Fuyant les sollicitations médiatiques depuis plusieurs années, le mythique Gérard Janvion nous a reçus chez lui, en Martinique, sur les hauteurs de Case-Pilote.
Bien avant Franck Tabanou, tu as été reconverti au poste de latéral alors que tu étais un attaquant de formation. Peux-tu nous rappeler le contexte de ce repositionnement ?
A Case-Pilote, où Pierre Garonnaire est venu me chercher en 1972, je jouais attaquant. A mes débuts à Saint-Etienne, j'évoluais aussi devant. Je me souviens que lors de ma première saison en vert, j'avais marqué le but de la victoire à Valenciennes. Mais ensuite je me suis blessé. J'ai fait mon retour en équipe réserve, l'entraîneur Robert Philippe m'a aligné en défense pour que je puisse reprendre en douceur contre l'équipe réserve de Lyon, où jouait un certain Bernard Lacombe. C'était déjà un sacré client mais je m'en suis bien sorti et Robert Herbin a décidé de m'aligner arrière droit en équipe première.
As-tu accepté sans rechigner cette reconversion au poste de latéral ?
Bien sûr ! Pourquoi aurais-je rechigné ? J'ai toujours respecté les choix de l'entraîneur. Je me suis vite adapté. Je pense que Robert Herbin appréciait ma polyvalence. Il considérait que c'est au poste de latéral que j'étais le plus utile à l'équipe. Dans ma carrière, j'ai joué à tous les postes : avant-centre, ailier, milieu de terrain, latéral droit. Latéral gauche aussi. Lorsque l'ASSE a fait signer Battiston, j'ai en effet changé de côté. J'ai aussi évolué en défense centrale, surtout avec les Bleus. Il n'y a que dans les buts que je n'ai pas joué, je n'ai pas réussi à déloger Curko ! (sourire)
Aujourd'hui un autre joueur d'origine martiniquaise joue au poste d'arrière-droit : Kevin Théophile-Catherine. Que penses-tu de ses prestations ?
Il joue à un poste important (sourire). Mais je ne peux pas me prononcer sur ses prestations car ça fait longtemps que je ne regarde plus les matches des Verts. Je ne suis plus trop leurs résultats et je ne cherche pas vraiment à les connaître. Bien sûr il arrive que je croise des gens qui m'en parlent. Ma postière notamment, c'est une fan des Verts. Il y a en Martinique une section de supporters de l'ASSE. Ils ont voulu que je devienne président d'honneur mais j'ai refusé. En fait je n'ai pas envie de parler de Saint-Etienne.
Pourquoi ?
Je sais ce que je dois à ce club, qui m'a permis de faire une belle carrière. J'ai joué pendant onze ans à Sainté. J'ai tout gagné là-bas, sauf la coupe d'Europe hélas, mais ça ne s'est pas joué à grand-chose. J'aurais aimé finir ma carrière à Saint-Etienne et faire ma reconversion à l'ASSE. Mais il y a eu l'affaire de la caisse noire. Le play-boy André Laurent m'a poussé dehors. J'ai été transféré au PSG en 1983 mais moi je ne voulais pas aller à Paris. A la fin de ma carrière, et plus tard également, quand j'ai eu des difficultés, j'aurais aimé que les dirigeants de l'ASSE m'accompagnent, me tendent la main. Cela n'a pas été le cas et j'ai gardé cette blessure en moi. Je ne suis pas du style à défoncer des portes pour avoir un poste, ça m'a peut-être desservi.
Quel poste t'aurait intéressé ?
Je reste convaincu que j'aurais pu continuer de servir le club. Peut-être pas dans le staff des pros, je connais mes limites : même si je n'ai pas eu de mauvais résultats avec les clubs amateurs que j'ai entraînés, je ne suis pas sûr que j'aurais eu les qualités et les diplômes requis pour entraîner les pros. Mais j'aurais pu être utile au centre de formation, comme éducateur ou à la cellule de recrutement. J'aurais aimé inculquer les valeurs du club aux jeunes. J'aurais pu leur transmettre mon expérience, les soutenir dans les moments de doute que j'ai eus au tout début de ma carrière, notamment quand je me suis blessé aux adducteurs. A l'époque Roger Rocher s'était demandé s'il fallait me garder mais Pierre Garonnaire avait plaidé ma cause. Valenciennes m'avait contacté, me proposait plus que l'ASSE mais j'avais préféré rester à Saint-Etienne. Je ne l'ai pas regretté.
Que retiens-tu de tes vertes années ?
J'ai vécu une aventure sportive et humaine extraordinaire. On jouait vraiment en équipe. On était complémentaires et solidaires. C'était notre grande force. Physiquement, on était tous au top. Jean-Michel était peut-être un peu en dessous dans ce domaine mais il était au-dessus de nous techniquement. C'était un bon capitaine. On avait aussi un bon entraîneur, très respecté. Robert Herbin n'était pas un tacticien exceptionnel, mais il nous préparait parfaitement, on bossait dur à l'entraînement. Avant les matches, il n'avait pas besoin de beaucoup nous parler, on savait ce qu'on avait à faire. A la mi-temps, il savait vraiment trouver les mots justes.
L'ASSE a conclu un partenariat avec la Guyane, ton ancien coéquipier Jacques Zimako a afffirmé qu'il aimerait nouer des liens sportifs entre les Verts et la Nouvelle-Calédonie. Serais-tu prêt de ton côté à dénicher des pépites martiniquaises si les dirigeants stéphanois te sollicitaient ?
Ils ne me solliciteront pas. Que les choses soient claires, je ne demande rien. C'est trop tard. De toute façon, j'ai coupé avec le football et je ne compte pas y replonger. A la mort de mon frère, qui présidait le club de Case-Pilote, j'ai donné un coup de main et j'ai épongé quelques dettes pour sauver le club. Mais depuis je me suis retiré. J'ai reçu des propositions d'autres clubs martiniquais mais je n'ai pas donné suite. Ça ne collerait pas, je serais considéré comme un entraîneur trop physique, trop exigeant. Ici en Martinique, les joueurs considèrent souvent le foot juste comme un passe-temps. Pour moi, même en amateurs, il faut s'investir, être rigoureux et bosser à l'entraînement.
Saint-Etienne ne te manque pas ?
J'ai deux pays, la Martinique et Saint-Etienne. J'aime cette ville, je me suis marié avec une Stéphanoise, ma fille est née là-bas. Mais je pense que je ne reviendrai plus à Sainté car je ne me sens plus chez moi à l'ASSE. Les dernières fois que je suis venu à l'Etrat, l'accueil a été assez froid. Il a fallu que je montre patte blanche pour rentrer au centre d'entraînement des Verts. On m'a dit "tu es le bienvenu" mais ce n'est pas ce que j'ai ressenti. Je ne demandais pas à ce qu'on me déroule le tapis rouge, je sais que certains ne me connaissent pas ou ne me reconnaissent plus. Mais j'attendais quand même à un accueil plus chaleureux. Certains avaient l'air de se demander "c'est qui ce type, de quel bled il vient ?" J'ai revu Dominique Rocheteau mais en coup de vent, il n'avait pas trop de temps à me consacrer. Je sais qu'il a pas mal d'occupations mais c'est dommage qu'il n'ait pas pu dégager ne serait-ce qu'une demi-heure pour boire un verre ou manger un morceau les quelques jours où j'étais à Sainté. Ça m'a un peu attristé car on a vécu plein de choses avec Dominique. J'étais à l'armée avec lui, on a fait quasiment toute notre carrière de joueur ensemble : avec les Verts, avec les Bleus, au PSG. Ça crée des liens quand même, mince !
On ne t'a pas vu à l'inauguration du Musée des Verts et aux 80 ans du club. Pourquoi ?
Le club m'a invité à l'inauguration du Musée des Verts sans me proposer de prendre en charge mes frais de déplacement. Je n'appelle pas ça une invitation. Je trouve ça vraiment petit, pas digne d'un grand club. Ils savent très bien que j'habite à Case-Pilote, pas à Saint-Etienne ou au Chambon. Comme tu le vois, je vis simplement ici. J'ai une maison en bois qui n'a rien d'extraordinaire et un train de vie assez modeste. Attention, hein, je ne suis pas à plaindre ! Mais je n'ai pas trop les moyens de me payer un aller-retour pour la Métropole. Le club brasse des millions mais il n'a pas jugé utile de payer quelques centaines d'euros pour me faire participer aux festivités. Quand je pense que les dirigeants ont payé plus de 20 000 euros pour acheter les poteaux carrés, des bouts de bois tout pourris… Je n'ai même pas pu les voir. Quand j'y repense, j'éprouve à la fois de la tristesse et de la colère. Ce n'est pas correct ! Ils ne m'ont pas invité aux quatre-vingts ans du club mais à la limite je préfère ça à une invitation sans billet d'avion.
Le club t'avait quand même invité à donner le coup d'envoi du match Sainté-Auxerre il y a trois ans ?
Oui mais c'était dans le cadre de l'année de l'outre-Mer. C'était une initiative de la Ligue et c'est elle qui avait pris en charge mon déplacement. Quand la FFF a invité les anciens de Séville lors du match amical France-Allemagne, elle a pris en charge nos frais de déplacement. Mais à l'ASSE hélas ça ne se passe pas comme ça. Heureusement que j'ai un ami, Thierry, qui m'a permis de revenir plusieurs fois à Sainté. Sans lui, je n'aurais même pas pu accéder au salon Michel Platini du stade Geoffroy-Guichard. Là-aussi maintenant il faut montrer patte blanche pour pouvoir pénétrer dans ce genre d'endroit, c'est quelque chose ! J'ai un peu de mal avec tout ça.
Quel regard portes-tu sur l'évolution du foot ?
Je n'apprécie pas trop ce qu'est devenu le foot, c'est d'ailleurs pour ça que je ne le regarde quasiment plus à la télé. Je n'ai pas Canal, beIN Sport et Internet, mais franchement je ne m'en porte pas plus mal. Récemment il y avait des matches de Coupe de la Ligue sur France Télévision mais ça ne me disait rien. Je préfère regarder le rugby, l'athlétisme. Je m'intéresse davantage à ces sports qu'au foot. J'aime bien le cyclisme et la boxe.
Manifestement tu ne te contentes pas de regarder le sport à la télé, tu le pratiques aussi car tu me sembles encore très affûté !
Disons que je m'entretiens (sourire) Je fais chaque jour un peu de musculation. Je fais aussi régulièrement du vélo. Parfois je me lève à cinq heures du matin pour faire de longues sorties sur les routes. Mais j'ai tendance désormais à faire du vélo d'appartement. Avant je nageais régulièrement pendant une heure, mais maintenant j'écourte un peu mes baignades. Même si je me sens en forme, il faut que je fasse attention car j'ai passé la soixantaine. Je m'occupe également de mon jardin. Comme tu peux le voir, je viens de le tondre. Il est moins grand que la pelouse de Geoffroy-Guichard mais c'est quand même du boulot ! (sourire)
Qu'est-ce qui te déplaît dans le foot actuellement ?
Le fric y est de plus en plus présent. A mon époque, c'était vraiment secondaire. D'ailleurs on était payé à coup de fronde. Si on avait gagné à Glasgow, je ne sais même pas quelle prime on aurait touchée. On n'en avait même pas discuté avant la finale. L'argent n'était vraiment pas notre priorité. Aujourd'hui les footballeurs pros touchent des salaires et des primes vraiment énormes, le financier prime trop souvent sur le sportif. Un autre truc qui me déplaît, c'est le mercato et toutes les rumeurs de transfert dont parlent les médias. Je n'apprécie pas non plus le format des compétitions européennes, que ce soit en Ligue des Champions ou Europa League. Avec les phases de poule, les équipes calculent davantage, il y a beaucoup de matches nuls, ce n'est pas très intéressant. Nous on ne jouait que des matches allers-retours en Coupe d'Europe.
Même si tu ne regardes par leurs matches, es-tu content que les Verts soient toujours en lice en Coupe d'Europe ?
Oui, depuis quelques années, l'ASSE semble avoir retrouvé de la stabilité et obtient de bons résultats. Les supporters doivent être contents de revoir les Verts en Coupe d'Europe. Je leur souhaite d'aller le plus loin possible. Longue vie à l'ASSE !
Merci à Gérard pour son accueil et à la marchande de riz de Case Pilote qui nous a guidés vers Doudou dis donc !