"Ils utilisent les versets du Coran à tout bout de champ"
Les attentats de Paris du 13 novembre ont été officiellement revendiqués par le groupe Etat islamique, dans un communiqué qui cite deux versets du Coran. ARTE Info s'est entretenu avec un expert de l'Islam pour décrypter ce texte et analyser l'interprêtation qui y est faite de la religion musulmane.
Youssef Afif est imam suppléant à la Grande Mosquée Mohamed VI de Saint-Etienne. Nous l’avions rencontré en juin dernier, à Rabat, où il suit une formation d’imam avec une vingtaine d’autres Français. Cette semaine, il rentrera chez lui dans la Loire, où il reprendra ses fonctions de responsable de l’enseignement religieux. C’est un grand défi qui l’attend. Pour lui, il faut que les imams parlent aux jeunes dès l’école, pour tenter de contrer le discours radical qui séduit de plus en plus de jeunes désoeuvrés.
ARTE Info : Quel est votre sentiment aujourd’hui ?
Youssef Afif : C’est le sentiment de tout être humain dans ce genre de situation. C’est le dégoût, déjà, par rapport à ceux qui sont capables de faire ça. C’est une tristesse profonde par rapport à ce qu’il se passe dans notre pays, par rapport aux familles des victimes, par rapport aux victimes elles-mêmes. C’est un sentiment très difficile à décrire.
Que pensez-vous du texte de revendication de l’Etat islamique qui cite des versets du Coran ?
C’est une insulte pour les musulmans et pour leur intelligence. C’est une insulte à cette belle religion. Ça nous fait honte, on a honte à leur place parce qu’ils utilisent des choses là où ne devraient pas être. Le verset qu’ils citent en tête, c’est un verset qui a été révélé à notre prophète dans un contexte bien précis, dans une période bien précise, dans ces circonstances bien précises et eux l’utilisent à tout bout de champ et n’importe comment. Ce verset a été révélé quand le prophète était installé à Médine. Il avait conclu le pacte de Médine, c’est une sorte de constitution dans laquelle il a mis en place certaines règles entre les musulmans et les non musulmans de Médine. Il y avait trois tribus juives dans la ville de Médine et ils se sont mis d’accord sur certaines règles pour qu’ils puissent vivre ensemble, il y avait déjà cet esprit du vivre ensemble à l’époque. C’est une constitution écrite, qu’on peut toujours trouver, elle est authentifiée par des historiens. Puis quand le prophète est allé trouver l’une de ces tribus pour solliciter une aide financière, ils ont essayé de le tuer. Il a donc demandé à les chasser de Médine et c’est à ce moment-là que le verset a été révélé.
Le texte de revendication parle aussi "d’attentat béni" et dit que la louange et le mérite appartiennent à Allah.
Oui la louange et le mérite appartiennent à Allah pour les choses "bonnes". Quand on fait des choses "bonnes", on va y associer le nom de Dieu pour les glorifier et pour les bénir, mais on ne peut pas bénir des actes terroristes atroces comme ceux-là. Au contraire, Dieu et Allah (l’autre Dieu, le Dieu de tout le monde) châtissent ce genre de comportement.
Mais à la lecture du texte, on a l’impression qu’Allah est un Dieu vengeur.
Si c’est un Dieu vengeur, ce n’est pas de cette manière là. Quand on veut se venger, on va sur un champ de bataille, entre armées. On ne va pas à l'encontre d'innocents qui font la fête le soir ou se retrouvent en famille et entre amis.
Comment fait-on sur le terrain pour combattre ce processus de réinterprétation des textes sacrés et de radicalisation ?
Il y a déjà la formation des imams, comme ce qui se fait à l’institut Mohamed VI, mais mon sentiment personnel, c’est que je suis un peu désemparé. Je commence à douter, je ne parle pas de ma foi, mais des moyens que nous avons ou de notre marge de manœuvre. Mon travail, c’est l’éducation. C’est aussi la transmission des vraies valeurs de cette belle religion. Mais ce travail ne peut être fait que sur le moyen terme et le long terme, et il doit être fait avec les jeunes surtout. Il faut que ces jeunes arrivent à comprendre que ce genre d'attaques, ce n’est pas la religion, ce n’est pas l’islam.
J’encourage l’Etat à prendre des dispositions sécuritaires (renforcement des contrôles, renforcement de certaines lois etc.). Ca me paraît normal, il faut qu’on protège notre pays. Mais il faut aussi nous donner des outils, il faut réorganiser l’aumônerie, et tout ce qu’il se passe dans les prisons. Il faut aussi s’inspirer d’autres modèles, discuter avec ces radicaux, leur envoyer des vrais savants, de vrais personnes qui comprennent leur religion, qui peuvent débattre, même avec eux, directement. C’est une des solutions. Il y a quelques jours, une trentaine de radicaux ont été graciés par le roi du Maroc : ils ont débattus avec des savants autour d’une table, chacun avec ses arguments. Ces personnes ont réussi à les convaincre : cela a duré plusieurs années, ce n’est pas l'histoire de deux ou trois mois. Il faut vraiment voir et vérifier, discuter et rediscuter.
La question des aumôneries dans les écoles et dans les prisons est essentielle. Il faut que ce soit les bonnes personnes, bien formées, que ce soit dans le domaine des lois de la République mais aussi dans le domaine de la religion et de la tolérance. Ce sont ces personnes qu’il faut envoyer dans les prisons et pas n’importe qui. Pas en tout cas ces personnes qui viennent une fois tous les vendredis pour distribuer des dattes pendant le ramadan. Ça ne sert plus à rien ce genre de choses.
Personnellement, je préfère ne pas trop réfléchir dans ces moment-là, parce qu’on subit ce que font ces terroristes, ces barbares. Il faut instaurer les choses dans le calme et laisser le temps au recueillement. En tant que croyant, prier pour les victimes, les familles des victimes et pour la paix de ce pays. Par la suite, après quelques semaines, on se posera réellement et on discutera des solutions. A l'heure actuelle, ce ne serait que des réactions et non pas des actions, ce que cherchent d'ailleurs ces gens-là : ils veulent que l'on réagisse tout de suite. Mais avec la réaction, il n’y a pas d’action. L’action, ce sont des choses qui s’installent sur la durée. La réaction, ce n’est que de l’émotion et ce n’est pas bon pour nous, pour notre pays.
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