
On vit une époque qui pourrait s'avérer extraordinaire : notre savoir technique est tel qu'aujourd'hui, ou dans un avenir assez proche, on pourrait confier quasiment tout le sale boulot lié à la survie matérielle, à des robots ou des machines (qui remplaceraient, 2000 ans plus tard, les esclaves antiques) et nous libérer du travail contraint, pour nous consacrer à "cultiver notre jardin". Cultiver son jardin, ce n'est pas regarder sa télé ; pratiquer l'otium, ce n'est pas jouer à WoW 24/7 ; respecter l'Humain, ce n'est pas partir du principe qu'il est par nature un fainéant baveux incapable de se prendre en main. Ce me semble au contraire que les vieux Grecs et Romains, les hommes libres en tout cas, ont produit parmi les plus belles réussites jamais vues, alors qu'ils n'avaient pas de travail.
Ce que je dis là, ce n'est pas une simple utopie de gauchiste dégénéré planqué derrière son ordinateur. Ce sont des réflexions travaillées par des universitaires, des expérimentations en cours ou préfigurées, des modes de vie pratiqués en ce moment-même dans les marges de notre société.
Au lieu de ça, on veut nous faire avaler la pilule (suicidaire) de la croissance sans fin, de la concurrence de tous contre tous, et de la rareté artificielle des ressources orchestrée. Tout ça pour quoi ? Pour qu'un petit nombre de privilégiés puisse maintenir sa domination.
Regarde autour de toi : combien de personnes, sur leur temps libre, pratiquent une activité sportive, artistique, du jardinage, du bricolage, vont couper eux-mêmes leur bois, s'investissent dans des assos, organisent des bouffes pour la famille/les copains, et pourtant se lèvent à des heures pas possibles et supportent des horreurs au boulot en gérant des gosses ? Sans compter tous ceux qui créent une boîte, et qui s'assureront un revenu à peine correct (et pas toujours) pour des milliers d'heures d'emmerdes ?
L'être humain est un être d'activité ; il a besoin d'agir sur son environnement. C'est comme cela qu'il existe (ex-ister : sortir de l'être, c'est-à-dire n'être pas qu'un organisme passif). Lorsqu'il n'est plus qu'une loque baveuse sur un canapé, c'est qu'il a été brisé par le système capitaliste qui lui a aliéné jusqu'à son énergie vitale.
Supprime le travail inutile dont la seule fonction est d'enrichir les détenteurs du capital, et tu verras la plus belle efflorescence de créativité et d'inventivité de l'histoire humaine.