Entraîneur des jeunes gardiens de Guingamp, Mickaël Dumas revient sur ses vertes années avec le match qui opposera l'EAG à l'ASSE le mercredi 20 décembre.
En octobre dernier tu as quitté l’ASSE pour Guingamp. Force est de constater que les Verts ne sont toujours pas remis de ton départ : ils n’ont plus gagné le moindre match depuis que t’as quitté le 42 pour le 22. C’est toi qui dans l’ombre tenais le club à bout de bras ?
(Rires) Non ! L’ASSE vit une période délicate mais ça n’a bien sûr rien à voir avec moi. Si j’étais un porte-bonheur, j’aimerais l’être pour l’En Avant, mon nouveau club. Bien sûr je continue de suivre les résultats des Verts. J'apprécie énormément ce club, j'y ai encore beaucoup d'amis. Sainté est dans une situation compliquée mais j’espère de tout cœur que ça va revenir. Le club a toujours été très bien et très bon quand les choses étaient bien structurées. Je n’ai pas du tout envie de cracher sur le club, je n’ai pas envie non plus de tenir des propos négatifs comme certains le font en ce moment. Il faut au contraire être solidaire avec les personnes en place pour espérer que le club rebondisse. Chaque club traverse des périodes délicates. Cela a été par exemple le cas à Rennes, qui a bien redressé la barre mais aussi à Lille qui est un peu revenu dans la course. J'espère que l'ASSE va à son tour renouer avec le succès, retrouver de la sérénité et remonter au classement.
Tu as quitté le club en cours de saison. Le timing nous intrigue…
C’est vrai que le timing n’était pas forcément le bon. J’ai remercié bien entendu tous les dirigeants stéphanois d’avoir accepté de me libérer en cours de saison. Maintenant, c’est le foot, le club de Guingamp avait vécu exactement la même chose avec mon prédécesseur, parti lui aussi en cours de route. Ce sont malheureusement des choses qui se passent parfois dans le monde du football. Ma décision de quitter l’ASSE a bien sûr été difficile à prendre mais elle a été mûrement réfléchie. J’avais été sollicité par quelques clubs de L1 et de L2 à l’intersaison mais j’avais décliné poliment les propositions car bien entendu l’ASSE était un club avec lequel j’avais beaucoup d’attaches.
Tu as débuté la saison avec des missions confiés par Julien Sablé, tout juste promu à l’époque directeur du centre.
Effectivement, j’avais en charge les jeunes gardiens de but de la-préformation. J’avais toujours un œil sur l’école de foot qu’on avait très bien structurée au niveau des gardiens. Et puis je travaillais sur la vidéo conformément à ce que Julien m’avait demandé. La vidéo, c’est intéressant mais ça donne beaucoup de travail. Je faisais déjà un peu de vidéo auparavant avec les gardiens de but et les collègues mais ça restait ponctuel. J’étais un de ceux qui travaillaient le plus la vidéo, c’est pour ça que Julien m’avait confié cette mission. Mais c’était chronophage et petit à petit je me suis aperçu que le terrain me manquait. La vidéo, c’est rester enfermé devant des écrans dans une salle.
Concrètement, en quoi consistait ta mission sur la vidéo ?
Ma mission vidéo était ciblée sur les équipes du centre : N3 en priorité mais aussi U19, U17, U16 et quelques matches de la pré-formation. Ma mission consistait à filmer certains matches, d’analyser en lien avec les coaches le contenu et ensuite de leur préparer des montages vidéo sur les matches. Il y avait une partie collective et une partie sur les joueurs de champ, sans oublier une partie sur les gardiens de but. Cette mission de vidéo me plaisait mais elle était très lourde. Le côté relationnel avec les différents coaches et les différents groupes, c’était enrichissant. On avait commencé à bosser sur le projet de jeu que voulait mettre en place Julien avec des vidéos bien spécifiques. Mais en tant qu’éducateur, ce que j’aime davantage que la vidéo, c’est le terrain.
Peux-tu nous en dire plus sur le projet de jeu que souhaitait mettre en place Julien ?
Par respect pour lui, je ne souhaite pas trop le dévoiler. Je ne suis pas là pour flinguer son travail. Il avait défini plusieurs points avec tous les éducateurs, il y avait quatre aspects offensifs, quatre aspects défensifs, et une volonté de soigner les transitions. Le but était d'avoir une identité de jeu, un projet de jeu précis. Je mettais en corrélation cette identité de jeu et des séquences vidéo précises. En gros on travaillait sur une phase de progression, une phase de conservation, une phase de finition. On travaillait aussi différentes phases défensives : une où tu es haut sur le terrain, où tu es plutôt en bloc médian et plutôt en phase basse défensive.
C’est le fait de devoir passer beaucoup de temps à la vidéo qui t’a poussé à partir ?
Pas plus que ça. Moi, à la base, en aucun cas j’avais la volonté de partir. C’est l’approche persuasive et instante de Guingamp qui m’a mis cette idée-là en tête. L’EAG avait eu écho de mon travail et de ma situation à Saint-Etienne. Ils se sont montrés très déterminés à me recruter sur un poste que j’avais déjà occupé à l’ASSE, c’est-à-dire responsable de toute la formation des gardiens but du club, de l’entraînement mais aussi de la mise en place du projet et de la philosophie du poste. C’est leur approche, leur sollicitation, qui m’ont fait m’interroger sur ce que je voulais vraiment faire au quotidien. A la base, je n’avais pas prévu de quitter l’ASSE en cours de saison.
Ça a dû te faire bizarre de quitter un club dont tu as fait partie de longues années, comme joueur puis comme éducateur.
Effectivement, j’ai joué dix ans gardien de but à l’ASSE, des benjamins jusqu’à l’équipe réserve. Et avant de rejoindre la Bretagne, j’avais entamé ma dixième saison en tant que formateur. J’ai toujours eu ça en moi. Très jeune, j’ai voulu encadrer. J’ai commencé à passer mes diplômes à 18 ans, j’ai eu mon brevet d’état à 19 ans. J’ai passé deux saisons dans le Jura où j’ai fini de passer mes diplômes et où j’ai eu plusieurs équipes à ma charge. J’ai monté un petit pôle gardiens de but en relation avec la région de Franche-Comté. Alain Blachon m’a fait revenir à l’ASSE lors de la saison 2007-2008 pour m’occuper des gardiens de la pré-formation. La première génération avec laquelle j’ai travaillé, c’étaient les 94 : Jérémy Vachoux et Louis Beccu. A l’époque, c’est Gilbert Cecarrelli qui s’occupait des gardiens du centre de formation. Je lui ai succédé de 2013 à 2016, et je suis retourné à la préformation lors du retour de Jérémie, qui a été remplacé par Jean-François Bédénik.
Quel bilan fais-tu de tes dix années d’éducateur à l’ASSE ?
Je suis plutôt heureux et fier de mon bilan à l'ASSE. C'est un travail d'équipe avec les recruteurs, les collègues éducateurs et les autres entraîneurs des gardiens de but, les dirigeants. Des garçons comme Jérémy Vachoux, Axel Kacou, Anthony Maisonnial, Alexis Guendouz, je les ai eus presque tous pendant six ou sept saisons. Il y a eu un vrai suivi sur le long terme avec ces garçons-là. Le bilan est plutôt sympa et positif car ces garçons ont réussi à décrocher un contrat pro, que ce soit à Sainté ou ailleurs. On a pas mal de gardiens qui ont représenté l'ASSE dans les sélections nationales de jeunes, c'est important pour l'image du club. Sur dix générations, de 1994 à 2003, on a huit gardiens qui ont fait les pré-France : Axel Kacou (1995), Alexis Guendouz (1996), Anthony Maisonnial (1998), Ryan Bouallak (1999), Nathan Crémillieux (2000), Stefan Bajic (2001), Yanis Bourbia (2002), Nabil Ouennas (2003).
Pas mal d'autres bons gardiens sont passés entre tes mains.
J'ai eu la fierté d'entraîner d'autres bons gardiens comme Etienne Green, Corentin Bariol, Clément Moulineau, Eden Lolic. Cela démontre qu'on a un vrai travail, une vraie philosophie en termes de formation, d'entraînement et de recrutement des gardiens. L'idée, c'est bien sûr d'alimenter notre effectif professionnel. Peut-être qu'un jour on aura un garçon formé au club qui prendra la place de gardien numéro un dans l'équipe pro. C'est la finalité de tout le travail qui est effectué en amont. Dès le plus jeune âge, on porte de l'attention aux gardiens prometteurs. A titre d'exemple, on a fait signer en mars dernier un accord de non sollicitation au U12 ponot Noah Raveyre, qui était convoité par de très nombreux autres clubs professionnels.
Le club compte de nombreux gardiens internationaux chez les jeunes mais ne risque-t-il pas d'y avoir un embouteillage ? Il n'y a qu'un seul gardien dans une équipe, du coup c'est encore plus dur de percer pro et d'avoir du temps de jeu à ce poste.
Effectivement. Le football de jeunes est différent du football d'adultes, avoir des sélections nationales ne doit être qu'une étape dans le parcours des jeunes gardiens. Dans un grand club comme l'ASSE, aujourd'hui, pour être numéro un, il faut quelqu'un d'extrêmement costaud. C'est clair et net. On le voit avec Stéphane Ruffier, qui est international, et sans doute l'un des meilleurs gardiens actuels en France. On ne peut passer directement du football de jeunes au poste de numéro un à l'ASSE. C'est impossible, l'écart est trop grand. Pour moi, tous les jeunes gardiens devront passer par une étape de football d'adultes. Cela peut passer par un prêt. Il revient au club de définir cette stratégie-là. Pour pouvoir prétendre devenir un jour numéro un dans un club du calibre de l'ASSE, les jeunes gardiens ont besoin d'emmagasiner de l'expérience en Ligue 2 ou en National.
Beaucoup de supporters stéphanois redoutent l'après-Ruffier. Qu'en penses-tu ? Une solution interne peut-elle être envisagée ? Anthony Maisonnial semble prometteur mais a un faible vécu du football d'adultes en n'a joué que quelques matches de National 3 cette saison.
Comme les autres jeunes gardiens, Anthony Maisonnial devra sans doute emmagasiner plus d'expérience et de temps de jeu dans le football d'adultes, un prêt pourrait être une bonne solution. Alphonse Areola, avant d'être titulaire au PSG, a été prêté pendant trois saisons. Il est rare que des gardiens très jeunes soient titularisés en Ligue 1 ou en Ligue 2, sauf dans des clubs en difficulté. Je pense à Alban Lafont qui a gagné sa place quand Toulouse n'allait pas très bien. On voit que Paul Bernardoni a été titularisé à Troyes quand l'Estac vivait une période compliquée. Cette saison Bordeaux l'a prêté à Clermont. Si comme je l'espère l'ASSE reste dans le top 6 français, il faudrait forcément qu'Anthony ou les autres jeunes gardiens passent par une période de prêt importante. C'est essentiel. Ce n'est pas quelque chose de facile, il faut que les garçons s'entraînent mentalement.
Si Stéphane Ruffier quitte le club, vois-tu Jessy Moulin lui succéder au poste de numéro un, sachant qu'il aura bientôt 32 ans et a fait toute sa carrière pro en tant que doublure. Ou penses-tu que le club devra recruter
Ce sera aux dirigeants de se positionner et de choisir entre une solution interne ou externe. Quand il a été amené à suppléer Stéphane Ruffier, Jessy Moulin a montré la saison dernière qu'il avait suffisamment de qualités pour pouvoir tenir ce poste de numéro un. Maintenant, est-ce que le club va lui faire confiance ou pas, je l'ignore. Ce que je sais et ce que j'ai vu, c'est que Jessy s'entraîne énormément et quotidiennement avec beaucoup d'intensité pour qu'un jour cette place de numéro un lui revienne, sachant que les jeunes poussent derrière. On sait que dans la vie d'un club, rien n'est facile. Ce poste de gardien est tellement important...
Le club a décidé de recruter Jean-François Bédénik pour entraîner les gardiens du centre de formation et Jessy Moulin pourrait se voir proposer un poste similaire une fois qu'il aura arrêté sa carrière de joueur. Un retour de Jérémie Janot est également probable, sans doute avec les pros. Est-ce que ça a joué dans ta décision de quitter Sainté ?
Quand le club de Guingamp m'a sollicité, j'ai eu bien entendu des entretiens avec Julien Sablé, Dominique Rocheteau et Roland Romeyer pour savoir quel plan de carrière ils avaient avec moi à Saint-Etienne. Depuis deux ans avec l'arrivée de Jérémie Janot, l'année dernière avec la venue de Jeff, le club a montré sa volonté d'avoir un ancien gardien pro à la tête des gardiens du centre de formation. Julien me l'a confirmé et me l'a bien expliqué. Je respecte ça, il n'y a pas de souci mais ça a forcément joué dans ma décision de saisir ma chance dans un club qui lui me donnait une totale confiance et une pleine liberté sur mon travail.
C'est handicapant de ne pas avoir été joueur pro pour faire carrière dans un centre de formation ?
Pas forcément. Il n'y a qu'à voir le parcours de Razik Nedder, qui a rejoint le staff de Julien Sablé. Razik n'a pas été un joueur professionnel. Cela montre qu'il y a de la place pour tout le monde. En tout cas en l'espèce on voit que Julien a fait confiance à quelqu'un qui n'a pas été pro. Je crois qu'il n'y a pas de vérité. Nous les éducateurs, on est toujours jugés sur le travail qu'on fait sur le long terme avec nos joueurs, nos gardiens. Je pense que le football a besoin d'anciens joueurs professionnels pour transmettre certaines choses aux jeunes. Mais le football a aussi besoin de personnes qui viennent un peu plus du milieu amateur. Il faut trouver le bon équilibre. J'ai beaucoup d'amitié avec des joueurs qui ont été pros, avec d'autres qui ne l'ont pas été. Il ne faut pas mettre de barrière. Il y a de très bons joueurs professionnels qui deviennent de très bons éducateurs, des joueurs professionnels moyens qui vont devenir de très bons éducateurs mais aussi de très bons professionnels qui n'auront pas la fibre et auront d'autres missions dans le monde du football.
Comment décrirais-tu Jean-François Bédénik et comment le comparerais-tu à Jérémie Janot, son prédécesseur au poste d'entraîneur des gardiens du centre de formation ?
Tu me poses une question difficile ! J'ai côtoyé Jeff deux mois avant de partir pour Guingamp. C'est quelqu'un de bien. Comme Jérémy, c'est un jeune éducateur car ça ne fait pas longtemps qu'il a arrêté sa carrière. La saison dernière, il jouait encore à Vannes. Cela fait un peu plus longtemps que Jérémy avait entraîné. Avant d'entraîner les gardiens du centre de formation de l'ASSE, il avait entraîné des équipes les U19 de Villars puis l'équipe une de Firminy en PHR. Jef est quelqu'un de bien qui a l'intention de faire bosser et progresser les gamins. Chacun apporte sa sensabilité, sa personnalité. Moi j'ai beaucoup appris avec Fabrice Grange, j'ai appris avec Gilbert Ceccarelli, auparavant j'avais appris avec Jeannot Déès. C'est difficile de les comparer. Jeff apporte son expérience de gardien pro car il a joué à Valenciennes, au Mans, à Neuchâtel Xamax avant de finir à Vannes. Jef est un bon vivant, il est proche de ses gardiens. Au niveau du travail, il est dans la continuité de ce que l'on avait mis en place avant.
Il n'y a pas plusieurs écoles en matière de formation des gardiens ?
On ne va pas réinventer le poste. La priorité, pour un gardien, c'est de faire des arrêts et rapporter des points à son équipe. Tous les entraîneurs des gardiens axent un peu plus le travail sur le jeu au pied, c'est partout pareil. La grosse différence entre chaque éducateur, c'est la philosophie qu'il amène dans le club, ce qu'il peut apporter aux gardiens, le contact qu'il peut avoir avec chaque gardien et chaque entraîneur. La confiance qu'il va apporter aux gardiens pour les amener à progresser et à franchir des étapes supplémentaires en vue du haut niveau.C'est là-dessus que chacun est différent et que chacun a ses méthodes. Et il faut laisser du temps à la personne pour mener à bien cette mission.
Les Verts vont jouer leur dernier match de l'année sur le terrain de ton nouveau club. Comment vas-tu vivre cette rencontre ?
Je vais bien sûr la suivre avec passion au Roudourou. J'aurai évidemment un oeil très avisé sur les deux gardiens de buts comme je le fais d'habitude. J'espère assiter à un bon match dans une belle ambiance. Que le meilleur gagne ! Bien sûr j'aime beaucoup l'ASSE mais je travaille maintenant pour l'EAG. Mon adaptation s'est bien passée, j'ai été bien accueilli. J'ai découvert un club sain, cohérent, structuré, doté d'une académie d'un très bon niveau.
Merci à Mickaël pour sa disponibilité