Ou comment mieux défendre avec des attaquants qu’avec des défenseurs.
Replongeons nous dans le championnat. A Nancy, Saint-Etienne n’aura pas joué longtemps à 10 contre 11 – à peine 15 minutes. Suffisamment en tout cas pour que le commentateur s’étonne de l’immobilisme de Galtier : pas de changement, et surtout la conservation intacte de la ligne de trois attaquants. Quel risque ! A 2-0, autant faire rentrer des défenseurs, ce serait le plus logique ! Eh bien, la suite du match a été suffisamment éloquente : le technicien stéphanois a eu raison de ne pas toucher à l’équilibre de son équipe.
Pour bien comprendre ce qui s’est joué entre les sorties prématurées de Lemoine et de Zitte, revenons aux fondamentaux : la formation habituelle des Verts.
Même si les défenseurs n’apparaissent pas sur l'image, le bloc s’organise autour d’une double ligne de 4. Cohade et Lemoine, par leur fonction de pistons (box-to-box, disent les anglophones) assurent le bon fonctionnement, la fluidité du moteur collectif entre attaque et défense. Ensuite, le n°6 (Guilavogui ce soir-là) a une fonction primordiale de colmateur de brèches et de premier relanceur ; incarné habituellement par Clément, ce rôle a depuis longtemps été identifié (par les potonautes comme par les adversaires des Verts…) comme un élément essentiel de l’équipe. Or, c’est justement lui qui saute dans la réorganisation à 10.
Souvenons-nous : le recul progressif de Clément et l’arrivée du milieu à trois en 2012 sont venus de la faiblesse flagrante de l’équipe en cas de contre de l’adversaire. Bref, il s’agit d’une réponse à un besoin observé de l’équipe pour lui permettre de jouer haut sans que la défense ne prennent trop de courants d’air. Mais au moment de la sortie de Lemoine, les Verts mènent 2-0 : pas besoin de jouer haut ! Le bloc équipe va donc se situer très, très bas ; même Brandao défendra très largement dans le camp stéphanois. Le pressing ? même idée ! Il ne commence qu’à 40 mètres des buts de Ruffier. Avec une telle densité de joueurs, plus besoin d’un essuie-glace entre les lignes : un milieu à deux suffit largement… à condition d’avoir des ailiers capables de défendre correctement - Gradel et Aubame, depuis le temps, ont appris ce travail ingrat mais nécessaire. Leur rôle s’apparente alors à celui des milieux de couloir dans un 4-4-2, à cette différence qu’ils possèdent des qualités d’explosivité et de vitesse assez exceptionnelles – on y revient dans quelques instants.
Lever le siège
La tactique de la tortue est cependant loin d’être une assurance tout risque : à force de subir, on risque de payer les conséquences d’erreurs individuelles ou de coups de pieds arrêtés bien ajustés. D’ailleurs, Nancy va, comme Reims la semaine passée, tenter de créer le maximum de duels attaquants/défenseurs par des passes longues ; il suffirait juste que Bayal et Perrin se ratent une fois, ou d’une combinaison réussie sur corner, pour avoir une grosse occasion de but. Mais, contrairement au match face à Reims, Saint-Etienne a ce soir-là sur le terrain un point de fixation : Brandao.
Pourquoi est-il si important en infériorité numérique ? D’abord car il est toujours à l’affût des relances des défenseurs verts, même les plus hasardeuses : capable de conserver le ballon dos au but, il permet à toute l’équipe de souffler et empêche Nancy de faire un siège en règle de la citadelle stéphanoise. Bref : sa seule présence permet d’éviter la situation observée à Reims, d’une attaque-défense sans pause où la muraille ligérienne doit encaisser sans discontinuer les coups de boutoir de l’équipe adverse. Et puis, Brandao est capable en une passe de lancer un Gradel ou un Aubame lancés à pleine vitesse. D’ailleurs, les deux africains possèdent un profil intéressant de joueurs capables d’évoluer dans l’axe. Bref : point de fixation + ailiers rapides et finisseurs = contres meurtriers.
Après l’expulsion de Lemoine, le point d’équilibre du système, sa clé de voûte, va donc basculer du n°6 sur le n°9. Et le rôle de pistons, c’est-à-dire de cohésion entre phases défensives et offensives, va être transféré des milieux vers les ailiers. L’importance fondamentale du milieu est déplacé sur l’attaque. Voilà qui illustre très bien le principe d’équilibre qui est au fondement du football : empiler les défenseurs n’est pas la garantie de bien défendre – tout comme, à l’inverse, multiplier les joueurs offensifs ne fait pas mieux attaquer. Conserver les trois attaquants tout en jouant bas, c’était pour Galtier, garder l’essentiel de ses capacités défensives tout en faisant toujours peser une menace sur Nancy. Banco.