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La Croix :
Les Verts jouent aussi avec leurs mains
Pour la première fois de son histoire, Saint-Étienne compte une équipe de rugby jouant à un bon niveau. Les Stéphanois en sont les premiers surpris
Samedi 18 décembre se jouera à Lyon un match de Pro D2, l’équivalent de la deuxième division au rugby. Une rencontre hivernale entre professionnels qui pourrait être banale si elle n’opposait les Rouges et Noirs de Lyon aux Verts de Saint-Étienne. Des Verts qui jouent avec leurs mains. Qualifiée pour la première fois de leur histoire à ce niveau, l’équipe de Saint-Étienne fait mentir le dicton local selon lequel les bébés naissent… manchots dans la cité stéphanoise, ou alors les pieds chaussés de crampons de foot.
En football, cette confrontation pour la suprématie régionale tiendrait les clubs et les supporteurs en haleine pendant des semaines, monopoliserait l’attention des commentateurs. Rien de tout cela en rugby. Ce Lyon-Saint-Étienne relève plutôt de la curiosité, car Les Cols verts, surnom des XV stéphanois, sont les invités de cette Pro D2 que fréquentent les Lyonnais depuis des lustres. « On ne s’y attendait pas vraiment, reconnaît Frédéric Baudouin, industriel stéphanois qui tient ferme la présidence du club. Cela fait des années que notre équipe progresse, mais cette montée surprise a pris tout le monde de court. »
Entre le 13 juin (le match contre Bourg-en-Bresse qui a propulsé les Cols verts dans la division supérieure) et le début de la saison en septembre, il a fallu parer au plus pressé, afin de satisfaire aux exigences de la Ligue de rugby pour les clubs de ce niveau : agrandir une tribune, installer un panneau d’affichage électronique pour les scores, engager des joueurs professionnels, lancer un centre de formations… « Nous aurions pu refuser la montée, souligne le président Baudouin, nous l’avons d’ailleurs sérieusement envisagé. Si toutes les infrastructures n’avaient pas été un peu planifiées, au cas où, dans nos cartons, nous nous serions résignés à expliquer à nos joueurs que leurs victoires n’avaient servi à rien. Heureusement, nous n’avons pas eu à le faire. Certes, nous n’étions pas prêts, mais un peu préparés. »
Montée surprise
Parti de rien il y a dix ans, le rugby stéphanois a grimpé quatre à quatre les échelons de la hiérarchie ces dernières années, grâce à une bande de patrons locaux passionnés de rugby. Petit Poucet de la Fédérale 2, le Case-Rugby, nom officiel du club, a dû trouver 2,6 millions d’euros pour couvrir les frais de sa première saison en Pro D2. Reste que cette montée surprise a laissé plus d’un Stéphanois pantois. À commencer par l’historien du sport Pascal Charroin, enseignant à l’université de Saint-Étienne et au Cris (Centre de recherche et d’innovation du sport) : « Historiquement, le rugby n’existe pas ici. Après le football qui écrase tout, le deuxième sport est le basket. Avant le rugby viennent aussi le handball, le volley, le tennis de table et l’athlétisme, activités populaires, organisées par les amicales laïques et les patronages. »
De là à dire que le rugby est une activité bourgeoise réservée à l’élite économique, il y a un pas que l’historien n’hésite pas à franchir, tout comme le président Baudouin. « Il est indéniable que les valeurs de l’entreprise et celles du rugby se rejoignent, analyse ce dernier. Mais ce n’est pas une raison pour nous coller une étiquette politique. Cependant, il faut reconnaître que le conseil général, de droite, nous aide beaucoup plus que la mairie de Saint-Étienne, ancrée à gauche. »
Le football de gauche et le rugby à droite ? Vieux refrain. Didier Bigard, patron des sports au journal Le Progrès, ou Patrick Révelli, ex-gloire des Verts de la grande époque, grand amateur de rugby et conseiller aux sports du maire socialiste, ne s’embarrassent pas de ces considérations. Pour ces deux techniciens, l’équipe trouvera son public si elle… gagne des matchs. « La seule vérité est celle du terrain », dit le journaliste. « Peut-être qu’il leur manque deux ou trois très bons joueurs », ajoute l’ancien ailier droit, qui ne rechigne pas aller boire un verre de temps en temps à la Table de Fauriel, le bar de la poignée de supporteurs qui suit l’équipe dans ses déplacements. Côté résultat, les Verts sont pour l’instant bons derniers de la Pro D2, en position donc de retourner l’an prochain en division inférieure. « C’est allé trop vite, soupire Éric Morizot, le président de l’association des supporteurs baptisée les Verts ovales. Même s’ils redescendent, on continuera à les soutenir. »
« On ne lâchera pas »
Un discours qui réconforte le président du club : « La marche est vraiment très haute entre les amateurs que nous étions et les professionnels que nous sommes devenus. Si nous devons la redescendre, nous ferons ce qu’il faut pour que l’édifice construit depuis des années ne s’effondre pas d’un coup. Beaucoup de clubs ont explosé après une montée trop rapide et une descente en catastrophe. Nous sommes armés financièrement pour que ça n’arrive pas. Derrière l’équipe première, il y a 450 licenciés, l’école le rugby, les équipes de jeunes. On ne lâchera pas. »
« Si le club descend et s’il ne s’écroule pas dans la foulée, on pourra alors dire que le rugby a un avenir à Saint-Étienne », conclut Didier Bigard, du Progrès. « Ce n’est pas gagné », soupire Patrick Révelli, que la dernière défaite dimanche dernier à domicile n’a pas rassuré. Les Cols verts ont été battus d’un cheveu (9-10) par Auch dans leur petit stade de L’Etivallière. Lequel est situé au pied des célèbres tribunes de Geoffroy-Guichard, théâtre de tous les exploits des footballeurs. Difficile de ne pas y voir un symbole.
Jean-François FOURNEL
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