’est de la techno un peu extrême mais vu que ça a été inventé par des Hollandais qui sont avant tout des farceurs et des commerçants, ça garde quand même un aspect assez pop. Je reprends souvent des mélodies connues, il y a quelques surprises qui se cachent dans les morceaux. Il y a une dimension ludique.

C’est à la fois un truc très dur mais il y a aussi un aspect assez joueur qui fait que tout le monde peut s’y retrouver. En France, c’est surtout connu pour les compil Thunderdome des années 90. Il y avait des pubs à la télé avec des Monstres et de la musique un peu de fête foraine. C’est ce que le lecteur de Poteaux Carrés pourrait peut-être connaître.

M’en veux pas mais perso je connais pas, je suis passé complètement à côté ! En revanche toi t’as l’air de bien connaître notre site !

Ah oui, je suis un lecteur fidèle du site et du forum. Je suis aussi les potins via twitter. J’aime bien la diversité des brèves, ça parle des jeunes, des pros, des adversaires, mais aussi des anciens, je trouve ça intéressant. Les interviews, les éditos, les analyses tactiques, les éphémérides, y'a de la matière ! J’aime bien le ton et j’ai toujours aimé l’exhaustivité du site.

Chaque micro information est relayée, souvent avec une touche originale ou de l'humour. On sent beaucoup de passion et c’est agréable à lire. Je trouve ça cool. Parfois je trouve que le forum part un peu dans tous les sens mais c’est le jeu. On y trouve quand même des posts marrants ou intéressants, et pas mal de messages de supporters très remontés contre les présidents, ce qui est normal.

Quels sont les joueurs stéphanois qui t’ont le plus marqué ?

J’étais fou de Bafé Gomis. Son éclosion à Sainté, son premier match en équipe de France où il te claque un doublé contre l’Equateur. C’était dingue ! Mon joueur préféré, c’était Jérémie Janot. Pour toute une génération, c’est le joueur iconique. J’étais fan de Nicolas Marin. De Marin à Mollo, j’ai toujours bien aimé les ailiers flambeurs un peu dans leur truc, ils m’ont toujours parlé.

Mes deux plus grands regrets, c’est Paulo Machado et Fredy Guarin. Je pense que c’est des joueurs qui auraient pu nous faire beaucoup de bien s’ils étaient restés plus longtemps dans le club. Ils n’ont pas eu des carrières à la hauteur de leur potentiel. C’est une frustration. Mais si je dois garder un joueur, au final, ce sera sans doute Didier Zokora. Maestro ! La grande classe. C’est le seul dont j’ai gardé le poster à ma crise d’adolescence quand j’ai enlevé mes posters des autres joueurs de foot.

Dans l’effectif actuel, t’as un chouchou ?

J’ai un chouchou, c’est notre Bout’chou ! Benjamin Bouchouari, vraiment… Je sais que parfois il est un peu agaçant mais je trouve quand même qu’il a une élégance à ce poste-là que je trouve rare. On sort d’une saison compliquée, qui a heureusement bien mieux fini qu’elle n’a démarré. En vrai, j’ai une réelle tendresse pour notre effectif actuel. J’aime beaucoup Bouchouari. Il vient de gagner la CAN U23 avec le Maroc, c’est trop bien ! Perso j’espère qu’il va rester, même si j’ai lu que le club ne le retiendra pas en cas de belle offre.

Il a eu l’occasion de jouer dans un Chaudron qui a dépassé plusieurs fois la barre des 30 000 spectateurs cette saison au point de frôler la barre des 40 000 lors de la dernière journée. Il vient de dépasser cette barre en finale de la CAN U23 à Rabat. T’as déjà fait des sets avec devant de telles affluences ? Tu t'es déjà produit dans des festivals aussi importants que les Vieilles Charrues ?

On a déjà fait des gros trucs comme Dour, Rock en Seine… Vendredi on sera sur une petite scène, Le Park. Ça aurait été différent si on avait été sur la scène principale, le Glenmor, qui est l’une des plus grosses scènes d’Europe. Mais ça nous convient très bien de jouer devant plusieurs centaines de personnes qui sont vraiment à fond plutôt que devant 30 000 qui pour beaucoup sont là parce que c’est la grosse scène.

Un festival éclectique comme les Vieilles Charrues, ça te permet aussi de toucher un public qui n’était pas forcément venu pour toi à la base.

C’est vrai, les Vieilles Charrues c’est un bon endroit pour ça. C’est un festival assez généraliste, on le voit encore cette année avec Morcheeba, les Red Hot, Blur, Aya Nakamura, Rosalia, Kungs, etc. Vraiment ça brasse large. Et en même temps t’as une programmation annexe sur les petites scènes qui est assez « niche », assez particulière, mais qui attire beaucoup de festivaliers curieux de découvrir d’autres styles. On espère bien attirer pas mal de personnes qu’on fera danser dans un cadre un peu plus free sachant qu’avec mon pote Voiron on se produira de minuit à 3h00 juste après le concert de Blur, le dernier programmé ce soir-là sur la scène principale.

Vous clôturerez la soirée mais vous allez aussi ouvrir la journée de 14h00 à 17h00. C’est vous les vraies stars de ce festival en ce jour de fête nationale en fait !

Je sais, on n’en doute pas une seconde ! (rires)

Avec Voiron, préparez-vous cette échéance avec la même excitation qu’un joueur stéphanois avant un derby ou un match de Coupe d’Europe ?

Absolument. A l'heure où on se parle je suis d'ailleurs chez Valentin (Voiron) pour une mise au vert. Tous les jours on prend la voiture pour aller acheter des crabes et des araignées. Dans la voiture, on n’arrête pas de parler, on se montre des morceaux qu’on va potentiellement jouer vendredi. L’excitation monte, ça commence à se mettre en forme. On a mis en place une stratégie.

Vous allez tout donner, il faut prendre les morceaux les uns après les autres. L'essentiel c'est les trois heures. Muscle ton jeu Lucien ! Tout est bien planifié ou il y aura une part d’impro ?

C’est de l’impro à 100%. C’est comme la tactique, c’est bien pour les journalistes mais dès que le match commence… L’idée s’est de se surprendre mutuellement. L’autre sort un morceau, tu te dis « ah putain le bâtard, il est bien ce son, j’avais oublié, qu’est-ce qui pourrait bien aller. Ah je suis sûr que ça il l’a oublié, et bam ! » L’idée c’est de faire plaisir à l’autre et au public par la même occasion. C’est vraiment un dialogue, c’est un bon exercice le « back to back ». L’idée, vendredi, ce sera de ne pas balancer que du hardcore. Ce sera assez varié.

On va profiter d’occuper la scène deux fois trois heures pour brasser assez large. On va adapter les morceaux en fonction des tranches horaires sur lesquelles on interviendra. On en discute avec Valentin, on se dit « tiens, ça ce sera pour le premier set, ça ce sera plutôt pour le second. » Le premier set, on démarre en début d’après-midi, on attaque la journée. On va lancer tranquillement les hostilités. Le second set, qui démarre à minuit, je pense que ça va être un peu plus « terroriste ». Ce sera un peu plus dans l’engagement, tu vois ?

Oui, je vois. J'espère que je vais tenir ! (rires)

Après, on ne sait jamais ce qui va se passer. On fait ça en fonction de la foule. On s'adapte à la réaction du public, c’est plaisant quand le truc est partagé. Quand t’es le seul à kiffer, c’est un peu triste. A moins que la vue soit incroyable et que le son soit fantastique. Ça peut suffire parfois mais sinon… C’est quand même bien mieux quand tu te rends compte qu’il y a un dialogue avec les gens qui t’écoutent et dansent sur ce que tu produis.

Je pense que ça va le faire. Dans les bons festivals, les gens sont toujours très bienveillants et déterminés à danser et à faire la fête, même si à la base ce n’était pas forcément ce pour quoi ils étaient venus. En général il y a une bonne ambiance, ça part sans souci ! Avec Voiron on est assez confiant, si Madame Météo ne nous concocte pas un truc un peu dense. Pour l’instant on annonce pas mal de vent mais pas de grosses pluies donc ça va !

 

Merci à Lucien pour sa disponibilité