zigzag wrote: ↑15 Dec 2019, 19:18
Extraits de l'Interview de Puel dans Le Monde
Vous revendiquez un profil de bâtisseur. Lorsqu’on arrive dans un club dernier de Ligue 1, comment tient-on ce cap ?
Il faut aller à l’essentiel : amorcer une orientation sans embrumer les joueurs, ne pas donner trop d’informations. Je me dois d’être le plus précis possible. Petit à petit, je vais nourrir l’équipe dans une direction mais, au départ, il ne faut donner que des choses compréhensibles par tous pour faire changer l’état d’esprit, la solidarité, le langage corporel. Ce sont des choses basiques sur lesquelles on peut agir rapidement.
Combien de temps faut-il pour trouver une cohérence ?
Quand j’ai débuté dans le métier [en 1999, à Monaco], on considérait qu’il fallait deux ou trois ans pour monter une équipe. Maintenant, il faut être opérationnel en un mois et demi avec des joueurs que l’on ne connaît pas et qui eux-mêmes doivent s’acclimater à un nouvel environnement. Le moyen terme, c’est un an ou deux : on n’aura jamais plus.
En Angleterre, cette urgence est démultipliée par l’ampleur des moyens et la nature des propriétaires, qui n’ont pas une approche footballistique mais entrepreneuriale : de l’argent est investi, donc il faut des résultats immédiats, peu importe la façon.
Comme à Southampton ou Leicester, vos précédents clubs…
J’ai dit aux dirigeants de Leicester, quand ils m’ont reçu : « Vous êtes en échec. Vous avez été champions d’Angleterre [en 2016] avec du jeu direct et trois individualités. Il faut changer de jeu et il y a cinq joueurs intéressants qui peuvent continuer avec moi. Le reste, c’est insuffisant. » Et je suis parti. Je ne m’attendais pas à ce qu’ils me choisissent. Ils m’ont rappelé une heure après.
Vous avez été limogé en février, alors que vous étiez 12e de Premier League. Que vous a-t-il manqué pour mener ce projet à bien ?
Le projet a été mené à bien ! Pas assez vite pour en profiter, mais je l’accepte ; j’ai intégré le fait que je suis là pour donner. On a transformé en deux mercatos l’une des équipes les plus âgées de Premier League en équipe la plus jeune. A chaque poste, il y a un joueur créatif. J’ai fait tout cela dans l’incompréhension totale, dans un environnement – supporteurs et journalistes – qui ne comprenait pas cette analyse. Depuis des décennies, Leicester jouait avec un football direct. On a changé la donne à une vitesse complètement dingue.
Mais je me suis mis dans la difficulté car je n’ai lâché sur rien. Je me suis engueulé avec les recruteurs : ils me proposaient des profils non techniques, qui ne comprenaient pas le jeu. Je n’ai pas fait prolonger les champions d’Angleterre, ce qui était le plus difficile, et je leur demandais de pratiquer un autre football. Ces joueurs étaient des légendes. Ils avaient tous un accès direct au président du club, alors que moi je n’avais pas son numéro ! C’était une famille et je suis arrivé comme un poil à gratter. En un an et demi, on a sorti quatre internationaux espoirs et deux internationaux A, Harry Maguire et Ben Chilwell.
Je me rappelle d’un match à Everton perdu 2-1, sur deux erreurs personnelles de Chilwell. La vox populi voulait que Christian Fuchs, titulaire dans l’équipe du titre, revienne par sécurité. Mais, la fois d’après, je l’ai remis, et la fois d’après encore. Je considérais que c’était sur lui que le club devait miser. Un jeune performant de suite, c’est rarissime. Il faut le nourrir, l’aguerrir. Et il n’y a pas d’autre solution que lui donner du temps de jeu. Certains verront ça comme une prise de risque. Je suis prêt à le prendre parce que je me fous d’être viré.
Leicester est aujourd’hui deuxième de Premier League sous les ordres de Brendan Rodgers. Comment le vivez-vous ?
Je trouve cela super. Parce que c’est le même système de jeu, les mêmes joueurs, et je la vois performer à un très haut niveau. Mais je ne suis pas surpris. On sentait la qualité à l’entraînement et en match ça venait, même si on n’était pas récompensé pour quelques détails. L’équipe était prête.
Dans l’expression, la qualité, la jeunesse, je n’avais jamais rien ressenti d’aussi fort depuis Monaco, lorsqu’on a été champion de France en 2000 avec l’équipe la plus jeune de l’histoire.
Avec une équipe, je veux me donner les moyens d’être capable de jouer la Ligue des champions. Or, ce qu’on observe au très haut niveau, c’est qu’avant le physique et l’intensité, il y a la technique, l’anticipation, l’intelligence de jeu et des déplacements. Il n’y a pas d’équipe de Ligue des champions qui vive uniquement de combativité et de solidarité.
La technique est le préalable à tout ?
Pour moi, oui. Et la Ligue 1 en manque, car le recrutement repose avant tout sur des dispositions physiques.